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lundi 5 novembre 2018

MIRUNA TARCAU NOUS BOUSCULE

MIRUNA TARCAU propose une étrange expérience avec L’apprentissage du silence. Élisabeth et David, un couple improbable, m’ont déstabilisé avec les rebondissements de leur histoire singulière. Je ne comprenais pas trop où l’écrivaine allait au début. Je ne lis jamais la quatrième de couverture et si je l’avais fait pour une fois, cela m’aurait grandement facilité la tâche. Ça m’apprendra. Après tout, c’est là une clef qui permet d’ouvrir la porte et d’entrer dans la maison. J’aurais compris que le roman se déroule à l’envers comme dans L’étrange histoire de Benjamin Button où le héros naît vieux pour redevenir un enfant. D’abord une nouvelle de Francis Scott Fitzgerald, ce texte est devenu un film de David Fincher qui a connu un beau succès. Miruna Tarcau part de l’époque contemporaine pour nous abandonner au début de la colonie française en Amérique.

Je suis conscient que nombre de lecteurs n’embarqueront pas dans les étranges migrations de ce couple qui échappe au temps et au vieillissement. L’écrivaine nous demande de nous avancer dans un monde qui m’a fait penser à celui d’Albert Langlois de Daniel Grenier dans L’année la plus longue. Ce personnage échappe au temps pour traverser les siècles à partir de la Conquête de Québec en 1760 jusqu’à la période contemporaine. Il y gagne une forme d’immortalité, mais surtout une terrible solitude qui est peut-être le pire des châtiments qu’un humain peut endurer. Madame Tarcau emprunte la direction contraire et remonte les cercles du temps.
Qu’on le veuille ou non, nous sommes ancrés dans notre époque. Tous piégés par la pensée qui balise notre milieu à la naissance, des idées qui guident tous les comportements. Il y a un monde entre les normes qui hantaient mon enfance et la société de maintenant. Chaque époque possède des tabous, des balises, des craintes et aussi s’appuie sur de grands rêves. Il faut une formidable originalité pour s’arracher à ces carcans et voguer dans un espace qu’il faut inventer jour après jour. C’est peut-être là le travail de l’écrivain que de chercher des sentiers parallèles, que de tourner le dos aux idées dominantes pour trouver une autre manière de voir et de respirer.

FUITE

Élisabeth et David quittent Montréal pour une question d’argent et de fraudes, on ne sait pas trop. Ça n’a guère d’importance. Ils vivaient dans un milieu fermé, une sorte de ghetto avec des préjugés qui se manifestaient dès qu’ils s’aventuraient en dehors de leur quartier.

L’affaire se compliqua lorsque le camp des talons hauts se mélangea à celui des pantalons pour offrir des rafraîchissements et des petits fours. À mesure que se multipliaient les compliments à l’hôtesse, dont l’absence n’intriguait d’ailleurs personne, Élisabeth s’aperçut que toutes ces remarques formaient des variations limitées sur les mêmes thèmes. Aucun domestique n’était digne de confiance, les enfants n’apprenaient rien à l’école, on déplorait le lent déclin de l’Occident. (p.15)

Le couple se retrouve en Argentine, un pays où tout peut devenir possible. Les voilà dans l’envers du monde qu’ils ont connu au Québec. Élisabeth devient gérante de bordel. Nous sommes loin de la petite bourgeoisie de Montréal et des rencontres dans les salons cossus. Les filles, l’alcool, les militaires, parce que c’est la dictature, rien ne semble les perturber. Les deux ne sont jamais taraudés par des questions de morale ou d’éthique. Le bien et le mal ne font pas partie de leurs bagages. Ils s’adaptent sans trop faire de vagues, plongent dans une nouvelle langue et oublient presque celle qu’ils parlaient il n’y a pas si longtemps à Montréal.
MILIEU

Les individus, dans l’univers de madame Tarcau, se transforment et mutent selon le milieu social et l’environnement humain. Élisabeth et David deviennent des Argentins et peuvent très bien côtoyer les militaires, exploiter de jeunes femmes qui doivent se prostituer et danser. L’argent n’a pas d’odeur, on le sait. Tout comme ils se retrouveront aux Indes, parfaitement à l’aise dans la peau du colonisateur.

Élisabeth s’habitua vite à entendre les Argentins se traiter de couillons quand ce n’était pas de pendejos, de culeados, ou encore de cagônes. Il ne lui serait jamais venu à l’esprit de traiter les habitués de Women First de poils pubiens. Elle voyait encore moins envoyer l’un d’entre eux se laver le trou du cul ou bien sucer une couille, comme on entendait fréquemment dans les environs. Mais à présent que Montréal était derrière eux, elle réalisait à quel point ses anciens voisins avaient la bouche propre et l’esprit tordu. Encore qu’elle ne fut pas si propre que ça, leur bouche. Ici, à Buenos Aires, elle n’avait encore entendu personne se référer à Samuel comme à une « personne de couleur », Negrito, moreno, oui. Niega, jamais. (p.34)

Le couple se perd, se retrouve et mute selon les époques. Lui devient médecin et se retrouve dans les colonies où il vit en grand seigneur avec une nouvelle épouse et ses enfants. Élisabeth de retour à Montréal, ouvre une sorte d’accueil pour les enfants abandonnés avant de devoir reprendre la route et retrouver David.
En remontant le temps, David adopte un jeune garçon : Friedrich Nietzsche. Le jeune homme a déjà écrit toute son œuvre. C’est plutôt étonnant, mais nous remontons le temps, faut jamais l’oublier. David, avec la collaboration de Karl Marx, travaille à installer une société socialiste dans les Antilles, une utopie qui a fasciné l’auteur de Zarathoustra. Il faut lire Victor-Lévy Beaulieu dans sa fantastique incursion du côté de Nietzche pour comprendre à quoi fait allusion madame Tarcau.

La scène se poursuivit ainsi jusqu’à ce que Franz ouvrit un tiroir où était rangée la correspondance de David, en tête de laquelle se trouvait cette fameuse lettre. Son contenu s’avérait être fort compromettant. Dans ce document, David se disait prêt à financer la création d’un parti communiste allemand, pour peu que Herr Marx ainsi que Herr Engels acceptassent de le seconder dans la création d’un état socialiste dans les Antilles françaises. (p.142)

Nous n’en sommes pas à une surprise près. Élisabeth deviendra nonne et mère supérieure d’une abbaye et même sera une sérieuse candidate à la sainteté. Après le bordel, le couvent, pourquoi pas.
Le tout se terminera à l’époque de la Nouvelle France, au début de la colonie alors que tout était à faire et à recommencer, avec l’ombre de Voltaire en plus et d’autres personnages célèbres.

MÉMOIRE

La fameuse mémoire… Comment fonctionne la mémoire quand le temps file à l’envers ? Ce qui a été n’est plus. Les personnages doivent continuellement se réinventer et apprivoiser une terrible solitude de plus en plus difficile à vivre.
Je n’ai pu m’empêcher de penser aux difficultés des émigrants qui quittent leur pays, des habitudes, des croyances, une langue pour s’installer dans un milieu où ils doivent tout effacer et réapprendre. Ils perdent leurs références, des manières de faire, des liens familiaux et ont la tâche terrible de s’inventer une nouvelle identité. Comment devenir un autre en quelques années ? Certains y parviennent rapidement et d’autres pas du tout. Parce qu’il faut redevenir un enfant en quelque sorte pour apprendre une nouvelle société et changer dans sa tête.

L’absence de truchements l’inquiétait au plus haut point. Cette communauté rassemblée à la hâte ne verrait jamais naître une cohésion sociale tant qu’il n’existerait pas de langue commune qui permettrait aux travailleurs de vivre ensemble. Tout en déplorant cette lacune, David lui-même ne s’était cependant jamais donné la peine d’apprendre le créole. (p.150)

L’histoire de l’humanité est marquée par ces déplacements, ces bouleversements d’être. C’est le cas de ceux et celles qui arrivent au Québec et qui se retrouvent fort démunis, surtout quand ils ont dû quitter un lieu où il n’était plus possible de penser et de respirer. Le dépaysement est d’autant plus fort qu’ils ont été forcés de faire un bond dans le temps à cause de guerres sans fin ou de catastrophes naturelles. Tous doivent alors changer de peau et travailler à devenir d’autres hommes et d’autres femmes.
Nous embrassons là toute la problématique des émigrants. Les individus finissent toujours par s’adapter, à se mouler aux habitudes et à la langue du plus grand nombre, mais cela provoque des heurts très souvent.
Le roman de Miruna Tarcau demande un effort particulier. J’avoue m’être un peu égaré dans les dédales du temps, me demandant souvent où j’allais et dans quoi cette écrivaine voulait m’entraîner. J’ai compris qu’il fallait se laisser aller pour voyager, pour tout apprendre comme le jeune homme ou la jeune femme qui cherchent à se faire une place dans sa société.
Miruna Tarcau réussit à déstabiliser et c’est fort heureux, à nous faire migrer dans notre tête en suivant ces personnages singuliers. Un texte qui prend des directions inattendues avec cette écrivaine originale. Apprendre le silence, c’est peut-être apprendre à se glisser dans un milieu sans provoquer de vagues et de remous. Se taire pour mieux entendre et mieux parler, pour s’adapter à de nouvelles vies et changer de peau.


L’APPRENTISSAGE DU SILENCE, un roman de MIRUNA TARCAU publié chez HASHTAG ÉDITIONS, 2018, 196 pages, 20,95 $.


vendredi 26 octobre 2018

MATHIEU SIMARD TOUCHE LE COEUR


MATHIEU SIMARD, une fois de plus, nous prend par la main avec Les écrivements. Inutile de chercher ce mot, vous ne le trouverez pas dans le dictionnaire. Ce terme est l’invention d’une petite fille nommée Fourmi, une petite voisine de Jeanne qui joue à lire dans son carnet même si elle ne connaît que quelques lettres. Une belle occasion de laisser aller son imagination sur ces fragments où Jeanne s'attarde à ses grandes et petites douleurs après le départ de Suzor, son compagnon, son amoureux, l’homme de sa vie, celui avec qui elle a connu le pire et le meilleur. Elle écrit pour se calmer et comprendre peut-être ce que la vie lui a fait. Souvent, on « voit » mieux en écrivant qu’en parlant. C’est mon cas. J’écris, donc je pense. Une habitude de glisser sur les mots, de secouer des phrases pour trouver un ancrage à ses jours et se donner un élan.

Mathieu Simard semble avoir un faible pour les histoires d’amour malheureuses. Dans Ici et ailleurs, paru en 2017, Marie et Simon tentaient de se retrouver après la mort de leur fille. Jamais ils n’arrivent à sortir la tête hors de l’eau, même en tentant de se couper de leur passé dans un nouveau village qui dissimule bien des drames et des secrets.
C’est encore le cas dans Les écrivements. Suzor et Jeanne n’arrivent pas à oublier leur séjour en Russie. Une mission secrète du gouvernement canadien, une collaboration avec ce pays communiste alors que personne en Occident, du moins officiellement, ne parlait avec les Soviets. Ils devaient faire un stage dans les mines, partager des savoirs et des manières d’exploiter leurs ressources. Ils vivront plutôt l’horreur, un drame épouvantable et inexplicable dans la neige et le froid, au pied de la « montagne de la mort ». Une expédition qui a tourné au tragique, des visions d’horreur. Lui en revient complètement obsédé, incapable d’oublier, cherchant à comprendre.
Et le désastre arrive. Suzor part, quitte Jeanne, s’éloigne pour ne plus revenir. On ne perd pas l’homme de sa vie comme ça sans que tout ne soit bouleversé, sans claudiquer dans sa tête et son corps.

Quand Suzor est parti il y a quarante ans pour ne jamais revenir, je me suis promis de l’oublier, parce que le souvenir de lui l’autorisait à exister et que je ne pouvais pas concevoir qu’un homme qui existe ait pu me faire aussi mal. Pendant les semaines qui ont suivi, je me suis employée à brûler tout ce qui pouvait me faire penser à lui. Photos, lettres d’amour, chapeaux, vêtements. La moitié de notre chambre. À la fin il ne restait que le garde-robe de la chambre d’amis, qu’il avait rempli au fil des ans de choses inutiles. Je n’avais plus la force de le vider, j’en ai vissé la porte contre le cadre. (p.33)

Elle continue à respirer bien sûr, mais il y a une blessure en elle qui ne guérira jamais, habite les décombres de sa vie, voit des amis une fois par année, leurs amis.
Comment ne pas s’attacher à cette octogénaire qu’elle est devenue, à la « ma tante » d’un peu tout le monde, de ces amis qu’ils voyaient et qui lui rappellent son état d’humaine et de femme. Sa terrible solitude  aussi, le désastre de ses jours et des années.

Suzor n’avait que trois amis, qu’il connaissait depuis l’enfance : Skip, Jean-Luc et Robert-comme-sur-l’affiche. Les origines de leur amitié étaient floues et l’histoire changeait chaque fois que j’osais poser la question. Un jour ils étaient de simples copains d’école, le lendemain ils étaient des agents secrets à la solde d’une puissance étrangère, formés pour ressembler à des Québécois, le surlendemain ils étaient la même personne portant différents déguisements. Le secret de leur amitié était très simple : ils ne se voyaient presque jamais. (p.18)

Jeanne apprend, lors de l’une de ces fêtes, que Suzor est atteint par la maladie d’Alzheimer, le mal de l’oubli. Elle a voulu ça toute sa vie, mais ne peut rester là à ne rien faire, amorce alors une recherche, j’allais dire une quête. Où est-il, qu’a-t-il fait pendant ces quarante années ? Voilà la manière qu’a trouvée Mathieu Simard pour replonger dans le passé du couple, nous faire comprendre ce qui l’a détruit, nous rapprocher de ces êtres singuliers.

VIEILLESSE

Ce que j’ai aimé surtout, c’est le portrait sans complaisance que l’écrivain fait de Jeanne qui s’avance dans les filets de la vieillesse, vit les malaises d’une femme qui voit le temps se recroqueviller, prend conscience que son avenir est un sentier de plus en plus étroit.

La vérité, c’est que je suis une octogénaire irritée par la sénescence, qui survit à coups de pilules avalées chaque matin, renouvelées à tout jamais, à prendre avec de la nourriture. L’arrière-goût poudreux de la maladie ne s’efface qu’au moment d’aller me coucher. C’est ça, la vérité. Mais je dis rarement la vérité. (p.24)

Fourmi, après avoir déménagé avec sa famille, revient en jeune fille, pour comprendre, pour se calmer peut-être. Et voilà qu’elle plonge dans les recherches de Jeanne. On comprend alors que les angoisses de la vieille femme peuvent rejoindre aussi celle d’une jeune fille qui débute dans la vie et qui a du mal à se faire confiance.

ASPERGER

J’ai aimé comment s’y prend Mathieu Simard pour s’approcher de Suzor, cet homme doté d’une intelligence supérieure, un peu mal équipé quand même pour faire face à l’usage des jours, un peu asperger certainement, de ceux qui ne lâchent jamais quand ils s’intéressent à un problème ou un événement. Il se perd souvent dans des lubies, comme celle de construire un abri antinucléaire avec de vieux autobus. Une obsession qui a frappé l’Amérique dans les années cinquante alors qu’un peu tout le monde craignait la bombe atomique.
Et l’homme de Jeanne est parti sans laisser de traces. Il a fait ça toute sa vie. Sa famille d’abord pour les oublier, son frère qu’il a renié et Jeanne et d’autres. Les deux enquêteuses l’apprendront lors de leurs voyages et certaines rencontres, finiront par savoir où l’homme se terre.
Les retrouvailles doivent se faire aussi, ça arrive dans les meilleures histoires. Sinon, je serais le premier à m’en plaindre. On ne lit pas des centaines de pages, surtout après avoir tout misé sur des personnages attachants, sans avoir le droit de savoir. Quel bonheur en plus quand l’aventure vous étonne.
« La dernière rencontre », ça aurait pu être le titre de ce roman, arrive aux Îles de la Madeleine, ce croissant de verdure et de sable dans le golfe Saint-Laurent, ce bout du monde, ce commencement de tout peut-être.
Les écrivements m’a permis de m’abandonner à une écriture qui m’a laissé un peu tout croche. Suzor et Jeanne se sont aimés à la folie et les voilà l’un devant l’autre. Ils se saluent, marchent, l’un à côté de l’autre sur la plage. Lui ne sait plus, lui tente de jouer à être autonome et y arrive avec son intelligence. Il a toujours fait cela en quelque sorte, duper les autres. Jeanne ne brusque rien, l’accompagne, silencieuse comme elle l’a été toute sa vie avec lui, comme elle devait l’être aux côtés de cet homme autour duquel le soleil tournait.

C’est d’abord le claquement de la serrure que j’entends, puis une quinte de toux. Si le temps n’est pas important ici, c’est sans doute parce qu’il ne cesse de s’arrêter. Entre chaque son, chaque déclic, chaque mouvement de la lumière contre la paroi de la porte, le silence, l’immobilité et le vide. Quarante ans sont passés plus vite que ces secondes. Une goutte de pluie sur mon épaule. Un fil de poussière soulevée au loin. Suzor. (p.231)

Mathieu Simard y est d’une justesse et d’une précision remarquable. Ça vibre, ça touche.

ÂME

L’écrivain explore l’âme humaine, la folie, la violence et l’horreur, la fidélité, l’amitié au-delà des clichés et des aléas de l’âge. Il réussit l’exploit de se faufiler dans la tête des gens qui claudique dans la dernière courbe. Suzor a perdu de grands morceaux de sa vie. Jeanne aura tourné pendant quarante ans autour de ses écrivements sans parvenir à guérir.
La vie sans le lestage du passé n’est peut-être pas une vie. Il faut le poids d’une histoire pour s’accrocher, des amours, des douleurs pour se quitter et se retrouver, se regarder, se voir, penser, marcher l’un à côté de l’autre pour aller dans une même direction, dans ce qui sera peut-être leur dernière sortie.
Jeanne retrouve un homme qui s’est défait de ses obsessions et de ses hantises. Il est là, dans une certaine paix, dans une terrible solitude aussi.
Et cette histoire d’amour, de séparations, de douleurs et de fuites se termine par une phrase qui m’a touché au cœur et à l’esprit. Je suis resté là, le livre entre les mains, ne pouvant répéter que cette petite réplique de Jeanne. Sans arrêt. J’avais l’impression d’être un immense gong qui prolonge un son à l’infini. Une phrase tellement juste, belle, qui dit tout du roman. Je la répète et ça fait presque mal dans ce matin gris et venteux où je tente de mettre fin à cette chronique.
« — Viens, Suzor. On va s’oublier ensemble. »
Pas oublier, mais s’oublier l’un et l’autre. C’est à verser une larme. Voilà la grande tragédie de la vie : s’oublier.


LES ÉCRIVEMENTS, un roman de MATHIEU SIMARD publié chez ALTO, 2018, 240 pages, 23,95 $.
  
https://editionsalto.com/catalogue/les-ecrivements-matthieu-simard/

mercredi 17 octobre 2018

ISABEL VAILLANCOURT S’ACCROCHE

ISABEL VAILLANCOURT publie un carnet chez Lévesque Éditeur, dans la collection Carnets d’écrivains qui permet d’aller au-delà de l’écriture et de la fiction. L’écrivaine affronte la solitude, le froid de l’hiver, la neige et surtout la maladie de son homme qui s’éloigne tout doucement. Une glissade de la mémoire que pas un médicament ne parvient à stopper. C’est toujours terriblement perturbant que de vivre les derniers moments de quelqu’un qui a été bien droit dans vos jours, de voir qu’il ne réagit plus à votre présence. Ça va aller nous convie dans l’intimité d’Isabel Vaillancourt qui s’accroche à la vie avec toute l’énergie qui est la sienne.

J’ai participé à l’atelier donné par Robert Lalonde au Camp littéraire Félix il y a deux ans. C’est devenu, au fil des ans, le rendez-vous pour ceux et celles qui s’intéressent à l’écriture de l’intime et du carnet. Isabel Vaillancourt était là et tout comme moi, elle tournait dans ses doutes et ses questionnements. Je travaillais une version de L’Orpheline de visage et ne savait plus quel chemin prendre. La formule de l’atelier veut que nous lisions des extraits de notre travail tous les soirs, à l’heure de l’apéro. Nous y allons à tour de rôle et c’est une façon de tester son écriture, de se sensibiliser aussi à l’autre. Isabel lisait et à vrai dire, je ne me souviens plus très bien. Il y a un monde entre un projet d’écriture et le texte que l’on coince dans un livre. Tout comme elle n’a pas dû reconnaître mon Orpheline si elle l’a lu.
Je me souviens qu’il y avait deux livres dans son projet, un roman amusant et un récit plus intime. Tout comme il y avait deux textes dans mon Orpheline. Je m’égarais au milieu du manuscrit pour retrouver mon chemin après pas mal de détours. Après des discussions avec Robert Lalonde et les autres participants, j’ai sorti mes ciseaux et retranché tout près de 70 pages. Je me suis souvenu de Gaston Miron qui répétait quand il en avait l’occasion qu’il « ne doit jamais y avoir deux poèmes dans un poème. » Comme quoi l’écriture est souvent bien plus une question de soustraction que d’addition.

LUTTE

Isabel Vaillancourt lutte malgré la maladie qui cloue son mari sur un lit d’hôpital. Son homme, son ombre, l’écho de sa voix, la main tendue quand il y avait hésitation. La maladie fait qu’il n’est plus conscient de ceux qui viennent lui rendre visite. Le corps dérive tout doucement dans une autre dimension.

À arpenter Sainte-Bernadette, ma rue, mon refuge, encore et encore, ce chemin que nous foulions, bras dessus, bras dessous, mon chéri et moi. Au temps où il avait encore tous ses sens, avant la chambre d’hôpital. Sa raison dans les limbes. A-t-il conscience du temps qui file ? De ses forces qui, petit à petit, le fuient ? Les jours, les soirs, les nuits se pointent à sa fenêtre. Je l’y trouve parfois. Voit-il tous ces voiliers qui glissent sur le lac Osiko ? Il regarde, mais c’est comme s’il tournait le dos à ce qu’il a tant aimé. (p.17)

La narratrice pourrait se tourner vers son passé, raconter sa vie avec toutes les grandes et petites aventures. C’est la direction que prennent bien des écrivains. Isabel Vaillancourt reste discrète sur la vie de son mari et la sienne, regarde en arrière juste ce qu’il faut. Comme tout le monde, elle a une boîte pleine de souvenirs.
Elle préfère le présent cependant, habiter cette nouvelle solitude qu’elle doit domestiquer, trouver de nouveaux réflexes et de nouvelles manières d’être.
L’instant présent, le jour, le temps d’une respiration, d’un battement de cœur, la lumière du soleil dans le jardin, au bord de la fenêtre. L’hiver avec le froid qui endort la ville, la rue qui veut la piéger, la neige qui dresse des montagnes dans son entrée et s’amuse à sculpter son jardin.

Ma chaise de jardin, en imitation de fer forgé, accumule son poids de neige. Beautiful, cette parure. Ses bras se gonflent jusqu’à la démesure avec cette blanche épaisseur. Ça lui donne un air de yéti. Il a plu, la nuit dernière, puis le mercure a subi une surprenante dégringolade. Le tout a emprisonné la « créature » dans une gangue de glace, comme pour accompagner ma solitude jusqu’au printemps. (p.45)

Le froid qu’elle tient à l’œil et qu’elle bouscule, apostrophant le lecteur ou ce quelqu’un qui devient son confident.
Les oiseaux s’approchent. Toutes ces boules de plumes se nourrissent dans le plus fou des froids. Ces ailes viennent secouer les secondes dans la lumière crue des matins de janvier. Et ce cardinal, cet égaré, cet oiseau d’été, cet éclopé peut-être, qui ne devrait pas être là.

Ils sont bien une trentaine à la mangeoire. Des bruants à couronne, des mésanges, des geais bleus, des durbecs des pins. Que de couleurs ! Que de  gazouillis ! Que de grâce sur mon cœur ! Ils se gavent et moi, l’âme au ravissement, je déjeune en les admirant. Mais… mais mais… là, oui là, à gauche : un oiseau d’Église ! Oui oui : un cardinal ! D’un rouge vif ! En Abitibi ! Un immigré, aux couleurs cappa magna ! (p.73)

Ça m’a rappelé le merle qui s’est retrouvé dans une de nos mangeoires au milieu de décembre. Il est demeuré autour de la maison pendant tout l’hiver, s’accommodant des mésanges et des sizerins, prenant son tour dans la mangeoire malgré les gros-becs fort nombreux et tellement affamés.

PRÉSENCE

Isabel Vaillancourt aime la musique dans la maison, cette présence qui arrive à secouer sa tristesse et à faire oublier le grand absent. Et l’écriture, bien sûr. Pas un carnet d’écrivain n’oublie de faire un détour par les mots. C’est obligé.
Étrangement, Isabel Vaillancourt écrit devant la télévision, les informations en continu et les malheurs du monde qui défilent.

Ressentir pour écrire ensuite. Pourquoi écrire ? Pour laisser aller les choses, pour ajouter de la distance entre ce qui fut inéluctable et le présent. Parce qu’on finit par se sentir bien dans ce présent, bien que l’on s’en sente coupable à cause de la perte de l’autre. Ou parce qu’on traverse des passages à vide et que ça finit par peser, du vide. L’ennui pourrait durer, marquer les journées de drabe. Tout dépend de quelle manière on arrive à faire la part des choses, me dis-tu. (p.106)

Comment fait-elle ? Ce serait assez pour me rendre fou et ne plus arriver à faire tenir une phrase debout. Il me faut le silence, beaucoup, et elle a besoin de ces images, de ces voix, du monde qui s’agite. Peut-être à cause de son travail dans un hôpital comme infirmière, je ne sais pas. Pourtant, comme journaliste, j’écrivais dans la cohue et le brouhaha.
J’apprivoise les mots, avec juste le bruit de mes doigts sur le clavier et aussi des oiseaux, pas les même que ceux d’Isabel Vaillancourt, mais des mésanges surtout qui vont et viennent avec mes mots et les heures. Parfois aussi la chatte noire, la curieuse, qui vient dans la porte et regarde si je ne dors pas. Je n’arrive jamais à lui expliquer ce que je fais là pendant des heures devant un écran.

ÉCRIRE

Écrire, c’est lire avant tout. Je l’ai souvent répété et le réitère encore. Isabel Vaillancourt garde sa pile de livres tout près, à portée de main et d’œil. Elle y puise comme un pêcheur qui va au large, dans sa barque, pour s’arrêter dans une baie et jeter sa ligne à l’eau. Il y a Kafka, Tolstoï, Colette, Peter Handke, les bons messieurs Nietzsche et Proust... Pas beaucoup de Québécois.
La lecture veut qu’on passe d’un écrivain à un autre. Un lecteur ne cesse d’agrandir sa famille. Des toiles de Botero aussi. Le peintre des femmes lunaires et rondes comme une planète. Il y a aussi ses enfants et petits-enfants, comme pour tout recommencer.
La fenêtre pour s’enquérir de l’état du monde, sa résistance à la neige avec une pelle ou encore dans une poussée contre le froid et le vent. Elle respire, elle lit, écoute de la musique, discute avec ses écrivains, écris, prend le temps de se confier à sa vieille chatte Annabelle.

Marcher Sainte-Badette, encore et encore. Recevoir au visage, comme une bénédiction, son froid mordant. Rester attentive aux « ouh-ouh-ouhhh » de ses blizzards. De retour au logis, gâter mes petits volatiles avec des graines, de belles galettes de suif. Remercier le cardinal qui a choisi le Taj comme halte pour le reste de l’hiver. Abandonner ensuite bottes, mitaines, manteau et tuque à pompon. Puis, Stingray baroque, Carl Gustav Jung, et simili feu de foyer crépitant jusqu’au soir. (p.123)

L’amoureux, le compagnon, le partenaire habite maintenant le pays des souvenirs. C’est peut-être cela la mort : n’avoir de place que dans le passé.

TÉMOIGNAGE

Un beau témoignage d’Isabel Vaillancourt qui ne se laisse jamais abattre par les embûches de la vie. Et elle possède des armes terribles pour résister et se dresser bien droite dans son quotidien. Les grands compositeurs sont là, les écrivains et son goût du monde lui fait aimer la neige, le froid, les oiseaux et la photographie.
Ça va aller, n’en doutons pas.
Un récit qui donne espoir, envie de vivre pleinement en s’accrochant à ce qui nous pousse aux aurores à bouger et écrire, tenter de faire tenir une phrase en parfait équilibre.
Un carnet permet de nous arrêter à ces petites choses importantes et futiles, de s’attarder à ce qui pousse à écrire ou à lire, à respirer même, se questionner sur l’art d’aimer et de voir. Tous ces instants de bonheur et de douleur font que la vie est un souffle, un sourire dans la durée du monde, un oiseau qui s’accroche à une mangeoire ou un chat qui ferme les yeux et ronronne.


Ça va aller, un carnet d’ISABEL VAILLANCOURT, Lévesque Éditeur, 2018, 136 pages, 18,00 $.

vendredi 12 octobre 2018

OUVRIR LES YEUX POUR VOIR

Une version de cette
chronique est parue
dans Lettres québécoises,
automne 2018,
numéro 171.


La bibliothèque était à peine plus grande qu’une garde-robe à l’École secondaire Pie XII de Saint-Félicien. Les livres, debout sur les rayons, tapissaient deux murs. Je croyais alors que c’était la plus grande bibliothèque du monde. Nous y allions une fois par semaine, classe après classe, le temps de choisir son livre. Le frère Ouellet prenait la fiche fixée à l’intérieur de la quatrième de couverture où nous devions inscrire nom et prénom, le jour et la date de l’emprunt. C’était du sérieux et cette carte révélait si un livre était populaire ou boudé par mes camarades. J’ai vite recherché les ouvrages que personne n’empruntait. Quand la fiche était vierge, c’était pour moi. C’est là que j’ai déniché mon premier essai littéraire sans trop le savoir. J’ai compris alors qu’on pouvait lire en patinant à la surface comme sur un lac quand la glace prend ; que c’était possible aussi de fouiller sous les mots, entre les phrases pour découvrir des secrets !

Mes collègues s’arrachaient les Bob Morane d’Henri Verne. Il y avait même des listes d’attente pour les derniers arrivés. J’en ai lu un, un deuxième et j’ai eu du mal à terminer le troisième. Je préférais Jules Verne, partir avec lui sur la lune. Déjà, j’avais l’envie d’explorer.
C’est ainsi que je me suis retrouvé avec un livre de Séraphin Marion entre les mains. Un gros bouquin à l’écriture serrée que personne n’avait touché ou emprunté. Ça suffisait pour le rendre irrésistible. Déjà, le prénom de l’auteur était un peu inquiétant. Il rappelait l’unique Séraphin que ma mère détestait à s’en confesser. J’écrivis mon nom et mon prénom sur le petit carton en soignant ma calligraphie comme il se devait. Le frère Ouellet me regarda un moment sans rien dire, se demandant peut-être ce qui me prenait, quel genre d’énergumène il avait devant lui. Lui-même, le plus grand des lecteurs, n’avait jamais ouvert ce livre…
Je ne me souviens plus du titre, mais très bien de mon exploration. Il y était question d’Émile Nelligan, le poète au « jardin de givre ». J’ai compris alors que pour saisir ce qu’un poète donne à lire, il faut souvent se faufiler entre les mots et creuser pour toucher les racines. Je pensais au champ de patates à l’automne qu’il fallait retourner pour faire remonter à la surface les plus beaux spécimens de la famille des solanacées.

HASARDS

Plus tard, en 1969, lors de mon exil à Montréal, j’ai lu Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières. Il en était souvent question à l’université. J’ai encore la seconde édition revue et corrigée de Parti Pris. Ce récit m’a fait voir le Québec et le Canada d’un autre oeil, a fait jaillir une pensée politique qui était encore terriblement floue. C’est là que mon engagement pour la souveraineté du Québec a fait jour, « ce pays qui n’est toujours pas un pays » comme le dit si bien Victor-Lévy Beaulieu.
Les propos à la fois autobiographiques et réflexifs de Vallières, je les ai reçus comme un crochet de gauche au menton. Nous n’étions donc que ça. Les autorités pouvaient faire ça à des hommes qui prônaient l’indépendance de leur peuple. La démocratie, c’était aussi ça.

La section où Charles Gagnon et moi sommes toujours détenus, au moment où ces lignes sont écrites, est réservée principalement aux malades mentaux, aux narcomanes, à ceux qui sont accusés d’homicide, et qui sont passibles de l’emprisonnement à vie, aux dépressifs, aux fous « politiques » enfin qui, comme Charles et moi, sont un peu considérés par les officiers comme des esprits « dérangés ». (p.11)

J’ai pris du temps à venir à bout de ces pages. Les phrases me secouaient, me déstabilisaient, les mots vibraient comme un gros bourdon qui s’acharne contre une vitre. J’avais l’impression de retourner la réalité à l’envers, de vivre une crise de conscience, de me réveiller tout en sueurs après un cauchemar. Étions-nous, au Québec, des détenus, des séquestrés dans des cellules réservées aux « esprits dérangés » ? C’est là que j’ai pris goût aux livres qui secouent les idées et donnent un autre regard.

RÉVÉLATION

Tout de suite après vint L’homme unidimensionnel d’Herbert Marcuse. L’essai a été traduit en 1968, mais je l’ai trouvé plus tard, dans une librairie de la rue Saint-Denis, tout près du théâtre Le Rideau Vert. Je ne sais ce qui m’a attiré vers cet essai austère. Le titre peut-être.
Monsieur Marcuse allait beaucoup plus loin que Pierre Vallières. Nous étions non seulement des conquis, mais des femmes et des hommes manipulés par un système politique et social qui nous réduisait à être des consommateurs et des producteurs de biens souvent inutiles. Déjà, on pouvait prévoir le désastre planétaire dans lequel nous nous trouvons maintenant. Le philosophe était un visionnaire. Ouragans, tremblements de terre se succèdent maintenant. La Terre se défend contre toutes nos agressions. La société nous plonge encore et toujours dans l’illusion, des fantasmes et des images qui n’ont rien à voir avec la réalité.
C’est alors que j’ai pris la décision de devenir écrivain. J’en rêvais depuis l’enfance. Il était temps de me prendre au mot. La seule manière de me libérer était de dresser des phrases. Je devais lire pour y arriver, me méfier des certitudes, garder le doute à portée de la main, apprendre à dire et à voir autrement. Je devais cosigner ma naissance comme l’a si bien écrit plus tard mon ami Bruno Roy.

PERRAULT

J’ai toujours eu un faible pour les chemins mal fréquentés, les ouvrages qui vous poussent dans des territoires inconnus. C’est à l’université que j’ai vu pour la première fois ces « prélèvements de réalité » que sont les films de Pierre Perrault. Des images qui montraient l’île aux Coudres, un monde en voie de disparition.
Perrault me faisait penser à mon père qui partait souvent dans la forêt pour trouver la paix et le silence. Pour la suite du monde en 1962, Le règne du jour  en 1967, Les voitures d’eau en 1968 et Un royaume vous attend en 1975 retentirent comme des gongs. J’ai visionné ces films à plusieurs reprises en retenant mon souffle. Et Un pays sans bon sens corroborait d’une certaine manière les propos de Pierre Vallières. Nous étions en train de tourner le dos à notre passé pour glisser dans un avenir qui ferait de nous des étrangers. Nos maisons « partaient à la dérive sur les routes » et les terres défrichées avec la sueur dans les yeux retournaient à l’état sauvage.
Ce sont les films de Pierre Perrault qui m’ont donné la permission de plonger dans les excès des travailleurs forestiers, d’écrire La mort d’Alexandre. Ma volonté de faire vibrer le langage de ma mère et de mon père dans « une écriture orale » vient des films de ce grand cinéaste dont les images vivent encore en moi.

UN FRÈRE QUI…

Le frère Untel, tout le monde en parlait à l’université et je me méfiais. J’ai lu Les Insolences au début des années 70, avec plusieurs années de retard. J’hésite toujours à me précipiter sur les succès du jour parce qu’ils sont souvent décevants.
Le bon frère mariste (les frères qui m’ont enseigné au secondaire) avait frappé un circuit et secoué les cordages. Le Québécois parlait la langue du noble animal qui avait permis à mon grand-père et mon père de survivre dans les forêts et de cultiver des terres d’argile coriace. Je parlais la langue de cette bête qu’admirait tant mon père.
Ces propos m’ont choqué. Peut-être par respect du cheval qui m’a toujours impressionné. Je voulais bien ébranler les murs de l’école et de la famille, secouer les ponts de la société des curés, mais mon père et ma mère ne parlaient pas la langue d’une bête de trait.
Quand le bon frère devint Jean-Paul Desbiens et qu’il officia dans La Presse, je compris que j’avais eu raison de me méfier. Ses mémoires et ses réflexions, des années plus tard, me révélèrent un homme incapable de secouer les diktats de l’Église, englué dans des rituels disparus, perdu dans une société qu’il n’arrivait pas à comprendre.

JONH SAUL

J’ai croisé John Saul au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean en 1978. Il venait de publier une enquête sur un militaire français. Mort d’un général connaissait le succès. Nous nous sommes revus à Paris et dans plusieurs manifestations culturelles.
Les bâtards de Voltaire en 1993, je l’ai ressenti comme une « arme d’intelligence massive ». Cette réflexion sur la rationalité qui mène aux pires tautologies, la pensée des Jésuites en particulier, me troublait. Comme si Saul tendait la main à Marcuse.
J’ai réussi à inviter l’essayiste au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean l’année suivante pour une conférence devant les écrivains de la région. Ce fut un moment de grâce. Bien sûr que cette « raison déraisonnable » explique l’élection d’un président qui est la « voie, la vérité et la vie ». De si bons Américains du même auteur m’a fait prendre conscience des manières de voir de ces voisins inquiétants, sûrs d’eux et particulièrement belliqueux et agressifs. Nous l’avons vu dans les négociations de l’ALENA. Un président des États-Unis doit gagner. Tout le temps.

DÉCEPTION

Je suis souvent déçu par les essais. Bien sûr, il y a Pierre Vadeboncoeur et sa solide réflexion, Jacques Grand’Maison malgré ses béquilles religieuses. Mais que dire de l’indigence d’un Jean Larose ou les tribulations de certains rodeurs qui ont du mal à penser ?
La réflexion, je la trouve maintenant dans les carnets et les écrits intimes des écrivains. Les si beaux textes de Robert Lalonde me font percevoir le monde qui m’entoure d’une autre manière et me donne des yeux neufs. Serge Bouchard m’enchante aussi par sa simplicité et sa justesse. C’est peut-être seulement ça un essai : un texte qui permet d’ouvrir les yeux, de vivre un moment de conscience, d’enlever des bottes trop étroites qui font claudiquer. C’est aussi prendre le regard d’un autre pour mieux se faire face dans le miroir. Et j’ai tenté l’aventure dans Le Réflexe d’Adam et Souffleur de mots… Et peut-être aussi de lire Nicole Houde d’une autre manière avec L’Orpheline de visage
Je souris en pensant que ces livres, pas un étudiant des cégeps ne va oser les emprunter dans leurs grandes bibliothèques. J’ai écrit des livres qui attirent quelques marginaux qui préfèrent les sentiers qui permettent une autre liberté, un autre regard, une autre pensée peut-être.