Aucun message portant le libellé Gagnon Alain. Afficher tous les messages
Aucun message portant le libellé Gagnon Alain. Afficher tous les messages

lundi 23 septembre 2013

Alain Gagnon travaille dans l'ombre


Alain Gagnon, si on accepte de le suivre, nous plonge dans des situations qui nous bousculent. Il est d’une habileté déconcertante. Dans Les Dames de l’Estuaire, j’avoue avoir interrompu ma lecture à quelques reprises pour reprendre mon souffle. Je sentais le piège se refermer sur moi et je n’aimais pas du tout cette sensation. J’ai dû résister à l’envie de fuir. Un monde étonnant, maîtrisé. J’aime surtout quand il décrit ces pays d’eau et de nuages, le phare, les bateaux. Il devient alors un peintre formidable qui ne peut que vous séduire.

Les familiers d’Alain Gagnon ne seront guère désorientés en lisant ces nouvelles. Ils y retrouveront des thèmes que l’écrivain explore depuis toujours, des mondes mystérieux, le surnaturel plutôt, cette dimension qui essaime au cœur de plusieurs de ses ouvrages. Je pense à La langue des Abeilles, Le ruban de la louve, Thomas K et Le gardien des glaces où le fantasme bascule dans la réalité.
Trois longs textes nous entraînent dans l’estuaire du Saint-Laurent que l’écrivain apprécie particulièrement. Je crois savoir qu’il a envisagé un certain temps de s’y établir pour en faire son lieu d’écriture.
«De ce fleuve, l’Estuaire a sans contredit ma préférence. Surtout ce tronçon que l’on nomme l’estuaire moyen — de l’île d’Orléans à l’embouchure du Saguenay. S’y mélangent les eaux douces et salées, l’urbanité de la rive sud et le large maritime. Et l’on y aperçoit une multitude d’îles fabuleuses: les Pèlerins, l’île Blanche, l’île Verte, l’île aux Lièvres, l’île aux Grues, les récifs de l’île aux Fraises…» (p.9)
Ces paysages marins le fascinent même s’il demeure fidèle à son pays d’origine. Son écriture s’ancre la plupart du temps dans Saint-Félicien et ses environs.
Le monde chez Alain Gagnon est menaçant, dangereux et peut broyer les humains. Ses héros sont des hommes de peu de mots qui ruminent de lourds secrets qui ont failli les briser. Des morts violentes autour d’eux, un exil, une douleur qui brûle l’âme. Tous sont hantés par le désir d’écrire, d’apprivoiser peut-être ce qui menace de les écraser et connaître ainsi une vie autre. Tous doivent puiser dans leurs dernières ressources pour survivre. Ses personnages sont rationnels, souvent calculateurs et n’hésitent jamais à éliminer ceux qui entravent leurs mouvements. La notion de bien et de mal n’a aucun sens pour eux. Ces loups solitaires, blessés, font leur chemin comme Thomas K, mais restent des marginaux.

Dames

Trois univers où des hommes doivent faire face à leurs démons. Dans La Toupie, Andreï s’isole pour apprivoiser peut-être des scènes qui le hantent et le ramènent dans son pays d’origine. Il s’installe dans un phare déserté à l’entrée du Saguenay. L’endroit est sauvage, terrible de violence et de dangers. Il va là pour se recentrer peut-être, trouver un autre équilibre.
«Tous, nous portons le mal. À la racine de notre être, de l’être, de la nature gîte le mal. Sa présence est une énigme, un mystère à résoudre pour chacun. Il nous suit, chien fidèle. Nous le ressentons et savons qu’il existe. Il noircit nos joies les plus pures, prend de multiples formes. Seule une grande souffrance peut nous en libérer et nous redonner le pouvoir entier sur soi. La souffrance est le feu qui transmute.» (p.45)
L’écrivain s’est inspiré d’une légende québécoise pour La Dame aux glaïeuls.
«— Matshi Skouéou, la mauvaise femme, traduit-elle. C’est le nom que donnaient les Amérindiens à cet être. Sous le Régime français, les Blancs l’ont appelée la Dame aux Glaïeuls ou la Jongleuse. Celle dont il ne faut pas répéter le nom, de peur de la faire venir. L’abbé Casgrain lui consacre plusieurs pages dans Légendes canadiennes. C’est dans cet ouvrage que les premiers propriétaires ont trouvé le nom de leur auberge, qui allait devenir un complexe hôtelier.» (p.73)
Enfin avec Le Gambit de la Dame, le lecteur fait face à un tueur professionnel qui ne rate jamais son coup. Lui aussi écrit et laisse ainsi une trace qui pourrait le perdre.
Ces êtres marqués luttent dans un monde cruel et impitoyable. Le héros chez Gagnon est condamné à vivre en marge, comme une sorte d’ermite. Moins il a de contacts avec ses semblables, mieux il va. C’est ce qui explique leur goût pour les lieux retirés, les grands espaces, la lecture et l’écriture qui met peut-être un peu d’ordre dans ce chaos.
Une œuvre importante que cet écrivain trop discret mène d’une main de maître.

Les Dames de l’Estuaire d’Alain Gagnon est paru aux Éditions Triptyque.

dimanche 21 mars 2010

Alain Gagnon met cartes sur table


Les carnets et le journal, pour un écrivain, s’avèrent un risque. Sa pensée et son vécu deviennent écriture et matière à réflexion. C’est ce qu’ose Alain Gagnon dans «Le chien de Dieu», des carnets écrits entre les années 2000 et 2004.
 Cet écrivain solitaire et un peu irascible n’y va pas par quatre chemins. Il met les cartes sur table dès le début.
«Toute ma vie, toute mon écriture, j’ai pisté Dieu sans relâche sous toutes ses formes, toutes ses apparences, dans l’espoir de découvrir le Dieu sans nom. C’est ce que révèlent de moi à moi ce journal, et plusieurs des autres ouvrages que j’ai écrits», explique-t-il.
On pourrait parler de conscience qui échappe à la matière et au temps ; d’un souffle qui pousse l’espèce humaine vers une forme d’accomplissement.
«La personne est un ostensoir. De vil métal, mais en transmutation constante. Un pont entre deux conditions d’existence, pour paraphraser Nietzsche.» (p.58)
L’auteur de «Sud» et de «Thomas K» ne peut oublier la société et les événements qui font les manchettes et s’indigne devant un appareil étatique de plus en plus interventionniste, le «totalitarisme soft».

Le fleuve

L’écrivain avoue un amour quasi physique pour le fleuve Saint-Laurent et ne manque aucune occasion de se rendre à Notre-Dame-du-Portage, son lieu de prédilection pour des séjours plus ou moins prolongés.
«L’eau salée est une drogue, une toxicomanie insidieuse et indéracinable. Je fréquente de façon assidue l’Estuaire et le Golfe que depuis le milieu des années 1980. Sur le champ, l’eau douce a perdu pour moi tout attrait. Je lui reproche l’absence de ces odeurs iodées – si près de la cyprine. L’absence de marées qui, jour après jour, ramènent et retirent des trésors. L’absence de ces oiseaux plongeurs, nombreux et criards, de ces phoques et baleines blanches, de ces larges varechs qui dans la houle ondulent…» (p.16)

Questions

Alain Gagnon s’attarde surtout à ses lectures, aux penseurs qui le nourrissent depuis toujours. Plutôt éclectique, il aime fréquenter des penseurs qui ont marqué leur temps et leur époque, s’attarder auprès des peintres qui bousculent les concepts du réel. Il rôde autour de Marc Aurèle, Heidegger, Borges, Caton, Plutarque, Hegel et Montaigne. La liste est longue.
«L’Être ne se définit pas, il préoccupe; il est celui qu’on interroge. Et les voies les plus sûres demeurent la musique et la poésie. Le roman et la peinture sont encore trop chargés de l’étant, de ce qui provient de l‘Être, mais n’est pas lui, du contingent. Héraclite, Hegel et Heidegger ont le mieux parlé de l’Être, de ce qu’il représente – à la fois innommable et engendrant ces tentations  / tentatives de le nommer qu’on appelle arts.» (p.289)
Il lit avec attention des écrivains québécois souvent oubliés du XIXe siècle, Arthur Buies, Louis Fréchette, Faucher de Saint-Maurice et Henriette Dessaules.
«Plus je connais la prose de notre dix-neuvième, plus j’enrage de lire et d’entendre ces professeurs qui font coïncider la naissance de notre littérature avec celle de la Révolution tranquille. J’écris bien prose. La poésie de cette même époque, j’ai déjà eu l’occasion de dire ce que j’en pense : en bref, elle fait dur!» (p.126)

Étonnant

L’écrivain prolifique s’attarde peu à ses propres livres, tout comme aux obligations de son métier qui le font ronchonner. Il tient aussi des propos sur ses collègues qui peuvent étonner.
«Je pourrais le paraphraser et écrire : «Longtemps, j’ai détesté les écrivains…» Et je les déteste encore? Moins qu’avant. Je les ai haïs à vouloir les faire bouillir (lorsqu’Ils sont en groupe), jusqu’à ce que je comprenne: ils n’ont rien à dire et ils possèdent de gros ego, donc ils énoncent n’importe quoi, pour l’esbroufe, ou ils cassent du sucre sur le dos des collègues absents et celui des éditeurs – race honnie entre toutes!» (p.281)
«Le chien de Dieu» révèle un travailleur infatigable, un écrivain un peu secret, toujours en quête de vérités qui ne fait pas de compromis. Un périple où nous découvrons l’homme dans ses hésitations et ses faiblesses. Il faut une belle générosité pour se livrer à un tel exercice.

«Le chien de Dieu» d’Alain Gagnon est paru aux Éditions du Cram.

Alain Gagnon se confie à son petit-fils


Voilà un livre qui ressasse beaucoup plus de questions qu’il ne fournit de certitudes. Il est plutôt rare qu’un contemporain tente de tisser des liens entre la pensée de maintenant et des réflexions qui ont porté la civilisation occidentale. Alain Gagnon est de cette race de jongleurs qui restent fidèles à eux-mêmes sans se soucier des modes et des croyances. 
Alain Gagnon, dans «Propos pour Jakob», dans une sorte de testament intellectuel, lègue à son petit-fils ce qu’il a de plus précieux. Avec trente-quatre publications, cet écrivain est riche de mots et de phrases. Ici, il s’attarde à des questionnements qui ont marqué sa vie de lecteur et d’écrivain.
«À ma mort, je ne te laisserai rien ou si peu. Je serai pauvre. Par paresse, manque de discipline, insouciance et aptitude aux plaisirs, mes comptes en banque seront vides ou presque. Cet ouvrage te tiendra lieu de legs. Ne sois pas trop déçu. Je t’ai aimé comme personne, et j’espère me faire pardonner en t’offrant ce qui m’est le plus cher : sur quelques pages, ces intuitions puisées dans l’héritage commun et en moi-même, parfois. Si tu en tires quelque profit, je serai moins mort, et tu seras peut-être un peu plus vivant.» (p.9)
L’entreprise s’avère noble et intéressante. Le lecteur trouvera peut-être pourquoi cet écrivain a tant écrit, exploré l’essai, la poésie, le roman et le récit.

LECTURES

Des sujets, des questions ont suivi Alain Gagnon sans qu’il ne trouve de réponses définitives.
«Je tenterai d’expliquer ce qui toujours me dépasse. Je le saisis pleinement. Je ne me sous-estime pas, mais je connais l’ampleur du sujet, tout comme celle de mes insuffisances. Je m’avancerai donc à tâtons, à pas prudents de loup…» (p.9)
Qu’est-ce qui hante l’écrivain, l’homme, le père et le grand-père ? On pourrait résumer simplement : qui sommes-nous, pourquoi vivons-nous et où allons-nous ? Est-ce que la vie a un sens et où se situe l’homme dans cet univers affolant?
L’écrivain n’est pas de ceux qui se forcent à assister aux rituels et aux cérémonies liturgiques même s’il est croyant. Il parle plutôt d’une forme d’immanence, de Dieu qui est la source et l’aboutissement de tout. Certain de rien, il fait le pari de croire.
«À mon avis, le seul fait que l’humain soit en quête d’un univers plus éthique, prouve une source de l’éthique (Dieu) ; tout comme le seul fait que l’humain souhaite l’immortalité, incline à croire à sa propre immortalité, présente ou future. Il ne saurait désirer ce qu’il ne peut atteindre, comme individu ou espèce.» (p. 24)
Ces conclusions sembleront bien minces à l’athée ou à l’irréductible sceptique.

LES MAÎTRES

Alain Gagnon revient à des penseurs qui l’ont accompagné toute sa vie. Marc-Aurèle entre autres.
«J’ai privilégié l’empereur, non pour m’attirer ses faveurs, il est mort ; mais plutôt parce que j’aime sa concision et, surtout, j’ai entretenu avec lui de longues fréquentations. Il n’a jamais quitté mon chevet. J’ai en main son ouvrage « Pensées pour moi-même » dans une traduction de Meunier, acheté la première année de mon mariage avec ta grand-mère. J’étais encore étudiant.» (p.31)
Il y a plusieurs de ces magisters qui l’accompagnent depuis toujours. Maître Eckhart, François Villon, Aurobindo, Teilhard de Chardin et bien d’autres. Il ne manque pas non plus de secouer certains de ses ouvrages : «Lélie ou la vie horizontale», «Thomas K» et «Kassauan». On retrouve là la fibre qui porte l’entreprise d’écriture riche et diversifiée de cet écrivain. Il se fait compagnon de Jean Désy qui s’attarde aux mêmes questions dans «Âme, foi et poésie». La réflexion d’un homme qui sent le besoin de regarder derrière lui pour mieux entreprendre le reste de la traversée.

C’est rassurant, pour ne pas dire nécessaire de pouvoir lire ce genre d’ouvrage qu’on ne retrouvera certainement pas dans le palmarès des ventes. Il ne sera pas non plus l’un des invités de «Tout le monde en parle». Les écrits de cet écrivain sont là pour durer et résister à l’éphémère. Le genre de livre qui peut vous accompagner pendant toute une vie. 
PROPOS POUR JAKOB d’Alain Gagnon est publié à la Grenouille bleue.

dimanche 21 décembre 2008

Alain Gagnon suit les traces de Faulkner

Obsédé par son coin de pays, William Faulkner n’a cessé de parcourir le Sud des États-Unis, le vaste état du Mississipi que hante la famille du vieux John Sartoris. Il est allé jusqu’à rebaptiser cette région pour en faire un lieu littéraire qui a fasciné le monde entier. Victor-Lévy Beaulieu a fait des Trois-Pistoles la région la plus fréquentée de notre littérature, autant par l’angle de la télévision que par ses œuvres de fiction. Dans la région, Michel Marc Bouchard ne cesse d’explorer le vaste espace du Lac-Saint-Jean dans ses œuvres pour la scène et le cinéma. On peut aussi mentionner Jacques Poulin qui fait de la ville de Québec son lieu d’écriture. Certains respectent la toponymie des lieux, d’autres ne peuvent résister au plaisir de tout rebaptiser comme l’ont fait les explorateurs en débarquant en Amérique.
«En toute franchise, je crois avoir écrit «La langue des Abeilles», «Le truc de l’oncle Henry», «Kassauan» et ces «Chroniques d’Euxémie» pour me promener, par l’imaginaire, dans mes paysages premiers», avoue Alain Gagnon dans l’avant-propos de «Chroniques d’Euxémie» paru récemment. L’écrivain natif de Saint-Félicien pourrait ajouter à cette liste «Thomas K» et dans une certaine mesure «Le gardien des glaces».

Espace d’écriture

L’auteur de «Sud» - le clin d’œil à William Faulkner est évident - a choisi de renommer le vaste territoire qui s’étend entre la rivière aux Saumons et le lac Saint-Jean pour en faire son espace d’écriture. Cette façon de faire lui permet de s’enfoncer dans la région à la manière d’un chasseur qui connaît les moindres replis du terrain et tout ce qui l’habite. Avec cette nouvelle topographie, il échappe à «l’histoire réelle et au temps chronologique». Il peut alors tout réinventer et suivre les méandres de son imaginaire.
Dans «Le dévot d’Is», la première nouvelle du recueil, le personnage choisit de devenir scribe, d’être marginal parmi les siens. «Tellement sont morts – et meurent encore – pour cet acte si simple que je me mets à l’écriture ou à la lecture avec une solennité dans les gestes, avec une pensée respectueuse pour tous ceux qui, avant moi, ont tracé des caractères et transmis l’expérience humaine jusqu’à nous.» (p.17)

Le gardien des glaces

L’écriture devient un des éléments essentiels de la trame dramatique de plusieurs ouvrages d’Alain Gagnon. Dans «Le gardien des glaces», un roman publié une première fois en 1984 et réédité en 2008, son héros, un avocat au passé nébuleux, part avec armes et bagages pour construire un relais le long de la piste des glaces, entre Roberval et Péribonka. «Sitôt les glaces suffisantes à porter hommes, bêtes et traîneaux, j’arrive. Et je m’installe au milieu de ce désert à surface lisse et dure… …Avec une sourde mélancolie, je retrouve mes ombres familières, et le vent qui bientôt poussera les neiges en des tourbillons démentiels, et les lourds craquements du froid qui torturent les glaces aux longues nuits de janvier.» (pp.11 et 12)
Le gardien accueille des personnages inquiétants, se bute à une montagne de lettres, évoquant l’écriture en vrac que l’écrivain doit dompter pour faire œuvre. Le lac Saint-Jean se transforme en une incroyable page blanche où tout peut arriver. Confrontation avec la mort, plongée dans un monde onirique semblable à celui de «L’odyssée», le livre de chevet du gardien irascible. J’ai relu «Le gardien des glaces» pour une troisième ou quatrième fois avec le même plaisir.
L’écrivain, pour Alain Gagnon, est celui qui exerce un pouvoir magique, invente des personnages en risquant sa vie. «Au début de mon âge adulte, j’ai demandé à devenir scribe, c’est-à-dire celui qui a le droit de désigner et d’engranger la réalité par des chiffres et des mots», écrit le narrateur du «dévot d’Is».  
Ce droit Alain Gagnon l’exerce avec une ferveur exceptionnelle. Ses romans demandent d’oublier nos références, de s’aventurer dans l’inconnu où agissent des forces malfaisantes et bénéfiques. Pour fixer la vie et se coltailler avec la mort, sa sœur siamoise. Une forme d’initiation à chaque fois.

«Chroniques d’Euxémie» d’Alain Gagnon est paru aux Éditions du Cram et «Le gardien des glaces» a été réédité aux Éditions SM.

jeudi 15 mai 2008

Alain Gagnon ajoute une page à sa cosmogonie

La «vraie histoire américaine», pour certains, débute il y a cinq cents ans à peine, avec le débarquement des Français à Gaspé ou des Espagnols au Mexique. Avant ce contact, les historiens sont longtemps demeurés muets. Heureusement, les documents sur la présence amérindienne se multiplient depuis quelques années pour nous faire connaître ces nomades ingénieux.
L’installation des Blancs en Amérique entraîna un choc de civilisations. Des manières de faire et de voir scandalisèrent les Européens qui ont tout fait pour éradiquer ces croyances et les juguler. Comme par miracle, ces nations ont résisté à toutes les agressions. Ils survivent, dépossédés de leur âme et de leur territoire comme le montre Richard Desjardins dans «Le peuple invisible». La grande tragédie américaine, celle des Amérindiens et des esclaves noirs, aura marqué le dernier millénaire, qu’on le veuille ou non.
Alain Gagnon a toujours été fasciné par ces «présences» qui hantent des territoires que nous croyons connaître. Il se plaît à nous rappeler que nous vivons dans un pays au passé méconnu que nous refusons d’envisager. Comme si l’homme de maintenant écrivait sur des pages déjà écrites sans qu’il ne le sache. Tout un espace et un temps échappent à l’Amérique contemporaine qui fait trembler la planète.
Heureusement qu’il y a des écrivains comme Alain Gagnon. Parce que même s’ils sillonnaient ce continent depuis des millénaires, les Autochtones n’ont laissé aucune ruine comparable à celles des Grecs ou des Romains pour nous rappeler leur existence et leur ingéniosité. Bien sûr, l’architecture des Incas ou des Aztèques impressionne, mais en Amérique du Nord, «les signes» se sont vite évanouis et on a tout fait pour les effacer.

Pays inventé

Saint-Euxème, ce pays du Lac-Saint-Jean réinventé par l’écrivain originaire de Saint-Félicien, vit des moments pénibles. Un être inconnu, venu d’un autre temps, sème la mort. Plusieurs victimes sont trouvées ici et là dans un état lamentable. La population n’ose plus sortir. Une telle violence est inexplicable. D’où viennent ces traces aux abords des cours d’eau, ces empreintes de canard gigantesque... Il n’en faut pas plus pour qu’Olaf Bégon, le chef de police nouvellement à la retraite, futur époux de la belle Markita, sorte de l’ombre. Alain Gagnon a trouvé dans le roman policier un terreau fertile qui permet d’évoquer l’inexplicable et de résoudre toutes les énigmes.
Olaf doit abandonner sa «raison raisonnante» et laisser agir ceux qui savent visiter le monde des esprits. Il faut contrer une sorte de sorcier qui provoque des choses terribles à Saint-Euxème en jonglant avec des forces qu’il maîtrise mal. Olaf suit la voie amérindienne, se laisse guider par la jeune Kassauan pour repousser l’action néfaste de l’oncle Louis. La tente tremblante devient la clef d’une autre dimension et permet de découvrir l’autre réalité.
«En rien, elle ne voyait ni n’entendait l’Esprit des eaux. Elle porta son attention sur les bouleaux jaunes de l’autre rive. Ils demeuraient silencieux. Elle ne percevait pas leur respiration. Les bouleaux et les cyprès étaient pourtant les arbres qu’elle ressentait avec le plus de facilité auparavant, c’est-à-dire lorsqu’elle se promenait seule et libre en forêt. Un couple de sarcelles vint la distraire. Elle les suivit du regard. La femelle s’approcha. Elle cancanait. La jeune fille se surprit à rire et, entre les sons nasillards, elle crut entendre: «Sauve-toi, petite. Sauve-toi.» (p.109)

Grande maîtrise

Alain Gagnon jongle avec ce puzzle avec beaucoup d’habileté. Il le faut pour plonger dans cette histoire où plus rien n’est certain. Comme Olaf, le lecteur écoute la rumeur publique qui permet de suivre des personnages qui vivent des aventures qui sortent de l’ordinaire.
L’auteur de «Sud» et du «Gardien des glaces» démontre sa grande maîtrise. Il possède le don de raconter la plus invraisemblable des histoires et de la rendre plausible. Il nous emberlificote. Et même s’il rôde dans des territoires que nous commençons à mieux connaître depuis «Le truc de l’oncle Henry», la magie opère encore. Un plaisir, une écriture, un monde étrange et familier. Alain Gagnon construit son pays imaginaire et nous entraîne dans une autre dimension, pour notre plus grand plaisir. 

«Kassauan» d’Alain Gagnon est publié aux Éditions du Cram.

mercredi 13 septembre 2006

Alain Gagnon: le monde à l'envers et à l'endroit

Alain Gagnon a toujours été fasciné par les phénomènes paranormaux. Tout au long de sa vie d’écrivain, il n’a jamais su dire non à la tentation de glisser, ici et là, dans ses ouvrages, des phénomènes inexplicables, des énigmes difficiles à cerner.
Que ce soit dans «Thomas K» ou dans «Le gardien des glaces», le lecteur se heurte à un événement qui le désarçonne. Particulièrement dans «Le gardien des glaces». Les fantasmes se bousculent entre les murs du relais qui accueille les voyageurs qui s’aventurent sur le lac Saint-Jean, entre Péribonka et Roberval, quand les glaces font un pont sur la grande étendue d’eau.
Louis Hémon y fait une apparition, un moine hirsute et des bêtes qui n’agissent guère comme des bêtes. Un incroyable roman de neige, de froidure et d’hallucinations qui subjugue le lecteur. Je le relis régulièrement et éprouve toujours le même plaisir. Un livre étonnant que l’on a oublié beaucoup trop tôt. Il serait temps de le redonner au public lecteur. Pourquoi on ne le rééditerait pas en format de poche, dans la collection BQ?
Il a poussé loin cette fascination dans «La langue des abeilles», un roman qui montre l’envers et l’endroit du monde.

Lieux connus

Alain Gagnon vient de publier «Le truc de l’oncle Henry». Je ne compte plus les titres depuis longtemps. Deux douzaines au moins. Il écrit sans prendre de répit, oscille depuis quelques années entre le Saguenay et Notre-Dame-du-Portage qu’il fréquente en été.
Ce nouvel ouvrage secoue les grandes certitudes qui assoient l’évolution du monde et la naissance de l’humanité.
Le familier d’Alain Gagnon reconnaîtra son «pays d’écriture». Saint-Euxème, la rivière la Louve, le lac Bleu et la Calouna. Cet écrivain natif de Saint-Félicien s’est forgé un pays littéraire, à la manière de William Faulkner. Un monde qui a ses ancrages au Lac-Saint-Jean, pas très loin de l’Ashuapmushuan et de la rivière aux Saumons. Le familier des lieux y trouvera plein de clins d’œil.
«Bien au chaud dans sa fourgonnette, Olaf longe la Calouna qui, féline, s’étire avant de s’endormir dans cette fin d’après-midi de septembre. En aval, la masse sombre des îles. Lacouture et lui y ont chassé le canard dans leur jeunesse. Siteu en possède une, de ces îles. Comme si, déjà, il n’avait pas assez de terrain, songe Bégon.» (p.39)
Nous ne retrouvons peut-être pas la magie de «Sud» ou de «Thomas K» avec «Le truc de l’oncle Henry» mais quel ouvrage captivant. L’écrivain s’amuse et le lecteur y trouve son compte. On reconnaît le ton, la musique interne et la couleur de l’écrivain.
Alain Gagnon ajoute ici une page à son monde étrange, souvent cruel et explore d’autres méandres de la pensée. Il faut juste lui faire confiance et accepter de le suivre.

Enquête

Des phénomènes étranges inquiètent la population de Saint-Euxème. Des disparitions, des morts, des attaques sauvages et inexplicables se succèdent depuis que des travailleurs construisent un barrage dans la gorge des Conscrits. Des êtres étranges et d’une force peu commune terrorisent les habitants.
Le chef de police, Olaf Bégon, enquête, mais par quel bout empoigner ces phénomènes qui échappent à toutes les explications. Bien sûr, Alain Gagnon noue les ficelles, place les éléments du puzzle, multiplie les points de vue, pousse le lecteur tout doucement dans un monde fantastique.
Un véritable thriller, un roman policier qui emprunte des sentiers peu connus. Bien sûr le chef Bégon réussira à déjouer tout le monde, à percer tous les secrets en plus de trouver l’amour.
Alain Gagnon échafaude une œuvre qui sort de l’ordinaire depuis plus de trente ans même s’il se fait fort discret. Ce travailleur acharné croit surtout au travail bien fait et que l’écrivain doit, avant tout, écrire.
Une œuvre impressionnante qui prend la couleur de la poésie et du conte à l’occasion. Je me promets de le parcourir en une seule et grande course un de ces jours, histoire de goûter à la quintessence de cette entreprise originale qui fait en sorte que la littérature au Québec existe.
Le Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean reconnaît, une fois de plus son immense talent, fin septembre. Il s’affirme cette fois en poésie avec «L’espace de la musique» après avoir remporté le prix fiction-roman à deux reprises avec «Sud» et «Thomas K».

«Le truc de l’oncle Henry» d’Alain Gagnon est publié aux Éditions Triptyque. 
http://www.triptyque.qc.ca/auteurs/aut6.html