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jeudi 1 septembre 2005

Alain Gagnon reste fidèle à la poésie

Alain Gagnon, même s’il est surtout connu comme romancier, est demeuré fidèle à la poésie depuis son entrée en littérature en 1970. Ici et là, des poèmes jalonnent son parcours, offrent des temps d’arrêt où le manieur de mots devient méditatif devant les élans du monde et les dérives du temps. Il récidive avec «L’espace de la musique» qui vient de paraître chez Triptyque, une maison d’édition où cet écrivain migrateur a trouvé refuge depuis quelques années.

Cette suite poétique confronte le temps, la succession des saisons mais surtout les espaces limitrophes, ces «marches» où tout peut survenir. Il existe des lieux, des pays frontaliers qui ont connu tous les envahissements au cours de l’histoire, des horizons qui permettent de rêver l’ailleurs, des entre saisons qui creusent des lézardes dans l’espace. Alors la pensée peut saisir «les territoires de la musique» pour celui qui s’attarde.
«Je salue l’air, et je salue ce vent qui porte les voix et les miséricordes de la musique. Devant moi cette lucarne prolonge la page et l’ouvre par les souffles du suroît sur la frontière des marches». (p.17)

Le promeneur

Alain Gagnon marche à la ville, longe les mers et des fleuves, fige à la frontière des rivages, là ou les grandes marées modèlent le visage des continents, là où la terre se laisse troubler. Il y a ces horizons aussi, la lisière floue des forêts au moment où le gel colle au sol, les premières neiges qui valsent entre l’hiver et l’automne comme si elles dansaient sur un fil.
Ces lieux, ces moments interpellent les humains. Ils soufflent, rattrapent des morceaux de vie, tentent de s’ancrer plus profondément dans le temps. Parce que tout est musique, tout est espace, tout est mouvement en soi et aux alentours. La vie n’est qu’un intervalle que l’on sillonne en aveugle.
«Sur le chemin de traverse de la campagne la plus déserte, au bout de cette piste solitaire qui se heurte à une futaie de givre, une grive déroule son chant que le soir accroît». (p.34)
Le marcheur va d’une saison à une saison, se laisse interpeller, cueillant ici et là des impressions, des images qui évoquent Walt Witmann qui savait si bien se perdre en de longues rêveries lors de ses promenades solitaires.
«Et voici que la sterne immobile, ailes battantes, m’interpelle… » (p.51)
Des incantations, des poèmes denses, aux effluves bibliques, de mer, de chaume qui fume dans les matins d’octobre ou qui craquent quand le froid s’installe et frotte la neige. Le poète a le temps alors de remuer les mots qui griffent le blanc de la page, de s’étourdir sur les empreintes de l’hiver qui révèlent la vie sauvage.
Alain Gagnon rêve des strates de la terre, dénoue les couches du temps, se laisse appeler par les pierres et les arbres, la mer et les oiseaux, ces perceurs de frontières. Il devient frère de Guillevic, maître du mot, magicien qui sait par une image ouvrir une galaxie et trouer l’espace.
Alain Gagnon reste poète malgré ses nombreuses escapades dans le roman. Comme si la poésie était un feu de forge qui couve, garde les mots au chaud, laissant entendre «une petite musique de nuit» à la Wolfgang Amadeus Mozart. Un pur plaisir.

«L’espace de la musique» d’Alain Gagnon est paru aux Éditions Triptyque

mardi 15 juin 2004

Alain Gagnon joue de tous les instruments

«Je ne suis pas écrivain, vous savez. Chez nous, c'est surtout la musique qu'on privilégiait. J'écrirai donc dans plusieurs langues de la terre et de toutes les façons, jusqu'à ce que je comprenne un peu ma vie.» (p.155)
Voilà qui pourrait très bien décrire l'entreprise d'écriture d'Alain Gagnon. Cet écrivain, natif de Saint-Félicien, à défaut d'écrire en plusieurs langues de la terre, explore différents mondes et plusieurs univers. Il nous a brossé des tableaux de la région, entraîné au sud des États-Unis, une incursion dans le monde de William Faulkner, pour nous pousser en Europe cette fois.
 Ce diable d'écrivain, qui écrit comme il respire, a toujours su se faire explorateur au fil de ses publications qui prennent toutes les directions. Alain Gagnon a exploré la poésie, la nouvelle, fait de la traduction et surtout du roman. Il a toujours aimé flirter avec le fantastique.
Qu'il suffise de mentionner «Le gardien des glaces» ou «La langue des abeilles» où il faisait carrément le saut dans un autre monde. Il devait, après un long cheminement, livrer des oeuvres particulières et remarquables. Il faut lire et relire «Sud», «Thomas K» ou «Le ruban de la louve». Sûrement «Le gardien des glaces», l'un de mes préférés.

Monde ou mondes

Alain Gagnon est fasciné par les pulsions profondes, animales je dirais des hommes et des femmes, ces élans qui font agir et qui brûlent une vie. Les marginaux, ceux et celles qui maîtrisent la vie ou qui plient, écrasés par des forces qui emportent tout le fascinent. Les grandes forces des sociétés, les glissements sociaux, lents comme les froissements des icerbergs ou des continents qui dérivent constituent la trame de son histoire. Comme si des pans de vie ou de société se heurtaient chez les individus et les broyaient.
Les plus forts s'en sauvent plus ou moins. Avec «Jakob, fils de Jakob», Alain Gagnon étonne et désarçonne. Il nous entraîne au siècle dernier, dans une période qui a inspiré nombre de cinéastes et d'écrivains. La Deuxième Guerre mondiale et l'empire nazi, les Juifs enfermés dans les ghettos et le génocide. De Günther Grass à Stephen Spielberg, le sujet a été visité à de nombreuses reprises.
La première partie nous entraîne dans l'Allemagne nazie. Jacob Eliyakim vit dans un camp, est arraché à sa famille et protégé par des Allemands. «Le pour et le contre» si on veut.
Toute la seconde partie se déroule au Québec. Deux mondes, deux faces d'une même vie. Parce que rien n'est limpide chez Alain Gagnon. Les survivants ne sont pas nécessairement les gagnants et les vaincus triomphent parfois.
«- les premiers contacts avec nos libérateurs avaient renforcé les commentaires négatifs du colonel et suscité en moi une aversion profonde pour leur civilisation de brutes et de tortionnaires, de la même eau que celle que les nazis avaient voulu imposer aux pays, pourtant civilisés de l'Europe.» (p.82)

Blanc ou noir

Un humain peut-il échapper ou survivre à l'horreur qui le défait et le brise dans sa tête et sa pensée? Jakob ne pourra jamais échapper à ses souvenirs, à son côté juif et l'autre, celui qui est devenu homme dans une famille allemande, qui a aimé «ses soeurs» pour ainsi dire. Deux côtés d'une vie qui fusionnent et se combattent, qui finissent par broyer Jakob.
Un regard sur le Québec qui se bute à l'Expo 67. Un moment fort, un aspect plausible et peu connu de notre histoire. Et une grande question à la fin: le suicide assisté est-il souhaitable?
Une histoire menée de main de maître dans une langue impeccable. Un roman qui se constitue et se défait dans un même élan, à l'image de la vie.  Alain Gagnon n'a pas fini de surprendre et il démontre qu'il est capable de jouer de tous les instruments de l'orchestre et de l'écriture. Du très bon Alain Gagnon!

«Jakob, fils de Jakob» d’Alain Gagnon est paru aux Éditions Triptyque.