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lundi 19 juillet 2010

Mauricio Segura retrouve son père et son pays

La quête du père hante plusieurs ouvrages d’écrivains originaires d’Amérique du Sud. Le sujet a fait l’objet de deux des romans de Daniel Castillo Durante, «Un café dans le Sud» et «La passion des nomades». «Eucalyptus» de Mauricio Segura reprend ce thème et met en scène un homme qui retourne au Chili à la mort de son père. Avec son jeune fils Marco, il découvrira la dernière vie de cet homme mal connu.
«Son père, avance Alberto, est le seul de la famille à être un authentique personnage de roman. A tel point qu’il n’est pas rare que, lorsqu’il raconte certains de ses exploits, ses amis se montrent incrédules, croyant que par amour pour lui il exagère. Mais, au fil de la discussion, le tableau s’assombrit, et l’homme débonnaire, vivant et souriant, cède la place à un homme machiavélique, blessé et sournois.» (p.93)

Mystère

Alberto vit à Montréal et vient de vivre une séparation d’avec sa femme. Son père, après avoir vécu un exil au Québec, est rentré dans son pays pour s’y faire une autre vie. Le directeur d’hôpital, le médecin qui pensait changer le monde par la révolution est devenu fermier.
«Alors, vertigineusement, la mémoire lui rend plusieurs images de son père. Il se souvient de lui du temps qu’il était toujours tiré à quatre épingles, le pan de son sarrau blanc soulevé par ses pas pressés. Il se le rappelle en chemise à carreaux, les bottes de construction perpétuellement délassées, quand, éreinté, il poussait la porte de leur appartement exigu du quartier Côte-des-Neiges. Il le voit barbu, cheveux longs, exactement comme il apparaît sur les photos, alors qu’il terminait ses études universitaires et qu’il ne vivait que pour les meetings et les manifestations. Il se le rappelle enfin tel qu’il l’a vu la dernière fois qu’il lui a rendu visite, affublé d’un chapeau de cuir ondulé et d’un lasso fixé à la taille, l’œil aiguisé, taciturne comme les paysans qui l’entouraient à la ferme qu’il gérait d’une poigne de fer.» (p.17)
Roberto a vécu plusieurs vies, demeurant une énigme pour les siens, encore plus pour Alberto son fils, un écrivain.

L’exil

On n’abandonne pas son pays impunément. Alberto le constate tout comme Roberto l’a appris à la dure. Ils sont ceux qui sont partis, ceux qui ont changé en abandonnant les leurs.
«Il ne voulait plus partir. Mais cette lune de miel n’avait pas duré ; les gens, les membres de sa famille élargie surtout, lui avaient bien fait comprendre qu’il n’était pas tout à fait un des leurs, que sur certains aspects, peut-être les plus importants, il était trop gringo, lui lançaient-ils, tantôt en plaisantant, tantôt le plus sérieusement du monde. Dès lors, il ne s’était jamais plus senti chez lui, ni ici ni là-bas.» (p.34)
Un monde où les passions, l’amour tout autant que la haine, la cupidité et l’envie peuvent faire passer un homme de vie à trépas.

Énigme

Alberto découvrira que la mort de son père n’a rien de naturel. Tous pointent les Mapuches, les autochtones que les Blancs prennent plaisir à détester.
Étrange parce que Roberto était presque l’un des leurs en vivant avec la fille du cacique, une jeune femme qui ne manquait pas de caractère. Et il y a cette cicatrice sur le corps de son père. On lui a prélevé un rein. Pourquoi ?
Une quête des origines qui sort des sentiers battus. Une histoire qui ratisse large dans ce pays qui a connu l’espoir d’un changement avec Salvador Allende et le retour de la dictature. Alberto se heurte à une société dirigée par les multinationales qui savent tirer le fil de haines ancestrales pour mieux exploiter tout le monde. Il suffit d’une étincelle, d’un geste pour que tout bascule.
«Eucalyptus» se lit comme un thriller policier. Un récit touchant, un monde dure, impitoyable, la quête d’un homme qui tente de trouver un centre à sa vie. Un roman passionnant, une écriture envoûtante qui transporte le lecteur. 

«Eucalyptus» de Mauricio Segura est publié aux Éditions du Boréal. 
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/mauricio-segura-1324.html

dimanche 11 juillet 2010

Michèle Nevert s’aventure au pays de la folie

«Textes de l’internement» de Michèle Nevert présente un ensemble de témoignages révélateurs d’une époque heureusement révolue.
Depuis sa fondation en 1873, l’Hôpital Louis-Hypolithe Lafontaine, autrefois Saint-Jean-de-Dieu, conserve les dossiers des patients. Un cas unique au Québec qui permet de lever le voile sur les soins médicaux et les conditions de vie dans ces institutions. Cet asile a accueilli pendant plus d’un siècle des hommes et des femmes qui éprouvaient des problèmes de santé mentale.
«Pour l’heure, l’estimation de ces archives dépasse le chiffre vertigineux de 100 000 et comprend, outre les informations cliniques habituelles pour chaque patient, plusieurs textes et manuscrits produits par ces derniers.» (p.13)
Certains documents ont retenu l’attention de Michèle Nevert et des chercheurs qui l’assistent. Un travail de patience tout à fait remarquable.

Témoignages

Ces dépêches ont été écrites par des hommes et des femmes qui ont séjourné à l’hôpital pendant des périodes plus ou moins prolongées. Les chercheurs ont retenu les dépositions de religieuses, de médecins et certains individus qui ont fait des études avancées. De quoi avoir un aperçu de la vie dans cette institution.
«Ce sont les lettres que les patients adressent à leur médecin qui constituent, de fait, la plus grande part des manuscrits asilaires trouvés à Saint-Jean-de-Dieu.» (p. 25)
Ces témoignages de première main sont souvent pathétiques. Toute la détresse du monde perce dans ces cris de désespoir et ces récriminations. Tous demandent à quitter l’asile, veulent retrouver une vie « normale » auprès des leurs.
Pourquoi ils se retrouvent à Saint-Jean-de-Dieu ? C’est parfois difficile de savoir. Certains ont demandé à y entrer quand d’autres ont été « placés » par leurs proches. Il faut savoir qu’à une époque, il suffisait de la signature du mari pour faire interner une épouse. Le contraire était à peu près impossible.

Quelques cas

Sœur Marie-de-Nazareth a passé trente-trois ans à l’institution pour refus d’obéissance, semble-t-il. Voilà un caractère certes difficile, mais était-ce une raison pour l’interner ? Était-elle saine d’esprit ? Elle ira même jusqu’à écrire au pape pour plaider sa cause et pouvoir réintégrer sa communauté.
Tous se plaignent des traitements, du psychiatre, du personnel religieux, des gardiens, de la nourriture et des autres patients. Le long plaidoyer de Roméo, avocat au barreau de Montréal et député-pronotaire à la Cour supérieure, est particulièrement significatif. Il dénonce le comportement des médecins, la violence des gardiens qui effectuent des représailles sur certains patients, la religieuse responsable des départements. Il le fait avec une belle précision et une certaine forme d’humour.
«Ledit Dr. Richard, soit dit en passant aussi celibataire endurci qu’ivrogne d’habitude, était caché en la chambre de l’ex-patient « perpétuel »  feu M. Guy, en compagnie du gardien prive dudit Guy, un certain Charbonneau lequel, de mes yeux vu, partageait sa monotone occupation entre les soins à donner a son malade et surtout les taloches, coups de poing et autres mauvais traitements avec force « injections » de prieres forcees…» (p. 173)
Un témoignage important parce qu’il s’agit d’un homme cultivé qui décrit ce qu’il voit et semble capable d’une certaine objectivité.

Stupéfaction

Plusieurs hommes et femmes ont vécu des enfers. Alice Roby pourrait s’ajouter à cette liste de gens sacrifiés par un système impitoyable. «Textes de l’internement» de Michèle Nevert ajoute une page à l’histoire révoltante des Orphelins de Duplessis.
Une lecture difficile cependant, souvent bouleversante et émouvante. La reproduction manuscrite de certains textes révèle l’état de ces hommes et de ces femmes.
Dommage que l’on ait choisi de garder la graphie originale de ces lettres. Bien sûr, elles témoignent du désordre ou de la confusion des patients, mais une certaine correction orthographique aurait rendu la lecture plus facile à celui qui ne fait pas une exploration clinique de ces affirmations. Ces missives restent difficiles à déchiffrer, éloigne le lecteur du vécu de ces hommes et de ces femmes qui lancent un cri désespéré. Une certaine mise en forme aurait aussi été souhaitable pour faciliter la compréhension, donner toute la place à la détresse de ces hommes et de ces femmes qui ont connu la marge du monde.

« Textes de l’internement » de Michèle Nevert est publié aux Éditions XYZ. 

dimanche 4 juillet 2010

Dany Tremblay explore Baie-Sainte-Catherine

Un second recueil de nouvelles pour Dany Tremblay en quelques mois. «Le musée des choses» est constitué de onze textes, dont plusieurs ont été publiés auparavant dans «Miroir aux alouettes». La nouvellière avait fait la même chose, l’automne dernier, dans «Tous les chemins mènent à l’ombre». Un travail d’orfèvre et de retouches qui pousse chacun de ses écrits dans leurs derniers retranchements.
 Dany Tremblay explore un univers qui tourne autour de Baie-Sainte-Catherine, à la rencontre du Saguenay et du grand fleuve qui vogue jusqu’à l’océan. Un pays d’arrivées et de départs, un lieu d’excès et d’empoignades. Un monde dur et âpre, giflé par les vents, chargé par la pluie, la neige et le froid. Il y germe la tendresse, parfois l’amour, le drame qui vient par certains gestes irréfléchis.
Les personnages, le lecteur a appris à les détester ou à les aimer lors des parutions précédentes. Marie s’enfuit après avoir mis fin à la violence. Raymond, Clara, Ruth et Monsieur Santoni sont là, au centre de leur vie, en attente ou sur le point de commettre l’irréparable.
Les personnages de Dany Tremblay sont souvent des éclopés et des marginaux. Coq-L’œil, le souffre-douleur, est foudroyé en croisant une fille qu’il a connue à la petite école. Clara a survécu en longeant la rive de sa vie.
«Si tu savais mon trouble, Raymond, l’agitation en moi, les serrements, l’angoisse, tout ce qui va avec. Tu te trouvais à Lévis, moi dans l’autobus. Il s’agissait une fois encore d’un mauvais timing. Je me suis demandé s’il fallait me précipiter à l’avant pour ordonner au chauffeur de s’arrêter, de me laisser descendre. Je n’arrivais pas à me décider et, petit à petit, la distance s’est élargie.» (p.47)
Rien n’arrivera comme de raison.

Pays

Les objets se patinent de souvenirs, de drames et de tempêtes qui ébranlent toutes les vies. Il suffit d’un regard, d’une circonstance pour que tout revive.
«J’étais trempée, inquiète. Une goutte d’eau a dégouliné dans l’échancrure de ma jaquette. Il n’a pas été facile de me convaincre de l’improbabilité que quelqu’un se trouve dehors sous cette pluie, de l’impossibilité de percevoir la moindre plainte avec ce vent. Je me suis raisonnée. Mais le sifflement du vent, c’était à s’y méprendre, croyez-moi. Je campais sur le site trente et un, la dernière parcelle de terre que cette femme avait foulée avant de sauter sur la glace.» (p.89)
Des lieux risquent d’emporter les personnages, de les pousser hors de soi. Les protagonistes sont hésitants et maladroits avec Raymond et Clara, calcul avec Monsieur Santoni. Rita berce son enfance dans la grande chaise héritée de ses parents pendant que Ruth tente de survivre après un viol.

Araignée

Dany Tremblay a un formidable talent pour broder des intrigues. L’écrivaine travaille à la manière d’une araignée qui tisse sa toile, attire sa victime avec lenteur et précision.
«Il y a des trucs que je m’explique mal, des histoires dont on n’a jamais soufflé mot, Comme lorsque nos regards se sont croisés. C’était dans une soirée à la fin du cégep. Je t’ai entendu dire salut, j’ai relevé la tête, je t’ai vu sourire à quelqu’un. Je me suis trouvée bête, tellement bête, j’avais cru un instant que tu me parlais. Je suis rentrée pas longtemps après. Je ne voulais pas être dans les parages, au cas où tu ne partirais pas seul. Souvent, la fuite reste la seule solution.» (p.96)
La nouvellière a le grand art des petits riens qui meublent la vie de tous les jours. Tout est important dans la construction de ses nouvelles.
Une écriture sans bavure, le don de ramasser une vie autour d’une chaise berçante, d’une rencontre à l’épicerie, du saut qui fait glisser dans une autre dimension. L’art du drame qui mijote tout doucement dans un monde en attente, lisse et d’aspect inoffensif.
Il vaut mieux peut-être avoir lu «Tous les chemins mènent à l’ombre» avant de s’aventurer dans «Le musée des choses». Le lecteur qui découvrirait cette écrivaine par son dernier ouvrage risque de ne pas trop saisir ce qui emporte certains personnages. Des sonates lentes qui inventent un monde et ne vous laissent jamais en paix.

«Le musée des choses» de Dany Tremblay est publié à La grenouille bleue.

dimanche 27 juin 2010

Jean Désy explorateur de l'âme

Il suffit de plonger dans un livre de Jean Désy pour prendre conscience que nous connaissons bien mal notre pays et que la plupart des Québécois ne savent rien des territoires nordiques et de ses habitants. «L’esprit du Nord» nous entraîne dans ce vaste espace qui me fait rêver depuis toujours. Il semble que là-bas, tout est encore possible. Un espace mythique avec les chantiers de la Baie-James et les ressources minières qui font saliver multinationales et gouvernements. Même que, depuis quelques années, certains pays se disputent ces territoires où ne germaient que de la glace et où les ours polaires imposaient leur présence.
Il en est autrement pour les hommes et les femmes qui habitent le sommet du monde. Inuit et Cris voient la vie d’un autre œil. C’est peut-être ce qui rend si difficile les négociations entre Autochtones et Blancs. Deux conceptions, deux pensées se confrontent dans des échanges qui tournent en rond.
Les Blancs ne pensent qu’à organiser le territoire avec leur approche de sédentaires. Cris et Inuit ont l’esprit nomade. Pour eux, la propriété personnelle n’a aucun sens. La Terre appartient à tous et nul ne peut prétendre en être propriétaire.
«Des groupes humains se trouvent ainsi en opposition, le plus souvent selon des fonctions enfouies dans les couches les plus lointaines de l’esprit : les fonctions nomade et sédentaire. Il existe en chaque être humain, et le plus souvent inconsciemment, une fonction nomade, tout comme il existe une fonction sédentaire, chacune se trouvant plus ou moins développée selon les personnalités, les racines, les origines, l’éducation ou la culture.» (p. 41)
Voilà  la source de bien des incompréhensions. Une prise de conscience de ces points de vue serait déjà un grand pas vers l’écoute et la tolérance.

Cul-de-sac

Jean Désy, dans cette suite de textes, survole plusieurs de ses ouvrages. Signalons «Coureur de froid», «L’île de Tayara», «Au nord de nos vies» et quelques autres. Il raconte le plaisir qu’il ressent quand il descend une rivière en canot, part avec un guide pour traverser tout le continent. Il faut une bonne dose de courage et de témérité pour plonger dans une aventure semblable. Les glaciers bougent, des murs de glace se dressent sous l’effet des marées et du froid, le vent paralyse en quelques minutes. Le téméraire y trouve une joie immense à se laisser bercer par le froid et le silence. Un pays où la nature exulte dans toute sa force et sa beauté, où l’homme doit se centrer, prévoir, penser devant les éléments qui peuvent l’écraser en quelques secondes. Une expérience qui happe et marque à jamais. Jean Désy raconte aussi ses traversées du lac Saint-Jean en hiver, ses nuits de tempête et de vents où il retrouve un aspect du Nord, ses beautés et ses dangers. Une occasion d’aller au-delà de soi et de ses préoccupations quotidiennes.

Pays rêvé

C’est découvrir aussi un vocabulaire, y entendre des mots qui traduisent une autre réalité.
«Parmi les mots les plus étincelants de la langue québécoise nordique, il y en a un qui allie extraordinairement glace et firmament, glacique et ciel du Nord : c’est glaciel. Ce mot se calque et craque et se retrousse et descend les cours d’eau comme il les remonte.» (p.143)
Une initiation pour le sédentaire qui ne s’est jamais aventuré plus loin que Chibougamau. Un univers qui moule l’être et fait croiser des femmes et des hommes que les temps modernes risquent de briser. Peut-être une façon de vivre qui va disparaître avec l’arrivée des gens qui auront le Plan nord dans leurs bagages. Sans compter que le réchauffement de la planète permet d’inventer les pires scénarios.
Jean Désy témoigne de son amour pour la vie nomade qui confronte les mystères de la vie et de la nature. Un véritable bonheur que de plonger dans ces pages qui questionnent l’humain, son rôle et sa place dans un univers toujours en changement. Un monde que nous ne cessons de vouloir transformer et domestiquer par crainte, par angoisse peut-être, par prétention ou par une folie qui nous fait croire que tout est possible, même travailler à sa propre destruction. Un livre nécessaire.

« L’esprit du Nord » de Jean Désy est paru chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/auteur/5.html

dimanche 20 juin 2010

Georges-Hébert Germain peint les débuts du Saguenay

«La fureur et l’enchantement» de Georges-Hébert Germain nous plonge dans une période du Québec qui fascine nombre d’écrivains. La révolte des Patriotes, pendant les années 1837-1838 a fait l’objet de nombreux ouvrages et d’un très beau film de Pierre Falardeau. Signalons, entre autres, «Les derniers insurgés» du romancier et historien Yves Dupéré qui illustre les déchirements qui hantaient les esprits à l’époque.
Georges-Hébert Germain, tout en démontrant l’exaspération qui gronde dans la population francophone pendant ces années, peint la désespérance et une rébellion vouée à l’échec. Les Patriotes combattent l’armée de Colborne avec des discours qui ne font pas le poids devant les balles et les canons.
À La Malbaie, les esprits sont hantés par le Saguenay depuis des décennies. Le Royaume, le fief de la Compagnie de la Baie d’Hudson qui y exploitait les fourrures, intéresse aussi William Price. Il est prêt à tous les subterfuges pour avoir accès aux grandes forêts de pins, jouant la Société des Vingt-et-un contre un Peter McLeod qui donne froid dans le dos.

Le rêve

François Simard, fils de Thomas, hésite entre la vie des Sauvage et celle des Blancs. Il a vécu son enfance au Saguenay avec ses amis Montagnais, hérité du goût de l’aventure de son grand-père Ange, un terrible malcommode. Cela ne l’empêche pas de rêver de s’assagir tout en vivant en homme libre.
«Il lui parlait encore et encore de son grand-père Ange Simard. Et du projet qu’il avait de se faire un jour une terre à lui dans la seigneurie de Murray Bay, entre la montagne et la mer. Il aurait des animaux, de la forêt, de la prairie, un gros ruisseau, une femme et des enfants. Une goélette aussi, comme son père et son grand-père. Et il serait toute sa vie un homme libre. Il ne travaillerait plus jamais dans les chantiers, ni pour les Anglais, ni même pour les Canadiens.» (p.19)
Il se retrouve mêlé à la révolte des Patriotes avec Julien et Marie dont il devient l’amant. Une femme passionnée, possessive et idéaliste. Il croise Chénier et différents chefs des insurgés, participe aux grandes réunions et aux escarmouches de Saint-Eustache. Il se rend vite compte que cette guerre est un véritable suicide.
«Plus les jours passaient, plus cette rébellion apparaissait dérisoire à plusieurs ; et illusoire la victoire. D’autant plus que, même parmi les meneurs, plusieurs suggéraient maintenant de lever le camp et laissaient entendre que Scott avait sans doute eu raison de partir. Même Chevalier de Lorimier, que personne ne pouvait accuser d’être un pleutre ou de vouloir protéger ses biens, était de cet avis.» (p.179)
François retourne à La Malbaie pour échapper à la police qui traque les rebelles, participe à l’aventure du Saguenay avec Alexis Tremblay et son père Thomas.

Premiers moments

Le lecteur vit les premiers moments de la nouvelle colonie. La nature est époustouflante, généreuse et le rêve tout aussi démesuré. On s’invente un pays, on combat le froid et la neige, on se heurte à Peter McLeod qui exploite autant les Montagnais que les Blancs. Les figures historiques défilent. William Price, Peter McLeod, Philippe Aubert de Gaspé père et fils, le journaliste Napoléon Aubin, Alexis Tremblay, Thomas Simard et Michel Simard qui s’installe à l’Anse-aux-Foins. Les femmes sont frondeuses et vivent l’amour sans trop se soucier des sermons du curé.
François rencontre Laurence à Caille, son rêve d’amour après bien des hésitations et des aventures, des combats où il frôle la mort.
Georges-Hébert Germain suit les gens de La Malbaie qui rêvaient d’un nouveau pays, avaient peine à croire aux manigances de William Price qui a fini par s’emparer du Royaume.
Des rêves brisés, mais une énergie et une volonté indomptables. L’espoir, l’amour, un coin de terre dont on trace les frontières à grands coups de hache permettent de réussir l’impossible. Un roman humain, touchant qui suit des personnages subjuguants. Il le fallait pour conquérir un Royaume. Une épopée, une fresque qui nous retient du début à la fin. Une belle manière de revivre les premiers moments d’une colonie qui allait devenir le Saguenay et le Lac-Saint-Jean.

«La fureur et l’enchantement» de Georges-Hébert Germain est publié aux Éditions Libre Expression.

dimanche 13 juin 2010

Dominique Fortier travaille en archéologue

J’ai eu l’impression de suivre des météorites en m’aventurant dans «Les larmes de saint Laurent» de Dominique Fortier. Me perdre aussi dans le temps et l’espace.
 La trame narrative repose sur des événements historiques et des questionnements scientifiques. La Terre est vivante et raconte la marche de l’univers et des humains. Certains événements sont marquants, l’éruption du volcan Pelée par exemple qui a soufflé la population de Saint-Pierre, sauf Baptiste Cyparis, un miraculé. Augustus Edward Hugh Love cherche à saisir le monde avec des formules mathématiques. Il est fasciné par l’élasticité de la matière. Garance, la musicienne, peut entendre le chant de l’univers. À vrai dire, il est plutôt inutile de chercher à résumer l’intrigue de ce roman polyphonique. Il suffit de se laisser emporter par les grandes lézardes qui s’ouvrent devant soi quand la vie s’y met.
«Ils se marièrent à l’automne, par une journée ensoleillée. La voyant s’avancer vers lui, blanche et rose dans sa robe bleu myosotis, Edward eut l’impression que les planètes et les astres dont sa jeune épouse jurait entendre les secrets entonnaient pour eux une céleste marche nuptiale. Cette intuition se confirma le soir même, quand, échappant à leurs invités, ils sortirent par une porte dérobée pour se trouver seuls dans le parc du manoir, au milieu des arbres qui leur faisaient des témoins silencieux. Levant les yeux, ils découvrirent que le ciel était parcouru de couleurs chatoyantes, comme si un magicien sortait un à un des mouchoirs de soie de la manche noire de la nuit.» (p.155)

Témoin

Les protagonistes captent les flux de l’univers et les soubresauts de l’histoire. C’est que chacun de nous est un émetteur et un récepteur à la fois. Dominique Fortier suit des originaux qui tentent de percer le sens des choses. Il y a aussi des hasards et des circonstances qui font qu’un individu devient un témoin pour le meilleur et le pire. L’écrivaine mélange des personnages historiques et la fiction pour semer le doute dans l’esprit du lecteur.
La réalité est mouvance et changement. La Terre est un palimpseste qui recèle l’histoire des populations et des individus. Il faut seulement écouter pour comprendre. On peut s’attarder à Pompéi par exemple qui a été rayée de la carte par une éruption volcanique pour faire un bond dans le temps. La planète est un musée et témoigne de l’évolution de l’humanité pour qui sait chercher. Des lieux sont de véritables bibliothèques. L’art et la science sont les outils qui permettent toutes les découvertes.

Mémoire

La mémoire permet de dire ce que nous avons été et ce que nous sommes. Rose et William sont les fruits d’une évolution et d’une série d’événements. Ils se retrouvent dans une crypte funéraire du cimetière. Parce que la mort porte la vie et aussi l’inverse.
«Ils sont restés des heures dans le mausolée, la bougie réchauffant les ténèbres. Elle s’est réveillée peu avant l’aube et l’a regardé dormir encore, à moitié dévêtu, sur leurs vêtements roulés en boule. Yeux clos, bouche entrouverte, il ressemblait à une statue. Ses joues s’étaient couvertes pendant la nuit d’une jeune barbe qui piquait un peu. Elle a poussé la porte. La pluie avait cessé, et sur chaque brin d’herbe perlaient des gouttes rondes et tremblantes. Une odeur verte montait de la terre, le ciel à l’est imperceptiblement pâlissait alors que les étoiles réapparues pendant la nuit s’étiolaient une à une dans la clarté naissante. Partout autour d’elle les morts dormaient tandis que dans la ville les vivants lentement s’éveillaient.» (p.329)
Dominique Fortier travaille à la manière d’une archéologue et démontre que la vie est plus que la vie, que le visible masque souvent l’invisible, que le présent trouve ses racines dans le passé.
Un roman étonnant, déroutant parfois mais envoûtant. Une formidable aventure de lecture qui fait valser entre l’histoire, la science et la plus belle des fictions. Un souffle qui emporte le lecteur.

«Les larmes de saint Laurent» de Dominique Fortier est paru aux Éditions Alto. 
http://www.editionsalto.com/catalogue/larmes/