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dimanche 17 novembre 2013

Robert Lalonde plus touchant que jamais

Robert Lalonde a porté ce récit pendant toute sa vie. Il aura fallu peut-être que sa mère lui laisse le champ libre pour réussir à y mettre le point final. «Pis oublie pas, c’est le cœur qui meurt en dernier, mon petit gars, le cœur, pas la tête. C’est par ces mots que j’avais commencé, il y a plus de quarante ans, dans l’île de Crète, que tu n’as jamais vue, à l’ombre d’un mur millénaire, sous un soleil impitoyable, le récit que j’achève aujourd’hui.» (p.164)

Ces phrases lançaient les confidences, il y a quatre décennies. Elles le terminent maintenant. Le livre s’est retourné, la vie s’est dilatée pour permettre aux événements de prendre leur place, de passer de la colère à la fascination. La résilience est affaire de temps, de patience et d’abandon, de renoncement surtout.
La vie n’est guère facile pour un garçon quand il doit vivre avec une mère extravagante, émotive, en guerre contre les obligations du quotidien. Aussi imprévisible que le jour et la couleur du temps, elle ne peut que marquer ses proches. Elle rêvait une autre vie, un ailleurs où tout serait plus facile. Comment ne pas heurter le garçon sensible qu’était son fils.
« — Imagine ! Si j’étais née ailleurs, dans un autre temps, un autre village, une autre famille, avec un autre corps, plus mince, plus élancé, un visage à la Greta Garbo. Si j’étais née dans une autre maison, avec des parterres de fleurs tout autour, pas un château, exagérons pas, mais une belle maison, à trois étages, ma chambre avec un édredon de satin, des grandes fenêtres encadrées de jalousies bleu ciel, une écurie avec de beaux chevaux blancs qu’on peut faire atteler pour des promenades dans les vergers, après la messe…» (p.58)
Elle maniait les mots comme des sabres, possédait l’art de tout retourner à son avantage, de déstabiliser son interlocuteur, d’avoir raison contre le monde entier. Le jeune garçon était fasciné et en même temps révolté.

Désordre

Des souvenirs, des moments qui refont surface. Des photos. La voilà au bout de sa vie, un peu perdue, mais encore capable de pourfendre la réalité avec son verbe incisif. Ou encore en épouse capricieuse qui ne sait quelle robe choisir pour un repas de famille. Ses stances, ses récriminations devant les tâches familiales, sa révolte contre sa condition de «torcheuse, épousetteuse, décrotteuse», son plaisir quand tout était à sa place.
«On ne pouvait rien t’offrir. Recevoir t’humiliait, t’offensait. Tu n’as jamais accepté — et encore, de mauvaise grâce—  que ce que tu avais voulu, demandé, exigé. Ni papa ni moi ne faisions partie de ce que tu avais voulu, demandé, exigé.» (p.107)
Capable de pleurer les malheurs de tout le village, capable aussi d’une cruauté sans nom avec sa soeur aux prises avec la maladie d’Alzheimer. En bataille contre la vie, son mari et son fils qui ne savent jamais sur quel pied danser, elle suscite la colère et la révolte. L’adolescent a l’impression que le monde le rejette et que sa mère va finir par l’étouffer.
«Je laissais comme ça le temps passer, le méchant désir de parler s’estomper. Et puis je me remettais à te donner la réplique, dans ta chronique du tragique et bouffon jour le jour qui, pour sûr, ne manquait pas de catastrophes, chicanes, paroles apparemment lancées en l’air, mais qui avaient sournoisement raison de la raison et pouvaient conduire au pire.» (p.102)
Une vie de paroles, des monologues mille fois recommencés, de phrases qui étourdissent et assomment. Pas étonnant que Robert Lalonde soit devenu comédien et écrivain. L’art de fuir en jouant, en devenant un autre et les tentatives de tout dire dans ses romans et des histoires cent fois reprises.

Réconciliation

Quelle manière formidable de présenter une femme qui aurait voulu échapper à sa vie et à son époque. Fascinante, fantasque, étourdissante, haïssable, elle basculait dans les pires excès, ne savait plus comment refaire surface, vivait des dépressions en refusant de l’admettre. Elle pouvait disparaître aussi pour mettre un peu d’ordre dans sa tête. Une ratoureuse qui a réussi à dissimuler pendant presque toute sa vie son analphabétisme. Elle n’a pu lire les livres de son fils qu’à la fin de sa vie. Robert Lalonde lui montrant à lire alors qu’elle avait plus de quatre-vingts ans.
Il faut du courage pour se lancer dans une telle aventure. L’auteur m’a touché particulièrement, parce que sa mère n’est pas sans me rappeler certains côtés de ma propre mère. Il a touché quelque chose que j’ai abordé dans La mort d’Alexandre et Les Oiseaux de glace. La mère dans la littérature québécoise, n’est pas près de se retirer dans les coulisses. Un portrait d’une beauté époustouflante qui permet à l’écrivain de refermer une porte. Peut-être…

C’est le cœur qui meurt en dernier de Robert Lalonde est paru aux Éditions du Boréal.

lundi 3 décembre 2012

Robert Lalonde et les turbulences de l’adolescence


Robert Lalonde affiche une belle constance depuis la parution de «La Belle Épouvante» en 1980. D’un roman à l’autre, l’adolescence marque ses personnages et aspire toutes les énergies. Le bond dans l’âge adulte s’effectue toujours dans les plus grandes turbulences. Il faut cicatriser une blessure qui vient de la naissance, de la famille ou de la vie peut-être sinon le risque de la marginalité devient grand.

Un jeune garçon dans «Un jour le vieux hangar sera emporté par la débâcle» doit guérir des «blessures de vie» avant de s’avancer dans l’âge adulte. Il faut mettre les doigts sur des plaies, un vécu où sa vie aurait pu lui échapper.
Étranger dans sa famille, le narrateur s’évade pour respirer le monde, s’étourdir dans une nature fabuleuse qui le pousse au-delà des choses, dans les galaxies de son imaginaire où il retrouve un frère mort à la naissance. Un jumeau, un double, un soi qui le houspille du pays des morts.
Stanley mélange deux langues. Il attire, repousse et subjugue. Tout près, Serge s’invente un monde pour oublier l’abandon de ses parents. Il dessine et peint magnifiquement quand le narrateur s’empêtre dans les couleurs et gâche tout avec ses pinceaux.

Les livres

Claire, une cousine, surgit et disparaît, des livres plein les poches de son grand manteau. Une sorte de «Grand Meaulnes» au féminin qui vit dans les univers de quelques écrivains qu’elle connaît par cœur.
«Nous avions beau être cousins «de la fesse gauche», comme disait ma tante, sa folle de mère, qui hurlait à cœur de jour et poussait Claire à fuguer, à prendre le bois, les champs, un livre dans chacune des poches de son grand manteau noir de vagabonde, je ne la connaissais pour ainsi dire que de vue. Elle apparaissait, disparaissait, surgissait là où elle n’avait pas d’affaire, longue ombre maigre à lunettes, grimaçant toujours le même sourire entendu et secouant la tête dans une espèce de non solennel et dramatique qui me donnait froid dans le dos.» (p.73)
Delphine maîtrise les chiffres et les équations mathématiques, attise les sens du garçon. Elle le poussera doucement vers l’écriture.
Éloi, le fossoyeur, le fou et le sage, touche la vie et la mort. Il y a aussi Clément qui pousse le narrateur à guérir par l’écriture. Tout cela dans une sexualité trouble, fascinante et perturbante.
Tous dissimulent une cicatrice avec le père Arcos, un secret qu’il faut transcender. Tous se débattent avec une culpabilité qui les ronge.
«Quand on est jeune, on éprouve la même curiosité étonnée devant le mal que celle qu’on ressent devant le bien. Mais c’est quand on est jeune, pourtant, qu’il faut faire connaissance avec la douleur. Il faut faire ce travail-là jeune, et je l’ai fait. Cette cicatrice sur mon ventre…» (p.156)
Clément est hanté par la mort de son jeune frère, le père Arcos étouffe dans son silence coupable. Stanley, incapable de se démêler dans les langues qui habitent son cerveau, sa race maudite d’Indien, se suicide. Analphabète, saint et démon, il n’arrive pas à se hisser hors du gouffre qu’est sa vie. Comment survivre quand on est damné, le ciel et l’enfer, le souffle de la mort et de la vie?

Exorcisme

Robert Lalonde croit qu’il est possible d’exorciser ses démons par la création, les valeurs rédemptrices de l’écriture et de la peinture. Comme si chez cet écrivain, il fallait s’arracher à l’animalité, vivre une forme de sacrifice ou d’offrande pour réussir le passage vers le monde des adultes. Tout cela dans une nature omniprésente, envahissante et affolante.
Tous les personnages portent leur passé comme une croix. Les garçons et les filles doivent se faufiler par l’étroit passage de la résilience, de l’art et de la connaissance, pour ressurgir dans un univers différent.
L’écrivainj nous plonge dans un monde mouvant et changeant. «Un jour le vieux hangar sera emporté par la débâcle» s’infiltre en nous par tous les pores de la peau. Une langue magique qui vous pousse au-delà du réel, de l’histoire et des personnages, du bien et du mal. Nous sommes dans une tourmente où tout est flou et parfois d’une densité lumineuse difficile à supporter. Encore une fois, la magie opère et vous transporte.

«Un jour le vieux hangar sera emporté par la débâcle» de Robert Lalonde est paru aux Éditions du Boréal.

samedi 19 novembre 2011

Robert Lalonde et la question de l'existence

Robert Lalonde revient à la manière de «Iotékha», au «Monde sur le flanc de la truite» et «Où vont mourir les sizerins flammés en été» avec «Le seul instant». Des lectures, des réflexions et des découvertes qui s’enchevêtrent d’une belle manière.
Du 15 mai au 15 septembre 2009, l’écrivain s’installe à Sainte-Cécile-de-Milton. Il pleut quasi à tous les jours. Un été de nuages avec un soleil timide. Il se rabat sur certaines lectures, l’écriture et quelques travaux. Et il y a ce ciel barbouillé qu’il tente de peindre.
«J’essaie encore, cette fois à la gouache. Il me faut parvenir à confisquer ce continuel ciel de pluie qui commence à me taper sur les nerfs. Bien sûr, c’est plus facile – à tout le moins pour partir. Je mélange les bleus, les gris, un soupçon de noir avec le blanc opalin et badigeonne ou plutôt, tamponne à l’éponge la feuille de ma mixture charbonneuse, labile, grossièrement orageuse. (p.41)
Il n’en fera qu’un gâchis, mais qu’importe!

Lecture

L’écrivain fréquente Teilhard de Chardin, Oscar Wilde, Enrique Vila-Matas et Wittgenstein. Les livres traînent partout et il y puise au hasard de ses occupations ou de ses préoccupations. Ils sont nombreux les compagnons qui le houspillent et le figent entre deux gestes.
«Je ferme les yeux et me récite à voix basse ces mots de Jacques Rivière, qui a lui aussi dix-sept ans et qui écrit à son ami Alain-Fournier  - je les ai lus hier et les ai appris par cœur, comme autrefois mes prières : « Le bonheur n’est que cette palpitation précaire de la main tendue vers son bien. Ce n’est que cela. Et rien ne permet d’appeler autre chose le bonheur, puisque nous ne connaissons que cela.» (p.15)
Des jours où il oscille entre les tentatives d’écriture, les tableaux, des randonnées, des moments magiques où il surprend les chevreuils dans un boisé ou la paruline, véritable éclat de lumière dans la grisaille du jour. L’étang l’attire, la lisière du bois, le lointain comme le proche. Il va en suivant le chien, le chat qui disparaît et revient. Il explore la forêt parce que «lire, c’est traduire». Une méditation devant le monde familier et toujours étonnant.

Quête

L’écriture est un outil qui permet de comprendre peut-être, d’espérer un peu de repos.
«Ça se passera un jour de pluie, et il y aura des chats impatients, des mouches agaçantes, une vilaine brumasse accrochée aux arbres. Il y aura du désespoir, de la désolation, un soleil absent depuis trop longtemps. Et il y aura un personnage – moi et pas moi- à qui je donnerai des yeux doux et un cœur triste, un cœur faible, mais fidèle.»  (p.79)
Un questionnement qui se retourne contre soi, une quête qui se modifie à tous les jours.
«Qui suis-je, au fond? Un guetteur, un pisteur, un espion et un mouchard : un écrivain. Pour le reste, je suis comme chacun, celui qui se met en file, obéit et espère ressortir vivant (et toujours capable de voir) des échauffourées quotidiennes.»  (p.68)
L’écrivain nous entraîne dans l’hésitation où la vie trouve son sens et sa plénitude. Il faut prendre le risque de suivre Robert Lalonde. Plonger dans l’un de ses carnets, c’est tout délaisser pour trouver un ami qui se confie et se livre sans retenue. Une expérience existentielle à chaque fois. Le récit présente aussi des pastels et des aquarelles de l’auteur. Une autre manière d’explorer son monde.

«Le seul instant» de Robert Lalonde est paru aux Éditions du Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/robert-lalonde-308.html

dimanche 23 janvier 2011

Robert Lalonde fait de sa vie une aventure

Robert Lalonde revient à la manière de «Iotékha», au «Monde sur le flanc de la truite» et «Où vont mourir les sizerins flammés en été» dans «Le seul instant». Des lectures, des réflexions et des découvertes qui s’enchevêtrent d’une façon unique.
Le récit présente aussi des pastels et des aquarelles de l’auteur. Une autre manière d’explorer l’univers qui l’entoure et le fascine. Une belle surprise aussi ! J’ignorais que Lalonde usait de la couleur.
Du 15 mai au 15 septembre 2009, l’écrivain s’installe à Sainte-Cécile-de-Milton. Il pleut quasi à tous les jours. Un été de nuages et d’ondées avec un soleil peureux. Il se rabat sur certaines lectures, l’écriture et quelques travaux. Et il y a ce ciel barbouillé qu’il tente de peindre.
«J’essaie encore, cette fois à la gouache. Il me faut parvenir à confisquer ce continuel ciel de pluie qui commence à me taper sur les nerfs. Bien sûr, c’est plus facile – à tout le moins pour partir. Je mélange les bleus, les gris, un soupçon de noir avec le blanc opalin et badigeonne ou plutôt, tamponne à l’éponge la feuille de ma mixture charbonneuse, labile, grossièrement orageuse.» (p.41)
Il n’en fera qu’un gâchis, mais ce n’est pas ce qui importe !

Lecteur

Robert Lalonde passe de Teilhard de Chardin à Oscar Wilde, d’Enrique Vila-Matas à Wittgenstein. Les livres traînent partout et il y puise au hasard de ses occupations ou de ses préoccupations. Ils sont nombreux les compagnons qui le houspillent et le figent entre deux gestes.
«Je ferme les yeux et me récite à voix basse ces mots de Jacques Rivière, qui a lui aussi dix-sept ans et qui écrit à son ami Alain-Fournier  - je les ai lus hier et les ai appris par cœur, comme autrefois mes prières : «Le bonheur n’est que cette palpitation précaire de la main tendue vers son bien. Ce n’est que cela. Et rien ne permet d’appeler autre chose le bonheur, puisque nous ne connaissons que cela.» (p.15)
Des jours où il oscille entre les tentatives d’écriture, les tableaux, des randonnées, des instants magiques où il surprend des chevreuils dans un boisé ou une paruline qui fait un éclat de lumière dans la grisaille du jour. L’étang l’attire, la lisière du bois, le ciel qui distille les nuages. Il va avec le chien, son compagnon de promenades, le chat qui disparaît et revient. Il explore la forêt environnante parce que «lire, c’est traduire», bousculer le monde familier et souvent étonnant.
L’écriture tente de cerner tout cela et de comprendre peut-être.
«Ça se passera un jour de pluie, et il y aura des chats impatients, des mouches agaçantes, une vilaine brumasse accrochée aux arbres. Il y aura du désespoir, de la désolation, un soleil absent depuis trop longtemps. Et il y aura un personnage – moi et pas moi- à qui je donnerai des yeux doux et un cœur triste, un cœur faible, mais fidèle.» (p.79)
Des occupations qui poussent vers l’essentiel, les questions qui ne trouvent que rarement de réponses.
«Qui suis-je, au fond ? Un guetteur, un pisteur, un espion et un mouchard : un écrivain. Pour le reste, je suis comme chacun, celui qui se met en file, obéit et espère ressortir vivant (et toujours capable de voir) des échauffourées quotidiennes.» (p.68)
L’écrivain, par le biais de ses récits, nous entraîne dans l’hésitation, la rupture du temps où la vie prend son sens et trouve sa plénitude. Le grand tourmenté ne s’arrête jamais de battre la campagne et de secouer l’univers des mots. Il faut prendre le risque de suivre Robert Lalonde. Plonger dans l’un de ses carnets, c’est tout délaisser quand un ami se présente, se confie et se livre sans aucune retenue. Une expérience existentielle à chaque fois.

«Le seul instant» de Robert Lalonde est publié chez Boréal Éditeur.

dimanche 15 mars 2009

Robert Lalonde réussit à nous perturber

Il arrive d’arriver au bout d’un livre en claudiquant. Comme si le poids du monde vous écrasait. Les mots ne viennent plus. Il faut de grandes plages de temps pour s’arracher à une lecture qui retourne l’esprit.
«Un cœur rouge dans la glace» de Robert Lalonde, un recueil de trois nouvelles, étourdit et secoue. C’est toujours ce qui arrive quand on se risque dans le monde de cet écrivain. Il tricote des textes tendus comme une corde de violon. Il frôle la rupture, remue, questionne votre façon d’être au monde. Il lance ses grandes questions sans réponse, cherche une direction quand l’horizon colle au sol. Il vous laisse souvent avec l’impression d’être abandonné de Dieu et des hommes.
«C’était un lundi d’avril, chaud comme un jour d’été. Tout aurait dû m’étonner, me réveiller, me remettre en vie, ce jour-là. C’était enfin le printemps, et je tournais sur moi-même dans une cour d’école déserte, affolé par ces innombrables craquelures dans l’asphalte. Ces lignes brisées, ces alvéoles à la fois irrégulières et semblables, ce vaste diagramme imitant la multiplication folle de cellules détraquées : c’était ma vie que la disparition d’Annie avait définitivement fêlée.» (p.13)
Trois nouvelles qui s’attardent à la perte d’un proche, d’un amour ou d’un frère. Où trouver les mots, que valent les phrases quand il n’y a plus de direction qui s’ouvre, quand on tourne en soi comme dans une tempête d’hiver qui efface toutes les directions. Il reste peut-être la lecture d’un écrivain qui vous accompagne et vous hante depuis toujours. Il devient alors un double, l’ombre avec qui le dialogue est possible.

Les sources

Virginia Woolf a toujours fasciné Robert Lalonde. Il retourne régulièrement à l’œuvre de cette écrivaine. Il y a Annie Dillard, Jane Austen et quelques autres. Elles s’imposent plus que des êtres réels à force de les lire et de les relire. Dans «Souvent je prononce un adieu», Virginia Woolf accompagne l’auteur, le houspille avec ses phrases incisives comme des lames de rasoir. Elle est la désespérance, l’obsession, la folie du verbe qui fait que l’on garde la tête hors l’eau. Respirer encore.
«Écrire, ce n’est pas raconter une histoire. C’est s’attaquer à l’indicible, c’est chercher la transparence. Si ce que tu écris ne te plaît pas, brûle-le et recommence. Écris vite, impétueusement, travaille sans t’arrêter jamais.» (p.17)
Woolf va, vient, revient et le pousse vers une étudiante qui vient de tenter de se suicider. Vers l’écriture peut-être…

Grand Meaulnes

C’est Antoine dans «Un cœur rouge dans la glace» qui fonce dans la tempête pour retracer un frère qui se débat dans les pires excès depuis que les parents sont morts dans un accident d’auto. Il poursuit un fantôme, le retrouve grâce à Nicolas, un ange qui sauve de la désespérance, un «grand Meaulnes» qui rôde au-delà des apparences. C’est encore Alison Donahue que l’auteur suit près de la mer, à la lisière de la vie et de la folie. Elle trace des poèmes sur le sable et il traduit. Ils dialoguent, s’effleurent, se touchent, se perdent et se voient comme dans les miroirs de deux langues étrangères.
«Darling, les mots sont des petites têtes chercheuses et ils trouvent toujours leur chemin dans le fabuleux chaos de l’univers!» (p.225)
Le réel, la vie et la mort, voilà le vrai questionnement de Robert Lalonde depuis sa première parution. Ses livres posent toujours les mêmes questions sans jamais esquisser de réponses.
«Le roman que depuis toujours j’échafaudais mais n’écrivais pas m’avait fait prendre martre pour renard et voilà que je me réveillais, tout mon texte effacé et le cœur au ralenti. Ce n’était pas la fatigue qui m’écrasait sur ce banc, mais la fin abrupte d’un ensorcellement que j’avais manigancé tout seul et qui s’achevait dans une gare triste, où des inconnus me dévisageaient comme s’ils savaient.» (p.151)
Des nouvelles qui laissent abasourdi, debout entre deux jours, devant un matin aveuglant à la lisière de la mer ou d’un lac qui boit la lumière à petites gorgées. Avec toujours cette angoisse d’être un vivant.
Lire Robert Lalonde, c’est courir un risque, s’égarer, avoir du mal à respirer et à refaire surface. On s’en réchappe un peu changé, troublé, hésitant à mettre un pied devant l’autre.

«Un cœur rouge dans la glace» de Robert Lalonde est paru aux Éditions du Boréal.

jeudi 3 mai 2007

Robert Lalonde est un cueilleur d’étoiles

J’ai découvert Robert Lalonde avec «Une belle journée d’avance», en 1986. Je ne m’en suis jamais remis. Depuis, je suis un accroc qui attend avec impatience chacune de ses publications. À chaque fois, c’est la fête et une rencontre.
J’aime folâtrer, de temps en temps, dans certains de ses ouvrages pour glaner une phrase ou un paragraphe. «Une belle journée d’avance» bien sûr, «Le Diable en personne», «Le Fou du père», «Le Petit Aigle à tête blanche», «Le Monde sur le flanc de la truite» et «Iotékha» me permettent de renouveler le plaisir.
J’aime assez ce comédien devenu «souffleur de mots» pour relire l’ensemble de son œuvre en une seule et longue chevauchée. Chaque livre devient une aventure physique et existentielle, une expérience où tous les sens sont happés. Peu importe si l’équipée nous pousse du côté du roman, du récit ou du carnet, l’écriture de Lalonde nous fait explorer des sentiers négligés, se moque des balises, tend des collets à l’amour et à la mort.

Dix-neuvième livre

Avec «Espèces en voie de disparition», il revient à la nouvelle. Onze moments où l’on retrouve un monde familier et toujours renouvelé. L’adolescence qu’il a explorée dans «Que vais-je devenir jusqu’à ce que je ne meure», un ami qu’il accompagne vers la mort, une disparition inexpliquée du père. Peu importe les lieux, l’homme se laisse happer par les déchirures qui blessent l’âme et le font grandir. Partout, tout le temps, le lecteur vit des moments de vérité.
Et quelle occupation singulière de l’espace! Parce que l’auteur de «Où vont les sizerins flammés en été» est l’un des rares écrivains du Québec, avec Louis Hamelin, à arpenter le territoire américain, à intégrer la nature dans ses «histoires».
«Appuyé des deux mains à la rampe de la véranda, il était, si possible, plus mince encore que la veille. Derrière lui, j’apercevais les épinettes, la route de sable et le ciel chargé de neige. Il était nu comme un arbre mais ne tremblait pas, ne grelottait pas. La lumière s’allongeait sur l’herbe, du doré chaud de la croûte de pain. Plus loin, dans le pâturage, on apercevait des stries vertes d’été, d’autres roux sombre d’automne et, plus loin encore, au pied des arbres, des nébuleuses de givre. Le ciel était violet, l’horizon chargé de neige.» (p.31)

Métissage

Robert Lalonde porte en lui une culture à la fois américaine, amérindienne et européenne. Ce métissage en fait un être à l’écoute des forces que l’homme moderne menace par ses agitations et ses lubies guerrières.
J’aime mettre mes pas dans les siens, suivre ses longues enjambées, me glisser avec lui dans des marées d’odeurs, me grafigner aux fardoches et courir comme un halluciné à travers les pins qu’il sait si bien décrire. Son écriture tamise les neiges en janvier, colle aux orages et aux mains chaudes du jour, nous arrête devant le chant d’un oiseau ou l’envol d’une outarde qui «froisse l’air».
«Il a plu toute la journée. Je me penche sur l’eau et tends la main pour saisir un diamant de la Grande Ourse, une pâle émeraude de Mars. Mon cœur bat. J’ai de nouveau vingt ans et le droit, le devoir de faire ma vie. Une flaque de pluie, et voilà que se remet en marche au fond de moi la veille machine du rêve. Pinçant un scintillement entre mes doigts, je pense : « Quelle étrange place nous tenons dans l’univers, où nous sommes à la fois indispensables et de trop…»» (p. 91)

Un frère

À chaque lecture, je retrouve le frère qui me parle à l’oreille, me pousse dans des recoins et me fait aimer ce pays. Il me force à me brancher à l’univers, à déployer des antennes qui permettent de ressentir les frémissements de l’humanité.
Robert Lalonde est l’un des grands écrivains contemporains qui sait être juste, attendrissant et toujours questionnant. Ce terrible lecteur du monde invente la fête à chaque fois qu’il offre l’une de ses œuvres. Un capteur solaire, un cueilleur d’étoiles toujours à l’écoute, capable des plus belles escapades.

«Espèces en voie de disparition» de Robert Lalonde est publié aux Éditions du Boréal.

jeudi 15 décembre 2005

Robert Lalonde et les sources de l'écriture

«En ce temps-là, on pouvait encore ouvrir les fenêtres des autobus» (p.9). Tout commence comme un conte, avec cette phrase qui découpe l’espace entre le temps du narrateur et du récit. On apprendra plus loin que l’enfant de l’autobus a treize ans. «Je respirais le vent d’automne, le parfum puissant des feuilles sous la pluie. J’avais sorti la tête et respirais, sans penser à rien.» (p.9)
Voici le monde d’un jeune garçon effarouché qui refuse toutes les balises. Le lecteur trouve dans «Que vais-je devenir jusqu’à ce que je meure?» les germes qui feront de Robert Lalonde un écrivain exceptionnel, un comédien et l’homme unique qu’il est. La genèse aussi d’une œuvre romanesque remarquable qu’il impose depuis plus de vingt ans. Encore et toujours un très grand bonheur de lecture.
J’ai lu le dernier Robert Lalonde. C’était en octobre, les feuillus s’épouillaient et il était difficile de croire à l’hiver. Maintenant, l’envie me prend de relire ce roman, d’en soupeser chaque page pour en déguster les phrases et les images.

Le roman

Tout le roman de Robet Lalonde passe dans cette première scène. L’enfant à genoux sur le siège de l’autobus, la tête à l’extérieur pour s’échapper et plonger dans un automne qui secrète toutes les ivresses. Il cherche à fuir, mais demeure prisonnier. Le narrateur a beau échafauder des mondes dans sa tête, être ballotté entre les jours d’enfermements et les congés, il reste amputé de son enfance. Le pays qui grise et saoule, l’enfant de l’autobus l’a perdu. On l’a sevré de «ses trois pins», du museau amoureux de son chien en l’envoyant au collège. L’autobus le ramène à la maison, mais le parcours est inutile. Il est coupé à jamais de cette enfance.
Comment vivre quand on étouffe dans son corps?
«Je ne suis jamais là où je suis. Je ne pourrais pas, je deviendrais fou. De temps à autre, je m’ébroue, me secoue. J’attrape un mot lâché par le professeur, une image dans mon manuel d’histoire, des simagrées sur le tableau noir, un assourdissant accord d’orgue et je tente, avec ça, de revenir dans la classe, à la chapelle, avec les autres. Mais ça ne dure pas.» (p.36)

La survie

La révolte de l’adolescence, la mort aussi, comme seul un enfant peut la sentir. L’angoisse de la poussée vers le monde adulte peut-être et cette volonté de se «préserver» comme son grand-père l’a fait. Un grand-père qui, dans son journal, a tout dit. Heureusement, il y a l’amitié un peu trouble de Jean-Pierre, son alter ego et Nelson qui l’accompagnera au pays des ombres. On pourrait bifurquer ici du côté du «Grand Meaulnes» d’Alain Fournier. Il y a des similitudes.
Des évasions, des rêves, la survie en noircissant des bouts de papier chiffonnés au fond des poches, des messages qui permettront, peut-être, comme le Petit Poucet, de refaire le chemin à l’endroit ou à l’envers. Il y aura des éclaircies avec «La Flore laurentienne» du frère Marie-Victorin et la musique de Jean-Sébastien Bach. Heureusement!
Le jeune Robert vit son calvaire et une sorte d’illumination qui le pousse à deux doigts de la mort.
«J’étais monté jusqu’au soleil. Il se levait sur les toits. Il allumait la hauteur des arbres, il dominait la ville et je la surpassais avec lui. Le monde était si grand, si clair. Je l’avais cru petit et noir. C’était que j’étais tout en bas, le nez collé aux choses, aux livres, aux gars, aux murs, à mon chagrin. Ce n’était pas une vie.» (p.155)
Quand le grand garçon réchappé de l’enfance grimpe dans la boîte du camion de son oncle, à la fin, il est dorénavant de l’autre côté de la vitre. Il a survécu, mais il est aussi plus étranger que jamais.
«Le vent me fouettait le visage, les épaules, les bras. Le vent m’échevelait, m’assourdissait, me remplissait les yeux de bonnes larmes fraîches. C’était bon. C’était fini. Ça commençait.» (p.157)

«Que vais-je devenir jusqu’à ce que je meure?» de Robert Lalonde est paru aux Éditions du Boréal.

samedi 14 août 2004

Robert Lalonde se confie à son lecteur

Robert Lalonde réussit, à chacun de ses livres, à se renouveler et à surprendre en brouillant les pistes. Romans, essais, chroniques, réflexions, clins d’œil à ses écrivains fétiches, il tâte de tout. Il empoigne les genres avec une originalité déconcertante et une soif qui me laisse pantois à chaque fois.
Avec «Iotékha’», Robert Lalonde nous convie à un festin. Dès les premières lignes, j’ai dû accepter de le suivre dans ses errances et ses grands bouleversements.
Depuis des années, Robert Lalonde traîne des carnets. Il écrit comme il savoure un café, comme il fume une cigarette, comme il parle. Il écrit en asthmatique qui ne saurait se séparer de sa pompe. C’est sa manière de rester vivant dans la fragilité du matin ou le frémissement du couchant. Des milliers de pages qui jettent des ponts entre les jours, cochent le temps comme la trace d’un canif sur l’écorce d’un bouleau blanc. Un genre de Petit Poucet qui jalonne ses courses pour éviter de s’y perdre.
«Quand je n’invente pas, n’écris pas, mon remuement de tous les jours me pèse. J’erre, me cogne partout, oublie ma clé dans la serrure, fait sortir le chien sans qu’il m’ait demandé la porte, allume deux cigarettes à la fois, qui fument toutes seules dans le cendrier et me rient au nez.» (p.13)
Robert Lalonde ouvre ses carnets intimes, convie son père, ses lectures, les écrivains qu’il aime, réfléchit sur son métier de comédien, secoue sa solitude, suit ses chiens et ses chats, une femelle garrot qui n’arrivera pas à bondir de l’autre côté de l’hiver. Des rencontres singulières aussi que la vie invente ici et là lors des nombreux déplacements de ce diable de chercheur. Des textes comme une prière.
«Pas de paix possible sans l’écriture. Ce matin, le réel est inadéquat, indifférent, hostile. Il est de la même étoffe que ces songes impénétrables qui m’ont tiré ici, poussé là, toute la nuit, exigeant de moi que je me comporte en héros, demi-dieu, demi-fou, pour qui l’ennemi, le sang, les conquêtes ne suffisent plus, et qui doit à présent descendre aux enfers affronter des monstres qui le dévisagent avec sa propre face grimaçante.» (p.57)

Tempête

Les mots vont, viennent et s’éloignent, tournent comme des feuilles poussées par la rafale, comme une musique qui frappe au corps et fait chanceler. Robert Lalonde, avec ses grandes échappées farcies de brume et de couchers de soleil, vous ligote du premier mot à la dernière ligne. Je me sens aussi plus vivant à suivre ce détrousseur de questions qui piaffe entre deux projets d’écriture, une aventure théâtrale ou une rencontre un peu étonnante. Les blessures de l’enfance refont surface, les moments où le petit garçon imaginait qu’il pouvait échapper à la lourdeur des jours et nager dans les étoiles, les paroles du père qui ont laissé des cicatrices.
Un livre d’une finesse remarquable, un ouvrage d’une qualité exceptionnelle. L’écrivain se livre comme rarement un écrivain le fait. Comment ligoter la vie et parvenir à savoir pourquoi il n’y a que des questions.
Robert Lalonde se fait encore une fois magicien.
«Lire, écrire, c’est là toute l’omniprésence, toute l’omnipotence  dont je suis capable. Le cœur battant, les yeux ouverts, les oreilles dépliées, le nez bien débouché: voir et surtout faire voir, c’est cela l’ouvrage de l’écrivailleur.»  (p.135 )

«Iotékha’» de Robert Lalond est publié par les Éditions du Boréal.

lundi 14 août 2000

L'enfance reste un sujet inépuisable et fascinant

Robert Lalonde ne s'en est jamais caché. Depuis le tout début de son aventure d'écrivain, il voyage dans son enfance et le monde qui l'entoure. Il a besoin de racines, des arbres chargés de feuilles, des vents qui bousculent le ciel, de ces odeurs fortes et enivrantes qui imprègnent son écriture. Je n'hésite jamais à suivre ce fouineur qui plonge dans les livres comme un chien troublé par les effluves des mots. «Le Vacarmeur» qui a précédé de quelques semaines la parution de «Le vaste monde», est de cet ordre.
Ici, Robert Lalonde, dans une dizaine de courts textes, parcourt le territoire qui marque l'adulte à jamais. Il aime les frontières, ce pays où l'adolescent n'est plus un enfant mais pas encore un homme vraiment. Prisonnier d'un corps troublé par des pulsions d'adulte, le jeune Vallier découvre la sexualité, la dureté du monde et ses brutalités, la douceur et l'envoûtement qui viennent souvent quand un vent parfumé ébouriffe les arbres et ride l'eau du lac. Parce que ce «vaste monde», celui du Survenant peut-être, fascine tout être curieux et fureteur.

Errance

Vallier épie les gens à l'église, au village, au grand magasin, suit des pistes, se perd la nuit en naviguant sous les étoiles, dérive dans un champ bourré de trèfles; retient son souffle dans la maison familiale où la folie comme la sagesse entrent sans frapper. Parce que les chemins de la vie sont parsemés d'obstacles qui marquent à jamais.
Vallier voit ses parents se coltailler avec les jours et rêve de faire les choses autrement. Un père aux gestes patients qui transforme la réalité avec, à ses côtés, une mère qui retrouve toujours le sol en puisant dans la sagesse populaire, les expressions qui nous enseignent un art de vivre.
Temps d'arrêt sur un monde un peu inquiétant, rencontre d'humains qui perdent les phrases et qui se jettent dans la rivière ou la folie quand ils n'en peuvent plus des servitudes. Il faut suivre Angélique qui, consciente de son destin, devine que l'avenir la broiera.
«Comment penses-tu qu'une femme se sent, toi, devant eux, avec sa jupe jusqu'à terre, sa vertu qu'elle tient à deux mains, pareille au chaperon rouge épié par le loup ? Être étripée, n'avoir plus qu'une carcasse molle et sans âme à leur laisser, merci bien, merci beaucoup!» (p.114)
 Vallier écoute, rêve, effleure, sent, souffle sur cette destinée qui l'entraînera au-delà des horizons. Jamais il ne se laissera entamer par la banalité du quotidien qui casse les êtres et coupe les élans. «J'étais né pour tout connaître et tout savoir». (p.113)
Ce désir de voir, de «savoir» porte le livre. Rires, larmes, tout repose sur cette manière de dire. Et puis Robert Lalonde nous fait voir la vie qui se fait et se défait selon les rythmes des saisons et des rencontres. Le lecteur ne peut qu'être remué par la justesse et le ton de ces récits. Après tout, qui peut oublier son enfance! Alors autant en faire un monde magique et étonnant.

«Le vaste monde» de Robert Lalonde est paru aux Éditions du Seuil.