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dimanche 17 décembre 2017

LA VOIX DE MONSIEUR ARCHAMBAULT

RETROUVER GILLES ARCHAMBAULT, une nouvelle publication de cet écrivain, c’est comme revoir un ami après une longue absence. Il est là, prend toute la place avec ses sourires, ses questions et ses hésitations. L’impression qu’il me parle tout bas, à voix pâle pour reprendre la belle formulation de l’écrivaine Nicole Houde. À peine un petit air de jazz, un recueil de nouvelles, un autre plaisir, une rencontre que j’ai fait durer. Il faut prendre son temps pour bien s’imprégner de ces nouvelles fort nombreuses. Trente-quatre textes. Certains font à peine une page, mais ce n’est pas cela qui importe. Je me suis livré à la lecture avec bonheur et retenue. Safrement, dirait Victor-Lévy Beaulieu.
  
Il faut patienter jusqu’à la fin pour trouver une certaine explication au titre. À peine un petit air de jazz coiffe la dernière nouvelle. On fait ça souvent dans le genre, prendre le titre d’un texte pour enrober l’ensemble. Ça peut être trompeur et ça peut tout dire. Ici, j’hésite. J’avoue avoir cherché un peu avec Stéfanie Clermont et Le jeu de la musique. Bien sûr, on fait référence à l’homme de radio, à celui qui a parlé du jazz qu’il n’a cessé de diffuser et d’explorer pendant une grande partie de sa vie.
J’écris cette chronique et l’écrivain est l’invité de Stanley Péan, à Quand le jazz est là à Radio-Canada. Une émission que je ne rate jamais. L’écrivain y parle des musiciens qu’il aime et une foule de souvenirs refont surface. Si je suis fidèle à Stanley Péan, je l’étais tout autant à Jazz Soliloque de monsieur Archambault. Et c’est bien le seul animateur radiophonique qui m’a fait passer des nuits à boire du café. Ses Grandes nuits qu’il consacrait à un musicien ou à un chanteur me faisaient basculer dans une autre dimension. C’était une immersion, une initiation parfois. Billy Hallyday, Lester Young, Count Basie, John Coltrane ou Duke Ellington. C’était toujours juste, avec ce qu’il faut d’information pour suivre la vie et la carrière de ces musiciens qui ont forgé l’âme américaine. Je devrais plutôt dire des États-Unis.
Et voilà qu’il parle encore avec enthousiasme de ses musiciens avec Stanley. Je peux l’appeler par son prénom, parce que je connais Stanley depuis longtemps, du temps qu’il était écrivain. Le jazz, la radio lui ont fait peut-être oublier sa première vocation.
Monsieur Archambault me semble plus spontané et moins sur son quant-à-soi qu’avant. Il n’hésite pas. Peut-être un effet de son grand âge, je ne sais pas. On dit qu’en vieillissant les barrières de l’autocensure, la retenue tombe. Je parle de son grand âge, parce que monsieur Archambault l’évoque sans gêne et en plaisantant. Quand la plupart des écrivains tentent d’échapper au temps en oubliant de mettre l’année de leur naissance dans leurs éléments biographiques, monsieur Archambault ne s’en gêne pas. Il a plus de 80 ans et qu’on n’en parle plus.
Pour tout dire, j’aimerais vieillir avec lui et garder ce petit sourire, cet air de jeunesse qu’il a toujours dans la voix. Cette chaleur aussi. Me voilà nostalgique. Cette parole m’a accompagné pendant tellement d’années.

PUBLICATIONS

Monsieur Archambault a publié plus de trente ouvrages. Des romans, des récits, des nouvelles et des chroniques. Et il continue. Son livre, je l’attends année après année. Je n’ai pas raté souvent l’une de ses publications. Je suis un fidèle. Quand j’adopte un écrivain, c’est souvent pour la vie. Même si certains m’ont donné du fil à retordre. Je pense au coriace Victor-Lévy Beaulieu qui m’a souvent étourdi avec ses hénaurmes volumes et ses publications qui arrivaient en rafales. Jacques Poulin, Donald Alarie, Robert Lalonde, Sergio Kokis et Nancy Huston sont de ma famille littéraire. Il y a encore de la place pour des nouveaux. Ma maison est ouverte et plutôt accueillante. Des jeunes viennent bousculer un peu le lecteur qui a tendance à se promener dans des sentiers qu’il connaît trop bien. Mathieu Villeneuve est le dernier arrivé.
Monsieur Archambault est à l’abri du temps dans ses écrits. Il retourne dans sa jeunesse, revient dans une époque récente ou encore bifurque dans une direction où il pensait secouer un peu la monotonie des jours. Son écriture n’a pas de rides. Elle est toujours aussi précise et sans fausses notes. Un écrivain qui a de l’oreille, à n’en pas douter.

Les rides commencent à apparaître. S’en désoler ? Pas question. Les jours de doute, il les regarde même avec sympathie. Elles sont les signes de la déchéance à venir, une déchéance à laquelle il pense de plus en plus souvent sans trop s’en alarmer. Il peut quand même compter sur quelques années de répit. (p.18)

Le lecteur que je suis retrouve ses questionnements. Il n’a jamais de réponse et c’est parfait. Si un écrivain finissait par donner des réponses à toutes les questions, il serait d’un ennui terrible. Et il cesserait probablement d’écrire.
J’aime ce narrateur un peu misanthrope, nostalgique, discret et toujours mal à l’aise de s’aventurer dans les confidences et l’intimité. Surtout, il sait écouter. Ce qui en fait un ami précieux qui reçoit beaucoup de confidences, surtout de la part des femmes.
Toujours là, fidèle, un peu grognon, mais tellement attentif. Cela ne l’empêche pas d’avoir ses humeurs et des propos tranchants parfois. De plus en plus, il me semble, il se permet des petites flèches qui peuvent écorcher, ce qu’il n’osait peut-être pas il y a un certain temps.
Tout cela est bien loin. Aucun projet d’écriture depuis longtemps. Il a cru qu’il lui manquait surtout la constance dans l’effort. Ce soir, le verdict est plus net. Il n’a pas écrit parce qu’il n’avait rien à dire. Est-ce une raison suffisante ? Des tas de livres paraissent qui témoignent d’une absence affligeante de nécessité, qui sont bâclés. (p.19)

Un promeneur discret qui aime folâtrer dans une jeunesse de plus en plus lointaine, le temps des amours qu’il ne croyait jamais oublier. Et cette vieillesse qui vient le bousculer. Comment échapper à son corps et aux petits trous de mémoire ?

TÉMOIN

Monsieur Archambault est témoin de son époque, de la vie ordinaire, des petits plaisirs d’une rencontre, d’un repas partagé, d’un air de jazz entendu ou surpris au coin d’une rue, d’un amour qu’il évoque discrètement avec une certaine autodérision.
Une voix, pas seulement à la radio, mais en littérature aussi. Ses livres suivent les grandes étapes de la vie, de ses pulsions et de ses déceptions. L’amitié toujours importante et parfois un peu dérangeante, des propos qui illustrent la vanité de certains, les hésitations et les petites lâchetés des autres. La vie est ainsi faite. Tout cela en sourdine, je dirais. Sans jamais être au-devant de la scène, monsieur Archambault a une voix que l’on entend et qui prend beaucoup d’importance dans ma vie de lecteur.

Ce matin, on a enterré l’urne qui contenait les cendres de ma femme. Je n’ai pas ressenti l’émotion prévue. Devant mon fils en larmes, j’ai dû donner l’impression d’être dénué de toute sensibilité. Je l’ai consolé comme j’ai pu. Rien ne te touche, me disait ma femme quand elle s’emportait contre moi. (p.79)

J’arrête d’écrire et écoute monsieur Archambault plaisanter avec Stanley. Il est question d’un musicien de Chicago qui n’a pas eu la renommée qu’il méritait. Ce pourrait être lui ce méconnu. A-t-il eu la reconnaissance qu’il méritait ? Ils sont tellement nombreux à courtiser la gloire dans le milieu de la littérature.
Oui, je m’ennuie de cette voix, de ses explications qu’il savait si bien variées entre la vie du musicien et son oeuvre. Je m’ennuie. C’est cette voix sans doute qu’il a su si bien glisser dans ses écrits et que j’aime tant.
Heureusement, il y a ses livres qui prennent une bonne place dans ma bibliothèque. Je n’ai qu’à tendre la main, à ouvrir un roman et il se confie, me berce un peu. Et je me dis que je néglige trop souvent les amis, emporté par des projets d’écriture ou de lecture. Heureusement, ils surgissent toujours à l’improviste et le temps s’abolit. L’amitié fait fi des rendez-vous et des horaires. Il en est ainsi avec monsieur Archambault.
J’espère qu’il va publier encore et encore. Je ne saurais m’en passer et pas question de basculer dans la relecture de son œuvre. Il a encore trop de choses à me murmurer à l’oreille et que Stanley Péan va encore l'inviter lors de sa prochaine publication.


À PEINE UN PETIT AIR DE JAZZ de GILLES ARCHAMBAULT est une publication des ÉDITIONS du BORÉAL.


  

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