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dimanche 19 septembre 2010

Claude Jasmin ne cesse d’explorer son enfance

Les copains avec qui Claude Jasmin jouait au cow-boy dans les ruelles le surnommaient «Papamadi». Voilà qui explique l’étrange titre de son dernier roman. Le jeune garçon, tout comme l’adulte, ne résistait jamais au plaisir d’épater l’auditoire. Il avait l’habitude de lancer ses récits en disant : «Papa m’a dit», manière de remplacer le «Il était une fois».
 Parce que le parternel de Claude racontait des histoires curieuses où voyantes et mystiques arboraient des stigmates, saignaient à tous les vendredis et se coltaillaient avec le diable. Catherine Emmerich, Thérèse Neumann, Marie-Louise Brault, Marthe Robin, Bernadette Soubirous et bien d’autres. Ces noms ne diront rien à ceux qui ont moins de quarante ans. Ces femmes conversaient avec Dieu, voyaient la Vierge, guérissaient les malades et accomplissaient des miracles. Elles étaient l’objet de véritables cultes.

Souffrances

Jasmin père s’attardait aux souffrances de ces mystiques et raffolait des détails qui effarouchaient l’enfant.
«C’est pas tout ça, mon gars, sous les yeux du procurateur Ponce Pilate qui, on le sait, s’en lavait les mains, il y a eu 72 crachats. Tu as bien entendu : 72. N’oublions pas le sang versé, 230 000 gouttes. » Papa fait beaucoup de fumée et ajoute : « Maintenant, mon gars, voici pire que pire : il y a eu… 600 200 larmes.» (p.10)
Des statistiques qui ne pouvaient que faire trembler un enfant sensible et l’empêcher de dormir.   
«Peu à peu, des gens de partout en Allemagne se rendent à la maison de ferme. Ils voient Thérèse qui souffre, qui crie, qui pleure, qui se tord de douleur parfois. Et ça c’est spécial, mon gars, elle lévite ! Tu entends ? La voilà comme soulevée au-dessus de son lit dans cette chambre modeste… … Sais-tu le plus fantastique ? Durant ses visions, cette femme ignorante parlait couramment en araméen ! C’est la langue que parlait Jésus.» (p.15)
La vie des mystiques mais des confidences qui bouleversaient l’enfant. Son père n’était peut-être pas heureux de sa vie.
«Tu sais mon garçon, j’aurais pas dû me marier, ma vraie vocation c’était prêtre, même que je dirais, moine. Dans un monastère, j’aurais été un homme heureux.» Je suis mal à l’aise, et je m’inquiète : est-il malheureux? Il enchaîne : «Durant mon voyage de noces, la croisière sur le Saguenay, un matin j’étais sorti sur le pont, j’ai pensé à me jeter dans le fleuve.» (p.45)
Son père a songé au suicide, pendant son voyage de noces. Troublant. On touche le cœur du récit, mais malheureusement Claude Jasmin ne s’y attarde pas.

Fascination

L’écrivain oublie l’ordre chronologique, retourne dans sa petite enfance et nous ramène à la mort du père, alors qu’il est chef de famille et qu’il en mène large dans les médias et à la télévision. Des moments précieux, des rencontres où le fils et le parternel se retrouvaient en tête-à-tête au chalet ou encore partaient en expédition. Les affrontements aussi quand l’adulte se dressait devant son géniteur pour démontrer que «ses mystiques» étaient des tricheurs. Une relation d’amour qui avait souvent du mal à se dire.
«J’étais un révolté. Aussi contre lui, ce père bigot ? Sans doute. Pourtant ça n’était pas très clair, car je l’aimais aussi. J’aimais tant ces drôles de tableaux qu’il brossait, tard le soir, comme en secret, derrière son comptoir, entre les visites de ses clients, des zazous ! En somme, entre les séances des deux cinémas du coin de la rue.» (p.100)

Regard

Claude Jasmin a l’ âge maintenant de regarder derrière son épaule pour s’attarder à ce qui a fait sa vie d’écrivain, d’artiste en arts visuels, de conteur incomparable et de polémiste.
Dommage qu’il y ait autant de redites. Cette sombre histoire du frère Maximilien par exemple. On aurait pu écourter. Ce n’est pas ce qui retient le lecteur. On s’égare !
Reste que Claude Jasmin est un sacré conteur. Malgré un récit un peu écrianché, il captive le lecteur et nous plonge dans un univers de religiosité qui a hanté sa génération.

«Papamadi» de Claude Jasmin est publié chez VLB Éditeur.

dimanche 28 mars 2010

Carole Massé fouille l’âme humaine

«L’arrivée au monde» de Carole Massé présente la vie dans ce qu’elle a de plus terrible et de plus déroutant. Une fable tragique poussée à son paroxysme.
Ce texte m’a souvent fait penser à «La petite fille qui aimait trop les allumettes» de Gaétan Soucy par son univers, la manière de voir et de penser de ces enfants qui doivent réinventer le monde pour se protéger de la folie du père.
L’écriture est réduite à l’essentiel. Chacun des mots compte et garde tout son poids. Les phrases sont ciselées telle des strophes et se transforment en chant envoûtant. Un arrêt sur l’enfance qui oriente toute l’existence et marque la vie adulte. «L’arrivée au monde» n’est pas la même pour tous. 

Prisonnière

Une femme n’en peut plus. Jaloux, possessif, son mari la séquestre dans une maison de campagne.
«À cette époque, le jour, elle nous courrait après pour nous engouffrer entre ses bras en pleurant de joie. Le soir, le serrurier courait après elle pour l’emprisonner contre lui en riant aux larmes. Il lui interdisait de sortir.» (p.19)
Elle réussit à s’enfuir en promettant de revenir chercher les enfants. Ils attendent, espèrent, subissent les ordres du père sans trop comprendre ce qui arrive.
«C’est au retour de l’homme, le soir, que notre père actuel est né. Glacial, distant, impitoyable. Il changea la serrure et porta la nouvelle clé en pendentif. Déchira sous nos yeux, une à une, les photos de notre mère.» (p.20)
Il quitte le matin, après les avoir enfermés dans la grande maison, ne revient que tard le soir. Ils courent d’un étage à l’autre, sans pouvoir s’arrêter. Des écureuils qui se débattent dans une cage sans jamais aller nulle part.
«Ainsi courons-nous nus dans un espace sans frontière, accessibles au regard mais protégés, selon notre père, des voleurs, menteurs, dissimulateurs de tout acabit.» (p.25)
Il les écrase, les étouffe et les coupe de tout.

Le rêve

Le père s’enfonce dans sa folie et l’alcool à tous les soirs. Les enfants décident de faire quelque chose. Leur survie est en jeu. Ils le savent d’instinct. Il faut mettre hors d’état de nuire cette bête dangereuse.
«Aussitôt Jade, José et moi nous retirons dans notre chambre et complotons son exécution. Nous fixons le moment : quand il sera trempé de larmes, rempli d’alcool, ronflant dans son caca.» (p.33)
Le geôlier est proprement exécuté. Ils se débarrassent du corps au fond du lac et personne ne les embête.
«Nous fixons l’onde où la momie sombre lentement. Ni prières ni pleurs de notre part. Nous ne croyons plus en Dieu. Nous ne croyons plus en la Vérité. Nous ne croyons plus en l’innocence de l’Homme. Nous connaissons le mal.» (p.41)
C’est ainsi quand on vit en marge du monde, au-delà du bien et du mal.
Découverte

José et la narratrice partent découvrir l’extérieur qu’ils connaissent si mal. Jade refuse de quitter la maison. Elle a trop désiré ce départ pour le vivre réellement. Surtout, elle se sait marquée dans sa chair et dans son esprit.
«À notre tour, nous leur ferons porter nos misères passées, notre enfance assassinée. Jusqu’à ce que, devenus invivables, nous recevions d’eux ce baiser traître et vengeur que nous avons donné à notre père. Alors je préfère rester. Et avec un pâle sourire aux lèvres, elle referme doucement la Porte entre elle et son futur.» (p.43)
José rencontre une femme. Il est si affamé d’amour ce garçon qu’il ne peut subir un autre abandon. Il préfère le suicide.
«Sur le plancher, froissée, une lettre de rupture de Stella. Sous le drap qui recouvre le lit, le corps nu de mon frère, les bras lacérés de coups de canif qu’il s’est donnés sans retenue. Il s’est vidé de son sang. Sur son oreiller, un message pour Jade et moi.» (p.46)
La narratrice réussira à faire une vie à peu près normale. Elle retrouve sa mère, écrit à sa sœur, n’arrive pas à s’ancrer vraiment dans son existence. Elle survivra grâce à l’écriture peut-être… Mais que peuvent les mots devant une enfance qui a été broyée?
Un drame impossible et pourtant tellement vrai. Un récit tragique et bouleversant. Magnifique!

«L’arrivée au monde» de Carole Massé est publié chez VLB Éditeur. 
http://www.edvlb.com/carole-masse/auteur/mass1063

dimanche 13 décembre 2009

Peut-on être heureux sans croire en Dieu?


«Heureux sans Dieu», un collectif dirigé par Daniel Baril et Normand Baillargeon, regroupe les réflexions de quatorze personnalités québécoises sur Dieu, la religion, les croyances et la foi. Quatre femmes et dix hommes, dont Arlette Cousture, Louise Gendron, Isabelle Maréchal, Yannick Villedieu et Louis Gill.
Tous affirment qu’ils ne croient pas en un Être suprême. Ils se sont débarrassés de toutes les superstitions et ne cherchent pas une cause ou un effet pour expliquer la vie et la mort. L’humain est seul dans l’univers, sans peur et sans craintes. Au bout de son existence, comme toutes les autres espèces vivantes qui l’entourent, il retourne au grand rien d’où il est sorti. Une réflexion qui, malgré tout ce que l’on peut entendre et dire dans les médias, s’avère courageuse.
«C’est qu’aujourd’hui encore l’athéisme dérange, fait peur, voire suscite le rejet, écrit l’auteur de la présentation Daniel Baril. Si les gays ont réussi à sortir au grand jour, les athées n’osent pas encore s’afficher, craignant d’être perçus, au mieux comme des trouble-fête, au pire comme de bien tristes personnages à qui il doit sans aucun doute manquer quelque chose.» (p.8)
Bien sûr, on peut parler de la désertion des églises, affirmer que le catholicisme  perd du terrain dans nos sociétés. Pourtant, il suffit de scruter l’actualité pour constater que nombres de guerres de religion existent encore. Le fanatisme et les croisades les plus folles sont loin d’être endigués et ne se retrouvent pas seulement du côté musulman de l’humanité
Cette façon de concevoir la vie sans plan de Dieu, sans au-delà, n’empêche pas ces témoins de ressentir de l’empathie pour leurs semblables, de prôner la solidarité, l’entraide et le partage. L’athéisme, selon eux, est jumelé au savoir. Plus la connaissance s’impose, moins les chances de croire aux fables et aux mythes sont grandes. Le savoir et la réflexion font en sorte que les superstitions cèdent le pas à une forme de lucidité courageuse.
«Les commandements de Dieu sont les mêmes, à quelques virgules près, dans toutes les grandes religions du monde, affirme Louise Gendron. Parce qu’ils correspondent à des tabous, à des règles profondément inscrites dans l’histoire de l’humanité et, souvent, dans la biologie même.» (p.15)
Ceux et celles qui ont accepté d’aborder cette question défendent une société laïque, libérée de toutes manifestations religieuses à l’école et dans le fonctionnement de l’État. Les croyances sont de l’ordre du privé et ne doivent pas s’aventurer sur la place publique. Jamais cela ne doit transpirer dans les discours des politiciens et des dirigeants.
«À mes yeux, je ne le cache pas, églises, synagogues, temples, mosquées, prêtres, imams, rabbins, pasteurs, soutanes, prières, chapelets et mille autres choses encore sont, par bien des aspects, des blasphèmes contre ce qui occupe dans mon échelle de valeurs cet équivalent laïque du sacré et contre certaines des valeurs que je chéris le plus : l’amour de l’humanité, la solidarité, la raison, le progrès.» (p.82)
Cette affirmation de Normand Baillargeon heurte de front les accommodements dits raisonnables qui ont fait les manchettes au Québec. 

Témoignages

Tout n’est pas de la même coulée dans ces témoignages. Louisette Dussault et Arlette Cousture racontent comment elles se sont éloignées des croyances de leur milieu. Un doute, une lassitude et l’abandon de la pratique religieuse est venu tout naturellement.
Il faut s’attarder aux réflexions Daniel Baril, Cyrille Barette et Hervé Fischer. Il y a matière à réflexions. Normand Baillargeon par exemple.
«Imaginez qu’il y ait, au Québec, un réseau de polyvalentes conservatrices, un autre de d’écoles libérales, un autre encore d’écoles péquistes, puis d’écoles communistes, et d’écoles anarchistes… … C’est pourtant ce que nous faisons en tolérant des écoles religieuses réservées à des « petits musulmans » et à des «petits juifs»… (p.96)
Le nouvel humanisme misant sur le vivant et sa capacité de réflexion est encore loin. Les religions, plusieurs le constatent, finissent par nous rattraper, que ce soit à la naissance ou à la mort. Toutes les sociétés ont des réflexes qui reviennent, particulièrement devant de lourdes épreuves. Un livre inégal mais fort intéressant sur un sujet que l’on n’ose guère débattre. Peut-être l’un des derniers tabous qui existent dans nos sociétés.

«Heureux sans Dieu» de Daniel Baril et Normand Baillargeon est paru chez VLB Éditeur.

dimanche 6 septembre 2009

Alexandre Lazaridès brise des secrets de famille


Un homme tente de recoller les morceaux de son enfance dans «Adieu, vert paradis» d’Alexandre Lazaridès.
 L’Égypte, la fin des années quarante, une société où les traditions dominent. Les hommes ont tous les droits et les femmes restent des servantes. Le maître travaille à l’extérieur, se permet des aventures, pendant que la femme entretient la maison et se consacre aux enfants. Nous avons connu une société semblable au Québec avant la Révolution tranquille. La religion guidait tous les gestes et les curés surveillaient. Malheur à ceux, surtout celles, qui faisaient un faux-pas.
L’enfant, écrit Alexandre Lazaridès, n’arrive à parler de lui qu’à la troisième personne, comme s’il fallait être étranger à soi pour mieux se raconter. Cette façon lui permet de mettre des mots sur l’inavouable et de tout dire.
Le père devient le complice de son fils aîné qu’il pousse vers une carrière athlétique. Il sera un haltérophile, un champion olympique. Il veut surtout en faire un mâle dont on craint les muscles. La mère, une très belle femme, tient tête à son mari. Continuellement. Tout passe par la parole, la seule arme qu’elle possède. Le petit la voudrait pour lui et entreprend une guerre sans merci avec le père et le grand frère. Il apprend à dissimuler, à garder le silence sur certaines choses, à trahir aussi quand il est certain de faire mal.
«Occuper le moins de place possible, donner l’illusion de ne pas être là, voir sans être vu, c’est l’un des passe-temps préférés de l’enfant ; il excelle à s’éclipser dans les coins les plus inattendus, à faire le mort derrière les meubles ou les fauteuils, et surtout sous son lit ; son imagination se réveille, tout devient mystérieux et fait battre son cœur. Il prend aussi l’habitude de marcher sans faire de bruit, pour convaincre chacun et lui-même de son inexistence.» (p.43)
En devenant invisible, il surprend des scènes qui le traumatiseront.

Le viol

Caché sous son lit, il assiste au viol de la bonne par le père qui la cède ensuite à son fils aîné. Les «vrais hommes» agissent ainsi. Une situation incroyable.
«Le lit grince sous le poids d’une masse beaucoup plus lourde qui vient de s’affaler dessus ; la petite bonne ne cesse de gémir, d’implorer à voix étouffée « non,, non, s’il vous plaît, maître ». Elle ne se tait qu’après avoir poussé un cri déchirant qui est bâillonné net. Puis, il y a des ruades qui passent vite du trot au galop, de plus en plus continues et  brutales ; le matelas posé sur des lames métalliques fatiguées se creuse et s’enfonce à chaque coup au-dessus de l’enfant prisonnier de sa cachette, saisi d’épouvante à l’idée de ce qui a lieu là-haut ; il ne peut rien voir que par les yeux de son imagination affolée, et elle ne voit que l’inimaginable.» (p.166)
La pauvre fille est déshonorée, condamnée dans cette société archaïque. Elle finit par se suicider.

Le drame

Ce n’est qu’à la mort de la mère que le fils comprendra que son père a violé sa mère alors qu’elle avait dix-sept ans. Pour échapper au déshonneur, elle a épousé son agresseur, lui faisant regretter son geste à chaque jour. Cette guérilla a duré jusqu’à la mort du père.
«Une fois tombé le masque de celui dont j’étais né, j’ai acquis la conviction que ma mère avait été contrainte d’épouser son violeur parce qu’elle était enceinte de lui, et que c’était cela, le mot de l’énigme qu’elle cachait derrière la porte condamnée de sa jeunesse, l’astre maléfique autour duquel avaient gravité nos vies, l’intrigant « fardeau trop lourd pour un fils » qu’elle avait décidé de porter toute seule quoi qu’il advint.» (p.336)
Le lecteur sort de ce roman le cœur dans la gorge, l’âme de travers. Si les secrets marquent une vie, ils préparent peut-être une carrière d’écrivain qui se donne le droit de tout dire.

«Adieu vert paradis» d’Alexandre Lazaridès est paru chez VLB Éditeur.

dimanche 16 août 2009

Guy Lalancette écrit avec un bistouri

Je suis demeuré sans mots après avoir refermé «La conscience d’Éliah» de Guy Lalancette, son quatrième roman. Comme si j’avais encaissé un solide coup de poing qui m’aurait coupé le souffle. Un roman doit être une plongée dans l’intolérable pour avoir cet effet.

Gabriel Blanc est retrouvé pendu dans la cage d’escalier du pensionnat de Torrent. Une institution comme il y en existait avant la réforme de l’éducation et l’invention des cégeps. Ce qui semble un suicide n’est pas aussi clair. D’étranges blessures recouvrent le corps du garçon. Le drame est survenu le 23 décembre 1964.
Éliah Pommovosky semble s’être jeté du haut du château d’eau de Grimley, un 13 décembre, neuf ans plus tard, tentant de se pendre avec des foulards. Valérie Lambres, son amie, son épouse d’un soir, le retrouve dans la neige. Il vit encore. Faut-il faire un lien entre les événements?
Les faits se juxtaposent. Éliah, confrère de Gabriel au pensionnat, a connu une enfance de violence et de hurlements. Son père a poignardé sa mère alors qu’il avait cinq ou six ans. Il l’a vue baignant dans son sang. Depuis, il trouve la paix dans l’automutilation. Son corps est devenu une véritable carte de ses tourments et de ses douleurs.

Amours interdits

Gabriel et Éliah étaient des amants. Attirance et répulsion, amour et haine. Les remords accablaient Éliah, contrairement à Gabriel, l’archange, l’être de lumière qui subissait toutes les insultes en crânant. Il assumait pleinement ses désirs et ses amours au masculin, vivant une complicité de tous les instants avec sa mère.
«Pendant qu’Éliah, poli, acceptait la poignée de main, le sourire de Gabriel tout à coup le figea. Il n’avait jamais vu un tel sourire. Même celui de Valérie Lambres, qui faisait un emballage cadeau avec le ruban, la boucle et toutes les couleurs, n’avait pas cette lumière-là. Le sourire de Gabriel Blanc lui prenait tout le visage, c’était un arpège au piano, une réunion festive, une Annonciation. Les yeux aussi, le bleu et le pers auréolés d’ambre comme des paysages au couchant. C’était trop tôt. Éliah ne pouvait pas savoir la souffrance quil y avait dans l’enchantement de ce sourire et de ce regard.» (p.39)
Éliah a découvert son corps et la sexualité avec Valérie, une amie d’enfance se montrant plus audacieuse. Une sexualité qu’il ressent comme une agression, lui qui n’a jamais appris la tendresse et les caresses.

Vengeance

Au pensionnat, Gabriel a été victime d’une vengeance ourdie par les brutes de l’institution, des représailles propres aux milieux fermés où dominent les préjugés. Une flagellation à laquelle Éliah a été forcé de participer. Un parallèle évident avec la passion du Christ, la trahison de Judas. 
«Ce qui avait échappé à Éliah, frappant Gabriel plus qu’on en attendait de lui, ce sont les raisons de son excès, de son débordement qui n’avaient pas à voir qu’avec les menaces  de Pilote. À travers ses larmes, ce regard de Gabriel, sa tendresse et sa compassion lui avaient été insupportables; il aurait voulu qu’il lui reproche sa faiblesse, qu’il l’injurie, qu’il la condamne. Mais il aurait voulu surtout que Gabriel n’existe plus, qu’il n’ait jamais existé. À ce moment-là, contre tout entendement, il avait haï Gabriel pour ce trop d’amour qu’il lui portait.» (p.157)
Le roman nous pousse dans les coins obscurs de l’être, dans un crescendo puissant, dérangeant et bouleversant, quasi intolérable. Des scènes à couper le souffle qui font mal au corps et à l’esprit.
À nouveau Guy Lalancette explore les pulsions, les milieux fermés où le pire surgit devant la différence et l’originalité. Sa fascination pour les univers clos, les familles qui blessent pour la vie, se manifeste une fois de plus. Une constance chez cet écrivain, autant dans «Les yeux du père» et «Un amour empoulaillé». Une écriture envoûtante, des scènes qui restent à jamais dans l’esprit. Un roman d’une qualité supérieure qui ajoute à une œuvre déjà remarquable.

«La conscience d’Éliah» de Guy Lalancette est paru chez VLB Éditeur.

dimanche 10 mai 2009

Djemila Benhabid se méfie des intégristes.

Djemila Benhabid est née en Algérie. Ses parents, des universitaires et des militants, ont lutté pour faire de ce pays un état démocratique ou hommes et femmes pouvaient circuler à visage découvert, discuter et contester les idées religieuses et politiques.  Dans «Ma vie à contre-coran», l’écrivaine montre comment cet espoir a basculé avec l’arrivée des intégristes qui subordonnent tous les gestes du quotidien à leurs croyances. Au Québec, malgré les accommodements raisonnables, il semble bien que nous venons d’ouvrir la porte à cette mouvance.
« Je vois se dissimuler au Québec l’expression d’un islam radical qui n’inaugure rien de bon pour la santé de notre démocratie. L’intrusion du religieux dans les sphères publique et privée, je l’ai vécue sous toutes ses formes, des plus petites au plus grandes, de ma petite enfance à l’âge adulte. Je sais de quoi je parle. Je connais ce qu’est l’intégrisme.» (p.22)

Ces «fous de dieu» s’implantent dans les communautés immigrantes et imposent leurs croyances, leur domination sur les femmes, le port du voile, du turban ou le kirpa.

Privilèges

Djemila Benhabid refuse que l’on accorde des privilèges à ces groupes qui s’isolent dans leur société d’accueil et réfutent les principes fondateurs de la démocratie qui accorde les mêmes droits et les mêmes obligations à tous les citoyens.
«Depuis la commission Bouchard-Taylor, les islamistes occupent toutes les tribunes, à travers les femmes essentiellement. L’écrasante majorité porte le hidjab. Elles défilent les unes après les autres pour fustiger les médias et pour jurer qu’elles ne sont pas soumises et qu’elles sont mêmes féministes jusqu’au bout des ongles. Les journalistes marchent sur des œufs.» (p.46)
Un peu plus loin elle ajoute: «Le voile est une fausse route pour les jeunes filles. Rien dans le Coran ne leur impose d’afficher ainsi leur foi. Le voile conduit trop souvent à ces comportements inquiétants, comme le refus de la mixité, de l’égalité des sexes, des cours de biologie ou de sport.» (p.73)

Guérilla

Les groupes intégristes mènent une véritable guérilla au Canada, aux États-Unis, au Danemark, aux Pays-Bas, en France comme en Allemagne en réclamant des privilèges. Les mosquées deviennent des lieux où l’on promeut le racisme et la suprématie d’Allah, où l’on proclame la domination des hommes sur les femmes, la haine et la violence.
«On en arrive même à entretenir l’illusion que le voile pourrait être une alternative à l’hypersexualisation des filles, quand en fait le voile est l’une des pires formes de sexualisation des femmes. Le voile, c’est un rapport obsessionnel au corps, à la chair, au sexe. Le voile, c’est le contrôle de la sexualité des femmes. Ne soyons pas assez naïfs pour croire que le hidjab serait acceptable, voir progressiste alors que la burka serait rétrograde et inacceptable.» (p.79)
Polygamie légalisée, viols et «meurtres d’honneur» commis au nom d’Allah par un frère ou un père qui punissent les récalcitrantes. Résultats : une société où règne la terreur et la pire des violences.

Exil

La famille de Djemila Benhabid a dû fuir en France pour échapper à la mort. Elle y a vu les islamistes s’installer dans les faubourgs pour y implanter leur dogme. On se souvient des émeutes qui ont secoué les banlieues de Paris il n’y a pas si longtemps. Partout une même façon de faire où l’on crie au racisme et à la persécution pour exiger des dérogations et des privilèges. Port du voile dans les écoles, dans la pratique des sports et demande de lieux de prières dans les universités ou les hôpitaux.
Toujours au nom du respect des différences et de la liberté d’expression. Résultats : repli sur soi, refus des habitudes du pays d’accueil. Madame Benhabid montre comment les Hassidiques vivent en pleine autarcie au Québec et résistent à toute intégration.
À lire pour la réflexion que Djemila Benhabid suscite un an après le rapport de la Commission Bouchard-Taylor. Elle montre nos travers et notre peur viscérale de faire respecter les éléments fondateurs de notre démocratie. Un témoignage troublant qui met un doigt sur bien des contractions, des peurs, des petites et grandes lâchetés.

«Ma vie à contre-coran» de Djemila Benhabib est publié chez VLB Éditeur.

dimanche 26 avril 2009

Une page d’histoire du Québec un peu oubliée

«Frères ennemis» de Jean Mohsen Fahmy nous plonge dans une période agitée de la vie politique du Québec et du Canada, soit les années 1914-1918. L’Europe alors est à feu et à sang. Au pays, francophones et anglophones sont à couteaux tirés. Que doit être le rôle du Canada dans la Première Guerre mondiale et comment doit-il intervenir?
Henri Bourassa dirige Le Devoir d’une main de fer et profite de toutes les tribunes pour défendre les droits de la «race canadienne française» partout au Canada. Il croit que la participation des francophones à cette guerre doit être volontaire. Il y aura la conscription, des manifestations qui tournent à l’émeute à Montréal, des traques et des trahisons.
Les jumeaux Couture sont jeunes, idéalistes et vivent cette période avec exaltation.
«Depuis la déclaration de la guerre, il passait et repassait dans sa tête et dans son cœur les mille arguments que ses amis et lui avaient fiévreusement invoqués, au café du quai Alexandre et plus tard, dans d’autres conversations. Fallait-il s’engager? Fallait-il rester au Canada? Lionel avait pleinement conscience des combats que les Canadiens français devaient mener au pays. Il se rappelait les conversations qu’il avait entendues, enfant, entre son père et ses amis sur la «trahison» de Riel commise par les Anglais. Et, au cours des dernières années, il avait été révulsé par l’interdiction du français dans les écoles du Manitoba et de l’Ontario. Il fallait donc combattre au pays pour faire respecter les droits de son peuple. Mais cela voulait-il donc dire qu’on ne devait pas participer au combat plus vaste, au combat de l’Europe, qui faisait s’affronter la tyrannie germanique et la civilisation française?» (p.88)
Lionel choisit l’armée et le combat dans les tranchées tandis qu’Armand lutte pour la reconnaissance du fait français aux côtés de Bourassa. Francophones et anglophones se confrontent par le biais des journaux, mais aussi lors d’importantes manifestations qui dégénèrent en violence à Montréal. 

Confrontation

Les jumeaux Armand et Lionel, les deux inséparables, prennent des routes différentes et s’opposent en apparence. Lionel s’enrôle pour combattre en Europe tandis qu’Armand mène le combat des francophones au pays par son travail de journaliste et d’activiste. Si les directions semblent s’opposer, la problématique finit par se recouper. Les revendications des Canadiens français trouveront un écho dans l’armée et aboutiront à la formation du Royal 22e régiment constitué de francophones.
La situation pourrait devenir explosive pourtant.  Les jumeaux aiment la même jeune fille, mais là encore tout s’arrange plutôt bien. Justine aimera les frères tour à tour, mais loin des yeux, loin du cœur. Le départ de Lionel laisse le champ libre à Armand. Il courtise Justine et il arrive ce qui doit arriver.
«Oui, elle était troublée parce qu’elle aimait Armand et elle savait ce qu’était l’amour, car elle l’avait déjà connu. Elle l’avait connu avec Lionel, et son amour pour Armand se trouvait maintenant empoisonné par ses scrupules. Elle avait l’esprit assez fin pour comprendre que ce qui l’avait attirée chez le guerrier d’Europe était précisément ce qui la séduisait maintenant chez le combattant du Canada. C’était, chez les deux frères, le même tempérament actif, entreprenant, le même esprit d’aventure, la même soif de combattre pour ce qui leur tenait à cœur…» (p.227)
Solide recherche

Jean Mohsen Fahmy a construit son roman sur une solide recherche. Il reconstitue de façon minutieuse les combats où les Canadiens français se sont illustrés en démontrant un courage qui marquera l’imaginaire. Pour ce qui est de la trame romanesque intime, disons que ce n’est pas le point fort de l’écrivain. Les amours d’Armand et de Justine s’étiolent et la valse des hésitations aurait pu être écourtée. Il est à son meilleur dans l’action et les grandes fresques.
«Frères ennemis» décrit minutieusement le quotidien du soldat qui subit les bombardements, croupit dans la boue des tranchées, se défend contre les rats et la malédiction des poux. Lionel descend aux enfers et il aura du mal à l’oublier. Une blessure physique se soigne, mais guérit-on des visions d’horreur? On ne peut qu’en garder des séquelles.
Roman intéressant par ses assises historiques particulièrement vivantes et bien rendues. Tout est en place pour une suite avec le retour de Lionel après la fin de la grande tuerie. Tout le non-dit peut refaire surface et les deux frères se retrouver face à face pour une fois.

«Frères ennemis» de Jean Mohsen Fahmy est paru chez VLB Éditeur.

dimanche 25 janvier 2009

Le Mal a-t-il étendu son emprise sur le monde?

Avec la Révolution tranquille au Québec, plus personne ne croyait à la survie du conte et de l’oralité. La population fonçait vers la modernité et tournait le dos à un univers où revenants, géants, sorciers et lutins en menaient large.
En migrant massivement vers la ville, les Québécois abandonnaient récits et contes derrière eux. Ils ne voulaient pas s’encombrer des relents d’une autre époque. Il a fallu des chercheurs comme Aurélien Boivin pour nous redonner nos racines dans certaines anthologies et des citadins audacieux pour redécouvrir les séductions de l’oralité.
André Hamelin, le fondateur des Éditions Planète rebelle qui se consacrent essentiellement au conte, avec quelques téméraires, ont exploré des univers, secoué une tradition qui semblait vouée à l’oubli. Plusieurs courants s’y croisèrent avec Jocelyn Bérubé, Michel Faubert, Fred Pellerin et Jean-Marc Massie.
Peu à peu, le conte retrouva son espace dans l’imaginaire québécois et les événements se sont multipliés, faisant courir les foules. Signalons le «Festival de contes et légendes du Saguenay-Lac-Saint-Jean» qui ne cesse de surprendre et d’envoyer conteurs et menteurs partout dans la région. Fred Pellerin est devenu la figure emblématique de ce renouveau. Le succès du film «Babine» constitue une belle revanche pour tous les conteurs du Québec.

Le temps des loups

Rares sont les écrivains qui s’aventurent sur le terrain du conte et de la légende. C’est pourquoi il faut signaler «Vargöld», ce roman au titre étrange de Jacques Lazure. Le lecteur croirait plonger dans une histoire se déroulant dans un pays scandinave.
Nous sommes au Québec pourtant, en 1828. Un jeune abbé, enseignant au séminaire de Montréal, pratique des exorcismes, ces rituels minutieusement encadrés qui parviennent à chasser les démons qui ont pris possession des hommes et des femmes.
Cette spécialité fera en sorte qu’il soit envoyé en mission par son supérieur dans un chantier de l’Outaouais où anglophones et francophones se côtoient, où un meurtre sauvage que personne n’arrive à expliquer est survenu, Tous affirment que le Diable a pris possession de la forêt. En plus, impossible de retrouver les jambes du mort.
Il faut exorciser le camp, chasser les démons avec de l’eau bénite pour que tout revienne à la normale. Une petite excursion de quelques jours croit l’abbé Verreau qui consent à contrecœur à effectuer ce voyage en forêt.

Fantasmes

Peu à peu nous glissions dans un monde où réel et imaginaire se bousculent. Des scènes d’une violence effroyable surgissent, des loups-garous apparaissent, des mutations surviennent, des diables prennent la forme des loups. L’abbé Verreau s’efforce de cerner le tout avec sa raison, même s’il plonge dans monde où les fantasmes qui traversent les esprits des hommes esseulés se matérialisent pour le pire. 
Le jeune abbé bascule dans une terrible expédition où il affrontera ses pulsions sexuelles et ses doutes. Il s’enfoncera dans un enfer où démons, diables, loups-garous, êtres mi-hommes et mi-bêtes se transforment, errent en cherchant une âme à se mettre sous la dent. Tout se confond, le bien et le mal, l’imaginaire et le réel.
«Antoine chancela, ferma les yeux. Trop d’images le frappaient, le provoquaient, l’anéantissaient. Il avait des visions, encore des visions, toujours des visions. Mais cette fois, ce n’était pas le passé qu’il voyait, ce n’étaient pas les adorateurs de loups, les esprits malsains qui se manifestaient entre la Noël et l’Épiphanie. Non. C’était l’avenir, l’œuvre du démon absent, l’œuvre du Mal en l’homme, l’œuvre de l’homme rendant vivant le Diable.» (p.425)
Antoine Verreau retrouvera le monde civilisé, seul survivant de cette terrible aventure, après avoir perdu son équilibre mental.

Le règne du mal

Faut avoir le cœur solide pour traverser cette épopée étrange où les rebondissements sanglants se bousculent. Le lecteur réchappe de cette lecture en se demandant si Jacques Lazure n’a pas raison. Encore une fois le conte réussit à démontrer, aujourd’hui comme hier, que le pire ennemi de l’homme reste l’homme. Le Mal n’est plus refoulé dans des temps anciens pour rassurer l’auditeur. Le bien échoue dans sa mission. Le Malin s’approprie le présent, s’accapare du futur pour guider les actes des humains.
Comment expliquer autrement la présidence de Georges W. Bush, la poussée sanguinaire d’Israël dans la bande de Gaza, l’Irak, l’Afghanistan et ces conflits où des populations entières sont massacrées comme rarement on l’a fait dans l’histoire.

«Vargöld, Le temps des loups» de Jacques Lazure est paru chez VLB Éditeur.

jeudi 9 octobre 2008

Andrée Ferretti jongle avec des questions importantes

Andrée Ferretti est associée à l’indépendance du Québec depuis fort longtemps. Il suffit de consulter sa bibliographie pour constater que cette question, au cœur du débat politique depuis cinquante ans, la préoccupe et alimente sa réflexion. Elle a publié, avec Gaston Miron, «Les grands textes indépendantistes» et «Le Parti québécois: pour ou contre l’indépendance», un pamphlet qui va droit au but. Cet aspect de sa vie a fait oublier l’écrivaine qui entrait en littérature en 1987 avec «Renaissance en Paganie». Elle publiait par la suite des nouvelles et des récits. «Bénédicte sous enquête» est son troisième roman.
Je ne savais à quoi m’attendre, ayant pour une raison ou une autre, négligé cette auteure jusqu’à maintenant. Les chemins de la lecture nous poussent souvent vers les mêmes écrivains qui finissent par constituer de véritables familles qui occupent tout notre temps ou presque.

Hollande

Sophie Bertrand, latiniste et passionnées de généalogie, archiviste à la ville de Québec, achète une veille maison de Neuville. Pendant les rénovations, elle trouve un coffret minutieusement scellé qui contient les textes d’une certaine Bénédicte née en Hollande en 1632 et qui, nous allons le découvrir, s’avère être son ancêtre. Une philosophe bannie et excommuniée de la communauté juive pour ses idées, et qui rejette tous les carcans. Guillaume Bertrand, l’ancêtre québécois de Sophie, a caché les documents dans sa maison de Neuville à la demande de Bénédicte, la mère de son épouse. Par courts fragments, nous découvrons une femme qui a vécu une double vie, dissimulant sa féminité pour vivre en homme.
«J’ai écrit au masculin les pages qui précèdent. Je m’en suis vite rendu compte, en même temps que je me découvrais impuissante à me corriger. Anomalie, s’il en est une, puisque, ce 6 février 1673, j’entreprends la présente rédaction de mes mémoires dans l’unique but de révéler à la postérité que je suis une femme. Objectif dont l’atteinte m’apparaît plus difficile que je l’eusse cru. Non seulement parce que j’ai peine à me débarrasser des habits d’homme sous lesquels je vis depuis toujours, sous lesquels j’écris mon œuvre et en discute avec moult amis et quelques savants, mais parce que j’ai de bonnes raisons de craindre un rejet méprisant de ma pensée  par la société viscéralement misogyne des philosophes.» (p.22)
Le lecteur se prend d’affection pour cette contemporaine qui revendique le droit à la pensée, à la liberté, prône la démocratie, l’amour libre et le droit de s’exprimer comme un homme.

Fiction

Andrée Ferretti multiplie les pistes. On se prend au jeu, on fouine, on tente de deviner de qui il pourrait être question même si l’auteure ne s’embourbe jamais dans les grands concepts qui fascinent son héroïne. Elle en met juste assez pour alimenter la curiosité, nous pousser vers des personnages ou des concepts qui ont secoué toutes les sociétés depuis les Grecs.
«Ils ne soupçonnent pas que ma philosophie entièrement fondée sur ma vision de l’unité du monde et sur la nécessaire affirmation de soi de chaque être suppose la puissance des femmes à gouverner autrement des sociétés différentes, transformées par les acquis d’une connaissance vraie d’un nombre croissant de phénomènes, mutation qui, libératrice des préjugés et de la peur, augmentera la liberté de chaque individu devenu dès lors rebelle à la domination des uns sur les autres.» (p.110)
Des propos qui font hurler les bien-pensants d’Amsterdam au XVIIe siècle et qui pourraient faire sourciller bien des conservateurs s’ils osaient ouvrir ce livre.

Enquête

«Bénédicte sous enquête» reprend les grandes questions que les humains se posent depuis qu’ils ont pris conscience de leur existence et de la mort. Quel plaisir de plonger dans ces textes qui bousculent la société et les religions, les croyances et les dogmes. C’est rafraîchissant dans une époque qui carbure à la bêtise de l’opinion et des sondages. Andrée Ferretti choisit la réflexion et, à la toute fin, quand l’ultime fragment est signé par Bénédicte Spinoza, on se met à rêver. Est-ce possible?
Voilà une belle matière à un autre roman… Un court ouvrage bien mené qui, par le biais de l’histoire et de la philosophie, nous ramène au temps présent. Une habile façon d’apporter les idées dans la littérature et de réfléchir à la condition des femmes au cours des siècles.

«Bénédicte sous enquête» d’Andrée Ferretti est paru chez VLB Éditeur.
http://www.edvlb.com/andree-ferretti/auteur/ferr1017

vendredi 4 juillet 2008

Qui a tué le journaliste du journal Le Soleil

Arthur Laflamme, journaliste au journal «Le Soleil» est trouvé mort dans son appartement. Qui a assassiné ce franc-maçon à la plume acérée. Des documents sont disparus et tout laisse croire qu’il possédait des informations qui pouvaient éclabousser le clergé, particulièrement Mgr Bégin, et certaines grandes entreprises qui s’apprêtent à électrifier la ville et toutes les possessions du clergé. De grosses sommes d’argent sont en jeu, des contrats alléchants et plusieurs personnes ont intérêt à faire taire ce pamphlétaire.
Un jeune policier, Francis Leahy, est chargé de dénouer ce meurtre qui risque d’éclabousser la bonne société de Québec.
Le journal «Le Soleil» venait tout juste de naître en septembre 1898. Les périodiques à l’époque étaient lancés et disparaissaient comme la lune derrière les nuages. Ils sont la propriété d’une formation politique ou opèrent sous la férule du clergé. Les journalistes marchent sur la corde raide et les autorités n’hésitent pas à intervenir quand certaines frontières sont franchies. Même que des rédacteurs se retrouvent en prison après la publication de certains articles. Ernest Pacaud, le directeur du «Soleil» en sait quelque chose. Il doit ménager la chèvre et le chou.
«- Ses fonctions? Pacaud leva les bras. Ce n’étaient pas des fonctions, c’était une mission! C’est comme cela qu’il voyait son travail, comme une mission. Il s’était fait l’ennemi de toutes les hypocrisies et de tous les mensonges. Les faux idéaux politiques ou religieux, l’exploitation de la crédulité ou de la misère. Tout ce qui asservit l’homme au lieu de le libérer. Il tirait sur tout ce qui bouge. Même ses amis trouvaient qu’il exagérait parfois…» (p.27)
Les publications ne cachaient pas qu’elles étaient au service d’un parti politique. Les scribes de l’époque défendaient des idées politiques et sociales tranchées, mettaient leur plume au service d’une cause. Certains comme Henri Bourassa, Armand Lavergne, Olivar Asselin ou Arthur Buies sont passés à l’histoire. Être conservateur ou libéral, alors, signifiait vraiment quelque chose et les idées que véhiculaient les formations politiques étaient impossibles à réconcilier.

Une époque

Antoine Yaccarini mélange habilement la fiction et la réalité, s’appuie sur des articles de journaux de l’époque, des personnages réels, tout en laissant courir son imagination. Le processus est habile et nous tentons, par les yeux de ce jeune détective d’origine irlandaise, de découvrir qui a tué ce polémiste et pourquoi. Les regards se tournent vers André Fournier, un collègue, ou un négociateur du clergé, Elzéar Berthelot, la tête de Turc préférée de l’éditorialiste. Pas facile de faire la lumière dans cette histoire nébuleuse. Tout le monde devient suspect. Serait-ce un règlement de compte des francs-maçons?
L’auteur nous tient en haleine jusqu’à la dernière ligne, la révélation finale. Le romancier sait mêler les cartes, nous lancer sur de fausses pistes. À partir de la page cent, j’étais convaincu que c’était Lucille, la fille de Berthelot, la coupable… Tous les éléments de la preuve convergeaient vers elle et seul le détective Leahy ne voyait rien, obnubilé par la beauté de la jeune femme. Il faut le dire, l’auteur m’a mené par le bout du nez pendant toute l’enquête. Je ferais un mauvais limier.
Fond historique

Roman policier sur fond historique, «Meurtre au Soleil» permet de découvrir la ville de Québec, à la fin du XIXe siècle, une époque qu’Antoine Yaccarini décrit avec minutie. Les courts portraits de la ville, des Irlandais qui se retrouvent dans un pub pour discuter et fêter montrent les tensions sociales. Il s’attarde aux transports en commun et l’apparition des premières automobiles. Tout cela est décrit avec précision. Le rôle du clergé, le travail des journalistes aussi qui signaient des textes sous deux ou trois pseudonymes et lançaient des anathèmes, faisant de certains personnages politiques de véritables boucs-émissaires.
Une bonne histoire d’amour, une enquête policière menée avec tact, un portrait d’une société, d’immigrants qui ont pris du temps à s’intégrer à la société québécoise. Des propos actuels, des idées qui ont parcouru le siècle dernier et mené vers ce que l’on a nommé la Révolution tranquille.
Un style vivant, beaucoup de dialogues, des lieux connus, des rues et les activités de la population nous plongent dans l’époque. Impossible de résister.

«Meurtre au soleil» d’Antoine Yaccarini est publié chez VLB Éditeur.

jeudi 10 avril 2008

Allen Côté effectue un retour après dix ans

Dix ans après «La ruelle au fond du cœur», Allen Côté revient avec «La société du campus», un roman qui nous entraîne dans le monde universitaire même si les enseignants et les matières académiques y prennent fort peu de place. Les personnages gravitent autour d’un bistrot où les étudiants aiment refaire le monde. La vie va dans toutes les directions quand on a vingt ans. Il faut tant de choses avant de s’installer et se laisser porter par l’amour et les passions.

Myriam, Joanna, Émile, Vincent, Yanic fréquentent les mêmes lieux et cherchent, chacun à leur façon, un peu d’espace pour oublier un passé étouffant. Yanic se remet mal du départ d’Yseult. Il dérive, parle pour engourdir son mal et partage un vaste appartement, rue des Croquemitaines, avec Émile et Vincent.
Émile vient de quitter sa petite ville de région pour étudier en théâtre. Comment ne pas reconnaître Chicoutimi dans Tremblebourg? Myriam, étudiante en psychologie, y est née également. Joanna travaille comme escorte et baise juste ce qu’il faut avec ses réguliers. Elle aime Vincent, un hockeyeur de haut niveau et s’égare dans la rédaction de son mémoire.
«Oui, je ferai ma maîtrise et j’ouvrirai mon cabinet de consultante en sexologie. J’aiderai les couples à trouver l’harmonie dans leur vie sexuelle et je leur paverai la route du bonheur. Ainsi, je serai contente de moi et le soir, je fermerai les yeux en étant certaine d’avoir rendu des gens heureux. Pour l’instant, je ferme les yeux en sachant que le plaisir que je procure est purement érotique. C’est une fragrance passagère qui n’enlève rien au mal de vivre et au manque d’estime de soi qu’ont les clients même s’ils sont souvent des gens très importants.» (p.16)

Enfance

Tous tentent de guérir une blessure profonde qui vient de l’enfance; tous ont connu une forme d’abandon et de rejet qui les fait claudiquer. Surtout Myriam! Elle plonge souvent dans des colères qui laissent ses proches pantois. Elle fuit les garçons, arrive difficilement à établir des liens avec les autres. Heureusement, il y a Joanna au grand cœur.
«J’ai vingt et un ans, bientôt vingt-deux, et tous les espoirs me sont permis. Oui, il y a de la houle et ça me donne des nausées. Je ne sais pas si c’est l’angoisse, mais il m’arrive parfois de penser perdre pied et mourir. J’ai peur d’être engloutie par un maelström de larmes. Je me laisse aller et meurs doucement en croyant rejoindre maman. Mais quelque chose me retient à la vie. Un beau jour, je découvrirai peut-être ce que c’est.» (p.47)

Monologue intérieur

«La société du campus» se présente comme un éloge à l’amitié, à ces liens qui font que jamais quelqu’un est condamné à n’être qu’un navigateur solitaire dans la vie. Myriam apprivoisera son demi-frère Émile et se réconciliera plus ou moins avec sa mère biologique. Joanna abandonnera sa vie d’escorte pour vivre avec Vincent. Même Yanic trouvera un sens à sa vie en travaillant dans un nouveau bistrot. Il faut des groupes, des alliances pour survivre dans une époque qui s’effrite et ne trouve plus aucune certitude.
«Une mascarade dans un cirque burlesque. C’est un peu ça, l’Amérique, un cirque burlesque. Et plus on consomme, plus on se sent en situation de pouvoir. On ne prend plus le temps de se faire une idée de l’essentiel. Nous sommes emportés par une vague et nous flottons dans un chambardement de valeurs, sans plus distinguer le bien du mal, le réel du faux.» (p.64)
Chacun prend la parole dans cette quête d’identité. Il en résulte des monologues fort peu personnalisés, même si le locuteur change. L’écriture reste neutre, un peu terne. Comme si chacun devait prendre du recul pour saisir sa vie et la direction qu’il entend emprunter.
Un plaidoyer discret pour la compréhension et l’acceptation en ces temps d’accommodations raisonnables. Allen Côté semble croire que les jeunes de vingt ans vivent spontanément l’ouverture et l’entraide. Ils ignorent les jugements, les anathèmes et parviennent à esquisser une société inclusive, permissive et plus tolérante.

«La société du campus» d’Allen Côté est publié chez VLB Éditeur.

jeudi 20 mars 2008

Zhimei Zhang est une véritable héroïne

Alexandre Soljenitsyne secouait le monde, en 1962, avec «Une journée d’Yvan Denissovitch». Peut-être le premier ouvrage à montrer le visage de la dictature communiste. Il devait continuer son travail de témoin dans «Le pavillon des cancéreux».
Paul Bussières, un écrivain originaire de Normandin, dans «Olympia de la Havanne» démonte la mécanique du régime cubain où l’individualisme s’efface devant un État collectiviste. Une société où la délation et les pires trahisons permettent de s’approcher du pouvoir.
Encore aujourd’hui on cherche ses mots devant un témoignage comme celui de Zhimei Zhang, une Chinoise qui a vécu le régime de Mao. Ces récits prouvent que l’homme «est parfaitement capable d’être le mal» comme l’écrit Marie-Christine Bernard dans «Mademoiselle Personne». Certains croient que la situation change en Chine avec les échanges commerciaux et les missions économiques. Pourtant, le pays reste un régime totalitaire où la dictature répète les mêmes horreurs. Demandez aux Tibétains!

Libération

Zhimei Zhang était enfant quand Mao a balayé la Chine avec son armée pour «libérer le pays». Le père de la jeune Zhimei, descendant de riches propriétaires, avait étudié au Japon et travaillé pour les envahisseurs, occupant des fonctions importantes dans une banque et au gouvernement. Aux yeux des communistes, il était un traître. La famille Zhang sera persécutée et le père réduit à balayer les rues. Les enfants sont hantés par le passé de la famille. Ils deviendront la cible de fanatiques qui succèdent aux fanatiques en s’imposant par la violence et les pires outrances.
«J’avais bien essayé d’entrer dans le moule, d’arrondir mes angles, de confesser mes pensées les plus secrètes, j’avais fait des choses qui allaient à l’encontre de ma conscience et de ma personnalité afin de démontrer ma loyauté au système. Qu’y avais-je donc gagné? J’étais malgré tout toujours une paria à l’intérieur de ma propre culture : une femme divorcée qui avait des amis étrangers et de mauvais antécédents familiaux. Je ne serais jamais acceptée et mes enfants seraient également stigmatisés. Il m’avait fallu vingt ans de ma vie pour comprendre cela.» (p.11)
Ce terrible étouffement Zhimei Zhang le raconte avec sobriété dans «Ma vie en rouge». Un combat de tous les instants, une crainte qui marque chaque geste et chaque parole. Dans un tel environnement, le père, la mère, les enfants, le mari peuvent devenir des témoins qui prouvent que vous êtes un traître.
«Un professeur d’anglais fut incarcéré parce qu’à la maternelle, son garçon de cinq ans avait été surpris à dire que l’ancien chef d’État Liu Shaoqi était une bonne personne. Il fut accusé d’avoir enseigné à dire cela à son fils. Un professeur de science politique fut écroué pour une note griffonnée dans un livre à propos du jeune Mao. Le texte disait que Mao était un lecteur vorace. Il avait ajouté dans la marge: «Moi aussi!» Il fut puni pour avoir osé se comparer au Grand Timonier.» (p.180)

Volonté

Il est assez étonnant de voir comment l’État chinois a réussi à mobiliser des hommes et des femmes dans des campagnes ineptes. Une façon de trouver des suspects ou d’identifier les têtes fortes? Les absurdités succèdent aux aberrations.
«Une campagne pour nettoyer les villes infestées de vermine devint une véritable passion nationale durant l’été 1958. Puisqu’elle était la capitale, on s’attendait à ce que Pékin fût un exemple pour le pays. «À bas les quatre nuisibles!» disait le slogan du jour. Les moineaux, les rats, les mouches et les moustiques m’aidèrent à naviguer vers le prochain test de loyauté demandé par le parti.» (p.94)
Interrogations, flagellations, déportations dans les campagnes, travail physique dans des conditions incroyables pour «se rééduquer» auprès de paysans qui n’y comprennent rien, ne la casseront pas. Malgré les pires sévices, Madame Zhang n’oublie jamais son désir de liberté et d’avoir une vie personnelle. Ce que le régime de Mao ne permet d’aucune façon.
À cinquante ans, elle a réussi à émigrer au Canada pour tout recommencer et se refaire une vie. Une femme exceptionnelle qu’il faut saluer pour son courage et sa vie de combattante.

«Ma vie en rouge» de Zhimei Zhang est publié chez VLB Éditeur
http://www.edvlb.com/zhimei-zhang/auteur/zhan1003