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vendredi 14 décembre 2007

Pierre Chatillon et l'amour de la musique

Souvent, les écrivains, en rédigeant un journal ou un carnet, questionnent jusqu’à l’obsession l’acte d’écrire. Comme s’ils avaient du mal à s’abandonner au plaisir du mot et à la jubilation de la phrase. Ils résistent, jonglent avec cette question et donnent souvent l’impression de tourner le dos à une œuvre importante qui jalonne leur parcours.
Je pense à André Major qui, dans «L’esprit vagabond», retourne cette question dans tous les sens, se nourrissant des réflexions des écrivains qui reprennent le même exercice dans leurs journaux.
Pierre Chatillon dans «Île était une fois», un carnet au nom évocateur, oublie les tourments existentiels et assume pleinement le plaisir de l’écriture. Comme s’il faisait de sa vie un conte pour déjouer le temps en explorant l’imaginaire. Il donne le ton dans une courte présentation.
«J’aime le mot île. Tout petit dans la rivière d’une phrase. Avec son i aussi jaune que celui du mot lumière. Son accent circonflexe évoquant la cime d’un sapin. Son l qui s’élance avec l’élégance d’un peuplier. Son l dont la sonorité s’envole comme celle du mot aile. Son e qui le féminise de telle sorte qu’il pourrait devenir un adorable prénom de femme : Île Beaulac, Île Larivière, Île Desruisseaux ou simplement Îlabelle. Et quelle belle histoire que celle qui débuterait par : « Île était une fois…» Je rêve de l’écrire, cette histoire-là.» (p.11)
Nous n’avons plus qu’à nous abandonner au voyage, à courir dans le temps et l’espace.

La musique

Surtout, Pierre Chatillon a une manière exceptionnelle de nous entraîner dans l’univers des musiciens qui l’ont accompagné depuis son adolescence. Mozart, Debussy, Bach, Beethoven, Schumann et Schubert. Il se faufile dans les poèmes symphoniques, une sonate, un lieder, accroche des mots aux portées musicales, fait vivre un mouvement ou une voix. Magnifique! De quoi retourner à nos disques pour redécouvrir «La mer» de Debussy ou «Le Requiem» de Mozart. La musique devient concrète et palpable.
«Dès le début du premier mouvement intitulé De l’aube à midi sur la mer, le salon de ma maison se remplit d’eau salée sans que j’en souffre le moindrement. Au contraire, j’y respire à l’aise et m’y abandonne avec béatitude. Un vers du Bateau ivre de Rimbaud me revient à la mémoire: «Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème/ De la Mer.» C’est exactement ce que j’éprouve. L’eau est d’une grande limpidité. Ma lourde chaise berceuse en merisier laminé y flotte dans un état d’apesanteur, ainsi que le téléviseur, la lampe sur pied et le divan. Les portraits de musiciens, tantôt suspendus au mur, circulent eux aussi comme des poissons.» (p.12)
Bien plus, certains compositeurs viennent cogner à la porte de son chalet du bord du grand fleuve pour partager avec lui des moments précieux. Il suit Beethoven dans la forêt, nous plonge au cœur de la Symphonie pastorale.
«C’est là que, pour la première fois, j’aperçus Beethoven. Il était facile à reconnaître, marchant les mains derrière le dos, soliloquant à voix haute, griffonnant sur un calepin, secouant avec mécontentement son abondante chevelure en broussaille, frappant parfois dans le vide avec son poing. Il était à peine plus âgé que moi. Ayant constaté que sa surdité croissante allait mettre un terme à sa carrière de virtuose, il venait de rédiger le Testament d’Heiligenstadt et d’échapper de peu au suicide.» (p.103)

Toutes les directions

Des nouvelles, ici et là, renvoient à la fiction. Comme si le réel et l’imaginaire étaient les deux facettes d’une même aventure. Le poète se révèle un amoureux de la vie, des femmes, de la nature et de la poésie. Une ode à l’amour même si le temps se fragmente et se fait plus court à mesure que les années filent.
Chatillon ne cesse de réinventer sa vie dans un carnet époustouflant. Une belle communion avec la poésie et la musique, des poètes qui ont cheminé avec lui pendant des années et qui le remuent encore. Rimbaud, Baudelaire et Shelley particulièrement.
Pour qui aime la poésie et la musique, les plages chaudes du Sud, les endroits sauvages, les couchers de soleil, les amours qui retournent l’être et brûlent l’âme.

«Île était une fois» de Pierre Chatillon est paru chez XYZ Éditeur.

jeudi 6 décembre 2007

La décentralisation relancera-t-elle le Québec?

On ne peut reprocher à Roméo Bouchard de manquer de suite dans les idées. Au cours de la dernière année, il a signé deux ou trois ouvrages qui permettent de réfléchir au développement du Québec. Après s’être demandé si les régions ont un avenir, analysé la marche de la Belle province depuis la Révolution tranquille, il s’est attardé à l’énergie éolienne et à la main mise des multinationales sur une richesse qui fait rêver bien des dirigeants régionaux.
Avec des collègues de la «Coalition pour un Québec des régions», il se penche dans «Libérer les QuébecS», sur la décentralisation et la représentativité qui font les manchettes depuis trente ans. Des idées que les élus s’empressent d’oublier une fois installés à l’Assemblée nationale.
Ce que propose la Coalition pour un Québec des régions, (signalons la participation de Marc-Urbain Proulx et Denis Trottier à cet ouvrage) est «ni plus ni moins qu’une deuxième Révolution tranquille, axée sur la réappropriation du territoire et de la gouvernance par les citoyens et les communautés, un État régionalisé et démocratique.»
Les rédacteurs évoquent René Lévesque qui établissait les grandes lignes de sa pensée dans «un livre blanc sur la décentralisation» publié en 1977. Il rêvait d’un Québec plus près de ses citoyens. «Un vaste projet collectif qui renouvellera notre façon de vivre en société et de s’administrer», écrivait-il. Pour des raisons technocratiques et politiques, le projet a été étouffé dans l’œuf. Une résistance qui dure depuis une trentaine d’années, qu’importe les partis politiques qui se succèdent à l’Assemblée nationale. Le Québec est un état «l’un des plus centralisés au Canada et dans le monde» où l’on prend plaisir à confondre «réaménagement» et «restructuration» avec «décentralisation».
«La «décentralisation», c’est un mot technocratique. Le vrai nom, c’est: «démocratie régionale». Comme dans toutes les formes de démocratie, le cœur de l’affaire, c’est le pouvoir citoyen. Ce n’est pas d’abord une affaire de structures, de services, ni de budgets, c’est une affaire d’aménagement de l’État par un transfert de pouvoirs vers les citoyens.» (p.45)

Scrutin proportionnel

Pour relancer la vie économique et politique du Québec, le collectif n’oublie pas le «scrutin proportionnel» qui fait consensus dans la population depuis des décennies. Roméo Bouchard va plus loin en prônant une «politique d’occupation du territoire».
Tous s’entendent pour remanier, restructurer, abolir certains organismes, se pencher sur les cartes des régions administratives et faire en sorte que les gens soient près du pouvoir et aient leur mot à dire. Sans jamais perdre de vue des habitudes et des manières de faire.
On suggère d’élire les préfets des MRC et les dirigeants de la Conférence des élus au suffrage universel. Il est assez étonnant de retrouver des maires et des conseillers à la CRÉ ou à la MRC sans que la population se prononce. On a vu les tiraillements à la MRC Lac-Saint-Jean Est lors de l’élection d’un préfet. La polarisation des secteurs nord et sud n’a jamais été aussi forte et la lutte laissera des séquelles.

Le point

Une belle manière d’explorer des pistes et de secouer un Québec qui, économiquement et politiquement, va de crise en crise sans arriver à se sortir d’un malaise qui frappe tour à tour la forêt, l’agriculture et provoque le dépeuplement des régions.
La «Coalition pour un Québec des régions» propose une mobilisation des jeunes et des citoyens qui sont de plus en plus indifférents à la gestion publique, croyant qu’il est impossible de changer quoi que ce soit. Elle propose aussi d’enchâsser cette nouvelle façon de faire dans une constitution typiquement québécoise. Les nations autochtones sont également conviées à participer à cette démarche démocratique en véritables partenaires. Un beau défi, une façon de relancer «les pays du Québec» qui se heurtera, on peut le parier, aux courtes vues des politiciens et à un appareil étatique allergique aux changements.
«Libérer les QuébecS» fait le point sur un sujet qui revient de façon endémique dans les discours des politiciens depuis trente ans.

«Libérer les QuébecS»; Décentralisation et démocratie, Coalition pour un Québec des régions est paru aux Éditions Écosociété.

jeudi 29 novembre 2007

Daniel Castillo Durante suit les traces du père

Daniel Castillo Durante étonnait les lecteurs, l’an dernier, avec «La passion des nomades», un roman qui a remporté le prix Trillium. Dans cet ouvrage, un consul argentin, Juan Carlos Olmos, est assassiné dans les Laurentides, au nord de Montréal, dans des circonstances nébuleuses. Gabriel, le fils débarque au Québec pour faire la lumière sur cette mort inexpliquée. Rapidement subjugué par Ana Stein, une maîtresse de son père, il entreprend un véritable chemin de Croix. Une femme d’une froideur et d’un manichéisme qui donnent des frissons dans le dos.
Dans «Un café dans le Sud», Castillo Durante retourne le canevas. Paul, le fils d’un commerçant argentin et d’une Québécoise qui s’est suicidée, apprend que son père se meurt d’un cancer et souhaite le revoir une dernière fois. Ce dernier est peu empressé de quitter Montréal et les petits bonheurs du Plateau Mont-Royal. Encore là, le père a multiplié les conquêtes et le fils a été particulièrement troublé par Leda, celle qui a remplacé sa mère et nourrit ses fantasmes d’adolescent.
Il finit par se rendre à Buenos Aires pour toucher son héritage, se retrouve dans une maison de montagne acquise par son père lors d’une transaction plus ou moins nébuleuse. Une fille étrange vit là et s’occupe de tout. Il devient vite obsédé par Poma, une très belle femme, qui ne manifeste aucune émotion et se plie à tous ses désirs. Il y laissera tout ce qu’il possède.

Les fils

Dans ses romans, Castillo Durante suit des fils en quête d’un père, des éclopés qui s’éprennent des conquêtes de leurs géniteurs et tentent de juguler le passé.
«Je me sentais coincé comme dans un cercueil, bloqué de toutes parts, harcelé par cette voix venant du Sud qui sonnait le glas d’un passé que j’avais mis des années à essayer de comprendre. Peut-on d’ailleurs comprendre le lieu où, un jour, un père est né? Père-pays, qui es-tu pour m’apostropher ce soir alors que j’ai un rendez-vous tacite avec la fille de mon épicier dont les fesses ne valent peut-être pas celles de Leda mais ont au moins le mérite de sentir le basilic et l’estragon lorsque mon regard les caresse?» (p.17)
Paul, tout comme Gabriel, suit un long chemin avant d’assumer son destin, obsédé par un père qui se glisse entre les femmes qu’il désire et lui.
Plus que tout, Castillo Durante décrit la misère des pays du Sud et l’exploitation dans ce qu’elle a de plus sordide.
«De multiples files d’attente caracolant devant différents guichets témoignaient de la foi hésitante de tous ces petits épargnants qui, à vrai dire, ne savaient pas trop à quel saint vouer leur pécule amassé à la sueur de leurs fronts. Dans un pays où l’on connaît la date du dépôt de la somme investie mais jamais celle de son retrait, la foi est immanquablement un article qui s’écrit au passé. Le seul miracle réside dans le fait qu’elle se renouvelle en dépit de l’acharnement des institutions financières à dévaliser leurs clients. Escroquer son semblable et être escroqué par lui faisait partie de la culture locale.» (p.151)
La jungle

Les romans de Castillo Durante sont luxuriants, étourdissants, pleins d’odeurs et de couleurs, posent un regard impitoyable sur l’Argentine et l’exploitation des femmes et des enfants.
«En début de carrière ou au bout du rouleau, les putes de ce quartier offraient aux clients les deux extrêmes d’une même perversion : celle d’une femme qui, fraîche ou décatie, se transforme en chose le temps d’une passe à l’hôtel. Elles étaient nombreuses et fardées jusqu’à l’os. Un bordel à ciel ouvert qui exhibait son décor autant que ses pensionnaires. Mais ce qui frappait le plus, c’était le regard résigné, absent, de ce troupeau de femmes sous le joug de la misère qui les obligeait à se vendre pour ne pas crever.» (p.234)
La loi de la jungle est implacable pour les êtres sensibles qui défendent une certaine moralité. Un style incisif, mordant, un envoûtement à chaque page, une fresque qu’il est difficile d’abandonner. Et quel retournement à la fin ! Daniel Castillo Durante vous laisse pantois.

«Un café dans le Sud» de Daniel Castillo Durante est paru chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/catalogue/470.html

vendredi 23 novembre 2007

Maggie Blot s’abandonne trop aux mots

Maggie Blot aime les mots. Elle fonce sans regarder dans le rétroviseur, emprunte toutes les directions en se souciant peu de larguer son lecteur.
Pas question de s’attarder à camper des personnages ou de développer une intrigue. L’écrivaine bondit comme le grand chien Plagiste, un nom vraiment impossible, quand il surprend des mouettes sur le sable. Elle s’attarde à la préparation d’un repas, évoque la vie conjugale de Bianca Jagger ou s’inquiète des aspérités de la vie. Résultats: de brefs moments fascinants et une exubérance qui se perd dans des virages imprévisibles.
«Nous avons franchi le pas de la porte chez « Bernard et Bernadette vos hôtes adorent vous restaurer » et pouf, l’odeur de la nourriture nous a fait taire, l’eau à la bouche nous refilait notre squelette – celui qui voit, goûte, tend l’oreille, prend les choses comme elles sont, en intégrant-désintégrant tout commentaire. Le pas franchi, spontanément, ma main d’acolyte a cherché celle de Nico. J’avais besoin de sa main. Je me suis repris aussitôt, ai reculé. Je me disais que j’étais en une seconde redevenu un enfant qui a la main d’un monkey à crochet. Toutefois je l’avais frôlée et cela avait brûlé.» (p.46)
Un récit qui a de l’élan, mais qui s’étiole souvent, un certain regard sur la société et les humains.

«Plagiste Dormir ou esquisser» de Maggie Blot est paru aux Éditions Triptyque.

jeudi 22 novembre 2007

Philippe Porée-Kurrer surprend encore

Philippe Porée-Kurrer, depuis la parution du «Retour de l’orchidée» en 1990, n’a cessé de dérouter. Cet écrivain vit sa vie comme un roman et en fait une aventure. Il n’hésite jamais à changer de lieux et à dire oui à toutes les expériences. Il a vécu à Windsor, dans les Maritimes, en Colombie-Britannique, fait le tour de l’Amérique, séjourné au Lac-Saint-Jean et travaille présentement à Toronto. Il était de retour dans «sa région» lors du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, en septembre, pour fêter le trentième anniversaire des Éditions JCL. À cette occasion, il lançait un roman au titre un peu étrange: «La main gauche des ténèbres».
Cet écrivain originaire de Fécamp, en Normandie, ignore les chemins convenus et les balises. Que l’on songe à son incursion du côté de «Maria Chapdelaine». Il fallait une belle audace pour s’intéresser aux personnages de Louis Hémon et imaginer une suite.
Signalons surtout «Chair d’Amérique», un roman initiatique où il s’attarde à un jeune Français qui rêve du Nouveau Monde, se nourrit des écrivains américains et cherche à s’inventer une autre vie. Un grand roman qui n’a pas eu l’audience qu’il aurait dû recevoir. Que dire aussi de «Shalôm», cette formidable incursion dans le territoire israélien. Il y brosse des images et des décors inoubliables. Un ouvrage également passé inaperçu.

Bien et mal

Dans «La main gauche des ténèbres», Porée-Kurrer reprend le mythe du Christ et de Marie. Miriam accouche d’une fille tout en demeurant vierge.
«Il serait faux de prétendre que Miriam tombe des nues ; quelque part, dans ce que l’on nomme le subconscient, elle en avait déjà un peu l’intuition. Mais entre cela et la connaissance directe du fait, il y a un abîme. Elle n’est donc pas terrassée par la surprise, mais chancelle sous le choc de ce qu’implique pour elle le fait d’être enceinte ; enceinte et vierge ! Rien, dans tout ce qu’elle a pu apprendre, ne lui indique que la chose soit possible. Pourtant, malgré cette impossibilité, la première certitude qui se fait en elle est qu’Adam, qui ne l’a jamais touchée et qui n’est pas son mari, ne peut être que le seul père possible et envisageable.» (p.68)
La jeune mathématicienne élève seule sa fille Hella, reste fidèle à cet époux vite disparu même si le corps et les désirs sont difficiles à brider. Elle finira par croiser Loki, un Islandais qui déteste l’univers et cherche à détruire l’humanité. Il œuvre en Chine où tout est possible et imaginable. Avec sa fortune, le contrôle des médias, il peut déclencher des famines, provoquer des guerres, plonger l’humanité dans des conflits qui menacent l’avenir du genre humain.
Le Bien et le Mal s’attirent autant qu’ils se repoussent, ne peuvent exister l’un sans l’autre. Ce sont des forces centrifuges et centripètes. Les contes populaires ont bien saisi cette nécessaire confrontation où Dieu réagit aux manigances de Belzébuth. Le Diable est toujours vaincu et floué par les forces du Bien, comme il se doit. Porée-Kurrer, quant à lui, ne s’embarrasse pas de la morale et donne toute latitude au Mal.

Personnages

Tout bascule en Islande, dans ce pays à la frontière de deux continents, à cheval sur une faille qui sépare l’Europe de l’Amérique. La disparition d’Hella, lors d’une escale, déclenche l’éruption d’un volcan plutôt sage jusqu’à maintenant.
Fin observateur de la société, l’écrivain voit bien que l’Occident, avec la mondialisation et la déréglementation de tous les marchés, va à sa perte. Son roman repose sur une trame qui fait appel aux mathématiques quantiques, aux grandes légendes nordiques, aux principes physiques qui équilibrent l’univers et les galaxies. Le futur repose sur ces forces cosmiques qui se neutralisent. Il suffit de si peu pour que tout dérape. Qui sait si depuis une décennie, les États-Unis d’Amérique ne sont pas devenus cette «terrible main gauche» qui, en cherchant à éradiquer l’axe du Mal, a multiplié les zones de conflits et les attentats. Un roman étonnant qui ramène à des pulsions, des tourments moraux et des problématiques essentielles. L’écriture s’efface pour donner toute la place aux personnages. Porée-Kurrer reste un formidable conteur.

«La main gauche des ténèbres» de Philippe Porée-Kurrer est paru aux Éditions JCL.
http://www.jcl.qc.ca/fr/biographie.php?id=164

jeudi 15 novembre 2007

Marie-Paule Villeneuve suit des militantes

Marie-Paule Villeneuve a connu un beau succès avec «L’enfant cigarier», roman paru en 1999. Six ans plus tard, elle récidive en entraînant le lecteur dans le monde ouvrier du début du siècle dernier.
Elle prend pied à Hull, dans la fumée des installations de E. B. Eddy qui fabrique des allumettes. La pauvreté y est héréditaire avec les maladies industrielles, les accidents de travail. La survie dépend souvent des pulsions des contremaîtres anglophones.
Nous retrouvons des personnages de «L’enfant cigarier». Jos a gravi les échelons pour devenir agent des unions américaines, le père de Victoria, Gédéon, a pris ses distances et travaille avec le clergé qui, par les unions catholiques, entend contrer certaines idées subversives.
Victoria est une forte tête qui suivra naturellement Donalda Charron, la boiteuse, une militante syndicale de tous les moments. Ces personnages permettent à l’auteure de nous entraîner dans les installations insalubres de la Eddy, de vivre la misère de ces travailleurs illettrés qui se débattent avec la misère. Victoria s’exilera à Lowell, quasi en même temps que les parents de Jack Kerouac qu’elle aurait pu côtoyer. Elle se rapprochera plutôt des activistes qui luttent pour la libération de Sacco et Vanzetti. Beau clin d’œil à l’histoire et à des personnages réels.
«Élisabeth Gurley Flynn portait une élégante robe sombre que sa mère lui avait confectionnée. Hormis un pendentif mince et sobre, elle n’arborait aucun artifice. Son magnétisme et son charme naturels lui suffisaient pour séduire une foule et la gagner à sa cause. Ses discours, qu’elle préparait soigneusement, savaient toucher les cœurs et ouvrir les esprits. De ses séjours en prison, toujours pour sédition, elle avait appris la patience et la persévérance, mais pas la soumission.» (p.233)

Les travailleurs

Encore une fois Marie-Paule Villeneuve explore un monde peu décrit par les écrivains du Québec. Le monde ouvrier, les syndicats sont rarement des milieux privilégiés par les littérateurs. On ne peut s’empêcher d’évoquer «La grande chamaille» de Jean-Alain Tremblay qui décrivait les mêmes luttes et les mêmes combats mais en faisant vivre ses héros dans le microcosme de Chicoutimi et Jonquière.
Marie-Paule Villeneuve embrasse la diaspora francophone de l’Amérique, fait voir l’envers du monde par les yeux de Victoria qui n’hésite jamais à bousculer des tabous, à se laisser séduire par le père Jean, un Oblat à la soutane légère.
«Dans la chambre aménagée dans un coin de la sacristie, entre la crèche de Noël et les différents personnages de la nativité, Victoria avait connu l’extase dans les bras du père Jean. Trop heureux de se retrouver, leurs corps n’arrivaient pas à se détacher. Sur le matelas recouvert de nappes d’autel et garni d’ornements sacerdotaux, le père lui avait juré qu’il n’avait jamais connu un tel bonheur.» (p.195)
Un roman efficace, sans fioriture, même si parfois, Marie-Paule Villeneuve délaisse un peu la trame romanesque pour s’étendre dans des descriptions des usines, des façons de préparer les allumettes ou le coton. Certains dialogues manquent un peu de naturel aussi.
Qu’importe! Les personnages permettent de découvrir, page après page, un volet méconnu de notre histoire, des luttes et des combats qui, qu’on le veuille ou non, ont changé le Québec et préparé lentement la venue de la Révolution tranquille.
Victoria est un personnage attachant et souvent ce roman historique devient un véritable thriller. Une belle manière de livrer un pan de cette histoire méconnue, de faire connaître le sort de ceux et celles qui ont franchi la frontière pour améliorer leurs conditions de vie.

«Les demoiselles aux allumettes» de Marie-Paule Villeneuve est paru chez VLB Éditeur.