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dimanche 24 octobre 2010

André Girard explore la belle ville de Moscou

André Girard aime les grandes villes, leur frénésie, l’architecture, les parcs, les musées et ces petits bistrots où la vie devient lente.
«Moscou Cosmos», le second volet de sa suite hôtelière, nous entraîne dans la Russie d’après la perestroïka. Le socialisme marque le paysage même si tous s’appliquent frénétiquement au capitalisme. L’aventure, nous nous en souvenons, a débuté avec «Port-Alfred Plaza». Le couple entraînera le lecteur à Tokyo et Istanbul jure l’auteur.
Étienne donne des cours de français et de culture québécoise à Moscou. Johanna de Port-Alfred étudie les sciences politiques, le droit et le commerce international à Nottingham. Elle participe avec ses collègues à un séminaire à Moscou en compagnie du professeur Chadwick, son mentor. Le couple s’est revu à Prague l’année précédente. Des heures sulfureuses. Ils se promettent tous les excès au grand hôtel Cosmos.

Séjour

Le séjour de Johanna prend une tournure inattendue. La délégation l’occupe et il y a toutes les obligations mondaines. Ils visitent les musées, s’attardent dans des galeries, des bistrots renommés, des restaurants et des sites historiques. Étienne se fait un guide attentif et le désir s’exprime par les regards, des frôlements et des murmures. Ils ne sont jamais seuls. Les conférences, les cocktails empêchent les amants de plonger dans la quintessence de la fête amoureuse. Les séances érotiques, la blouse d’étudiante que l’on découpe avec les gestes du chirurgien, il faut les oublier. Les fantasmes demeurent dans les valises.
Cette situation ne semble pas trop perturber Étienne. Son père, un professeur à la retraite, un marxiste qui a cru au grand soir vient de quitter Moscou. Pour le père et le fils, ce séjour a permis la rencontre. Pour la première fois ils se sont vus en complices et amis.
«C’est qu’au printemps, quand ça s’est concrétisé avec l’achat de son billet d’avion, j’ai pris conscience de l’énormité de la chose. Un beau projet quand on en parle comme ça, mais là, ça devenait réalité. Ce n’était pas la panique, mais j’éprouvais une certaine appréhension à l’idée qu’il allait venir nous encombrer en pleine chaleur du mois de juin. Je me demandais comment mes colocs allaient le prendre. Tu sais, quand mon père part dans ses grandes envolées, il n’est pas toujours reposant.» (p.35)
Étienne permet à Johanna de lire un compte-rendu de la visite de son père. Parce qu’il est l’auteur de «Port-Alfred Plaza» et de «Moscou Cosmos». Les personnages existent dans la vraie vie et dans le roman.

L’ailleurs

Le séjour du paternel a tout changé. Comme s’il fallait aller à l’étranger pour oublier les blocages et vivre la réconciliation. La libido, le désir et l’amour atteignent des sommets inégalés dans les villes lointaines. Il faut être ailleurs semble dire Girard pour dénouer ses problèmes existentiels. Le fils et le père se comprennent pour la première fois. Johanna et Étienne connaissent le meilleur de la passion dans ces rendez-vous. 
«Après avoir versé du rouge, je me suis mis à table : libres tous les deux, chacun ses projets, ne pas connaître l’avenir. Et puis, les études à l’étranger, c’est une belle invention, surtout quand les champs d’actions se situent aux antipodes. En fait, ai-je ajouté, nous avons conclu ce pacte pour garder le contact, et tu lui as précisé que loin d’être astreignant, c’était plutôt stimulant. Laisser venir les choses, s’ajuster en temps et lieu ; ne pas voir trop loin et vivre pleinement ce que nous avons à vivre.» (p.95)
Surtout que le père croise la belle Irina. C’est le coup de foudre. Ils se retrouveront à Paris. La vie est ailleurs. Le père met ses pas dans ceux du fils.

La ville

Moscou, la grande cité avec ses merveilles et ses laideurs, demeure le sujet de ce roman. Les visites de Johanna et du père ne sont qu’un prétexte pour discourir sur cette ville, ses attractions, effleurer une culture fascinante, ses splendeurs et son art de vivre.
André Girard sillonne cette agglomération avec un enthousiasme contagieux. Il donne envie de partir sac au dos. L’art et la littérature devenant le fil conducteur de ce parcours singulier.
Espérons que l’écrivain fera passer ses personnages par Montréal et Québec. Le voyage étant l’art de l’éphémère, ce serait là une belle occasion de donner de l’étoffe à cette Juliette et ce Roméo de notre époque.

« Moscou Cosmos » d’André Girard est publié aux Éditions Québec-Amérique. 
http://www.quebec-amerique.com/auteur-details.php?id=479

mardi 15 décembre 2009

Des écrivains explorent Montréal

Florence Meney a dirigé ce collectif
Vingt-et-un écrivains du Québec et d’ailleurs, six femmes et quinze hommes, s’attardent dans un site de Montréal. Tous ont choisi un endroit aux couleurs particulières. Ce peut-être un quartier qui nourrit l’écriture d’un romancier, un restaurant ou un bistrot, une place publique. Voir Montréal par les yeux de ces créateurs, c’est se promener entre la réalité et la fiction.
«Et c’est dans ce double mouvement d’ouverture et de résistance que le Québec - et Montréal – se définit. Un équilibre fragile, mais qui finit par faire une identité.» (Aline Apostolska, p.114)
Michel Tremblay et Claude Jasmin explorent un quartier de Montréal depuis des décennies. D’autres sont des oiseaux de passage comme Élisabeth Vonarburg, Kathy Reich ou Philippe Besson qui reviennent régulièrement dans cette ville.
«La gare routière du centre-ville de Montréal, l’un de ses lieux de prédilection, constitue en quelque sorte le reflet de son œuvre, ainsi qu’une source d’inspiration.» (Élisabeth Vonarburg, p.123)
Luc Lavigne est photographe
Yves Beauchemin, carnet en main, s’attarde à la station de métro Berri-UQAM pendant que Bryan Perron devient nostalgique au restaurant Da Giovanni. Plus loin, Jean-François Chassay s’étourdit dans le marché Jean-Talon.
«J’aime beaucoup, plus particulièrement, le marché Jean-Talon, parce qu’il est grand, et surtout sociologiquement très représentatif de Montréal… …C’est un marché à la fois francophone, anglophone et italien. Depuis plusieurs années en plus, il est devenu arabe, asiatique aussi.» (p.204)
Dany Laferrière ne pouvait que ramener le lecteur au Carré Saint-Louis, le site de «Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer».
«Montréal m’appelle. C’est une ville avec laquelle je n’ai pas de distance. C’est la première ville que j’ai connue, à part Port-au-Prince et Petit-Goâve. Elle fait partie de moi.» (p.144)
Chrystine Brouillet sourit près des balançoires du parc Lafontaine et Suzanne Jacob se faufile dans le cimetière Mont-Royal, son espace de silence et de méditation.
Des entrevues permettent de connaître les préoccupations des écrivains et écrivaines, de s’attarder à leur façon de concevoir et de réaliser un roman.
De très belles photographies de Luc Lavigne surprennent les créateurs dans leurs endroits de prédilection.
À souhaiter qu’à la mairie de Montréal et dans plusieurs grandes entreprises de la Métropole on pense à offrir ce livre magnifique aux visiteurs qui débarquent à Montréal pour découvrir le Québec par sa plus grande ville.

«Montréal, à l’encre de tes lieux» de Florence Meney est paru aux Éditions Québec Amérique.

dimanche 19 juillet 2009

Claire Varin tente de revivre son passé


Claire Varin, dans «La Mort de Peter Pan», revient sur un amour de jeunesse. Malcolm Wendell Walker est mort à trente ans. Né de père irlandais et d’une jeune anglophone de Montréal, le jeune homme a péri dans l’incendie d’un appartement. Alcoolique, il buvait jusqu’à s’écrouler sur le trottoir, devenant une véritable épave. Un comportement propre à Jim Morrison des Doors et André Mathieu le compositeur et musicien québécois décédé prématurément, tout comme Jimi Hendrix, Janis Joplin, Bukowsky, Sylvia Plath et Émilie Brontë. Et comment ne pas penser à Jack Kerouac! Des étoiles filantes qui ont marqué l’imaginaire de plusieurs générations.
Claire Varin a aimé cet homme et garde de lui une image qu’elle n’arrive pas à oublier.
«Qu’avais-tu de si extraordinaire pour que, après une vingtaine d’années, je décide d’écrire sur toi, à partir de toi, vers toi, si beau et authentique ? Peut-être que de tous ceux qui ont touché mon cœur, tu es le seul à m’avoir aimée follement tout en m’acceptant comme un être libre. Il fallait que notre arbre grandisse avant que ses fruits ne se détachent de leurs branches.» (p.10)
Malcolm allait de conquête en conquête, se saoulait avec une application quasi religieuse. Un obsédé aux instincts suicidaires. Ce «désir d’anéantissement», Nicole Houde dans «Je pense à toi», son plus récent roman, l’a parfaitement décrit. Une sorte de jubilation accompagne ces plongées qui poussent à la limite du possible. Comme un voyage hors de soi.

Enquête

Est-il possible de «revivre» un amour perdu, d’en préciser les contours et les couleurs? Claire Varin se lance dans cette folle entreprise, rencontre la mère de Malcolm, retrouve des femmes avec qui il a eu des aventures, des amis et des connaissances. Elle remonte dans son enfance, son court séjour à la crèche, questionne sa mère Myrtie, visite des lieux pour retrouver l’ambiance de l’époque, invente un mythe autour d’un alcoolique plutôt difficile à suivre dans ses extravagances. Elle ira jusqu’à tenter de retrouver le père qui n’a jamais été là.
«Je suis la fascinée de la mort, ravie par la vie. Je ne veux pas raconter une histoire pour divertir, mais pour approfondir mon propre mystère. Qui est aussi le tien. « Celui qui meurt est celui qui reste » ; d’accord avec l’auteur anonyme de cet aphorisme. On dit que les morts ne reviennent pas, mais ils reviennent. Toi et moi convenons de l’exactitude de cette assertion notée à mon réveil.» (p.118)
Sa quête entraîne la romancière vers l’ésotérique, des médiums qui savent communiquer avec les disparus, semble-t-il.

La mort

Claire Varin tente de cerner cet homme qui s’est consumé comme une météorite. Elle s’attarde à des cérémonies funéraires à travers différentes époques, se penche sur l’Égypte pour étudier la préparation des momies. Mais comment percer les secrets de la mort qui hantent l’humanité sans se retourner vers soi pour se surprendre dans le miroir?
«Toi, tu es mort à trente ans et ton film se déroule dans ma tête. J’en suis notamment la recherchiste, la scénariste, la réalisatrice et l’une des actrices, celle pour qui le protagoniste s’embrase au point de lui léguer sa vie, sa mort en fait, sur un plateau d’argent.» (p.198)
Roman étrange, réflexion fort intéressante sur l’écriture, les souvenirs qui s’accrochent à la mémoire. Peut-être que les hommes et les femmes ne peuvent s’empêcher d’inventer des fictions en explorant leurs souvenirs pour les protéger comme des momies.
«La Mort de Peter Pan», malgré ses aspects ésotériques, fascine. Une écriture maîtrisée et un regard sur l’art de vivre et d’écrire qui échappe à la banalité. Claire Varin nous laisse sur une question. «Tout ce temps où je t’ai écrit, Malcolm, suis-je allée vers ta souffrance? Toi, tu m’as accompagnée vers la mienne.» (p.213)
Pouvait-il en être autrement?

«La Mort de Peter Pan» de Claire Varin est paru aux Éditions Québec Amérique.

dimanche 7 juin 2009

Le rêve américain a toujours fasciné

Micheline Duff lançait récemment le premier tome d’une saga intitulée «Au bout de l’exil». Un dixième ouvrage pour cette écrivaine qui a publié sept romans aux Éditions JCL.
Rébecca meurt au bout de son sang en accouchant d’un quatrième enfant à Grande-Baie, au Saguenay, en 1880. La région est jeune, la vie y est particulièrement rude. Le couple a trois filles et Joseph, pour nourrir sa famille, travaille en forêt l’hiver et sur la ferme en été.
La mort de Rébecca est l’occasion pour lui de changer de vie. Il en a assez de travailler comme une bête. Il met le feu à sa maison avant les funérailles et s’enfuit avec ses filles pour refaire sa vie aux États-Unis. Il va enfin mettre derrière lui sa frustration et une colère qui le tenaille.
«Rébecca s’était toujours comportée en femme de devoir, plutôt froide et distante. Il l’avait adorée, pourtant, et comblée de petits soins. Mais ses gentillesses semblaient la laisser indifférente. D’une grande beauté, non seulement elle attirait l’admiration et le désir des hommes, mais elle suscitait aussi l’envie des autres femmes sans même sans rendre compte. Chaque hiver, lorsqu’il la quittait malgré lui pour les chantiers, Joseph se languissait d’elle sans bon sens, envieux de tous ceux qui passaient la saison froide à Grande-Baie.» (p,13)

Long périple

Les voyageurs traversent le parc de la Galette, suivant un sentier à peine tracé dans les montagnes, débouchent à Baie-Saint-Paul où vivent les grands-parents Laurin. Ce n’est qu’une étape: Joseph entend s’installer à Lowell où habite Léontine, l’une de ses sœurs.
«J’en ai fini avec ce pays de misère! Je m’en vais aux Etats-Unis. Là où il fait bon vivre», répète-t-il à sa mère. Anne, Marguerite et Camille doivent suivre leur père dans ce long périple qui les mène à Québec, Lévis et Sherbrooke. Ensuite, l’équipage emprunte le fameux chemin Craig qui mène aux États-Unis. Joseph boit pour écraser les remords. Après tout, il a brûlé le corps de sa femme à Grande-Baie avant de prendre la fuite.
Tout près de Colebrook, dans le New Hampshire, la jeune Camille est heurtée par un attelage de chevaux et se retrouve entre la vie et la mort. Les Laurin doivent s’arrêter, le temps que l’enfant recouvre la santé.
Joseph s’engage comme homme à tout faire chez Jessie, une jeune et séduisante veuve. Les filles retrouvent un semblant de vie familiale. Il arrive ce qui doit arriver entre un homme et une femme. Tout pourrait s’arranger, le bonheur s’installer, mais Joseph continue à vider les bouteilles et à imaginer une vie plus facile.

Lowell

La famille finira par atteindre Lowell, par retrouver Léontine la sœur de Joseph, une femme dure et volontaire. Les exilés de la première heure repartent au Canada avec leur pécule pendant que les arrivants prennent leur place dans des usines, travaillent six jours sur sept dans des conditions inhumaines. Joseph déchante. La vie aux États-Unis n’est pas ce qu’il imaginait. Il perd peu à peu contact avec la réalité, abandonne ses filles pour s’inventer un autre rêve impossible.
Marguerite et Anne apprennent à se débrouiller parce que leur père bascule de plus en plus souvent dans l’alcool, sans compter les manœuvres du cousin Armand qui considère ses cousines comme sa propriété privée. Elles ont du ressort et surtout un courage à toute épreuve. La jeune Camille est dorlotée par la famille du médecin qui la soigne et l’adopte à Colebrook.

Bonheur possible

Une fois dans cette saga, il est difficile d’abandonner ces filles qui se battent pour un peu de bonheur et qui doivent composer avec les démons qui hantent leur père. Anne et Marguerite permettent de croire que le bonheur est possible. La suite promet, surtout avec les soeurs qui semblent vouloir se faire une vie aux États-Unis.
«Au bout de l’exil» fait revivre une époque où les Québécois n’hésitaient pas à franchir la frontière pour tenter de se forger un meilleur sort. Une écriture efficace, des personnages fascinants, une action soutenue comme dans les meilleurs suspenses.

«Au bout de l’exil; La grande illusion» de Micheline Duff est publié chez Québec-Amérique.

jeudi 15 mai 2008

Josée Bilodeau nous plonge dans la ville

Le véritable personnage de ce roman de Josée Bilodeau est un quartier de la ville. On devine que c’est Montréal. Un bout de rue, une certaine artère avec tous les personnages qui l’habitent, qui font vivre cet endroit. Avec leurs drames aussi, leurs malheurs comme leurs bonheurs.
Ce n’est pas sans rappeler «Mrs Dalloway» de Virginia Woolf ou encore Marie-Claire Blais dans sa grande fresque qu’est «Soif» et les romans qui ont suivi. Une évocation, un petit air de parenté, rien de plus parce que Josée Bilodeau a bien sa manière de faire, de dire, de montrer les gens. On circule, on se promène d’un bout à l’autre d’une journée du mois de mai qui se prend pour un condensé de l’été. La chaleur colle au corps et au cœur, au cerveau presque. Tout s’échiffe, tout se défait, tout éclate dans un orage fou qui secoue la vie.
Nous allons ainsi d’un personnage à l’autre, ils doivent être une bonne douzaine à se promener ainsi dans le quartier. Des jeunes, des enfants, des adolescents, des adultes qui vivent l’amour, les grands déchirements, des tragédies qui brisent l’être et vous laissent comme un pantin. Parce que la mort frappe aveuglément, la maladie s’installe quand on commence à sentier le vieux, quand tout bascule aussi et que l’on n’ose plus mettre le nez dehors, même quand on étouffe. C’est une journée où l’on prend des grandes décisions de quitter l’homme avec qui on vit depuis trop longtemps, où une rencontre change la vie et permet de croire que l’avenir a le droit d’exister. C’est tout cela que Josée Bilodeau met en scène.

Fresque

A vrai dire, je me réconcilie avec le mot fresque. C’est tout un quartier, une rue qu’elle anime, des drames qui couvent et qui explosent quand la marmite devient trop chaude. Des accusations d’agressions sexuelles qui se formulent, un drame qui bascule, un cuisinier inconscient qui empoissonnent tout le monde et qui change la vie de plusieurs clients. Une jeune adolescente qui vit sa première journée de femme en ayant ses règles et qui a rendez-vous avec la mort sans le savoir.

On se perd dans ce labyrinthe, on finit par s’attacher à certains personnages, on les reconnaît d’un tableau à l’autre, on les suit dans leurs courses ou leurs dépressions. On visite la ville, on sent la chaleur, la vie, les pulsions qui font que la vie change et reste toujours un peu pareil.
Une écriture efficace, sans fioriture, sans complications non plus. Le défi est grand parce que le lecteur a du mal à s’accrocher à des personnages. Pourtant c’est là un portrait de la vie, une tranche de la ville qui s’anime, qui bouge, qui est portée par ses habitants qui souffrent, aiment, pleurent et luttent pour continuer à vivre.
On finit par plonger dans ces courts tableaux, de bondir de l’un à l’autre, avec une hâte et une anxiété particulière. C’est probablement le tour de force que réussit cette écrivaine. Nous faire embarquer dans ce puzzle et nous y accrocher pour suivre tous les personnages qui nous arrêtent et nous bousculent.
L’entreprise était hasardeuse mais Josée Bilodeau relève le défi et embarque son lecteur qui doit accepter de travailler. Ce n’est pas une lecture passive que demande ce court roman. Il faut s’activer, bouger, suivre les personnages, comme si on décidait de passer toute une journée de canicule à suivre des gens dans la rue et dans des logements surchauffés. Tout est en ébullition. Tout est porté au paroxysme. Nous suivons la jeune étudiante qui découvre la ville en tentant l’impossible, décrire la ville, les pulsions de la ville. Et elle trouve tout comme le lecteur qui se laisse emporter et souffler par cette histoire aux mille facettes, aux cent personnages qui vivent l’amour, la peine, la douleur, la passion comme tous les gens doivent le faire dans la vie de tous les jours, dans la vie parce que rien ne peut arriver sans ces grands rendez-vous qui colorent, masquent, emportent et bousculent. Un roman singulier malgré ses parentés, bien senti et qui emporte. Que demander de plus ?

«On aurait dit juillet» de Josée Bilodeau est paru chez Québec-Amérique.

jeudi 17 mai 2007

«Port-Alfred Plaza» laisse un peu perplexe

André Girard est un ami, comme un frère. Nous partageons des moments où il a été question de livres, des bibliothèques ou de sensibilisation des publics à la lecture. J’aime cet écrivain, ne ratant jamais une chance de louanger «Zone portuaire» ou «Deux semaines en septembre». Des portraits inoubliables de La Baie, cette ville du bord du fjord qui s’ouvre telle une fenêtre sur le monde. André Girard connaît le grand souffle des marées, l’appel du lointain, l’arrivée des étrangers, les déchirements des départs. Ses tableaux impressionnistes sont toujours d’une remarquable justesse.
«Port-Alfred Plaza» vient de paraître. Un ouvrage que j’aurais voulu aimer par-dessus tout mais qui me laisse perplexe. Comment dire à un ami que l’on hésite devant son dernier-né.

Un peu d’histoire

Un groupe de l’Université Laval vient à La Baie pour trouver une nouvelle vocation au Musée du Fjord. On doit questionner des intervenants du milieu. Barham, celui qui doit faire le travail, enregistre à leur insu quatre personnages qui hantent la taverne de l’hôtel Port-Alfred. Pourquoi ce choix? Pourquoi ce détournement d’enquête… Où est l’intérêt? Étienne, le narrateur, s’explique, mais reste un peu flou.
«L’intérêt de la chose, c’est que Barham s’était appliqué à toujours enregistrer les mêmes clients, c’est-à-dire quatre habitués qui se retrouvaient jour après jour à la même table, quatre personnages attachants qui racontaient d’une certaine façon l’histoire de leur ville et dont l’authenticité avait fini par m’émouvoir. » (p.17)
Ces témoignages deviennent la pierre angulaire du roman. Lili, Jean-Claude et Monsieur Fernand ont du bagout et de l’élan. Elle rêve à son Miguel du Portugal et Jean-Claude aime raconter ses conquêtes, décrire les femmes qu’il lorgnait par les miroirs de son taxi et de l’autobus. Chacun y va de ses anecdotes et de ses fantasmes. Les «macalous», ces étrangers qui débarquent des bateaux, sont au cœur de ces enregistrements. Tous ont eu des contacts avec eux. Le barbier, le chauffeur de taxi et le travailleur du port, la prostituée pour des raisons particulières.
Il y a aussi Johanna, une invraisemblable femme de chambre, étudiante à l’Université du Québec à Chicoutimi, sujet d’un site porno et gérante de cette entreprise. Elle gagne bien sa vie à ce jeu, mais travaille aussi comme femme de chambre dans cet hôtel de passes. Pourquoi? Peut-être qu’elle est là pour nourrir les fantasmes d’Étienne, tourner certaines scènes et ramasser ses serviettes sales pendant son séjour à l’hôtel Plaza.

Uniforme

«Port Alfred Plaza» est de l’ordre du fantasme. Une obsession des vêtements que l’on taillade et déchire. Le lecteur rôde à la limite de l’agression. Tous sont emportés par un désir de transgression et de détruire un uniforme qui représente l’ordre et un conformisme social.
«J’avoue que j’ai pris un plaisir pervers à bien te serrer les poignets alors qu’elle s’appliquait à insérer dans le cadre les manches bleues de ma propre chemise. Clin d’œil au drapeau tricolore, disait-elle. Une fois tes poignets attachés, dressé derrière toi, je me suis amusé à t’effilocher la manche droite à petits coups d’Exacto. Après coup, j’ai à peine hésité avant de relever tes cheveux pour t’empoigner le chemisier. Ici, nuque dégagée, pointe de l’Exacto à la racine des cheveux, la lame effleure ton col. Parfait, répétait Julie, c’est parfait. » (p.141)
Tout au long de la lecture, on se demande où André Girard nous mène dans cette aventure où il masque l’exploitation de la sexualité et la pornographie.

Le vrai roman

Le plus beau du roman d’André Girard, le plus senti, nous ramène dans la zone portuaire qu’il sait si bien décrire et rendre vivante. C’est ce qui m’a retenu dans cette lecture.
«Non seulement ça fait réfléchir sur l’art, mais surtout sur soi-même, sur le mensonge, sa propre vie, sur plein de petites choses qu’on n’ose jamais dire. Peut-être que moi, dans la vingtaine, j’écrivais pour dissimuler, pour me cacher, peut-être que je n’avais rien à révéler. Peut-être aussi que je n’avais pas envie de les révéler, mes penchants.» (p.168)
Une «révélation» qui donne souvent l’impression de regarder par le trou de la serrure. En plus, André Girard promet d’autres histoires de chambres à Moscou et au Japon. J’usqu’où le pousseront «ces penchants» et cette fascination pour la pornographie et le voyeurisme…

«Port-Alfred Plaza» d’André Girard est paru chez Québec-Amérique.

lundi 14 août 2006

Mourir pour apprécier encore plus la vie

Il y a des textes que l’on abandonne avec un pincement au cœur. Quand cela arrive, je m’attarde à faire durer l’enchantement, à flâner sur la page couverture. Juste pour prolonger le bonheur, avoir la conscience de vivre un moment unique.
Jean-François Beauchemin, avec «La promesse de l’Aube» réussit à nous capter. Il rend amoureux de la vie. On se surprend à surveiller le mouvement de sa main, à aimer le contact des doigts sur le papier pendant la lecture. Comme si on effleurait une épaule ou un bras, comme si chaque mot du récit devenait une capsule de bonheur.
«Un jour, je suis mort. C’était vers le milieu de l’été, le ciel était d’un bleu immaculé.» (p.11)
Quelle façon de piquer la curiosité du lecteur! Qui peut raconter ainsi sa propre mort? La journée était trop belle pour mourir, il faut s’en souvenir.

Petite histoire

Beauchemin vit plutôt bien sa quarantaine quand la douleur le terrasse. Affolement! Pourtant, il garde une étonnante lucidité. Ce sont là ses derniers instants, il en est convaincu. La mort approche, s’impose. Il s’accroche avant de s’allonger pour une dernière fois. Comme s’il devenait témoin de sa plongée vers la fin.
«Je ne sais si j’ai rêvé ceci : à la fin, quand l’ambulance s’est immobilisée, j’ai demandé, juste avant d’entrer dans l’hôpital, qu’on me laisse pendant une minute observer le ciel. C’était le soir, l’air résonnait du chant entêtant des insectes. Là-bas, des enfants jouaient sur le trottoir. Les premières étoiles s’allumaient. La vie continuait, sans moi, me semblait-il déjà. Puis, on a poussé la civière jusqu’aux urgences, et je me suis aperçu que pas une fois je n’avais envisagé une suite à mes jours finissants, une vie après la vie, comme on dit.» (p.13) 
Il restera cinq mois à hôpital, le temps de ramener son corps du côté des vivants. Assez pour apprécier la présence de sa compagne Manon, les liens qui l’unissent à sa sœur et ses frères. Le récit nous entraîne dans ces éclats de conscience, ces absences où Beauchemin bascule dans des rêves et ses souvenirs. Et quand il remonte, il y a ces présences, presque toujours muettes, toujours essentielles.
Une vie l’attend. Un sourire lui montre la route du retour. Il soupèsera le long voyage de sa vie, regardera sa mère et son père, un homme peu loquace mais fort de sa générosité. Un arrêt aussi sur ce qu’il est comme écrivain et d’où surgissent ses histoires. Il rencontre encore la mort. Elle était là tout le temps à rôder, comme si ses écrits prévoyaient cette glissade aux frontières de la vie. Une écriture prémonitoire, dit-on.
Il ne sera plus le même après une telle expérience.
«Lorsque je suis sorti de l’hôpital, j’ai senti cela très fort. C’est un autre moi qui rentrait à la maison.» (p.72)
Plus conscient de l’amour de ses proches qui l’ont accompagné tout au long de cet incroyable retour, il savoure chaque seconde.
Un récit touchant, beau de chaleur et de tendresse, de joie et de bonheur. Une sonate qui fait aimer la vie.

«La Fabrication de l’aube» de Jean-François Beauchemin est paru aux Éditions Québec Amérique.

La vie se construit par les images et le cinéma

Réjane Bougé a grandi devant des bouts de films raboutés par son père. Le cinéma a imbibé son enfance et ces images lui ont tout appris en imprégnant le territoire qui a été le sien. Son père prenait plaisir à capter ici et là des images lors des fêtes familiales et des rencontres avec les amis. Il pouvait aussi s’attarder à des scènes dans les rues de  Montréal. Ensuite, il s’acharnait à faire des montages en se montrant plutôt impatient. Les images prenaient une vie propre et résistaient. La petite Réjane s’est rapidement vue «dans un film» tout en vivant sa vie de fillette qui s’affole facilement devant le monde. À croire que la vie réelle et la vie sur l’écran est la même.
Une passion pour le cinéma héritée de sa tante Réjane, sa marraine. Toutes les deux regardaient «les belles vues» qu’elles pouvaient dénicher à la télévision. Des images, des scènes qui deviendront des références et soulèveront une foule de questions dans la tête de la petite fille.
«Mon amour du cinéma, je le dois surtout à cette Réjane dont le rêve aurait été d’incarner une tragédienne de la trempe de Sarah Bernhardt et qui, en compensation pour ce destin contrarié, gobait un film par jour. En tant que femme au foyer, maîtresse de ses horaires, il s’agissait pour elle, la plupart du temps, d’une activité de fin de soirée.» (p.60)

Parents

Des parents qui vivent ensemble sans vraiment l’être. Une jambe grugée par la gangrène pour son père et une mère qui a perdu un sein. Une mutilation des corps qui hante la fillette. L’organisme reste-t-il entier? Le corps peut-il se défaire?
«Puis je pensai à la jambe qui se bringuebalait dans le coffre et qu’on enroulait dans une couverture de laine comme si elle avait froid et je compris qu’il se vengeait pour ce gros morceau qu’on lui avait tranché. Ne pouvais-je, en retour, lui sacrifier ce petit bout de moi-même? À partir de ce jour, j’eus peur de l’étendue de ses représailles. Devrais-je toujours payer pour son amputation? En ce sens, je crois que sa mort m’a soulagée. (p.48)
Le monde qui se constitue par l’œil, les regards qui se recoupent, s’interpellent et deviennent des sémaphores en passant d’un film à l’autre. Une vie en porte-à-faux, des sourires de comédiens et de comédiennes qui ramènent vers soi. Comme si les films finissaient par devenir des miroirs où Réjane Bougé se scrute et s’analyse.
Elle isole des scènes, étudie des plans de caméra, scrute le jeu des comédiennes, examine la figure de ses idoles, leur manière de lancer une réplique peu importe le rôle qu’elles incarnent. Elle analyse Isabelle Huppert d’un film à l’autre, comparant les plis de ses lèvres, décortiquant son «jeu», comme si l’actrice, pendant toute sa carrière, n’avait incarné qu’un même rôle.
«Ainsi, avant même d’articuler une parole, Isabelle émet une sorte de ouais frondeur qui met tout son corps en retrait et la confirme dans cette position d’observatrice privilégiée.» (p.97)
Réjane Bougé explore Montréal tout en courant les nouveautés, fait revivre des cinémas démolis, nous entraîne à Paris et en Italie où elle séjourne quand sa peur des voyages s'émousse. Elle plonge dans des mondes étranges, revient quadriller son enfance, sa vie de jeune femme qui découvre la passion, la sexualité et l’érotisme par des scènes plus ou moins implicites.

Franchise

Réjane Bougé ne cache rien de ses traumatismes, ses névroses et raconte tout avec une franchise désarmante. Un petit bout de phrase, une évocation, un mot et le lecteur fige.
Des moments émouvants avec sa mère aux soins palliatifs. La dernière scène approche et la fille surveille la peur qui habite cette femme qu’elle regarde en étrangère. Le moment où le mot fin est presque sur l’écran. Elle surveille et c’est sa peur qui la regarde. Plus tard, par le détour de certains films, des documentaires, elle parvient encore à échapper à cette hantise.
Une écriture sobre, sans fioriture qui va à l’essentiel, une franchise que l’on rencontre rarement dans un récit. Un découpage qui ne laisse rien de superflus et qui montre la vie, à l’enfance et aux grandes obsessions existentielles. À ce métier d’écrivaine qui leste la vie et la rend possible.
Un véritable périple dans l’œuvre de Bergman, Bunuel, Cronenberg, Rossellini, Chabrol et Alain Cavalier, le réalisateur de «Thérèse». De Diane Létourneau aussi, la réalisatrice de l’admirable «Servantes du bon Dieu» qu’elle décortique avec les prudences d’un orfèvre. Un documentaire qui est sombré dans l’oubli.
Un livre inspirant, intelligent, qui donne le goût de revoir des dizaines de films qui ont marqué notre parcours. Et, peut-être, le film de sa vie, celui où l’on se retrouve à la fois comédien, réalisateur et scénariste. Le seul documentaire que nous ne pourrons quitter avant la toute fin du générique.

«Je ne me lève jamais avant la fin du générique» de Réjane Bougé est paru aux Éditions Québec Amérique.

dimanche 15 août 2004

Jean Royer se donne un corps par l’écrit

Jean Royer continue à dessiner les territoires de son corps. Après «La Main cachée» et «La Main ouverte», voici qu’il présente «La Main nue», celle qu’il utilise pour caresser les mots et faire en sorte qu’ils s’installent dans le monde et peut-être aussi en lui. L’écrivain remonte à l’enfance, à son état de fœtus pour tenter d’imaginer cette passion des mots, ce désir qu’il a toujours eu en lui d’exprimer le soi dans le monde et le monde en soi.
«Je n’avais pas encore de mots et j’ignorais d’où venait la neige. La voix de ma mère m’était une musique. Étais-je né déjà ? Ou nageais-je dans ma mémoire, sans savoir si j’étais garçon ou fille ? Je n’avais pas de voix, pas de langage à moi. J’étais une oreille et ma mère chantait.» (p.13)
D’emblée, Royer s’installe entre un père silencieux et une mère qui porte le langage. Duo plutôt familier dans nos foyers littéraires. Jean Royer est «né incomplet» si l’on veut, avec une main droite qui n’a pas poussé. Elle est demeurée dans l’utérus maternel. Et ce paternel porté sur la religion comme on peut l’être sur la boisson, s’est senti puni par Dieu dans son fils. De quoi traumatiser le plus coriace des mâles.
«Un jour, pourtant, ce père a consenti à se tourner vers moi sans pleurer. Il m’a jeté un regard inquiet, puis il m’a lancé un mot en point d’interrogation: était-ce le mot «amour»?  (p.15)

Le manque

Royer tente de combler ce manque dans son corps par l’écriture, le langage hérité de sa mère et l’amour. Parce que par l’écriture et le poème, Jean Royer a la certitude de se donner un corps au complet.
«L’intimité du langage m’enseigne le mouvement vers soi, le mouvement vers l’autre. Je renais parmi les fragrances du parfum de rose. J’habite le jardin du faire et du dire.» (p.38)

Jean Royer esquisse sa trajectoire singulière. L’île d’Orléans où il a fondé un théâtre avec Félix Leclerc. Il en a parlé abondamment dans les livres cités plus haut. Après, il a été journaliste, critique littéraire et responsable des pages culturelles au journal Le Devoir. Il s’attarde sur l’entrevue littéraire, sa «critique d’accompagnement» comme il dit. Après, il y aura Gaston Miron et Jean-Guy Pilon, ses autres pères.
«Je deviendrai écrivain : écrivant de la main gauche l’absence de la main droite. Manque de gestes pour m’exprimer et compensation dans le geste d’écrire. Le poème retracera les chemins inconnus, les sensations manquées. Le poème dénouera les nœuds de ce cordon qui étranglait une partie de moi-même.» (p 46-47)

Agacement

Je voudrais bien compatir avec Jean Royer mais quelque chose m’a agacé tout au long de cette lecture. J’aurais voulu aimer ce livre mais la recherche systématique de l’expression qui fait «salon littéraire» m’a rebuté. J’ai eu l’étrange sentiment qu’il écrit en se regardant écrire. Toujours. La prose de Jean Royer a un côté suranné qui gâche le plaisir. Ce qui aurait pu être un récit touchant, senti et vivant devient une suite «d’effets de style» un peu ridicule.  Malgré la gravité du propos, la détresse que l’on sent derrière les mots, je ne suis jamais parvenu à éprouver de l’empathie pour Jean Royer. À trop se regarder écrire, à trop vouloir s’inventer une mythologie personnelle, l’écrivain finit par étouffer son propos.

«La main nue» de Jean Royer est paru aux Éditions Québec Amérique.

jeudi 12 août 2004

Aline Apostolska raconte franchement sa vie


«L’homme de ma vie» d’Aline Apostolska, est un récit audacieux. La journaliste et écrivaine a senti le besoin de revenir sur sa vie en regardant son père droit dans les yeux. Les autres hommes aussi, ceux qu’elle a aimés et accompagnés un certain temps. Elle a revu la petite fille qu’elle était, la femme rebelle et aventureuse qui jamais n’a su dire non, cédant à ses coups de cœur comme à ses coups de tête. Il faut du courage pour empoigner tous les bouts de sa vie et les examiner sans complaisance. Il y a toujours un pourquoi aux gestes et aux événements qui nous ont bousculés et profondémment marqués. Il y a aussi une direction même quand nous croyons que tout s’est arrêté et que plus rien ne peut arriver.
Aline Apostolska ne se défile pas. Tout est dit avec une belle intelligence et un bonheur d’écriture. Elle possède l’art de nous pousser dans les grandes tempêtes de sa vie tout en gardant une certaine distance. Elle y parvient par la distanciation, une phrase glanée dans un livre, un poème qui vient colorer l’événement qui nous est présenté. En s’accrochant à des textes, des écrivains, des livres qui sont là comme des bouées, elle apporte un autre éclairage. Cette écriture donne une justesse particulière et un poids à ce récit qui aurait pu basculer dans une suite d’aventures épidermiques plus ou moins épicées. Aline Apostolska évite le piège et garde un niveau réflexif élevé malgré les confidences les plus intimes, les descriptions les plus charnelles.
«J’écris pour ne plus être seule. Et quand je finis un livre, la seule chose que j’espère est que la personne qui va le lire se sente un peu moins seule. Qu’elle se sente importante, démasquée, rejointe, au plus secret d’elle même. Sinon, c’est que j’aurais dupé le lecteur en me dupant moi-même. C’est que je n’aurais pas écrit avec ma chair. Si le papier n’est pas la peau du cœur, la somme des mots gravés là ne fait pas un livre, ou bien ce livre n’est qu’un vulgaire objet.» (p.95 )

Un miroir

Et la voilà qui nous bouscule dans ce que nous avons cru bon de faire de notre vie. Elle dérange, respire et rejette toutes les contraintes. La grande aventure, c’est la vie, l’amour, le désir même au risque de s’y briser. Il ne faut jamais dire non sans avoir expérimenté, sans avoir plongé et connu.
«Rencontrer quelqu’un c’est retrouver la part la plus invisible, la plus inconsciente  de soi-même, à travers l’autre,» (p.171)
De sa naissance à son arrivée à Montréal, d’une aventure amoureuse à une autre, Aline Apostolska se tient sur la corde raide, fidèle à cet instinct qui l’a toujours protégée. Skopje, Montpellier, Madrid, Sydney et Alger. Il y aura aussi Paris, Orléans, Bruxelles et Montréal. Il y a les lieux et des hommes.

L’instinct

Aline Apostolska sent avec son corps, suit ses pulsions et trouve une pensée dans le désir. La rebelle, l’aventurière est une migrante. Elle aurait pu être danseuse, elle écrit. Elle a travaillé dans les médias et est devenue journaliste et éditrice. Elle se croyait arrivée, installée et elle a tout abandonné. La vie est mouvement, la vie est devant.
Bien sûr, elle insiste beaucoup sur la figure du père, l’homme qui a marqué la princesse qu’elle croyait être. Une figure, un modèle, un homme qui l’a poussée hors du nid sans jamais la juger. C’est le plus tendre du récit!
Malgré cette franchise, Aline Apostolska demeure mystérieuse et fascinante. Elle nous retient du début à la fin, nous livre des pages magnifiques sur ses fils qui lui apprennent tout à chaque jour. Elle touche ce qu’il y a de plus important, de plus vrai: l’amour et la vie.
«Qui suis-je finalement, si je ne suis plus la fille, sœur, amante, mère, épouse? Qui est la femme que je suis devenue? Qui est ce moi que je jette en pâture, comme on jette les choses au feu? Moi existe-t-il? Au fond, vous et moi n’avons guère plus d’importance que la feuille qui s’envolera avec le vent d’automne.» ( p.205)
Aline Apostolska est une Shéhérazade qui sait nous en dire juste assez pour nous retenir, qui dévoile presque tout de sa vie tout en préservant des mystères. Des récits captivants, sensuels et vrais.

«L’homme de ma vie» d’Aline Apostolska est paru chez Québec Amérique.