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dimanche 13 juin 2010

Dominique Fortier travaille en archéologue

J’ai eu l’impression de suivre des météorites en m’aventurant dans «Les larmes de saint Laurent» de Dominique Fortier. Me perdre aussi dans le temps et l’espace.
 La trame narrative repose sur des événements historiques et des questionnements scientifiques. La Terre est vivante et raconte la marche de l’univers et des humains. Certains événements sont marquants, l’éruption du volcan Pelée par exemple qui a soufflé la population de Saint-Pierre, sauf Baptiste Cyparis, un miraculé. Augustus Edward Hugh Love cherche à saisir le monde avec des formules mathématiques. Il est fasciné par l’élasticité de la matière. Garance, la musicienne, peut entendre le chant de l’univers. À vrai dire, il est plutôt inutile de chercher à résumer l’intrigue de ce roman polyphonique. Il suffit de se laisser emporter par les grandes lézardes qui s’ouvrent devant soi quand la vie s’y met.
«Ils se marièrent à l’automne, par une journée ensoleillée. La voyant s’avancer vers lui, blanche et rose dans sa robe bleu myosotis, Edward eut l’impression que les planètes et les astres dont sa jeune épouse jurait entendre les secrets entonnaient pour eux une céleste marche nuptiale. Cette intuition se confirma le soir même, quand, échappant à leurs invités, ils sortirent par une porte dérobée pour se trouver seuls dans le parc du manoir, au milieu des arbres qui leur faisaient des témoins silencieux. Levant les yeux, ils découvrirent que le ciel était parcouru de couleurs chatoyantes, comme si un magicien sortait un à un des mouchoirs de soie de la manche noire de la nuit.» (p.155)

Témoin

Les protagonistes captent les flux de l’univers et les soubresauts de l’histoire. C’est que chacun de nous est un émetteur et un récepteur à la fois. Dominique Fortier suit des originaux qui tentent de percer le sens des choses. Il y a aussi des hasards et des circonstances qui font qu’un individu devient un témoin pour le meilleur et le pire. L’écrivaine mélange des personnages historiques et la fiction pour semer le doute dans l’esprit du lecteur.
La réalité est mouvance et changement. La Terre est un palimpseste qui recèle l’histoire des populations et des individus. Il faut seulement écouter pour comprendre. On peut s’attarder à Pompéi par exemple qui a été rayée de la carte par une éruption volcanique pour faire un bond dans le temps. La planète est un musée et témoigne de l’évolution de l’humanité pour qui sait chercher. Des lieux sont de véritables bibliothèques. L’art et la science sont les outils qui permettent toutes les découvertes.

Mémoire

La mémoire permet de dire ce que nous avons été et ce que nous sommes. Rose et William sont les fruits d’une évolution et d’une série d’événements. Ils se retrouvent dans une crypte funéraire du cimetière. Parce que la mort porte la vie et aussi l’inverse.
«Ils sont restés des heures dans le mausolée, la bougie réchauffant les ténèbres. Elle s’est réveillée peu avant l’aube et l’a regardé dormir encore, à moitié dévêtu, sur leurs vêtements roulés en boule. Yeux clos, bouche entrouverte, il ressemblait à une statue. Ses joues s’étaient couvertes pendant la nuit d’une jeune barbe qui piquait un peu. Elle a poussé la porte. La pluie avait cessé, et sur chaque brin d’herbe perlaient des gouttes rondes et tremblantes. Une odeur verte montait de la terre, le ciel à l’est imperceptiblement pâlissait alors que les étoiles réapparues pendant la nuit s’étiolaient une à une dans la clarté naissante. Partout autour d’elle les morts dormaient tandis que dans la ville les vivants lentement s’éveillaient.» (p.329)
Dominique Fortier travaille à la manière d’une archéologue et démontre que la vie est plus que la vie, que le visible masque souvent l’invisible, que le présent trouve ses racines dans le passé.
Un roman étonnant, déroutant parfois mais envoûtant. Une formidable aventure de lecture qui fait valser entre l’histoire, la science et la plus belle des fictions. Un souffle qui emporte le lecteur.

«Les larmes de saint Laurent» de Dominique Fortier est paru aux Éditions Alto. 
http://www.editionsalto.com/catalogue/larmes/  

jeudi 10 juin 2010

Roland Bourneuf réinvente le passé

Arnaud Bermane est retrouvé mort sur la grève. Dans son sac à dos, des carnets et un passeport. Rien d’autre ! Catherine reconnaît son père dans l’entrefilet du journal.
Ces carnets racontent les voyages d’Arnaud, s’attardent à ses réflexions et ses errances. Par l’écriture, il questionne sa vie et son passé. C’est peut-être la seule voix qui le berçait quand il s’arrêtait après une journée de marche ou de travail. Celle qui s’imposait quand il inventait des mondes à partir de ses figurines.
«L’idée me vint de compulser des encyclopédies, des mémoires, des brochures jaunies, de vieux catalogues de mode, des cartes géographiques, de constituer des dossiers, puis d’ébaucher des récits. Je rapprochais, appariais, risquais des assemblages, composais des familles, des lignées.» (p.15)
C’est ainsi qu’Arnaud part à la recherche de ses ancêtres. Son père Charles, producteur de vin, Odile, sa mère, qui a tourné le dos à toutes ses aspirations. Son frère Marc-Antoine, un idéaliste qui souhaite changer le monde. Un oncle explorateur, des religieux qui ont consacré leur vie aux plus démunis. Il y a aussi le grand-père Théo, un paysan têtu qui ne vit que pour sa terre. Jusqu’à la fin. Et ces secrets de famille qui hantent le petit garçon et qui ont été emportés dans la mort. Les guerres aussi, ces grands délires humains.

Gens ordinaires

Roland Bourneuf s’attarde dans des régions peu connues de la France, des agglomérations qui gardent un pied dans le passé tout en se tournant vers la modernité.
Arnaud observe, écoute, tente de vivre l’ici maintenant. Il connaît des amours éphémères, se questionne sur cette lignée qui a fait ce qu’il est. Parce que l’humain, chez cet écrivain, est le fruit à la fois du passé et du présent.
Il a connu l’amour avec Olivia. Elle s’est enfuie alors qu’elle était enceinte. Ils ne se sont jamais revus. Lui, après une vie discrète, part sur les routes. Il vit d’expédients, effectue de menus travaux, va d’un pays à l’autre pour surprendre les gens dans leur vie et leurs amours. C’est surtout une façon de s’inventer une histoire, un passé et de tolérer le présent. Le lecteur devine qu’il séjourne dans les pays nordiques et en Amérique centrale. Son lieu de prédilection demeure l’Europe cependant.
Roland Bourneuf décrit l’univers des paysans, des petits commerçants pour qui chaque geste marque les jours, les tâches qui usent le corps et finissent par étouffer les rêves.
L’écrivain ramène à la vie ces oubliés de l’histoire. Un monde qui ne peut survivre que dans la mémoire et les souvenirs.
À la lecture de «L’ammonite», j’ai souvent pensé à Marie Rouanet, cette écrivaine admirable qui a su si bien cultiver l’art de la mémoire. Signalons surtout son magnifique «Quatre temps du silence». Roland Bourneuf est de cette belle lignée.

«L’ammonite» de Roland Bourneuf est paru aux Éditions L’instant même.

mardi 1 juin 2010

Gil Courtemanche se livre sans retenue

«Je ne veux pas mourir seul» est certainement le livre le plus intime de Gil Courtemanche.
L’écrivain apprend en même temps qu’il est atteint d’un cancer et que la femme qui l’accompagnait depuis des années le quitte. Il est foudroyé. Plus peut-être par le départ de Violaine que cette maladie qui risque de le tuer. Il le sait, il le sent, il va suivre les traitements, un peu comme on va à l’échafaud.
C’est que le romancier ne sait plus s’il a le goût de vivre sans la femme qu’il aime. Où trouver une raison de s’accrocher quand tout se désagrège?

La vérité

Il faut des crises souvent pour oser dire les vraies choses. Courtemanche scrute ses façons de faire et ses manies. Il ne peut plus se mentir, la mort l’attend au coin de la rue.
«Le matin devant le miroir, je prends la mesure de ma détresse. Ces rides me rappellent tous les excès de cigarettes, d’alcool. Je ne les regrette pas. Je croyais qu’on m’aimait ainsi. Mais, je constate que ce visage le matin n’inspire pas l’amour parce que, moi, ce visage me dégoûte. Il me dégoûte même le soir quand les rides s’atténuent. Si je ne parviens pas à me regarder, comment quelqu’un d’autre aurait pu le faire?» (p. 21)
La maladie est venue avec ce départ qui a tout dévasté en lui. Son corps malmené n’a pas su résister à la secousse. L’amour de Violaine lui procurait une forme d’immunité.
Il entreprend les traitements, explore les ratages de sa vie malgré les succès littéraires, le champ toujours trop grand qu’il a maintenu entre Violaine et lui. Ils étaient ensemble sans l’être vraiment. Il a cultivé les silences devant la femme qu’il aime, accumulé des gestes qu’il n’a pas osés. Il a toujours été un introverti qui arrive mal à exprimer son amour et sa tendresse. Les refus, les hésitations et les silences ont mené à la rupture.
«Violaine avait adopté la tactique de la guérilla. Elle occupait secrètement une part du territoire et attaquait sans prévenir, par petites vagues successives qui ne bousculaient aucune de mes habitudes, mais qui les modifiaient. Toute jeune, mais forte, elle m’avait pris en charge, mais je persistais dans ma négligence, ma saleté, ma bêtise, ma satisfaction de moi. Et puis je fuyais les baisers, les caresses. Pourquoi ? Pour faire l’homme qui est distant.» (p.49)
Les hommes retrouvent souvent la parole quand les mots ne peuvent plus toucher la femme qui partage leur vie. Ils réagissent quand ils ont le dos au mur ou que la mort se profile dans le miroir. Il faut un coup de massue pour lézarder la carapace.
Le combat

La chimiothérapie fait son chemin. Il a ces rendez-vous avec l’oncologue qui devient quasi une intime. Du moins, il le souhaiterait pour ne pas s’étouffer dans sa peine. Elle est musulmane et porte parfois le voile. Il suffit d’une question pour provoquer le malentendu. Dans les hôpitaux, on affronte la maladie, mais jamais les peines d’amour.
Il perd le goût de la nourriture, du vin et de la cigarette. Il imagine une petite fille ou le petit garçon qu’il aurait pu avoir avec sa compagne. Il revient sur les gestes ratés par égoïsme, par indifférence, par la vie qui grise quand le succès fait partie du quotidien. Il écrit des courriels, se bute au silence de Violaine, au mutisme qu’il lui a servi pendant des années.

Victoire

Les mauvaises cellules battent en retraite, mais Courtemanche ne sait s’il doit se réjouir. Il peut revenir à son quotidien, mais se retrouve comme un itinérant dans sa propre vie.
«Je ne veux pas mourir seul» est un récit émouvant, particulièrement pour les hommes qui se reconnaîtront. Courtemanche ose dire ce qu’il a retenu toute sa vie.
Un texte courageux et sans complaisance. Une confession qui ne règle rien, mais permet peut-être de continuer son chemin en claudiquant. Le lecteur en sort remué. La vie est-elle qu’une suite d’occasions ratées ? Un témoignage bouleversant qui vient vous chercher dans le plus intime et le plus personnel.

« Je ne veux pas mourir seul » de Gil Courtemanche est publié aux Éditions du Boréal. 
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/gil-courtemanche-274.html 

samedi 22 mai 2010

Un regard fort pertinent sur notre société

«Imaginaire sans frontières» de Madeleine Ouellette-Michalska plonge le lecteur dans les méandres de l’écriture, les lieux qui portent les mots et leur donnent une saveur particulière.
«On écrit pour se nommer, se connaître, se construire. On lit pour s’inventer des visages, des fusions, des extases. Enfants, nous le savions déjà et, sans pouvoir le dire, ce savoir nous enchantait. Le besoin de laisser sa trace par une signature anonyme et rudimentaire se faisait néanmoins sentir.» (p.15)
Madeleine Ouellette-Michalska aborde des questions que l’intellectuel ne cesse de ressasser. D’où vient l’écriture et où mène-t-elle? Ces interrogations ont hanté les écrivains depuis toujours. C’est la pensée qui oriente la belle collection «Écrire» des Éditions Trois-Pistoles où des écrivains expriment leurs intentions et décrivent les sentiers qu’ils empruntent.
Une culture, une époque, une géographie forgent la parole et la pensée, engendrent les œuvres littéraires. Elles témoignent d’une manière de faire face au réel pour y survivre et s’épanouir.
«Une large part de notre littérature s’est constituée dans la fracture historique liée à un environnement ingrat, hostile, étranger, qui conduirait à une quête identitaire opiniâtre et inassouvie. L’expression d’un monde précaire et menacé d’extinction favorise l’expression du manque, de la coupure, de la révolte, attitudes génératrices d’un sentiment d’impuissance et d’insatisfaction.» (p.74)

Les sources

L’écrivaine s’attarde à la situation du Québec dans une Amérique du Nord anglophone. Avec le temps, les premiers Européens sont devenus des Américains de langue française. Une entité s’est formée sans parvenir à se donner un pays avec tout ce que cela exige. La littérature québécoise le dit par ses thèmes et ses personnages.
«Dans notre littérature, l’enfant, le fou, le malade sont des personnages récurrents. Ces trois prototypes peuvent d’ailleurs échanger leurs traits ou se fondre en un seul. Animés de la plus extrême folie ou bénéficiant  de la plus grande lucidité, ils partagent ou refusent la vision collective du groupe dont ils exposent les rêves et les ruses, les paradoxes, l’impuissance ou les contradictions.» (p.70)
Une manière d’éviter la question identitaire que l’adulte doit confronter un jour ou l’autre. Madeleine Ouellette-Michalska touche cet aspect avec beaucoup de justesse. La question demeure malgré «la fatigue» qui frappe beaucoup de Québécois dans ce monde des communications. Les humoristes perpétuent ce mythe de l’enfant qui peut refaire le monde en proférant les plus folles élucubrations.

Modernité

Le livre numérique questionne autant les écrivains que les lecteurs. Madame Ouellette-Michalska va au-delà de la fascination pour l’outil électronique.
«Le texte numérique, produit d’un temps accéléré, peut au contraire occasionner une désaffection mentale ou psychique, la discontinuité des contenus et de la présentation pouvant entraîner une certaine désensibilisation sensorielle ou même, selon le point de vue d’Umberto Eco dans «La guerre du faux» une «passivité narcotique». (p.59)
Si on se contente souvent de croire que ce nouveau support va diffuser la littérature d’une autre manière, l’auteure de «Imaginaire sans frontières» croit que c’est la façon de dire le monde qui sera touchée. Le changement est palpable dans des romans en forme de fragments ou d’intrigues qui se développent dans une suite de courriels épars. La manière de dire la réalité a muté avec l’ordinateur et risque de changer encore.

Les lieux

Dans la seconde partie de son ouvrage, l’écrivaine s’attarde dans des lieux qui lui ont inspiré un roman ou un essai. Grosse-Ile, l’île de la quarantaine, lui a fait sentir des hommes et des femmes d’une autre époque. L’écriture permet ce voyage dans le temps, de plonger dans des pages d’histoire qui hantent certains lieux.
Et comment ne pas effleurer les grandes questions qui secouent notre société? Madame Ouellette-Michalska réfléchit aux accommodements raisonnables ou déraisonnables selon les cas. Ses voyages en pays musulmans lui permettent une approche différente et prudente.
Un livre qui questionne la culture, la société, des comportements qui nous habitent depuis des générations. Madeleine Ouellette-Michalska affirme haut et fort que l’écrivain témoigne de sa société et tente, par ses ouvrages, de répondre à ces questions: qui sommes-nous, où allons-nous et que deviendrons-nous? La réponse peut être individuelle, mais elle se doit d’être collective aussi.

«Imaginaire sans frontières» de Madeleine Ouellette-Michalska est publié chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/catalogue/554.html

jeudi 20 mai 2010

Hurtubise fête ses cinquante ans

Hurtubise fête ses cinquante ans d’existence. Il faut s’y attarder parce qu’il fut une époque où les maisons d’éditions naissaient aussi rapidement qu’elles disparaissaient. Ce genre d’anniversaire arrive peu souvent au Québec ou bien les maisons qui franchissent ce cap respectable n’ont plus rien à voir avec l’élan d’origine.La direction d’Hurtubise a choisi de souligner l’événement en demandant à vingt écrivains de la maison de produire un court texte qui invente des «Histoires de livres». Jacques Allard dirige ce collectif un peu hétéroclite.
Certains participants ont vécu la naissance de la maison. Gilles Marcotte et Guy Rocher esquissent le profil du fondateur Claude Hurtubise. Des débuts modestes bien sûr, des ambitions, des faits cocasses qui ne manquent pas d’arriver quand on fait métier de donner corps aux rêves. Des décisions qui prennent de l’importance avec le recul et qui viennent vous hanter.
«Jacques Ferron apporta à Claude Hurtubise le manuscrit de son grand roman « Le ciel de Québec ». Claude et moi le lûmes en riant, mais Jean Le Moyne fit une belle colère en parcourant dans ce roman les propos fort peu aimables de l’auteur à propos de Saint-Denys Garneau et une description étonnamment fidèle, trop fidèle, indiscrète, d’un de ses propres voyages à Sainte-Catherine-de-Fossambault. (Où diable Ferron avait-il trouvé ça ?) La colère de l’auteur de « Convergences » fut dramatique à souhait, et nous ne discutâmes pas longtemps, en fait nous ne discutâmes pas du tout et « Le ciel de Québec » s’en alla chez Jacques Hébert aux Éditions du Jour.» (p. 22)
Quel éditeur n’a pas raté une telle occasion, n’a pas su deviner le livre qui ferait se pâmer la critique et les lecteurs. Le plus célèbre cas demeure peut-être Pierre Tisseyre qui refusa «L’avalée des avalés» de Réjean Ducharme.
Le contraire est vrai aussi. L’éditeur peut découvrir une voix, un auteur qui se démarque. André Vanasse aborde le sujet en s’attardant à Christian Mistral, un écrivain au talent immense qui a tout fait pour saboter une grande aventure d’écriture.

Petite histoire

Plusieurs évoquent des anecdotes savoureuses qui plongent le lecteur dans le milieu littéraire. Jean-Claude Germain a été au cœur de l’aventure pendant des années, jouant le rôle d’ambassadeur au Salon du livre de Montréal.
«A toutes ces rencontres informelles d’écrivains où j’ai servi d’entremetteur, aucun de nos invités de France n’a jamais manifesté la moindre curiosité professionnelle pour leurs équivalents québécois… … Pourtant, ils s’attendaient tous d’office à ce que les auteurs du cru connaissent leurs œuvres complètes. Sans oublier la toute dernière de leurs parutions.» (p.87)
Et plus souvent qu’autrement on déroule encore le tapis rouge quand un prosateur débarque du dernier avion d’Air France. L’inverse, bien sûr, n’arrive que rarement.

Fiction

Les chemins qui mènent aux livres sont multiples et parfois singuliers. Parce que l’aventure de l’édition repose sur des émotions, des hasards, une recherche d’authenticité et de vérité.
À signaler «Nibimatisiwin» de Michel Noël, un texte qui rend hommage aux hommes et aux femmes qui arpentaient le continent américain avant l’écriture. Les mots ont permis à Michel Noël de retrouver ses origines et de les faire revivre par les contes et les romans, de les présenter aux nouveaux arrivants qui croient souvent avoir inventé l’Amérique.
«En écrivant pour les enfants, j’ai enfin pu atteindre l’objectif que je m’étais fixé : faire connaître les immenses richesses des cultures amérindiennes et la contribution généreuse et incommensurable de mes ancêtres à faire de ce pays ce qu’il est aujourd’hui.» (p. 66)
Et si ce collectif fait voyager dans l’enfance avec Marie-Christine Bernard et Louise Portal, on peut aussi plonger dans le merveilleux ou vivre les angoisses de l’auteur pendant un salon du livre. Jacques Allard rend bien la solitude de l’écrivain. Une aventure difficile à expliquer pour qui n’a pas vécu au milieu de la foule, un livre à la main, éprouvant la sensation que le monde entier vous boude.
Une belle manière de présenter la maison d’édition par ce qui en constitue l’oxygène : les textes et les mots. Une façon aussi de faire se croiser des générations d’écrivains qui témoignent de la longévité des Éditions Hurtubise HMH. Une présentation soignée, des textes diversifiés et souvent étonnants.

« Histoires de livres », collectif sous la direction de Jacques Allard, est publié aux Éditions Hurtubise. 

dimanche 2 mai 2010

Jean-François Caron réussit un coup de maître

Dans «Nos échoueries» de Jean-François Caron, un couple fait naufrage dans le Saguenay. La tragédie provoque une véritable onde de choc chez le fils.
Quelques années plus tard, le narrateur retourne à Sainte-Euphrasie-de-l’Échouerie, le village des origines. Son enfance doit rôder quelque part entre les montages et le fleuve.
Jean-François Caron au Salon du livre de Rimouski.
 «C’était ça – revenir, je veux dire, sur les lieux d’autrefois – ou m’effondrer lentement comme un cèdre transplanté, le pied dans le fjord. Ou casser et tomber. Dans le plus profond. Directement dans la mixture de mes origines restituées. Directement dans mes origines déjà brassées. Il fallait me ravaler.» (p.14)
Retrouver des lieux, des mots et des odeurs pour se redonner un élan et comprendre peut-être pourquoi il dérive depuis que la fatalité est entrée dans sa vie, pourquoi une faille ne cesse de s’élargir en lui. 
En route, il fait monter une fille rousse qui ne sait où aller. Elle l’aurait suivi au bout du monde de toute façon. La jeune femme cherche aussi à colmater sa vie, un point d’ancrage pour respirer et se redresser au milieu du jour.
«Elle était là, les deux pieds dans le gravier. Plutôt belle dans ce paysage. Les cheveux flamme, ravivés par le souffle des véhicules passés devant elle sans s’arrêter. Son sac abandonné quelques pas plus loin, près de la tranchée de drainage. Elle levait le pouce en fixant l’horizon, le regard en crémation dans le four du ciel.» (p.18)
Elle s’installe à Sainte-Euphrasie et s’occupe des personnes âgées. C’est à peu près tout ce qu’il reste dans le village, des femmes et des hommes qui, par la fenêtre du foyer, surveillent au cas où leur vie passerait. Tout se défait dans cette municipalité. C’est le sort des villages qui voient les jeunes partir vers la ville ou l’ailleurs.
La jeune femme hante toutes les conversations avec ce fils revenu qui s’installe dans la maison familiale. Il squatte en quelque sorte les lieux de son enfance en parlant à Marie qu’il a abandonnée au pays du Saguenay. 
«Imagine. Ma maison presque à l’abandon. Dans le fouillis d’une cour aussi laissée pour compte. Les herbes devenues hautes, étouffées par les feuilles mortes de l’année dernière. Le bouleau naguère petit masquant sa façade blanche de feuilles d’amiante. Aucun rideau aux fenêtres. Une maison hara-kiri, le ventre ouvert, complètement nue. Et d’une pancarte dans un carreau, elle s’offrait désespérément, voulait se vendre, ou se louer, à qui voudrait bien d’elle. Embrassée d’est en ouest par autant de village, ceinturée par le galbe des cabourons au sud, par l’horizon fluvial et le Bouclier canadien au nord. Un carré de paysage qui aurait pu être digne de cartes postales – si ce n’était de ses voisins. À l’est, l’hôtel. À l’ouest, le motel. Au nord, la dizaine de cabines dudit motel.» (p. 31)

Le pire

On a beau retrouver les sentiers de l’enfance, les lieux des premiers émois et des premières douleurs, rien ne peut changer. Le pire arrive avec la jeune femme. Il ne pouvait en être autrement dans un milieu qui rejette la différence.
«Les gens du village diront ce qu’ils voudront. Ils l’ont toujours fait. Et c’est bien connu, au village. C’est le premier dicton qu’on apprend, quand on y est né. Les étrangers sont des cormorans qui sèment la maladie et la mort. Et je n’étais plus que ça, un étranger. C’est ce que j’ai apporté avec moi, dans les trois rues de Sainte-Euphrasie, au cœur de ce village coincé dans le pli du paysage. C’est ce que j’ai répandu chez les gris d’en face. Qui vient de loin ne peut que mettre le feu aux poudres. Et ramener avec lui des souvenirs arsins.» (p.142)
Le narrateur rentre, retrouve Marie sa compagne, mais que dire quand tout a été dit, quand le pire est advenu ? Est-ce possible de guérir la blessure qui s’est ouverte en soi pendant les premières années ? Peut-on guérir de son enfance?
Jean-François Caron travaille par petites touches, place un décor, des personnages qui fascinent. On se laisse prendre par cette voix, les remises en question. Dur! Oui! Touchant en tout cas, remuant et fascinant. Un roman tout en nuances, en retenues et en chuchotements. Un ton surtout, une écriture incantatoire, une musique, une atmosphère. Une belle réussite qui vient en écho parfois «Aux fous de Bassan» d’Anne Hébert ou «Mademoiselle Personne» de Marie-Christine Bernard.

« Nos échoueries » de Jean-François est publié aux Éditions La Peuplade.