PURES ET DURES… JE NE SAIS POURQUOI,
mais ces qualificatifs ne m’ont pas étonné en lisant le titre du recueil de
nouvelles d’Andrée Ferretti. Cette attribution lui va comme un coquet petit
chapeau qui marque la venue du printemps. Qu’est ce que l’auteure cherche à
dire, vers quoi elle veut que le lecteur regarde ? Qu’on le veuille ou non, un
écrivain a toujours un désir de surprendre et d’étonner. S’il n’y a pas de vision
particulière sur le monde et la société, nous aurons un texte avec un
commencement et une fin comme il en existe trop dans notre monde du livre.
Tellement que cela crée des embouteillages dans les librairies. Pourquoi pilonne-t-on
tant de livres au Québec ? Que diriez-vous d’une fabrique de pâtes alimentaires
ou d’ordinateurs qui détruit la moitié de sa production chaque année ? C’est
pourtant la situation dans notre monde littéraire. À faire commerce on va
peut-être tuer la littérature.
J’aime examiner
un livre avant d’amorcer ma lecture, l’illustration de la couverture, les
données du livre, le nombre de pages, la présentation et l’incipit, cette clef
qui ouvre la porte d’un univers. C’est très souvent révélateur, parfois
trompeur et même, je l’avoue, cela m’a fait passer à autre chose même si
j’avais beaucoup de bonnes intentions au début. Appâter un lecteur n’est jamais
facile.
Voici vingt-six
nouvelles, chacune ayant pour titre un prénom féminin commençant par une des
vingt-six lettres de l’alphabet. Vingt-six portraits de femmes, saisis à un
moment crucial de leur vie, et qui illustrent un des rapports particuliers et
variés, qu’elles entretiennent avec la liberté. (Présentation du recueil)
Nous savons à
quoi nous attendre. Des femmes s’affirment, vivent des moments où elles doivent
choisir, demeurer fidèles à une pensée, à un comportement ou tout simplement trahir
une manière d’être dans la vie.
ENGAGEMENT
Andrée
Ferretti nous présente Adèle, Béatrice, Diane, jusqu’à Zoé… Une galerie de
femmes toute simple, pas très visible dans leurs vies et leurs préoccupations.
Pas de Shéhérazade, d’Iseult ou de Juliette qui se retrouvent au cœur d’un
drame cosmique.
J’ai été
étonné d’abord par l’âge des héroïnes. Elles sont soit en fin de vie ou en début
d’aventure. Peu sont à la veille de prendre des décisions qui marquent l’existence,
comme les relations amoureuses ou un choix de carrière. Peut-être que pour être
pure et dure il faut du vécu ou
encore avancer dans une façon d’être qui oriente tous les gestes et les
décisions.
Pas question
de donner dans la dentelle. C’est souvent cru, dur, souvent dérangeant. J’avoue
que certains personnages m’ont donné froid dans le dos, surtout cette Adèle qui
décide de prendre le maquis pour garder une certaine autonomie.
J’ai
soigneusement enveloppé dans des linges à vaisselle les nombreux objets
auxquels je tiens et les ai mis dans deux taies d’oreiller. Je les attacherai à
un drap et une à la fois, je les ferai descendre par la fenêtre qui donne sur
la courette de la maison. J’ai placardé toutes les autres et poussé plusieurs
meubles sur les portes d’en avant et d’en arrière. J’ai aussi couvert de vieux
journaux les planchers des quatre pièces. Je les imbiberai d’essence et y
mettrai le feu, juste avant de me laisser glisser le long du drap solidement
accroché à la fenêtre et de m’éloigner de la maison sans me retourner, libre
comme l’ai, assouvissant un désir presque aussi vieux que moi. (p.15)
Toutes les
héroïnes de Ferretti sont aux prises avec des contraintes, des lois, des façons
de faire et de se comporter qui brident le quotidien et les relations avec les
autres. Ces fameux consensus qui font que l’on vit dans l’indifférence sans
trop s’agresser, brancher irrémédiablement sur son je. Surtout que notre monde est
de plus en plus angoissé et qu’il faut tout prévoir de la naissance à la mort.
La fatalité a été supplantée par la gestion. On ne fait plus confiance à la vie.
Les humains sont des produits avec des dates de péremption. Il faut mourir en
passant par le foyer d’accueil et les soins palliatifs. On ne meurt plus dans
la nature ou dans sa bibliothèque en égoïste.
Les femmes de
Ferretti se retrouvent seules au bout d’un parcours. Comme si le fait d’avoir
défendu une manière d’être ou de vivre ne faisait que les pousser vers la
solitude. La liberté n’est pas un somnifère.
HÉLÈNE
Comment ne
pas m’attarder au portrait qu’Andrée Ferretti dresse d’Hélène Pedneault. J’ai
toujours aimé les intransigeances de cette militante, ses façons de dire,
d’être et ses contractions. Un grand cœur qui s’est battu toute sa vie pour la
liberté des femmes et leur reconnaissance.
Elle voulait
leur parler du pays, de ses rivières et forêts à découvrir et admirer, à
protéger pour jouir de leurs richesses incommensurables sans les exploiter
abusivement. Elle voulait leur parler de la nation, de sa culture à connaître
et aimer, à sans cesse recréer et promouvoir et, mettant la main à la pâte,
elle montait des spectacles qu’elle leur offrait avec la munificence de la
souveraine du don qu’elle était. (p.58)
Je n’ai pu
que revivre cette journée. Il pleuvait. Pas une petite pluie douce propre à la
flânerie. Une pluie qui noyait le cimetière de Shipshaw au Saguenay où Hélène a
été inhumée. Nous étions peut-être une douzaine sur l’herbe détrempée. Ses
sœurs, quelques amis. Marie-Claire Séguin a chanté l’une de ses chansons, un
texte comme elle seule avait l’art d’en tricoter. Du pain et des roses. Il pleuvait à boire debout sur Shipshaw.
Marie-Claire Séguin avait eu la délicatesse de rapporter une bouteille d’eau du
lac Sébastien pour le verser sur le cercueil de son amie. Personne ne pleurait,
il pleuvait. Hélène est partie dans un monde d’eau. C’était son genre.
Peut-être que son engagement dans Eau
secours lui était rendu en abondance. La nature sait toujours être
généreuse.
SOLITUDE
Je suis allé
de la femme volontaire qui a vécu sa vie comme elle l’entendait, à la militante
culturelle, à celle qui a été trompée ou violée, à la prostituée ou l’artiste
qui s’exprime pour masquer la grande douleur ou la blessure qu’est une vie.
Une plongée
dans un monde où des femmes subissent souvent la loi de l’homme, se battent
pour être, refusent de subir les diktats des autres. C’est difficile la
liberté, de se protéger dans les mailles d’un système qui repose sur
l’exploitation et la négation de l’autre, en particulier pour les femmes. Il
reste toujours une flamme chez les personnages de Ferretti, peu importe ce
qu’elles ont pu subir ou vivre dans un univers qui ne fait jamais de faveur.
Nous sommes
au cœur d’une époque de tragédies, de massacres au nom de Dieu ou d’Allah, d’une
folie qui cultive le goût de la mort. Heureusement, il y a l’espoir, la volonté
de vivre sans jamais abandonner ce qui est essentiel et nécessaire. La liberté
est intransigeante et il faut prendre des risques pour la courtiser. Il faut se
révolter aussi, s’enfoncer dans la solitude pour demeurer fidèle à son être. Ce
recueil de nouvelles nous le confirme en nous bousculant, en nous poussant dos
au mur. Une écriture directe, sans fioritures qui nous laisse souvent en
déséquilibre. Il est possible d’être pure
et dure, mais à quel prix ?
Pures
et dures d’Andrée Ferretti est paru aux Éditions
XYZ, 136 pages, 19,95 $.
http://www.editionsxyz.com/catalogue/671.html
http://www.editionsxyz.com/catalogue/671.html