Une
famille comme il y a en a peu que celle des Boutier. D’origine allemande, les
parents sont venus s’installer au Canada et n’ont jamais parlé de cet aspect de
leur vie avec leurs filles et leur garçon. Le sentiment de culpabilité peut-être
après l’Holocauste et ce que l’Allemagne a connu sous le régime nazi.
Lui
est fonctionnaire à la retraite et elle a été enseignante. Marguerite Andersen
ne s’en cache pas, elle s’inspire largement de sa vie.
«Écrivaine
à tendance autofictionnelle, je m’aventure dans ce livre à interpréter des vies
que je n’ai vues que de l’extérieur, celles de mes six petites-filles. De leurs
six réalités, j’ai construit trois récits biofictionnels. J’ai aussi un
petit-fils; je n’allais pas l’oublier. Il survient de temps à autre dans la vie
des trois protagonistes.» (p.7)
Les
trois jeunes femmes ont hérité de la curiosité des parents, du goût de l’effort
et du travail. Ariane est anthropologue, Claire enseignante et Isa, écologiste
et peintre. Elles s’imposent à leur façon. Fabien voyage, étudie et profite de
la vie.
Des choix
Même
si elles sont intelligentes et que le succès colle à leur peau, la vie n’est
jamais une belle route tranquille pour les trois soeurs. Il y a toujours des
désirs et des rêves qu’il faut assumer ou repousser.
Le
monde contemporain change à une vitesse étourdissante. Pour Isa, c’est une
manière de vivre. Elle peint et va d’un projet à l’autre pour survivre. La
nature de ses choix et de son travail veut cela. Une insécurité qu’elle
apprivoise même si elle rêve d’un coin tranquille à la campagne et d’un
amoureux.
Pour
Claire, c’est autre chose. Ce petit prodige a appris à lire en marchant. Elle a
fait des études en Norvège, connu une ouverture sur le monde dès l’enfance.
Elle fait lentement sa place, un peu perturbée par sa vie personnelle. Elle vit
une aventure avec une collègue. L’amour,
la tendresse, le secret jusqu’à la rupture.
«Claire
se tourmente. Elle aimerait se confier à ses parents, leur dire ce qui ne va
pas. Or, elle a peur. Elle n’est pas comme les autres. Elle est célibataire,
lesbienne. Ils ne comprendront pas sa peine, tout comme ils n’ont jamais
compris sa relation avec Marianne. Ah, vont-ils lui dire, ta copine a changé
d’orientation, pourquoi ne ferais-tu pas pareil?» (p.226)
Ariane
malgré une vie en apparence plus stable et des études poussées est certainement
la plus tourmentée. Mariée à un Africain, mère de deux enfants, elle rédige une
thèse de doctorat sur la situation des femmes au Ghana. Ce travail la
questionne et la bouscule.
Époque
Les
filles Boutier illustrent parfaitement ces citoyens canadiens que l’on veut
bilingue et ouvert sur le monde. Elles ont fréquenté les meilleures écoles et
voyagé un peu partout. Elles connaissent la situation politique mondiale, les
guerres et tout ce que cela peut entraîner. Les incongruités de l’époque
contemporaine aussi comme les sangliers qui envahissent les rues de Berlin. Isa
est fascinée par ces phénomènes et ne dit jamais non à une enquête sur le
terrain.
Ariane
jongle à l’exploitation des femmes en Afrique, aux manières de vivre et
d’empoigner le réel qui disparaissent avec la mondialisation.
Les
soeurs vivent les soubresauts de l’amour, la passion et le chagrin. Elles
peuvent compter sur la famille cependant, des parents toujours attentifs, un
frère chaleureux et disponible. Et une grand-mère exceptionnelle. Que demander de
plus?
Des
personnages sains, vifs et pétillants. Des problématiques actuelles portent ce
récit. Comment garder ou protéger sa culture dans un monde métissé, sa langue quand
toutes les nations se mélangent et que le voyage est une manière de respirer.
Comment ne pas s’inquiéter devant un avenir de plus en plus incertain avec les
changements climatiques.
«La
vie devant elles» est un témoignage fort bien mené. Des portraits de femmes que
l’on aurait envie de rencontrer, de mieux connaître pour s’en faire des
complices. Une belle manière de s’attarder au monde de maintenant et ses graves
problèmes sans pousser les hauts cris. Humain, chaleureux et toujours juste.
«La vie devant elles» de
Marguerite Andersen est paru aux Éditions Prise de parole.
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