Nombre total de pages vues

vendredi 15 août 2003

La magie de l’enfance ne marche pas toujours


Un prénom: Caramellia. Une valise ouverte en bas de page frontispice. Des objets tout au fond sans pouvoir deviner de quoi il s’agit. Un coffre aux trésors, des secrets profanés… Assez pour piquer la curiosité.
Des pages doubles, pliées, des photos qui ne se laissent pas apprivoiser au premier regard. Des objets minuscules semblent dériver sur de grandes pages. Il faut insister avant de rattacher cette matière à une certaine réalité. Des pierres, des cubes, une tête de poupée et d’autres formes imprécises. Des jouets qui évoquent l’enfance. La place de ces choses dans l’espace blanc de la page crée une tension.
«D’abord il y a (il y eut) Caramellia, ensuite Émile, puis viennent (vinrent) Lorie-Roche, Albertti, Catherine II, Eurydice Fauve et enfin JeAnne. Sept personnages en trois pages chacun qui forment un texte poétique en prose. Sept tableautins en mots, presque photographiques par leurs flux et leurs silences lumineux, par leur cadrage et leur instance pour fixer à jamais l’éphémère d’un visage nu ou d’un objet.»
Ève Cadieux explique sa fascination de l’enfance qui permet d’inventer des univers, de les triturer, les transformer par des expressions, des dessins et aussi des rêves pleins de peur et de terreurs. Une quête de mémoire également. La nostalgie de l’adulte devant le monde perdu de son enfance.

Magie verbale


Ève Cadieux brosse des miniatures, se laisse porter par les mots qui bousculent les images et provoquent l’arrivée de mondes fragiles. À la manière des surréalistes qui ont favorisé les associations les plus étranges.
«Lorie est construite de gemmes qui luisent sous quelques lumières. Son cœur étouffe d’être le seul de chair, serré, couvé sauf à l’endroit où une infime pierre de naissance l’a percé. Organe tendre comme un poussin déjà fatigué de frapper une coquille immuable. Le douzième œuf clos, au panier, se meurt.»
Et encore des images.
«Elle enterre. Elle chatouille d’un biscuit sablé, sous son ample linceul déformant, sa poitrine, à peine femme.»
La recherche se perd dans un magma verbal incontrôlé. Peut-être que Francis Ponge ou Tristan Tzara ont épuisé cette quête de nouveaux horizons. Il faut plus que l’évocation ou les abstractions verbales pour nous emporter. La métamorphose souhaitée par Ève Cadieux n’arrive pas.

«Caramellia» d’Ève Cadieux est paru aux Éditions J’ai Vu.

jeudi 14 août 2003

Un moment de réflexion dans la bousculade

Malgré tout la vie, malgré tout l’écriture, malgré tout l’existence pourrait-on dire du livre de Robert G. Girardin. Un texte qui cumule à la fois de très courtes histoires et des aphorismes. Le genre d'écrit à ne pas lire d’une traite. Il faut le fréquenter longuement, traîner un bon bout de temps sur ces courts récits, fouiller, relire pour en apprécier la saveur et tous les mots.
Girardin touche à tout ce qui fait la vie d’un homme qui voyage et qui prétend tirer des leçons des agissements de ses contemporains. Parce que cet écrivain se veut moralisateur dans un monde sans morale, se veut réflexif et signifiant dans un monde qui se perd de plus en plus dans le virtuel et le jetable.
«Un jour, je suis né et je ne me le rappelle pas. Un autre jour, je vais mourir et je ne me le rappellerai pas non plus.» ( p.90)
Bien sûr une entreprise du genre comporte des risques et Robert G. Girardin bascule parfois dans la facilité.
«La feuille de papier vaut bien la feuille d’aluminium.
Un café seul refroidit vite.» (p.144 )
«À Montréal, je me sens souvent comme un Acadien dans un ascenseur à Moncton.» (p.154)

Regard

Le regard que cet écrivain pose sur le monde révèle plus sa véritable nature que ce qu’il veut dénoncer ou montrer. On devine un concept de la liberté, un genre de vie qui se veut particulièrement proche des années d’errances où il fallait fuir toutes les formes de travail ou d’engagements. Girardin est demeuré fidèle aux années 70, ces années où l’on rêvait l’amour et la paix tout en préparant un monde particulièrement matérialiste  et dur.
Pourtant cet ouvrage est nécessaire dans une société où les pauses réflexives sont de moins en moins fréquentes. Ces phrases une fois retournées et scrutées à la loupe réussissent à nous faire sourire, à nous questionner ou nous font hausser les épaules tout simplement. C’est déjà beaucoup.
Girardin écrit le journal du quotidien, propose la réflexion au jour le jour. Il y est question de la vie, de la mort, du sens à donner à l’aventure contemporaine qui affole les plus audacieux, du travail, des guerres et de la violence. Le livre s’est construit au hasard des rencontres, d’une lecture, d’une sortie ou tout simplement d’un mot glané dans la rue. Le lecteur gardera ce qu’il veut.
«Petit à petit, le train s’éloigna, emportant ce moment de bonheur qu’il ne revivrait plus. L’écrivain quitta la gare et retourna à sa mélancolie. Le bonheur, comme l’orgasme, ne dure pas longtemps.» ( p.37)
Que dire devant les folies de la guerre, les affrontements et les tueries sinon répéter, retrouver des formules qui n’ont jamais été comprises. Robert G. Girardin ne s’en prive guère et c’est pour le meilleur et le pire.

«Malgré tout, histoires et aphorismes» de Robert G. Girardin est paru à La Pleine Lune.

Pas facile de briser les carcans de l’imaginaire

Le Groupe Ville-Marie, depuis quelques années, sous la houlette de Simone Saurens, publie un collectif à l’occasion de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur. Plusieurs écrivains d’ici et d’ailleurs se laissent tenter par un thème. L’entreprise n’est guère nouvelle mais elle s’avère toujours intéressante pour jauger l’originalité et l’imaginaire des écrivains.
Quarante écrivaines et écrivains ont répondu à l’appel du métro. Une aventure un peu périlleuse, surtout quand on mélange poésie et prose. Qu’on le veuille ou non, le poème ne s’aborde pas comme la prose. Question de rythme, de souffle qui appartiennent en propre aux deux genres. Peut-être faut-il lire «Lignes de métro» en deux temps. S’attarder d’abord aux poèmes et après, plonger dans les nouvelles. On arrivera ainsi à mieux rendre justice aux prosateurs et aux poètes de ce collectif.
La présentation est faite par ordre alphabétique, ce qui n’est pas nécessairement la meilleure façon de procéder. On va de texte en texte, d’un genre à l’autre sans force directrice. Les écarts sont énormes.
Cette lecture révèle surtout comment il est difficile pour les écrivaines et les écrivains de s’arracher aux clichés. Quelques-uns arrivent à se démarquer et à bricoler un texte original mais ils sont rares. Mentionnons François Barcelo, Lili Gulliver, Michel Desautels, surtout pour la fin de sa nouvelle.

Lieux communs

Les lieux communs se bousculent tout au long de ces quarante rames de métro qui vont en cahotant un peu beaucoup. Étouffement, enfermement, promiscuité, reflets dans les vitres de la rame, bousculades, peur de l’autre et inévitablement, la fin de tout, le suicide. Quelques-uns aussi ne peuvent résister à la tentation d’énumérer les stations en faisant allusion au chemin de la croix ou pour jeter un regard derrière l’épaule. Aline Apostolska, Rober Racine et François Vignes.
Le souterrain aussi évoque les profondeurs de l’inconscient et permet de révéler certains secrets. Stanley Péan, Naïm Kattan et Philippe Haeck. Ce sont les plus intéressants.
On peut citer Danielle Fournier pour les deux derniers vers de son poème.
«Personne pourtant ne t’accompagne
Quand tu t’assois à côté de ton ombre.» (p. 73)
Recueil inégal et qui manque un peu de tonus. Une dizaine de textes se distinguent tout au plus sur la quarantaine. C’est un peu mince, surtout avec les grands noms qui signent des textes.

«Lignes de métro», collectif sous la direction de Danielle Fournier et Simone Sauren est paru à L'Hexagone-VLB éditeur.

Jacques Michaud se contente des anecdotes

«Sakka» désigne l’horizon en inuktitut selon l’auteur. Jacques Michaud nous entraîne dans sa première époque, nous pousse vers l’âge adolescent, revient, repart, passe d’un temps à l’autre et finit par nous étourdir.
 Pourtant, l’enfance a été singulière. Elle a été celle des gens de la campagne qui ont connu l’école du rang, le plaisir d’avoir la forêt à portée de la main en Abitibi (pourquoi écrire Abbittibbi), d’avoir des frères et des sœurs pour apprivoiser le monde et ses turpitudes.

Tout au long de cette lecture on cherche l’intention, la direction et le but de l’auteur. Où veut en venir Jacques Michaud avec cette quinzaine de récits qui voltigent ici et là. J’ai dû me résoudre à l’anecdotique. Ce qui aurait pu s’avérer un agréable récit, devient un fatras de souvenirs mal ficelé.
«Son vaisseau débordait, il s’était même permis de faire un comble. Le jeu d’adresse n’était cependant pas terminé. Il lui fallait maintenant sortir de sa cache. Alors qu’il cherchait un appui solide où déposer le poids de sa jambe, un sifflement aigu fendit l’air, frappa le fond de l’horizon pour rebondir tout aussitôt. Marie-Claire, la cadette des sœurs, cria à s’en déchirer la voix. Jéal prit peur, perdit pied et, du même coup, la récolte de fruits qu’il tenait à la main. Le sifflement se répercuta à nouveau. Cette fois, il en reconnut la nature: le bruit de l’explosion de balles de calibre .22 retentissait au-dessus de sa tête.» (p.56)
Et ce n’est pas une fin pathétique qui sauve l’entreprise. Quand on nage dans l’enfance, il faut la manière. Le style, le rythme, la couleur et l’originalité manquent totalement à Jacques Michaud.
«Le souffle court et le cœur tremblotant, ils découvrirent la blancheur laiteuse de deux hémisphères qu’une ligne sombre et profonde réunit pour en faire tout à coup la face cachée de la lune.» (p.23)
Tant de mots pour expliquer que les deux petits garçons viennent de baisser leurs culottes sous la galerie. Ils découvrent leurs anatomies. Le lecteur ne peut qu’abdiquer devant une écriture qui a trop bouffé d’hormones.

«Sakka» de Jacques Michaud est édité aux Éditions Vents d’Ouest.

Voyager autour de soi comporte des risques

Sylvie Massicotte en signant «Au pays des mers» offre un ouvrage qui aurait très bien figuré dans la belle collection «Écrire» des Éditions Trois-Pistoles. Tout y est ! Un thème, une piste de réflexion, un lieu pour l’écriture, une fascination pour les bords de mer où les rencontres et les hasards peuvent se bousculer. Parce que devant la mer, la réflexion vient avec la vague et le ressac. Sylvie Massicotte, avec ce texte tout en questions et en regards, fait oublier les frontières. Nous la suivons sur les routes de l’écriture et jamais nous n’avons envie de rebrousser chemin. La contemplation de l’horizon, une journée particulière évoque les pays de l’enfance. Nous basculons dans un texte de fiction qui devient le galet qui capte le regard. Parce que la mer c’est le temps aboli, le temps renouvelé, l’espace qui se défait et s’ouvre à la vie et aux traces qui marquent le corps. Ces signes et toutes ces petites cicatrices, ce sont la matière du texte après tout. C’est la limite du rêve et de la réalité, la frontière du présent et du passé.
«L’écriture que je pratique part du principe que le lecteur est intelligent. Capable de déduire. C’est précisément pendant qu’il est en train d’extraire l’information, au fil de la lecture, qu’il sentira un inconfort semblable à celui éprouvé par les personnages eux-mêmes déstabilisés dans un moment de leur existence. Cette expérience va bien au-delà de l’histoire racontée.» (pp.50-51)
Déduire, peut-être avons-nous la clef de Sylvie Massicotte. Aller au-delà pour sentir, pour voir, pour trouver le sens et les sens.

Matière

Tout peut servir. Un voyage effectué il y a des années qu’il faut reconstituer à grands coups de mémoire, une conversation qui a changé l’écriture et le regard; un texte qu’on a laissé comme un caillou pour ne pas s’égarer. Sylvie Massicotte s’accroche à des extraits déjà publiés et les insère dans son texte pour montrer le vécu qui se transforme en fiction. Parce que le voyage, c’est toujours la direction du texte, les pas qui rapprochent de soi dans une danse un peu étrange.
Comment résister ?
Le lecteur, tout autant que l’écrivaine, réfléchit à l’art de dire et de vivre. Des questions justes et pertinentes, des pistes qui nous font entrevoir la femme et son univers. Chapitres courts, esquisses au fusain presque, Massicotte construit un puzzle qui nous ouvre un jardin discret et fascinant.
«Il y a ce que je me suis fait vivre pour écrire. Il y a ce que je ne me fais plus vivre, pour écrire quand même. L’écriture passe la première. De temps en temps, je la repousse. C’est est assez. Cette fois, ce sera moi. Je traverse une période sans mot, comme l’été où je me suis surtout occupée à organiser des ateliers pour mieux parler d’elle : l’écriture.» (p.21)
Un livre à relire, une écriture juste, des rencontres marquantes comme celle de l’écrivain Denis Bélanger à qui je dois des bonheurs de lecture.

«Au pays des mers» de Sylvie Massicotte est paru aux Éditions, Leméac.

Gilbert Choquette joue de la dualité

Gilbert Choquette a signé une quinzaine d’ouvrages jusqu’à maintenant, remportant le prix France-Québec en 1985. Une carrière discrète et marquée par la persévérance. Je me souviens pour avoir lu «La mort au verger», un roman d’amour particulièrement dur et violent.
Dans les cinq nouvelles des «Contes de la voix mauve», Monsieur Choquette s’attarde aux forces qui s’affrontent dans une même personne et qui peuvent surgir selon les rencontres et les hasards. Si souvent ces antinomies sont maîtrisées, elles peuvent aussi faire en sorte qu’une femme et un homme mènent une double vie. Qui voit-on dans le miroir?
Dans la première nouvelle, «La voix mauve», la mieux réussie du recueil, Choquette présente deux femmes «identiques». Le problème de la gémellité est bien posé. Le narrateur croise la «copie conforme» de son épouse lors d’un voyage. Deux femmes semblables et différentes.... Comment choisir entre l’épouse légitime et cette psychologue américaine qui fuit un mari écrivain en Italie.
Choquette installe le doute. Peut-être que l’épouse se livre à un jeu pervers et étrange. Aurait-elle décidé de faire subir une épreuve à son mari. Elle doit passer des vacances dans le Maine, mais a-t-elle décidé de changer d’identité et de jouer l’étrangère aux côtés de son philosophe de mari.
L’idée paraît trop belle. Choquette fait mourir l’épouse légitime et la remplace par l’étrangère. Les voyeurs peuvent aller se rhabiller.

Le démon

Valérie, dans «Une fiancée ambiguë», doit affronter le démon qui vit en elle. Le noir et le blanc, le mal et le bien se chevauchant dans un même être. L’histoire ne va nulle part. Ce questionnement qui aurait pu être pertinent dans un monde qui ne jure que par l’image tourne à vide. Qui faut-il choisir dans notre monde? L’ange ou le démon?
Et comment croire à l’époque d’Internet et du terrorisme international aux jeunes filles qui vivent recluses dans leur chambre pour écrire de la poésie en arrosant le papier de leurs larmes? On voudrait imaginer une satire mais Choquette gâche tout avec cette écriture qui sent la boule à mites et la poussière du grenier.
«Allons, il n’est pas trop tard pour aller lécher de mes yeux altérés la flaque immense de la Méditerranée.» (p.11)
De quoi fuir au bout du monde et ne plus jamais s’approcher de «la flaque immense de la Méditerranée».
«Or le philosophe  en moi, rationnel malgré lui et peu enclin à la naïveté, préférait reporter tout son trouble sur l’ignorance où j’avais été de l’existence de la dame en question qui pouvait bien, après tout, revêtir par hasard les traits d’une autre personne sans attenter à la stricte vraisemblance.» (p.18)
Tout est dit. Le problème est là.

«Contes de la voix mauve, Cinq histoires singulières» de Gilbert Choquette est paru aux Éditions Humanitas.