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dimanche 29 août 2010

Suzanne El Farrah El Kenz témoigne

Il se passe peu de jours sans que des scènes viennent nous troubler à la télévision. Des voitures piégées explosent, des attentats suicides, des morts en Palestine. Les victimes sont des enfants, des femmes, parfois des militaires. Cela dure depuis la création de l’État d’Israël en 1947 et la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Il est vrai que ces violences ne sont plus exclusives à la Palestine ou Israël. L’Irak et L’Afghanistan sont aussi le théâtre de ces scènes sanglantes. Plus aucun pays n’est à l’abri de ce genre de drame. Israël impose sa loi au Proche-Orient par les armes. Les Palestiniens ripostent avec des bombes artisanales, dans des gestes désespérés et des actions suicidaires.
Les négociations tournent en rond depuis des décennies. Est-il possible d’imaginer la paix dans cette région perpétuellement en ébullition? Il faut se rappeler qu’Israël a été créé sur des territoires nationaux, expoliant des peuples qui habitaient des villes et ces lieux depuis des centaines d’années. Et immédiatement après la création de leur état, les Israéliens ont entrepris d’occuper les territoires environnants, réprimant toute opposition avec une rare violence.
Depuis, les Palestiniens tentent de retrouver un pays, vivent dans des camps, des territoires occupés, subissent les contrôles militaires. Sans compter les arrestations pour un oui ou un non.

Témoignage

Suzanne El Farrah El Kenz est née à Ghazza et elle a dû fuir en Algérie, en Égypte, en Arabie saoudite et en Tunisie. Après toutes ces pérégrinations, elle a trouvé refuge en France, à Nantes où elle enseigne. Elle n’oublie pas son pays perdu qui la hante tel un cauchemar qui ne prend jamais fin.
Dans «La maison du Néguev» cette spoliation prend la figure de la maison de ses parents située à Beer Sheva, en Israël. Cette demeure obsède la famille. La mère décide d’y effectuer une visite alors que la narratrice est encore enfant. Une scène pathétique qui la marquera à jamais et qui fait comprendre le drame des Palestiniens.
«Sans que nous puissions nous l’expliquer, nous étions tous le juif y compris, comme paralysés face à cette femme, grosse, obstinée et douloureuse. Oui, nous étions restés muets, immobiles. C’était ma mère et c’était sa maison ; et nous, nous étions écrasés par le poids de cette histoire. Son histoire. Nous n’existions plus. Nous étions effacés, anéantis par l’ampleur de la scène.» (p.19)
Bien sûr, cette visite tourne court. Les Juifs repoussent cette intruse en larmes. Imaginez ! Vous devez fuir en abandonnant tout derrière vous. Des années plus tard, vous retournez chez vous et vous faites face à des gens qui vivent dans vos meubles, dorment dans vos draps et utilisent votre vaisselle. Rien n’a changé dans votre maison. Les étrangers ont pris tout ce qui appartenait à votre famille, même vos souvenirs. On vous a volé votre identité. Nombre de Palestiniens ont vécu ce genre de drame.

Viol de l’être

«La maison du Néguev» témoigne de ces viols de l’être. Le récit de Suzanne El Farrah El Kenz est particulièrement déstabilisant. Une écriture qui fore l’esprit, une tragédie qui perdure depuis si longtemps qu’elle semble venir de la nuit des temps. Elle vous montre aussi le visage le plus sordide de l’humain.
«Le temps et l’histoire avaient fait leur œuvre au cours des années passées. Une société entière s’était construite et installée alors que moi et les miens nous avions été exclus, pillés, vidés. Et nous revenions maintenant, voir… visiter ; assister comme de vrais touristes, au spectacle qui s’offrait impudemment à nos yeux. Pouvions-nous avaler tout cela sans sourciller ? Pour le moment, j’étais paralysée.» (p.99)
Voilà peut-être le pire drame que peut connaître un homme et une femme, devenir un touriste dans son pays, un étranger dans la rue de son enfance, devant la maison de ses parents. Bien pire, ces étrangers se sont emparés de vos souvenirs.
Suzanne El Farrah El Kenz décrit et dit ce que nous n’entendrons jamais aux informations télévisuelles qui se contentent des scènes sanglantes. Le cri de cette écrivaine fait comprendre ce qui se vit au jour le jour en Palestine et particulièrement dans la bande de Ghazza. Un cauchemar qui perdure dans l’indifférence et qui reste dans l’actualité par la violence.

«La maison du Néguev» de Suzanne El Farrah El Kenz est publié aux Éditions de La Pleine Lune.
http://www.pleinelune.qc.ca/cgi/pl.cgi?auteur=El%20Farrah%20El%20Kenz,Suzanne

dimanche 15 août 2010

Lisa Moore hante le lecteur par sa précision

Une femme perd son mari lors du naufrage de la plate-forme de forage Ocean Ranger. Une tempête au large des côtes de Terre-Neuve et l’installation qu’on pensait indestructible sombre. Quatre-vingt-quatre hommes périssent dans cette tragédie, le cinq février 1982. Le choc est terrible pour Helen qui se retrouve seule avec ses quatre enfants.
«L’Ocean Ranger a commencé à sombrer le jour de la Saint-Valentin, et à l’aube, le lendemain, la plate-forme était engloutie. Tous les hommes qui s’y trouvaient sont morts. Helen avait trente ans en 1982. Cal en avait trente et un. Il a fallu trois jours avant d’être sûr que les hommes étaient tous morts. Les gens ont espéré pendant trois jours. Pas tout le monde. Pas Helen. Elle savait qu’ils étaient disparus, et ce n’était pas juste, mais elle le savait. Elle aurait aimé avoir ces trois jours. On a dit combien c’était dur, de ne pas savoir. Helen aurait aimé ne pas savoir.» (p.14-15)
La jeune femme est dévastée, mais il y a les enfants qui n’ont qu’elle.
«À cause des enfants, Helen se sentait obligée de faire semblant qu’il n’y avait pas de dehors. Ou, s’il y en avait un, qu’elle y avait échappé. Helen voulait que les enfants croient qu’elle était à l’intérieur avec eux. Dehors était une vérité hideuse qu’elle avait l’intention de garder pour elle. C’était tout un cinéma, ce mensonge quant à la nature du lieu où elle était véritablement: dehors.» (p.21)

Évocation

Le lecteur est ballotté entre les vagues du présent et du passé, sans avertissement. C’est douloureux, souvent intolérable. Il plonge dans le vécu de cette femme, ses amours, la vie des enfants, particulièrement celle du fils. Quel courage il faut pour continuer quand le monde s’effrite. Helen peut compter sur sa sœur Louise, quelques amies  et la petite communauté. La misère guette. La famille a perdu tous ses revenus. Elle tente de travailler comme serveuse mais arrive mal à prendre contact avec les autres. Elle fera de la couture pour refaire sa vie point par point.
Lisa Moore a une manière de dire cet univers en plongeant dans les détails du quotidien. Le lecteur suit Helen, John son fils qui apprend qu’il sera père après une escapade avec une jeune femme qu’il connaît à peine. L’écriture impose ses tourbillons et nous entraîne dans ses spirales. Un rythme fascinant, étourdissant, souvent déstabilisant.

La survie

Helen tente de vivre une sorte de tendresse à défaut du grand amour, après avoir tenté de reconstituer le drame en lisant tous les rapports qui touchent cette tragédie qui a marqué les esprits, particulièrement les gens de Terre-Neuve.
«Si elle avait été honnête, elle aurait demandé : Pourriez-vous être mon mari mort le temps d’un après-midi. Pourriez-vous enfiler ses vêtements, je les ai encore. Voudriez-vous porter l’eau de Cologne qu’il portait. Pourriez-vous fumer des Export A, juste le temps d’un après-midi. Voudriez-vous boire de la bière India et faire brûler les steaks sur le barbecue, pourriez-vous être drôle, conter des blagues et laisser des provisions pour la famille, plus bas sur la route, qui n’a rien à manger. Pourriez-vous être Cal?» (p.154)
Helen n’oublie rien malgré  les voyages, un homme qui s’installe peu à peu dans son quotidien. Ses filles ont des vies un peu difficiles et son fils voyage, téléphone à toutes les heures de la nuit et du jour, ayant du mal à couper avec sa mère.

Grand art

Lisa Moore possède l’art de bousculer le temps et l’espace. Une précision époustouflante. Du grand art, une sorte d’incantation qui envoûte telles les vagues de l’océan. Tout le décor devient vivant, un personnage qui hante le lecteur.
«Février» est magnifiquement traduit, il faut le signaler, par Dominique Fortier, une romancière qui vient de publier «Les larmes de saint Laurent» aux Éditions Alto.

«Février» de Lisa Moore est publié aux Éditions du Boréal. 
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/lisa-moore-1445.html

Stéphanie Kaufmann plonge dans ses souvenirs

Certains lieux et objets rappellent l’histoire des hommes et des femmes. Il suffit de prendre le temps de s’attarder pour entendre et se souvenir.
 Stéphanie Kaufmann, dans «Ici et là», une suite de fragments, se penche sur des lieux, des objets; évoque des odeurs et des couleurs qui marquent la vie. Impossible de fréquenter certains endroits sans se souvenir, se rappeler des moments précieux ou des événements que l’on souhaiterait oublier. Parce que partout autour de soi, des empreintes survivent, des constructions témoignent. Le propre de l’homme est sans doute de laisser des traces et des signes derrière lui. Tout comme il peut encombrer sa mémoire de souvenirs.
Des événements s’imposent et se gravent comme des pierres précieuses. Et les voilà, abandonnés au temps et à l’usure. Reste les retours dans l’enfance qu’une couleur provoque, qu’une odeur avive. Des êtres chers disparaissent comme la vie le veut. Il y a tant de manières de fouiller le temps, de ranimer son passé, de caresser le bonheur et de chasser la souffrance. Tout vieillit, tout change, même les enfants qui s’acharnent à devenir des adultes et après des vieillards. La jeunesse pousse vers la vieillesse, des nuits où il n’est plus possible de trouver le sommeil à cause de la douleur. La pensée s’énerve.
«Il disait Champlain comme Proust aurait écrit Combray, et c’était une belle maison que nous habitions alors, les champs devant et le fleuve au fond de la cour. Je l’ai revue hier, vieillie, la peinture écaillée et la véranda boiteuse, avec ses jalousies rabattues à l’intérieur comme avant, lorsque les nuits étaient froides et qu’on emprisonnait la chaleur dans les chambres.» (p.35)
Quelle belle manière de feuilleter l’album des souvenirs, d’évoquer la vie qui invente tous les tournants. Tout est possible, on le sait, le pire comme le meilleur.

Regard

Stéphanie Kaufmann démontre un extraordinaire sens de l’observation et de l’évocation. Ses textes sont ciselés comme des travaux de broderie. C’est toujours juste et bien senti. Un plaisir qu’il faut déguster à petites phrases, en prenant bien son temps. Ne pas hésiter surtout à revenir sur certains passages pour mieux en surprendre les saveurs. Certains fragments se dégustent comme des chocolats onctueux.

« Ici et là» de Stéphanie Kaufman est paru aux Éditions L’instant même.

dimanche 8 août 2010

Yvon Rivard questionne le rôle de l’intellectuel

L’intellectuel joue-t-il encore un rôle dans une société où l’économie dicte toutes les décisions? Yvon Rivard, dans «Une idée simple», lance la question.
 «Mais si l’intellectuel (entendre : tous ceux qui pensent en écrivant, tous ceux qui vont aux choses par le détour des mots, des images et des chiffres) veut vraiment faire son métier qui consiste à découvrir le réel, s’il veut comprendre la complexité du monde, en mesurer l’opacité, épouser le malheur des mortels, il doit se rapprocher de ceux qui sont au fond du baril et du puits étoilé, tous ceux qui, étant exclus du monde par l’injustice, sont pour ainsi dire projetés au-delà, confrontés à l’infini des ténèbres qui les enserrent, condamnés, comme les malades, les pauvres et les agonisants, aux grandes questions dans lesquelles se rencontrent le métaphysique et l’éthique : comment et pourquoi se rendre jusqu’à demain?» (p.10)
Voilà des propos qui ont hanté les penseurs tout au long de l’histoire de l’humanité. De Socrate à Jean-Paul Sartre.
Qui cherche à donner un sens à l’existence par la réflexion et l’écriture, doit tenir compte des démunis pour jouer pleinement son rôle. Il doit se rouler les manches et quitter sa tour d’ivoire.
«Ce n’est pas tomber dans l’anti-intellectualisme populiste que d’affirmer la nécessité pour l’intellectuel de combattre son propre savoir, de l’assujettir constamment, et non pas seulement en temps de crise, à des exigences morales, à l’obligation de porter assistance à autrui.» (p.18)
Rivard ne demande pas à l’intellectuel de se changer en Mère Teresa, mais d’éprouver de la compassion et de l’empathie pour ceux que la société sacrifie souvent.

Vision

Comment «porter assistance à autrui» en écrivant et en combattant son propre savoir?
«C’est, au contraire, avoir de l’intellectuel la vision la plus haute que de lui assigner la tâche la plus difficile, double tâche qui consiste d’abord à se séparer du monde pour acquérir un savoir qui lui permettra de changer le monde ou en tout cas de ne pas accélérer sa destruction, et ensuite qui exige le sacrifice de ce savoir, que celui-ci soit un savoir d’allègement ou d’approfondissement, de création ou d’analyse.» (p.18)
S’isoler du monde pour acquérir des connaissances et se mettre au service des plus humbles plus tard en oubliant les acquis... Un peu étrange.
«Si nous avons un avenir, cet avenir ne peut être que le passé réécrit par ceux qui l’ont quitté et qui le réinventent, et ce passé c’est l’héritage québécois de la pauvreté, l’héritage d’un peuple qui a appris pour le meilleur et pour le pire à se méfier des pouvoirs.» (p.69)
Pas certain que Rivard va faire école avec des idées semblables. Le passé, depuis la Révolution tranquille, nous nous efforçons de le mettre en veilleuse ou de le nier,

Compagnons

Yvon Rivard s’attarde à des écrivains qui ont cherché une petite lumière dans les ténèbres. Virginia Woolf, Peter Handke, Gaston Miron, Gabrielle Roy, Marcel Proust et le cinéaste Bernard Émond. Des créateurs qui ont tenté de surprendre l’étincelle qui embrase une vie et indique une direction.
«Notre travail à tous, que nous soyons ou non peintres ou écrivains, c’est de parvenir à cette autre vie à l’intérieur de notre vie. L’œuvre parfaite, et peut-être n’y parvenons-nous qu’à la mort, serait l’instant où ces deux vies se rejoignent.» (p.136)
Voilà l’aspect le plus intéressant de ce questionnement. 
«Si on ne lit pas attentivement et littéralement Gabrielle Roy, on peut penser que toute son œuvre procède de la nostalgie, que « la source vive de sa vie », comme celle de Martha, c’est son enfance, sa vie avant l’écriture, avant l’exil. Il me semble, au contraire, que cette œuvre vit de et dans l’instant où l’on peut reconnaître le passé, bien sûr, mais où surtout s’opère le recommencement perpétuel du monde, « une sorte d’enfance éternelle de la création.» (p.138)
Des textes exigeants qui soulèvent nombre de questions sans nécessairement fournir les réponses. «Une idée simple» s’avère particulièrement complexe. Le lecteur ne trouvera chez Rivard aucune certitude, mais une direction, un regard empathique sur le monde et les vivants.  De quoi occuper nombre de jours et bien des nuits.

«Une idée simple» d’Yvon Rivard, aux Éditions du Boréal. 
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/yvon-rivard-615.html

dimanche 1 août 2010

Un électrochoc servi par France Théorêt

France Théorêt, dans «La femme du stalinien», nous plonge dans un roman dérangeant.
Louise Aubert a été écrasée par Mathieu, pour ne pas dire détruite par le compagnon qui a partagé sa vie pendant une douzaine d’années. Un intellectuel à qui l’on promettait un brillant avenir. Un homme capable de toutes les cruautés dans la vie privée. Il se proclame de l’avant-garde, découpe certains ouvrages littéraires au scalpel, mais se garde bien d’écrire même si tous attendent de lui l’œuvre qui fera époque et changera le regard des écrivains.
Louise est son amante, sa maîtresse, son souffre-douleur et sa servante. Un canevas un peu usé qui a souvent été repris par les féministes pendant les années soixante-dix.
«Tu es intarissable. Les habituelles leçons sur l’avant-garde littéraire font surface. Tu hurles de ta voix haut perchée qui n’a pas mué, de ta voix éraillée. Des accents ressemblant à des sanglots percent. Tu es furieux comme jamais. Tu me dis que je ne sais pas penser. Je tremble. J’essaie de ne pas trembler et je n’y arrive pas. Mes dents claquent, je serre la mâchoire et les lèvres. Les larmes me viennent aux yeux. Tu tempêtes. Tu me punis. Tu arrêtes. La crise est terminée. Tu changes d’attitude et décide que mes lignes ne valent pas ton emportement. Tu m’invectives avec dérision.» (p.27)

Démolition

La pauvre Louise passe au blender. Tout ce qu’elle pense et dit, tout ce qu’elle ose écrire est transformé en purée. Pour se protéger, elle devient muette. Et comme si ce n’était pas assez, elle a subi un père qui méprisait les femmes, entretenait une haine viscérale envers les penseurs et les intellectuels. Une pensée que partageait nombre de Québécois à une certaine époque. On répétait ces inepties et le clergé souriait en donnant du goupillon. Les Mgr Ouellet de ce monde pullulaient et peu de gens osaient remettre en question les diktats de ces gardiens de la vérité.
France Théorêt ne lésine pas. Tout est noir ou blanc. Les hommes ont la science infuse et ils ont reçu le savoir avec un pénis en prime. Les « vraies femmes » obéissent et servent en souriant. On se croirait dans une société dirigée par des Talibans.

Staline

Mathieu entre au Parti stalinien qui prône la haine, la rage et le meurtre. On se souviendra que des groupuscules, au moment de la Révolution tranquille, découvraient le communisme et s’y plongeaient avec un aveuglement pathétique. Ils défendaient l’indéfendable et discutaient pendant des heures les idées les plus invraisemblables. France Théorêt pousse la caricature à la limite.
«Quand nous serons au pouvoir, nous les communistes, la chair de la chair, le sang du sang des prolétaires, nous aurons le devoir de la haine sacrée. La haine héroïque que le parti entretient approfondit notre vision de l’avenir. Nous vaincrons. Le prolétariat détient la vérité. À moins que je ne dise comme lui, il veut que je subisse l’effroi de son discours. Je suis aphone, sans capacité de réplique.» (p.135)
Louise s’en sort en écrivant, après une dépression. Une écriture en forme de thérapie, comment peut-il en être autrement. Elle rédige une longue lettre à cet illuminé, s’attarde à sa vie et à son enfance. C’est souvent pathétique et touchant. D’une précision chirurgicale.
Un roman qui témoigne de la folie des hommes et de leurs obsessions, de ces individus qui se croient investis d’une mission et qui broient les êtres autour d’eux pour atteindre leur but. Cela a donné des régimes politiques où l’on éliminait tous les dissidents et les intellectuels.
Un roman didactique qui rebutera certains lecteurs. Il est difficile maintenant de voir le monde en noir et blanc. Et comment juger entre le fou, l’illuminé, le dictateur et la victime. Du moins dans nos sociétés. Il reste que ce genre d’hallucinés existe encore. Ils agissent par conviction ou simplement par bêtise. Heureusement Louise se libère. Elle claudique, hésite mais retrouvera un air d’aller grâce à l’écriture, se refera une santé mentale en s’adressant au tyran. «La femme du stalinien» possède le tranchant d’une lame de couteau. L’impression d’avoir marché sur du verre tout au long de la lecture.

«La femme du stalinien» de France Théorêt est publié aux Éditions de la Pleine lune.

dimanche 25 juillet 2010

Dany Laferrière n’oublie pas janvier 2010

Le 12 janvier 2010, la terre tremblait en Haïti. En quelques secondes, ce pays retournait à l’âge de pierre, détruisant à peu près tout, faisant des centaines de milliers de morts. Un coup de massue inimaginable.
Dany Laferrière, dans «Tout bouge autour de moi», raconte ce qu’il a ressenti pendant cette catastrophe. La peur bien sûr, la crainte du pire. Le sol ne cessait de bouger, pris de fièvre. Et il y a sa mère et sa sœur dont il était sans nouvelle. Que le noir, le silence inhabituel, la nuit chaude et oppressante. L’impression d’être hors du monde.
«La terre s’est mise à onduler comme une feuille de papier que le vent emporte. Bruits sourds des immeubles en train de s’agenouiller. Ils n’explosent pas. Ils implosent, emprisonnant les gens dans leur ventre. Soudain, on voit s’élever dans le ciel d’après-midi un nuage de poussière. Comme si un dynamiteur professionnel avait reçu la commande expresse de détruire une ville entière sans encombrer les rues afin que les gens puissent circuler.» (p.19)
Pas d’électricité, de téléphone et d’Internet. Que les étoiles dans le ciel. Et puis l’aube après une nuit interminable. La mère et la sœur de l’écrivain ont été épargnées, son neveu aussi.
Dany Laferrière circule dans les rues, rencontre des hommes et des femmes. Ils sont calmes devant la fatalité. La vie est là, mille fois plus précieuse. Tellement forte.

Médias

Les médias ont débarqué, montrant les ruines et les morts alignés dans les rues, les victimes sous les débris. Les images frappent le cœur et le cerveau. Dany Laferrière, sous les conseils de  ses amis, rentre au Canada.
«Il n’y a pas que les Haïtiens d’ici, il y a aussi ceux qui sont à l’étranger, ils doivent savoir ce qui s’est passé. Par quelqu’un en qui ils ont confiance, un des leurs qui a vécu ça. Ils veulent l’entendre dans leurs mots et selon leur sensibilité. Déjà en période calme, ils se méfient de la manière dont la presse internationale parle d’Haïti (un peuple de miséreux), tu crois qu’ils vont les croire aujourd’hui? Tu auras toutes les tribunes disponibles et ta voix pourra équilibrer les choses.» (p.87)
Le lauréat du prix Médicis avec «L’énigme du retour» devient la voix d’Haïti. Il raconte son expérience, le courage de son peuple. Il le fait au Québec, aux États-Unis et en Europe. Partout il écrit, incapable de s’arrêter. Il est pris d’une frénésie. Pour exorciser le malheur peut-être. L’écrivain n’arrive souvent à saisir la réalité qu’en bousculant les mots et les phrases. «J’écris ici pour ceux qui n’écrivent pas.»

Médias

Des images reviennent jour et nuit à la télévision, des scènes d’horreur, les morts, les survivants qui attendent de l’aide. Les caméras cherchent à marquer l’imaginaire, les pillages qui n’arrivent pas. Il ne peut se détacher du petit écran. Ces scènes deviennent plus obsédantes que la réalité qu’il a vécue. Il explique le combat de son peuple pour de l’eau et un peu de nourriture. Tous sont dans la rue. Ils ont tout perdu. Tout ce qui faisait la vie avant n’est plus possible.
Dany Laferrière tente de prendre un certain recul. Que sera l’avenir de ce pays, de ce peuple d’artistes, de peintres et de poètes? Il explore des pistes, mais les moments qui ont bouleversé sa vie ne le lâchent pas.
«Mais pendant dix secondes, ces terribles dix secondes, j’ai perdu tout ce que j’avais si péniblement appris tout au long de ma vie. Le vernis de la civilisation qu’on m’a inculqué est parti en poussière. Comme cette ville où j’étais. Tout cela a duré dix secondes. Est-ce le poids réel de la civilisation ? Pendant dix secondes, j’étais un arbre, une pierre, un nuage ou le séisme lui-même. Ce qui est sûr, c’est que je n’étais plus le produit d’une culture. J’étais dans le cosmos. Les plus précieuses secondes de ma vie.» (p.141)
Maintenant, la bousculade des médias s’est déplacée ailleurs, pour une autre catastrophe. Heureusement, il reste les mots de Dany Laferrière pour nous rappeler ce drame. Particulièrement touchant. Un témoignage qui laisse sans voix.

«Tout bouge autour de moi» de Dany Laferrière est publié chez Mémoire d’encrier.