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lundi 29 avril 2024

JULIEN GRAVELLE RETROUVE À LA FORÊT

UN NOUVEAU Julien Gravelle, If, un roman tout neuf, où l’écrivain retrouve la forêt dans une saga «familiale» qui met en scène quatre générations des Malençon. Tout cela dans un monde qu’il connaît bien, le nord du Lac-Saint-Jean, le secteur de Girardville où il habite. De l’année 1921, avec Léopold, jusqu’à Tania en 2023. Des vies de père en fils et en fille, des premiers colons et des trappeurs à aujourd’hui. Surtout, ce grand territoire boisé honni par les curés qui y voyaient un espace où la raison se perd, où le mal et les pulsions animales ont le champ libre. Toute cette beauté et cette liberté qu’ils cherchaient à contenir dans des clôtures et des rangs bien droits pour maîtriser les élans du corps et des esprits.

 

Léopold m’a rappelé le premier ouvrage de Julien Gravelle, Nitassinan, où des frères s’exilent dans la forêt pendant les longs hivers pour trapper les bêtes à fourrure, vendre le tout au printemps pour faire des sous. Ce sont les mêmes personnages qui reviennent dans cette fiction de Gravelle. Sauf qu’ils ont changé de nom. Dans son premier roman, Léopold et Onésime étaient des Simard. Une histoire de Caïn et Abel en Amérique, la confrontation du sédentaire et du nomade qui ne pouvait que mal se terminer. Les Malençon sont aussi présents dans Les cowboys sont fatigués.

Léopold adore la forêt et ne respire bien que dans son «campe» qu’il a construit de ses mains malgré la solitude, le froid et la dureté des jours qui exigent toutes ses énergies. C’est un colérique qui déteste que les objets lui résistent. Il est très rude avec ses bêtes. Son frère Onésime l’a accompagné le temps de défricher son lot. Il rêvait d’un village, d’une église, d’influencer le cours des choses. Tout le contraire de Léopold qui n’aime pas avoir des gens autour de lui et surtout qui tolère mal qu’on lui dise quoi faire.

 

«Onésime venait chercher en ces bois le financement qui permettrait son installation. L’été, il bûchait son lot, arrachait les aulnes, labourait, pour que naisse au cœur des terres boréales une verte campagne canadienne-française. Pendant la saison froide, il collectait les peaux et les échangeait au retour contre des lames de scie, des clous, un peu de barbelé, toutes ces choses nécessaires à l’établissement d’une ferme.» (p.12)

 

Léopold échappe à la mort de justesse, grâce à une petite chienne qu’il a violentée plus souvent qu’à son tour et à une famille innue qui campait dans les parages. Ils l’ont sauvé d’une fin horrible et il passe le reste de l’hiver avec eux pour se refaire une santé et revenir du côté des vivants. Sa vision du monde et des choses sera transformée. Le fait de frôler la mort et le quotidien avec cette famille innue changeront tout. Surtout, il découvre ces «sauvages» qui ont si mauvaise réputation, des êtres bons qui savent compter les uns sur les autres pour survivre dans ce monde souvent hostile.

 

«Lui, l’enfant de Charlevoix, a compris quelque chose de nouveau sur la vie dans le bois, une idée qui est aussi ancienne que le bois lui-même, mais que personne ne lui a jamais apprise jusqu’à alors. La vie en forêt en est une de solitude, mais pas d’isolement. Il est reconnaissant de pouvoir compter à présent sur un voisinage de gens fiables et travaillants. Ils pourront en dire autant de lui à présent.» (p.37)

 

SIMÉON

 

Le fils de Léopold, Siméon, est tout le contraire de son père. Il déteste la forêt et c’est un châtiment pour lui que de devoir y vivre. Il tremble à l’idée de se retrouver seul dans une cabane. Il doit s’y résoudre pourtant pour fuir l’armée qui embarque les jeunes en âge d’aller se faire tuer en Europe par Hitler et les nazis. Nous sommes en 1944. Beaucoup de célibataires ont choisi de disparaître en s’enfonçant dans les bois pour échapper aux militaires qui sillonnaient les campagnes. On dit même que la caverne du Trou de la fée à Desbiens a accueilli ces déserteurs. La bonne fée ne serait qu’une fille du village qui apportait des vives aux réfugiés. 

Siméon se trouve seul avec sa peur, des pulsions qui lui font perdre la tête. Rapidement, il n’arrive plus à séparer le réel de ses fantasmes. La forêt peut devenir l’espace de toutes les obsessions quand on se retrouve dans le bois, coupé des autres. 

 

«Siméon est malade presque tout le temps et la nuit, le souvenir d’Odette lui cause de nouvelles pollutions nocturnes. Il faut dire que les fantaisies imaginaires auxquelles il soumet son idylle ne peuvent mener à autre chose. Siméon inviterait le diable lui-même à sa table pour avoir quelqu’un avec qui échanger, mais à l’évidence, il est déjà là.» (p.58)

 

Il ne pourra vivre cette terrifiante solitude, triompher des heures qui figent, de ses fantasmes et de ses obsessions. Autant aller à la guerre pour ne plus être seul. Il fuit le campe après une nuit terrible où il a l’impression d’avoir été sacrilège et d’avoir forniqué avec le malin.

 

LYNE

 

Sa fille Lyne veut faire sa vie comme elle l’entend. Un bel Italien arrivé récemment dans le pays la courtise et une excursion dans un camion tout neuf dans la forêt tourne mal. Le couple, après les élans de la chair, doit se résoudre à passer la nuit dans le bois, affronter les moustiques qui ne laissent pas un moment de répit. Elle découvrira ce qu’elle croit être le secret de son père, de cet hiver où il a croisé le diable en personne. Un terrible événement qu’elle devra taire pour ne pas entacher la réputation familiale.

Cette folle nuit bousculera sa vie. 

Julien Gravelle, encore une fois, touche deux approches qui cohabitent difficilement quand il est question de la forêt et des milieux naturels. Il y a ceux qui souhaitent protéger et garder le côté sauvage de ces espaces et ceux qui ne voient que des chantiers, des arbres que l’on transforme en deux par quatre. Ces deux points de vue se sont heurtés lorsque l’on a voulu construire des barrages sur la rivière Ashuapmushuan. Pour une fois, les environnementalistes ont triomphé. 

Denis se range du côté des saccageurs de la forêt. Il s’arrange pour que Dino, le soupirant de Lyne, déguerpisse. L’intimidation, la violence, tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins. Pour sauver la face, Lyne, enceinte, après la fuite obligée de Dino, accepte de l’épouser. Il la traite comme une bête domestique. Pour lui, un arbre, un boisé d’épinettes blanches et de cyprès n’a de sens que si tout est rasé et devient de l’argent. Et les humains ne sont pour lui que des objets.

 

TANIA

 

Reste Tania, la toute dernière, fille de Dino et Lyne. Elle déteste Denis plus que tout au monde. Son père par substitution a été impitoyable avec elle. Et la voilà enceinte après bien des errances et des expériences plus ou moins douloureuses. Elle retrouve le campe et perce le secret de Siméon qui a pesé si lourd dans la vie de sa mère. La fatalité est levée pour ainsi dire et Lyne prendra les grands moyens pour que les Malençon relèvent la tête. Je n’en dis pas plus, mais la solution passe par l’if du Canada, cette plante à la fois médicinale et toxique qui donne le titre au roman.

 

«Ça a bien profité à Denis, puisqu’en mariant Lyne il a hérité du tiers des lots à bois de son père, des hectares de forêt primitive intacte. Il les a fait bûcher et a bâti sa fortune sur ces premiers revenus. Tania le déteste. Il lui en a fait baver, cet homme-là. Elle se concentre sur le doux murmure du vent qui berce la tour pour ne plus y penser et s’abîmer dans la houle.» (p.119)

 

Un roman captivant et «pas fait pour les faibles», répétait Léopold. Des histoires où les femmes se faufilent et finissent souvent par avoir le dernier mot. C’est surtout les immenses territoires qui s’imposent avec toutes les musiques que le vent peut y inventer, les beautés des lacs et des rivières, les flancs des montagnes d’épinettes comme des tableaux, la nature dans ce qu’elle a de plus extravagant et de fascinant. 

Julien Gravelle adore le bois, ces vastes espaces où les humains ont multiplié les saccages au cours des ans, rasant tout ce qui y poussait. La haine de la forêt vient de loin. Dans l’imaginaire occidental, c’est le refuge des esprits maléfiques, des fantasmes et des obsessions. Toute l’entreprise de la colonisation est une guerre contre les arbres, le monde intact et sauvage.

Julien Gravelle nous surprend encore une fois avec son art de raconter, de nous dire combien il aime son pays d’adoption et les gens qui y vivent et se débattent en oubliant la beauté de leur environnement. Ça m’a touché profondément. Je l’ai déjà écrit, Julien Gravelle, dans ses fictions, me donne souvent l’impression d’avoir connu mes frères qui ont rasé des territoires immenses. Ils savaient aussi que les plantations de petites épinettes ne pourraient réparer le gâchis. J’ai été l’un des leurs pendant des années. Je me souviens, nous étions pénalisés monétairement si nous laissions un arbre debout dans les lieux d’abattage. La coupe à blanc obligatoire. Nous étions alors des faiseurs de déserts et les blessures que j’ai infligées à la forêt dans le parc de Chibougamau avec mes frères, même en Abitibi, sont encore visibles. Quand on aperçoit de l’argent dans les branches d’un pin ou d’une épinette, tout peut arriver. Un saccage que Louis Hamelin aborde dans son dernier roman Un lac un matin où il suit les traces de Henry David Thoreau. Déjà, on voit que le massacre s’organisait et était planifié en 1845. Cette guerre a transformé l’Amérique et tout le continent. Nous n’avons malheureusement pas échappé à ce désastre environnemental.

 

GRAVELLE JULIEN : If, Éditions Leméac, Montréal, 152 pages.

 https://www.lemeac.com/livres/if/

jeudi 7 mars 2024

LA TERRIBLE AVENTURE DE LA VIEILLESSE

COUP DE VIEUXune pièce de théâtre de Larry Tremblay, vient d’être présentée au Trident de Québec. Avec Jacques Girard, Sylvie Drapeau, Jacques Leblanc, Marie Gignac, Linda Sorgini et Thomas Boudreault-Côté. Une mise en scène de Claude Poissant. Ce spectacle sera offert aux Montréalais dans le mois à venir. J’adore lire du théâtre, une histoire ou une tragédie qui se tisse sans artifices, par les dialogues, la parole de quelques personnages qui s’imposent dans des répliques qu’ils se renvoient comme une balle de tennis. J’aime le théâtre depuis toujours. C’est le théâtre qui m’a poussé vers la littérature. Les premières tentatives de texte que j’ai réussi à rédiger étaient pour la scène.

 

Je suis sensible aux œuvres des dramaturges du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Michel Marc Bouchard, Larry Tremblay, Dany Boudreault, Daniel Danis dont je n’ai plus de nouvelles depuis trop longtemps et quelques autres. Quels beaux moments j’ai vécus avec Le peintre des madones de Michel Marc Bouchard ou encore Abraham Lincoln va au théâtre de Larry Tremblay. Des instants de grâce, certainement mes textes favoris de ces deux dramaturges. Et que dire du Langue-à-langue des chiens de roche de Daniel Danis? Époustouflant.

Larry Tremblay, au théâtre comme dans ses romans et récits, reste un grand observateur de la nature humaine, de ses obsessions et de ses folies. Surtout, cette violence qui sommeille dans chacun de nous et qui peut nous pousser au pire dans certaines circonstances. Je pense à La hache ou encore à L’orangeraie. Ce n’est jamais anecdotique chez Tremblay et après chaque contact avec l’une de ses œuvres, je me retrouve tout croche. 

Tout comme je suis sorti sonné, récemment, après avoir visionné Lucie, Grizzly et Sophie d’Anne Émond, d’après La meute de Catherine-Anne Toupin. Une plongée dans les pulsions dévastatrices qui hantent notre monde et le détruit.

Cette fois, Larry Tremblay, s’attarde au vieillissement, une loi de la nature qui soumet tout ce qui «vit et palpite» sur la planète Terre. Tout ce qui doit mourir pour que les espèces animales et végétales se reproduisent, se développent et évoluent. 

Le dramaturge nous place devant cette fatalité qui frappe tous ceux et celles qui ont la chance de vieillir, de durer même si les facultés ou les aptitudes cognitives et physiques s’amenuisent. Une fatigue générale s’installe avec le temps, plie les femmes et les hommes peu à peu et fait en sorte qu’ils ont de plus en plus de mal à faire face aux petites tâches quotidiennes.

 

TEXTE

 

Trois femmes et trois hommes se débattent avec les ratés du corps et de l’esprit. Tout se défait doucement autour d’eux et, qu’ils le veuillent ou non, ils se retrouvent repliés sur eux, prisonniers d’une certaine façon, parce qu’il n’y a plus de passé et surtout pas d’avenir pour eux.

 

«L’action principale des personnages est de vieillir. L’arrivée d’un nouveau personnage est marquée par un “numéro d’entrée” et amorce un “coup de vieux”, amenant les personnages déjà présents sur scène à vieillir autant que lui. 

La scénographie participe de ce vieillissement accéléré. En ce sens, elle est aussi un personnage, se transformant de façon continue ou s’appuyant sur les numéros d’entrée des personnages. Elle représente au départ un lieu chaleureux, lyrique, accueillant qui évolue vers le sanitaire, le pratique, l’impersonnel, le vide, l’inconnu.» (p.8) 

 

Tout un programme que suggère Larry Tremblay dans cette courte note. Comment mettre en scène le vieillissement, faire en sorte que l’on soit témoin de ce phénomène qui se produit devant nous en accéléré? Je ne sais trop pourquoi, j’ai pensé à l’éclipse solaire totale du 8 avril prochain qui risque de nous rendre aveugles si on a l’imprudence de lever la tête et de regarder cet évènement sans prendre certaines précautions. Se retrouver face à la dégénérescence est-il dangereux, fatal?

Nous voilà prévenus. 

Vieillir, c’est perdre petit à petit son autonomie, composer avec certaines maladies, des trous de mémoire, l’isolement parce que les amis disparaissent et que l’aventure du couple prend souvent fin abruptement. 

Les enfants sont happés par leur propre tourbillon et ne viennent presque plus les voir. Tous se retrouvent dans la plus terrible des solitudes avec leurs lubies et leurs obsessions qui s’accentuent à mesure que le temps les cerne. Même la parole fait défaut, l’esprit s’enraye et la surdité fait que l’on est de plus en plus loin de ses proches. Comme si le corps se repliait sur soi et qu’il coupait l’une après l’autre les amarres qui nous lient au réel et à l’aventure qui a été la nôtre.

 

«Tu vas penser que je me fais des idées, j’ai l’impression de disparaître. Enfin, de commencer à disparaître. Des petits bouts, tu vois. Je l’ai remarqué avec mes mains. Mais ça s’étend. Et dernièrement, je me suis demandé si je n’étais pas justement raciste. Parce que je ressens un léger sentiment d’envahissement. Il y a tant de gens maintenant qui arrivent ici et moi je prends de moins en moins de place. Tu comprends?» (p.21)

 

Vieillir oui, s’enfoncer dans son corps comme dans un lieu étranger, se recroqueviller pour être privé de l’espace et ne plus être qu’un regard peut-être. Et dans les ultimes moments, au bout de la course, dépendre des autres pour ses besoins primaires et essentiels. Largués pour tout dire, à la dérive, semblable à un morceau de bois sur une rivière sans que l’on ne puisse plus rien contrôler. Il y a quelque chose de terriblement humain et de dramatique dans les dernières répliques de Coup de vieux. J'ai avalé de travers.

 

«WILLIAM.    Tu suis les conseils de ton médecin?

   PIERRE.      Ce n’est plus nécessaire.

   LUCIE.        Tu as repris tes promenades dans le parc?

   PIERRE.      Il n’y a plus de parc.

   WILLIAM.    Tu n’as pas bonne mine.

   PIERRE.     Parce que j’ai un trou dans la tête.

   ADÈLE.      Tu manges bien? Tu suis ta diète rigoureusement?

   PIERRE.     Ne vous inquiétez pas, tout cela n’a plus d’importance.» (p.57)   

 

REGARDS

 

Larry Tremblay effleure des phénomènes qui secouent notre société et que nous subissons sans pouvoir y changer quoi que ce soit. Le conflit des générations, par exemple, des jeunes qui accusent leurs parents d’avoir été des irresponsables et des prédateurs, ce qui n’est pas totalement faux. Il faut l’avouer, le groupe des boomers auquel j’appartiens a connu des moments formidables de prospérité, de liberté et d’insouciance. Nous en payons le prix maintenant avec les soubresauts climatiques et les bouleversements sociaux. Tout ça provoqué par un développement sauvage axé sur le gain et l’exploitation des ressources naturelles sans se préoccuper des conséquences. Nous avons inventé la pollution, vidé les océans, participé à la course à la richesse en profitant sans vergogne du tiers monde qui est devenu le fief des multinationales. 

Le dramaturge ne se transforme pas en prédicateur. Il effleure ces problématiques le plus sobrement possible, par le biais de ses personnages qui se replient délicatement sur eux-mêmes. À peine s’ils peuvent formuler une remarque ou une réflexion.

 

«On veut changer le monde et on finit par changer de sexe. On en est rendus là.» (p.45)

 

Des constats, des propos refoulés qui surgissent au grand jour avec le temps. Tout doux, pianissimo comme sait le faire si bien Larry Tremblay. 

Formidable questionnement sur le vieillissement, les pertes que l’humain doit accepter avec le plus de lucidité possible. Réflexion aussi sur les grands enjeux de notre époque, la vie qui devient de plus en plus pénible, difficile avec des conflits horribles, des comportements que nous pensions bien avoir éradiqués avec la fin de la Deuxième Guerre mondiale. 

Et quand la planète prend la dimension d’une chambre, il ne reste que des pulsions primaires : la faim, le sommeil, un certain confort. Il n’y a plus que le «je», le soi, le moi dans un univers passablement détraqué. 

Le texte de Larry Tremblay progresse sur le bout des pieds et nous laisse dans la plus inquiétante des solitudes. Pour moi qui avance vers ce grand âge, c’est comme si Larry Tremblay me présentait un miroir et me disait de bien me regarder, de bien évaluer mes obsessions, mes peurs, mes espoirs et mes rêves. Surtout, prendre conscience que tout ce qui m’a fait courir pendant tant d’années n’était peut-être pas si important. Tout ce qui compte dans les derniers spasmes de la vie, c’est d’être là, de respirer, avec ses ratés et ses manques. Un texte et des moments bouleversants. 

 

TREMBLAY LARRY : Coup de vieux, Éditions Leméac, Montréal, 64 pages. 

https://www.lemeac.com/livres/coup-de-vieux/

jeudi 16 novembre 2023

BÉDARD RACONTE LA QUÊTE DE SA VIE

J’AI BEAUCOUP aimé les ouvrages de Jean Bédard, particulièrement Maître Eckhart et Nicolas de Cues. Je ne dois pas être le seul parce que ce sont des livres importants qui se démarquent par leur profondeur et leur pertinence. Pourtant, je ne l’ai guère suivi au cours des ans. Et voici qu’il nous offre Grimper sur des lambeaux de lumière, un titre intrigant, poétique, assez étrange pour me titiller et chercher à savoir où il en est rendu dans sa quête. Un essai qui tient à la fois du récit et qui nous permet de mieux saisir l’homme et surtout, l’exploration que fut sa vie. Un livre qui m’a touché, remué même si je n’ai pu m’abandonner au fil de l’histoire. J’aurais eu l’impression de glisser sur une surface dure, de glaner un mot ici et là, sans jamais plonger dans la richesse et la profondeur du propos de ce penseur original. J’ai dû prendre de grandes inspirations, revenir sur mes traces pour saisir la quintessence des dires de l’écrivain. Comment ne pas s’attarder à certaines phrases pour en découvrir toute la pertinence et la justesse? Parce que Jean Bédard questionne, se confronte, se bouscule, reste le plus fidèle possible à sa poussée vers la vérité, une certitude plutôt. C’est là l’entreprise de toute sa vie.

 

Jean Bédard nous entraîne d’abord dans son enfance pour parler du petit garçon qui a fait ses premiers pas à Montréal et qui ne se distinguait guère de ses voisins de l’époque. Très près de sa mère et de sa sœur, il connaît des moments heureux dans le giron familial. Le père, un peu plus secret, plus en retrait comme bien des hommes de cette époque, semblable à mon père qui laissait toute la place à ma mère qui ne manquait jamais de nous étourdir avec ses bourrasques de mots. Une enfance ordinaire pour un garçon né au début des années cinquante, dans une société qui s’apprêtait à muter avec la mort de Maurice Duplessis et la glissade dans ce que nous avons nommé la Révolution tranquille. 

 

«Je n’ai pas le sentiment d’avoir eu une enfance malheureuse ou heureuse, c’était plutôt comme dans l’église : les couleurs jouaient dans la poussière et l’obscurité, des taches rouges, jaunes, vertes, bleues virevoltaient comme des oiseaux et ça passait. Tout passe.» (p.16)

 

Tout sera bien différent quand il doit s’éloigner du cocon familial pour se joindre aux jeunes de son âge, qu’il se retrouve dans une école de quartier où il amorce sa scolarisation. Il vivra ce moment comme une rupture effroyable, une forme de trahison presque de la part de sa mère qui le laisse dans un milieu hostile et étranger.  

 

«À la fin de me six ans, maman me conduit à l’école. Elle me rassure, “Tout va bien se passer”, mais elle m’abandonne dans la cour. Je la vois partir. Je panique. Je grimpe en haut de la clôture carrelée et hurle. Un géant en soutane noire me transporte sur son épaule comme une poche de patates, il me dépose rudement sur une chaise dans une classe, et il y a un grand rire collectif. J’hésite. Je pense. J’attaque. Je tire la langue en faisant des gros yeux de chat. Une super grimace. Toute la classe fige, puis éclate d’une sorte de rire que je n’avais encore jamais entendue. J’en suis la cause. C’est peut-être à ce moment-là que j’ai connu ma première décision consciente. À l’école, lorsqu’on rirait de moi, j’allais en rajouter, faire des singeries pour me rendre plus niais et on me ficherait la paix. Mais on ne m’a pas fiché la paix.» (p.10)

 

Tout le contraire pour moi. À six ans, bientôt sept, au début des années cinquante, je voulais plus que tout aller à l’école, m’éloigner de la maison familiale pour échapper à tous les interdits que ma mère tressait autour de moi. L’école fut ma première libération. J’y gagnais le droit d’avoir des amis, de parler aux voisins de mon âge et aux voisines. Surtout, de m’amuser avec eux. Tout ce qui était défendu chez nous. Ma mère voyait tout, comme le Dieu du catéchisme, et cela me perturbait énormément. Comme si elle devinait ou savait à l’avance ce que nous inventions avec mes frères et mes neveux.

 

MALHEUR

Ces années du primaire deviendront un enfer pour Jean Bédard. Il sera le souffre-douleur de la classe et se refermera comme une huître, ne parlant presque à personne. Il n’apprendra rien et on finira par croire qu’il est idiot et qu’il n’y a rien à faire avec lui. À cette époque, on abandonnait volontiers des jeunes à l’école et on les laissait dériver sans trop s’en préoccuper pourvu qu’ils ne perturbent pas les élèves. J’en ai connu quelques-uns au primaire.

Un oncle, un frère de la congrégation du Sacré-Cœur, changera tout en l’entraînant au juvénat. Un véritable miracle se produit alors, l’enfant fermé, solitaire s’ouvre et découvre les beautés qui l’entourent.

 

«Au juvénat m’attendaient deux religieux qui allaient sauver ma vie et mon esprit : l’un par la pédagogie du bon sens, l’autre par sa voix de ténor. Par le premier, j’ai réussi à entrer dans les livres comme dans un refuge, par le deuxième, j’ai réussi à respirer à l’air libre comme un oiseau.» (p.27)

 

Plus rien ne sera pareil. Il étudie et envisage de devenir frère enseignant. Très croyant alors, sa vie lui semble toute dessinée devant lui. Rien ne sera simple cependant. Jean Bédard n’ira jamais d’un point à un autre sans remous ou turbulences. Il quitte la vie religieuse et s’efforce de faire sa place, rencontre une femme, mais le quotidien reste difficile et surtout, sa soif de vérité, sa volonté de trouver un ancrage qui lui prouvera que la vie vaut la peine d’être vécue et qu’elle a un sens, l’obsède. 

Enseignant en Abitibi, travailleur social, ermite, étudiant, lisant tout ce qu’il déniche, cherchant et tentant de vivre le plus près possible de la nature et des grandes leçons qu’elle ne manque jamais de donner. Il vivra des expériences particulières, s’abandonnant à certains guides qui le manipuleront, regroupera des gens autour de lui qui réussiront à le tromper et à le trahir. Il vivra des transes et à des voyages astraux même qui l’emportent dans une autre dimension.

Rien de facile pour lui ou de définitif. 

Il finira par trouver sa voie, étudiant en solitaire, en vivant avec une compagne, en retrait du monde et de ses turbulences. La vie toute simple que j’ai cherchée en m’installant dans une grande maison de ferme au bout d’un rang à La Doré où je pensais cultiver la paix, écrire et me donner un élan. Ce ne fut jamais le cas. Il y avait toujours quelqu’un qui débarquait pour m’empêcher de lire et de travailler comme je l’aurais souhaité. Jamais je n’ai été moins seul qu’en vivant à dix kilomètres du village sans un voisin. La vie nous réserve des surprises du genre. La maison où je devais écrire tous les livres ne m’a jamais permis d’aligner une phrase.

 

VIE

 

Une existence de recherches et de réflexions pour Jean Bédard, pour trouver des vérités qui rassurent et guident. Fervent croyant tout en refusant les bornes de l’église, voilà le cheminement d’un individu exceptionnel qui incarne peut-être, à sa façon, le glissement d’une société traditionnelle et religieuse vers une vie personnelle où chacun doit esquisser ses convictions et planter ses propres balises. Un parcours admirable et fascinant. Une ascèse qui mobilise toutes ses énergies et qui se montre plutôt exigeante et sans partage, souvent décevante aussi, il faut le dire, quand il fait confiance aux humains. 

Grimper sur des lambeaux de lumière est un livre à méditer, à lire et à relire pour s’imbiber d’un passage, d’un moment de recueillement ou encore de suivre une pensée sinueuse. C’est avec une belle lenteur que nous devons aborder les propos de Jean Bédard, sinon nous risquons de ne rien comprendre à cette démarche originale. Tout un parcours de vie, une prospection sans cesse recommencée et une réflexion qui permet de trouver la paix dans la solitude et la plénitude de la nature qui apaise et apporte ce que nous nommons toujours avec une certaine prudence : le bonheur. 

 

BÉDARD JEANGrimper sur des lambeaux de lumière, Éditions Leméac, Montréal, 200 pages.


http://www.lemeac.com/catalogue/3017-grimper-sur-des-lambeaux-de-lumiere.html?page=1

jeudi 21 septembre 2023

WILHELMY LIBÈRE LES CORPS ET L’ÂME

AUDRÉE WILHELMY nous propose une fois de plus un monde familier qui prend les dimensions d’un conte ou d’une légende. Cette écrivaine a le don de nous intriguer avec des titres qui sonnent un peu étrangement. Je pense à Blanc Résine, son ouvrage précédent, qui nous poussait dans un milieu où la vie instinctive et sauvage confrontait l’existence plus policée des villes et villages. Sur la page couverture de Peau-de-Sang, une robe. Bretelles, bustier, corsage étroit, jupe qui s’évase sur plusieurs épaisseurs, créant un cocon ou une sorte de refuge. Le vêtement flotte dans l’espace, rayonne, brille tel un ostensoir. Ce dessin de l’auteure vient certainement de son expérience tout à fait particulière avec les tissus et la confection de toilettes qui lui a permis de s’inventer des personnages et des aventures, j’imagine. La plumeuse s’occupe des oies, des jars et des canards qu’elle dénude, prélevant aussi les fourrures des animaux sauvages pour tanner la peau et en faire autant avec toutes les défenses des humains. Avec Peau-de-Sang, tous peuvent se montrer dans toutes les dimensions de leur être et de leur âme. 

 

Peau-de-Sang tourne au milieu des plumes qu’elle arrache après avoir ébouillanté les volatiles, de viandes, d’odeurs âcres et faisandées. Un monde de fragrances, de potions et de concoctions qui étourdissent dans ce lieu où la vie et la mort se retrouvent face à face. 

Ce n’est pas sans me rappeler des scènes de mon enfance. Quand arrivaient le printemps et les jours plus doux, il fallait s’occuper de la viande que nous conservions dans le hangar pendant la saison froide. Les quartiers étaient débités. Deux longues tables dans la cuisine chargées de cubes de porc et de bœuf. L’odeur et les bocaux que ma mère remplissait et faisait bouillir dans une grande bassine. Le temps du cannage. C’était comme si tous les repas à venir étaient là, en attente d’une fête ou tous les oncles, tantes, cousins et cousines seraient convoqués. 

La plumeuse apprête les fourrures des bêtes qu’apporte Sulfureur, le chasseur et trappeur tout en gardant l’œil sur un orphelin qui découvre son corps sans trop savoir qu'en faire. Des hommes de la petite ville, des notables se dirigent vers cette maison qui s’ouvre sur la rue comme une scène de théâtre où l’intime et le privé se montrent sans pudeur. Tous viennent se masser devant la grande fenêtre pour secouer des désirs qu’ils refoulent dans les murs de leur foyer et n’osent vivre dans le refuge de leurs chambres. 

Il faut le répéter : un établissement chargé de graisses fondues, de chair, de viandes marinées, d’oies suspendues qui déclenchent des pulsions chez ceux qui se faufilent dans cet antre où les vêtements collent à la peau, où l’on transpire et sue. Un monde où les mâles s’abandonnent à leur instinct en faisant fi des interdits. La plumeuse virevolte, danse, généreuse de son temps et de son corps, provocatrice et libératrice, aimante, experte du plaisir qu’elle attise en toute conscience. 

 

LIBERTÉ

 

Un monde de ripailles où l’on peut satisfaire toutes ses faims, ses instincts et ses pulsions comme Audrée Wilhelmy le propose souvent dans ses ouvrages. Un lieu où certains libèrent leur âme, triomphent des traumatismes de l’enfance, expriment les fantasmes qu’ils gardent secrets, surtout quand ils occupent un poste bien en vue dans la communauté. 

Tout passe par le corps qui souffre des interdits qui empêchent de se dire dans la plus totale des allégresses et des abandons. Peau-de-Sang plume les oies et prélève la peau des renards, les écorche et cherche la source de la vie. Elle fait de même avec les hommes qui convoitent les tendresses qui couvent sous les épaisseurs de ses jupes, de ses robes qui lui permettent de jouer tous les rôles. Parce que les vêtements prennent l’humeur du bonheur et de la joie, comme celles de la tristesse et du deuil.

 

«la buée gonfle dans la plumerie à mesure que j’amplis la bassine d’eau chaude, un rideau mat se forme sur les vitres; les hommes assemblés de l’autre côté de la fenêtre imaginent mes derniers vêtements tomber au sol, ils jouissent, se poissent les mains; je bouge comme une flamme à travers la vapeur tandis que le notaire remonte de la basse-vile à la haute, le feu aux joues

— le feu au corps

      aussi

— Pierre, petit Pierre

— saisi par sa concupiscence

— il se retourne souvent

— trois, cinq fois» (p.24)

 

Voilà une maison où le passant surprend l’intime, le privé, la plumeuse qui se sait vue et désirée, jouant de son corps comme une musicienne virtuose. Elle tourbillonne devant les hommes qui ne demandent qu’à la toucher dans sa beauté et sa sensualité. Ils regardent, soupirent et se découvrent dans leurs hésitations, leurs faiblesses et des pulsions qu’ils n’osent jamais laisser aller. De témoins, ils peuvent devenir agissants en entrant dans cette maison où tous les fantasmes et les amours peuvent exulter. Le maire, le médecin, le notaire, le chasseur qui abandonne ses espaces sauvages et a besoin de repos et de plaisirs après des jours dans la forêt à traquer sa solitude. S’y réfugient aussi de jeunes filles qui veulent plus que tout habiter les territoires de leur corps dans la plus belle des libertés. 

Une scène où tous peuvent se projeter dans les rituels de la plumeuse, se perdre dans les épaisseurs de ses robes qu’elle enlève comme les pelures d’un fruit défendu. Peau-de-Sang rameute les hommes, écoute, excite, prend, mord, provoque, évente les secrets. Elle franchit les interdits de l’enfance et peut-être tous les refus que l’on étouffe sous des vêtements que l’on porte, non pour se protéger, mais pour empêcher ses appétits de s’exprimer librement. 

 

«c’est une affaire de corps, pas de tendresse, rien de l’affection quotidienne n’est en jeu; c’est l’idée d’une femme libre, le danger, le défi, les hommes aiment se heurter à plus ensauvagés qu’eux; ils ignorent mon nom et le pays d’où je viens, parfois ils pensent que j’ai toujours été ici, d’autres fois ils se demandent si j’apparais et disparais à ma guise, toute la plumerie surgie les jours de désir puis avalée ronde par le sol, jusqu’à leur prochaine visite» (p.106)

 


INTERDITS

 

Une société repose sur une foule de tabous, de désirs étouffés et de rencontres ratées. Peau-de-Sang s’offre à tous sans exception et réussit ainsi à percer tous les secrets de la cité et de ses habitants. Elle connaît les manies, les amours refoulés, les satisfactions que certains se donnent dans le silence des maisons closes. 

Je me suis amusé à croire que la fonction de certains individus dans la ville vient des couches d’interdits qu’ils exhibent dans leurs vêtements trop lourds. Le médecin et ses blocages tout comme le notaire ou le maire. Pas de religieux dans le roman de madame Wilhelmy, de geôliers de la morale, du désir et du plaisir. La plumeuse et un curé n’auraient pu que difficilement se côtoyer.

 

«son rire épais emporte les carcasses des oies, les flammes, mon propre rire, mon ventre, ma joie; la plumerie déborde, il fait chaud, j’ai devant moi deux choses sauvages, exaltées; je monte sur une chaise et décroche la bête

— quelques gouttes de sang ont souillé les planchers

— et les murs et les meubles

— n’est-ce pas le notaire, de l’autre côté de la vitrine, qui étouffe et s’effondre

    je soupire : cette journée est longue d’hommes agités entre leur désir et leur peur» (p.60)

 

Tous finissent dans l’antre de Peau-de-Sang avec, aux creux du ventre, une douleur qui vient de loin, des peurs et des interdits qui garrottent l’âme. Là, enfin, ils peuvent s’abandonner aux gestes de l’amour avec cette femme qui incarne tous les fantasmes et les désirs dans des odeurs de sang, de sueurs et de chair faisandée. 

 

VIVRE

 

Elle finira par pousser le notaire et le médecin à accepter leurs fantasmes, aidera un jeune à trouver son chemin tout en faisant des erreurs. Tout en n’oubliant jamais, elle qui possède le droit de vie et de mort sur les bêtes, qu’elle devra payer son dû un jour, un peu plus tard, dans un avenir rapproché. Le moment venu, elle accueillera le tout en toute sérénité, alors que son corps ploiera sous les fatigues de tant de plaisir et de jouissance et que Philomène pourra prendre la relève. 

 

«tout est mort dans la plumerie, les oies, les vers à soie, le rat dans son piège; je pends entre mes bêtes, cheveux et corps et mains, mon visage basculé vers le plafond, mes yeux avalés par la pénombre

— la Yaga allume les becs de gaz

   tout ce qu’elle distingue dans la lueur du quinquet, ce sont mes côtes, mes seins élongés, ce qu’il reste d’une jupe blanche; du sang tombe en gouttes noires sur les viscères empilés, sur les carcasses des oies, sur le cou mince des jars qui s’amoncellent près de l’étal» (p.187)

 

UNIVERS

 

Un roman fascinant. Audrée Wilhelmy fouille dans les recoins cachés de l’âme des hommes et des femmes pour en exhumer les fantasmes, les pulsions et les désirs. Elle nous entraîne encore une fois dans un milieu sauvage, nous saoulant d’odeurs de chair, de sang, de viande morte et de plumes qui volettent un peu partout. Un monde où les corps exultent et repoussent tous les héritages pour s’affirmer dans la beauté du présent. 

 

«il tend la robe sur mon tronc et ses mains se remplissent de plumes, il cherche son air, les murs de la chambre se referment sur lui et les tissus l’avalent; l’opium, d’un coup, bascule du côté de la terreur : c’est une longue noyade dans des marées de satin, d’organza et de popeline; il voudrait crier, mais il a depuis longtemps perdu sa voix sous les plaintes de Victoire et les joies tambourinantes de ses filles

— il va se rendormir

— est-ce qu’il peut trouver le chemin pour franchir le pays confus de l’opium?

    Il sait que je suis la seule voie de sortie» (p.147)

 

Tous marqués par l’enfance et des événements qui font claudiquer dans une vie d’adulte. 

À noter la forme de ce roman qui tient du conte et de la légende, où les personnages se croisent, lancent une phrase tour à tour sans prévenir. L’écrivaine fait éclater les corsets de la langue pour exprimer la belle liberté de la plumeuse qui use de son corps et de la parole. L’histoire se fragmente et un chœur intervient, des voix venues de nulle part comme si toute la population de Kangog racontait cette épopée et en précisait les éléments. Le récit se brise pour se reconstituer dans une prose qui sollicite l’odorat, le toucher, le regard et l’ouïe, cerne l’être dans toutes ses dimensions. Un roman puissant qui fait fi de la morale et qui joue de la chair, du désir et de la sensualité dans ce qu’elle a de plus beau et de plus fascinant. 

La vie pour être pleine et satisfaisante fréquente la mort qui finit par tous nous emporter. Parce que nous sommes un corps qui doit s’abandonner à toutes les faims comme à la fin qui n’épargne personne. Peau-de-Sang est la première à le savoir.

 

WILHELMY AUDRÉEPeau-de-Sang, Leméac Éditeur, Montréal, 204 pages.

http://www.lemeac.com/auteurs/485-audree-wilhelmy.html