Aucun message portant le libellé Blais Marie-Claire. Afficher tous les messages
Aucun message portant le libellé Blais Marie-Claire. Afficher tous les messages

mardi 23 janvier 2018

MARIE-CLAIRE BLAIS NOUS ÉBLOUIT

MARIE-CLAIRE BLAIS met fin à un cycle unique en littérature avec Une réunion près de la mer, le dixième volet d’une aventure qui s’amorçait en 1995 avec la parution de Soifs. Une entreprise d’écriture colossale qui fait plus de 2880 pages et s’échelonne sur plus de vingt ans de travail acharné, j’en suis convaincu. Une fresque qui sollicite plus de 225 personnages qui se croisent, se séparent et se retrouvent. Tous s’expriment dans d’interminables monologues qui s’interpellent, se répondent et disent tout de leurs amours, leur détresse et leurs enchantements. J’ai l’impression d’avoir traversé une jungle au cours des années en suivant Adrien, Daniel, Fleur, Petites Cendres, ces dizaines de figures qui ne cessent de chercher la lumière comme ces plantes gigantesques qui s’étirent dans les sous-bois des grandes forêts tropicales et qui deviennent filiformes et terriblement fragiles. 

Il est difficile de ne pas penser à Virginia Woolf quand on s’aventure dans l’écriture de Marie-Claire Blais, (j’en ai déjà parlé), à Mrs Dalloway en particulier où le temps s’abolit. J’ai toujours eu l’impression, en suivant les personnages de l’auteure anglaise, de pouvoir être dans plusieurs lieux à la fois. Je crois cependant que Marie-Claire Blais va beaucoup plus loin que l’écrivaine d’Une chambre à soi. J’aime aussi penser à une toile du peintre néerlandais Jérôme Bosch, un fabulateur prodigieux qui a vécu de 1450 à 1516. Ce qui étonne d’abord chez cet artiste, c’est le nombre de personnages qui se disputent un peu d'espace dans ses tableaux. Des centaines de figurants qui vivent des moments particuliers. Souvent, toute une population d’un village s’agite sur la toile comme dans une fourmilière. Et après des minutes d’éblouissement, je ne peux jamais résister à la tentation de m’approcher et d’amorcer un périple incroyable.
La toile se constitue de multiples petites scènes où des hommes et des femmes se replient dans une sorte de cocon pour vivre un drame ou un événement qu’eux seuls partagent. Ils s’adonnent à un travail, semblent éprouver de la colère, s’amuser ou exécuter une tâche sans y penser. Et il suffit de faire un pas de côté pour croiser deux ou trois autres personnages qui vivent un moment unique qui les coupe du monde. Tous les personnages de Bosch s’agitent dans ces bulles et leur drame devient une maille du grand tricot qu’est la toile.
Les centaines de détails se transforment en une scène gigantesque où toute une population vit, aime, se bouscule dans les tâches quotidiennes. C’est pourquoi je ne me lasse jamais de regarder Le jardin des délices ou Le jugement dernier de cet artiste, de revenir à un fragment et de faire des liens avec une scène voisine ou de m’aventurer un peu plus loin pour m’approcher d’autres figurants. L’oeuvre est constituée de l’ensemble de ces petites scènes invisibles quand on n’y prête pas attention, de tous les drames personnels qui animent la communauté. L’individu chez Bosch se moule dans un ensemble qui avale tout, comme s’il n’était qu’un point dans le grand dessin de Dieu. C’est surtout formidablement vivant, étourdissant et senti. J'éprouve toujours une sorte de vertige devant ces fresques comme si j’étais happé par des centaines de rancunes, de jalousies, de vengeances et de colères refoulées. Bosch touche tout ce qui fait la beauté et la laideur de la vie des humains. Tout est là. Les haines et les pulsions qui happent le monde depuis que des humains ont inventé la vie en communauté.

AMÉRIQUE

Marie-Claire Blais est certainement la plus américaine des écrivains du Québec. Elle vit à Key West dans le Sud des États-Unis depuis des décennies. Les personnages de Soifs se rencontrent dans une île, un lieu où aboutissent toutes les migrations qui secouent les Amériques. Un point de convergence si l’on veut où se croisent des marginaux, des éclopés, des familles qui fuient la misère et la faim et tentent de survivre dans leur nouveau pays où ils sont traqués comme des bêtes indésirables. Certains résidents tentent de les aider du mieux qu’ils peuvent même si la loi l’interdit. L’humanisme se situe toujours au-delà des frontières et des codes chez Marie-Claire Blais. Des marginaux aussi qui cherchent un lieu où se reposer.
Un pays de soleil et de mer, de sable, mais aussi de terribles tornades qui détruisent à peu près tout comme les humains peuvent le faire. Tous vivent dans une sorte de « jardin des délices » où le sable brûle la peau des pieds, où la mer peut bercer et calmer les douleurs du corps, où des fleurs lourdes et odorantes étourdissent dans les matins humides. Tous s’éloignent, reviennent, retrouvent la rue où ils ont exploré l’enfance, les humains qui les ont marqués.

MUTATION

L’écrivaine nous entraîne, comme dans ses premiers ouvrages, particulièrement dans Une saison dans la vie d’Emmanuel et Les manuscrits de Pauline Archange, dans un monde en mutation. Tous sont happés par une sorte de secousse sismique, une dérive, je dirais. Tous ses personnages sont en quête d’un meilleur sort, d’une vérité qui ne cesse de s'éloigner jour après jour.
Plusieurs hésitent dans leur identité sexuelle dans la série Soifs où l’on se maquille, change de sexe pour trouver l’être en soi, former une société où chacun peut se laisser aller à ses rêves, ses fantasmes et ses pulsions. Beaucoup de transgenres, de travestis forment cette communauté où la danse et la pariade jouent un rôle essentiel. La danse pour se rejoindre dans la gestuelle et la transe d’une grande chorégraphie où tous se sentent à la bonne place comme dans les toiles de Jérôme Bosch. Une reconnaissance de l’autre dans ses gestes et son âme à l’occasion de nuits folles où les corps s'enflamment de désirs et de plaisirs. Ils peuvent trouver l’amour, le sexe, la tendresse, la joie de devenir enfin quelqu’un dans les yeux de l’autre. Tous vivent une belle fraternité dans cette nouvelle Babylone où l’on réinvente le vivre ensemble. Tout cela en risquant le tout pour le tout. Les personnages de Marie-Claire Blais sont des chenilles qui échappent à leur cocon pour devenir des papillons qui se grisent des courants d’air chaud et qu’un souffle peut emporter au loin. Ils attrapent le Sida qui tue à petit feu, amoureusement je dirais, comme les phalènes qui deviennent transparentes et se brûlent à la lumière trop vive des flammes.

AFFRONTEMENT

Ce monde idyllique se bute à la haine et au fanatisme comme cela arrive trop souvent dans notre époque d’aveuglement. Dans Une réunion près de la mer, les proches de Robbie sont frappés par un fanatique religieux qui donne froid dans le dos. L’homme noir tue pour éliminer le différent, frappe les travestis magnifiques qui incarnent tous ses fantasmes. Le diable attaque pour tuer ses propres obsessions, éliminer ce qui est en soi.
Je m’en voudrais de réduire l’univers de Marie-Claire Blais à quelques clichés. Il n’y a pas le bien qui se dresse devant le mal dans l’œuvre de cette écrivaine. Il y a et le bien et le mal qui se tendent la main. Le bien dans le mal et son contraire aussi. Il y a la plaie du terrorisme, mais aussi tous les autres aveuglements. Qu’est-ce qui a fait agir la docteure Herta dans l’Allemagne nazie ? Cette femme médecin a tué et torturé des milliers de personnes au nom de la science et de la connaissance. Comment expliquer le comportement de ces gens qui éliminent des centaines de personnes et restent des parents aimants pour leurs enfants ? La docteure Herta, après avoir purgé sa peine, travaille comme médecin dans des petits villages de l’Allemagne et devient un modèle de compassion. Les monstres que l’on juge avec une férocité inquiétante après la fin du régime nazi questionnent aussi l’écrivaine. Ces hommes et ces femmes ont l’impression que les juges et les avocats parlent d’étrangers quand ils énumèrent toutes les exactions et les crimes qu’ils ont commis. La tendresse, l’amour, la générosité, tous les humains en héritent, même du côté des bourreaux. Le mal siège aussi avec les juges et les grands justiciers.

ÂME

La grande fresque de Marie-Claire Blais est traversée par des masses d’ombres et de lumières, d’espoir et de rêves où l’on doit muter pour réinventer la société de l’avenir par l’écriture, la danse, la musique ou la peinture. L’art de se changer avant tout, de laisser s’exprimer l’autre en soi, celui que la société écrase et refuse trop souvent de laisser respirer. Muter dans sa tête, dans ses idées, dans son corps pour devenir un ange qui reçoit enfin la reconnaissance de l’autre. La mutation demande peut-être de quitter tous les enfermements pour devenir le petit garçon ou la petite fille qui rêvaient dans son enfance et à qui on a coupé les ailes. Certains arrivent à en réchapper avec Fleur et d’autres deviennent des spectateurs émus comme Petites Cendres.
La série Soifs de Marie-Claire Blais est une entreprise fantastique et unique dans notre littérature. Après plus de 2880 pages, le dernier mot qui met fin à cette gigantesque aventure est « espoir ». Une espérance qui a résonné longtemps en moi, comme un gong qui ne s’arrête jamais de vibrer.
Marie-Claire Blais croit à la mutation des hommes et des femmes où tous pourront vivre selon leurs désirs et leurs pulsions, où tous pourront se rejoindre dans une communauté pour partager leur joie d’être. La bonté fait partie intégrante de tous les vivants, même chez les fanatiques et les monstres qui sèment la mort pour tenter peut-être de vaincre leur propre désespérance. L’écrivaine croit au triomphe de l’humain sur l’humain, de la lumière sur les ténèbres.

ESPOIR

Marie-Claire Blais, je le répète, est une écrivaine extraordinaire, l’une des plus importantes du Québec. Elle a mené sa quête dans la plus grande des discrétions depuis sa première publication en 1958, croyant tout comme son ami Réjean Ducharme que c’est l’œuvre qui compte avant tout et non pas les frasques de l’écrivain. Une humaniste qui n’oublie jamais les démunis, les marginaux, les âmes perdues qui cherchent dans l’excès et les drogues une issue vers la lumière. Elle aime les inventeurs d’identités qui finiront bien par changer l’Histoire et s’épanouir au-delà des règles et des interdits.
Marie-Claire Blais me trouble encore après cinquante ans de fréquentations. J’ai eu un choc en la lisant pour la première fois en 1965 et ce fut le cas à chacune de ses publications. Elle m’a bousculé, m’a souvent désespéré et troublé. Je n’ai pu m’empêcher de la suivre malgré les noirceurs qui enrobent son oeuvre, mais qui ne font jamais oublier que l’humain peut triompher de ses passions. Elle envoûte dans cette symphonie où la langue française repousse les entraves pour bondir dans toutes ses dimensions et ses possibles. Soifs est une galaxie qui prend encore et encore de l’expansion et qui subjugue le lecteur. Un chœur tragique qui psalmodie sans cesse que l’avenir est possible malgré toutes les folies meurtrières. L’écrivaine garde un lampion dans la pièce sombre qu’elle habite. Une petite flamme qui répand un peu de lumière dans une nuit haletante, un peu de chaleur peut-être pour calmer les tourments de l’âme. Merci Marie-Claire Blais.


UNE RÉUNION PRÈS DE LA MER de MARIE-CLAIRE BLAIS, une publication des ÉDITIONS DU BORÉAL.
   

http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/une-reunion-pres-mer-2591.html

lundi 16 juillet 2012

Marie-Claire Blais fait vivre une véritable aventure

Marie-Claire Blais me fascine depuis son entrée en littérature. Je l’ai lue pour la première fois, comme bien d’autres, avec «Une saison dans la vie d’Emmanuel» en 1965 et ne l’ai guère lâché depuis.

Cette écrivaine m’a fait comprendre que l’on pouvait trouver ici des œuvres puissantes qui bouleversent et secouent nos certitudes. Elle est la principale responsable de mon virage, comme lecteur, vers la littérature québécoise. Que dire de mon enchantement à parcourir «Les manuscrits de Pauline Archange» ou encore «Un Joualonais sa Joualonie». J’ai même passé tout un été, il y a quelques années, à relire son œuvre pour m’imprégner de ces mondes qui déstabilisent souvent.
Depuis la publication de «Soifs», en 1995, ses façons de faire ont changé. En fait elle explore cette «nouvelle écriture» depuis «Un sourd dans la ville» paru en 1979. Le texte se densifie, devient opaque et se transforme en véritable jungle où le lecteur perd ses références. La phrase se love, va dans toutes les directions, réussit à nous égarer souvent. Je connais des lecteurs qui n’osent plus se risquer dans un Marie-Claire Blais qui tourne le dos à la facilité pour faire de son texte une aventure existentielle.

Jérôme Bosch

«Le jeune homme sans avenir» ajoute à une fresque qui me fait songer aux immenses tableaux de Jérôme Bosch. «Le jardin des délices» ou «Le jardin des plaisirs» en particulier. Chacune des parcelles de ces toiles se subdivisent en minuscules tableaux qui racontent une histoire propre qui s’insère dans le grand tout de l’oeuvre.
Il en est ainsi des romans de Marie-Claire Blais qui vous emportent dans un univers où la mort, la vie, la souffrance, la quête du plaisir et de la liberté soufflent les personnages. Le lecteur passe des drames individuels aux grandes spéculations de la physique quantique.
Des écrivains, des artistes, des rêveurs d’existence, des enfants abandonnés par des parents qui ne parviennent pas à dompter leurs démons ou qui croupissent en prison se croisent. Ces blessés de l’enfance affrontent la dureté des drogues et imaginent, peut-être, la grande famille dont rêve Kim. Ils confrontent les fléaux de l’époque, vivent avec la faim, la maladie et le racisme. Le sida emporte les plus téméraires. Certains se suicident pour échapper au harcèlement, d’autres deviennent des itinérants ou travaillent à sauver le monde dans des missions humanitaires avec Augustino l’écrivain en colère. La barbarie est toujours là, omniprésente et fatale.

Fresque

Daniel, un écrivain coincé dans un aéroport parce que son vol est retardé, réfléchit à sa vie pendant que Laure, une passagère, devient folle sans ses cigarettes.
Le poète Adrien ne sait plus ce qu’est son existence depuis que sa compagne atteinte d’un cancer a choisi de mourir volontairement. Il est tout aussi perdu qu’un adolescent en cavale.
Petites Cendres refuse de sortir de son lit, ne danse plus et ne fait plus tourner les têtes. Fleur, un musicien prodige, traîne dans les rues et rêve d’écrire la grande symphonie qui prendra les couleurs et les intonations du roman de Marie-Claire Blais à s’y méprendre. Robbie rêve de son couronnement et un vétérinaire s’occupe peut-être mieux du chien de Brillant que des humains…
J’ai eu l’impression de m’avancer dans une jungle en suivant Kim et sa peur quotidienne, l’extravagant Robbie ou encore Brillant qui s’égare dans ses romans oraux en racontant le drame des inondations en Louisiane, Mabel, la femme aux perroquets, victime d’un tireur fou qui abat son plus bel oiseau.
Le vieux marin donne une chance à ceux qui font un faux pas ou connaissent des moments difficiles. Il sera victime de sa générosité en étant battu à mort par deux garçons qu’il cherche à aider.
Peu d’écrivains réussissent à me déstabiliser ainsi, à me perdre dans un monde où les phrases poussent comme des plantes grimpantes, un texte qui se dresse tel un mur.
Plonger dans un Marie-Claire Blais, c’est vivre une aventure déstabilisante, basculer dans un monde complexe, affronter des horreurs, des folies dans une société qui se désagrège.
Marie-Claire Blais est de cette race d’écrivains qui demande à son lecteur de risquer son entendement et sa compréhension pour explorer un univers de violence et de colère, d’exploitations et d’obsessions meurtrières. Elle appréhende le monde dans toute son horreur et peut-être s’accorde l’espoir aussi que tout peut changer malgré les atrocités.

«Le jeune homme sans avenir» de Marie-Claire Blais est paru chez Boréal Éditeur.

lundi 26 juin 2006

Un été pour redécouvrir tout Marie-Claire Blais

J'ai toujours fait de mes vacances une aventure de lecture. Une plage avec du sable fin peut devenir un lieu de lecture incroyable. J'ai connu des étés inoubliables sur le granite brûlant de l'Ashuapmushuan avec Francine Noël et son formidable roman «La conjuration des bâtards». Une œuvre remarquable! Il y a eu Erskine Caldwell, Jacques Ferron et bien d'autres.
Il y a quelques années, je décidais de tout relire Marie-Claire Blais. Une folie parce que Madame Blais multiplie les titres depuis «La belle bête» paru en 1959. Pulsion, animalité et marginalité marquaient déjà l'œuvre de cette écrivaine qui entamait ses vingt ans. Anecdote intéressante, ce roman a été édité grâce au père Georges-Henri Lévesque, celui qui a donné son nom à la bibliothèque de Roberval.
Sous un large parasol, j'ai lu les vingt-trois romans de cette écrivaine éblouissante. Plus de quatre milles pages, une jungle où l'on s'égare avec bonheur, vivant toutes les émotions en passant de «La belle bête» à «Soifs».
Pareille aventure m'a permis d'emprunter les sentiers qui mènent vers le «Grand roman», celui dont rêvent tous les écrivains.

Découverte

Il a fallu «Une saison dans la vie d'Emmanuel» pour que Marie-Claire Blais s'impose comme une écrivaine à la voix singulière. Un portrait magistral avec grand-mère Antoinette et Jean Le Maigre, ce poète rêveur qui mourait de ses amours incestueuses et de la tuberculose. Un choc pour le Québec qui s'apprêtait à plonger dans la Révolution tranquille!
De roman en roman, je me suis étourdi par ces univers étranges, épousant les métamorphoses de l'écrivaine, figeant dans ses hésitations pour repartir sur une phrase rebelle. Parce que Marie-Claire Blais a l'art d'aller où le lecteur ne l'attend jamais avec son écriture ample et souvent somptueuse.
Toute son œuvre est une recherche et une quête marquée par un humanisme profond.
Quel délice de m'attarder dans les romans des «Manuscrits de Pauline Archange» où elle décrit la société québécoise avec justesse, évitant les clichés et le maniérisme. Il y a là tout le monde de Michel Tremblay, une écriture beaucoup plus sentie et surtout moins caricaturale.
J'ai reçu comme un coup de fouet «Un Joualonais sa Joualonie» où elle répond à une certaine volonté de créer une langue québécoise, se moque de certains ténors qui parlaient plus qu'ils n'écrivaient. Elle a toujours su prendre du recul et éviter les sentiers trop fréquentés. Il le faut pour faire une œuvre personnelle et se tenir au-dessus de la mêlée.

Tournant

Et vint «Le sourd dans la ville» où elle déboussolait son lecteur et plongeait dans une écriture nouvelle, cherchant ce souffle qui la ferait basculer dans un univers éclaté à la manière de Pierre Brueghel ou de Jérôme Bosch.
L'écriture perd les étriers de la ponctuation, se libère de tous les carcans. Le lecteur est happé par une phrase touffue comme «Le jardin des délices» de Bosch, ce tableau qui multiplie les personnages et les situations. Il faudra quelques romans avant qu'elle ne maîtrise parfaitement cette écriture. Cette recherche trouvait son accomplissement dans la trilogie qui débute avec «Soifs». Des romans incroyables, des œuvres qui nous noient presque dans les tourments du monde actuel! Un clin d'œil aussi à cette grande sœur qu'est Virginia Woolf. Ceux qui affirment que les grandes oeuvres littéraires n'existent pas au Québec ne connaissent guère Marie-Claire Blais.
J'ai pris tant de notes pendant ces semaines qu'un jour, peut-être, j'écrirai un essai de lecture et d'écriture, de soleil et de sable, prenant plaisir à m’égarer dans l'œuvre de Marie-Claire Blais.
Je devais, l'automne suivant, lors du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, avoir la chance de la conduire à Saint-Félicien. Je me suis retenu pour ne pas emprunter le chemin le plus long pour faire durer le plaisir. Nous aurions pu sillonner le Québec en interpellant ses personnages, les mots qu'elle ne cesse de bousculer.
J'ai ratissé un espace de sable, bousculé deux ou trois fourmis et c'est au tour de Robert Lalonde cet été. De quoi profiter des jours de nuages, des vagues calmantes et des averses de soleil qui mettent tant de cris dans la bouche des enfants.

Les livres de Marie-Claire Blais et Robert Lalonde sont publiés aux Éditions du Boréal.