lundi 15 mars 2010

Hélène Harbec raconte la mort de son père

 Certaines périodes de la vie sont plus difficiles que d’autres. Le dernier couloir, la dernière chambre qui débouche sur la mort, qui veut s’y attarder?   Hélène Harbec, dans «Chambre 503», assiste aux derniers jours de son père atteint d’un cancer. Son état demande une surveillance continue. Incontinence, pertes de mémoire, vision diminuée, locomotion réduite. La mort est proche, il le sait.
«Il dit qu’il n’aperçoit pas la mort à l’horizon, mais qu’il n’a rien contre. Il espère au moins avoir le temps de voir le nouveau bébé qui naîtra dans la famille.» (p.69)

Hélène Harbec note les changements chez son père jour après jour. Ses colères contre les contentions, les mots qui se bousculent et ne disent plus ce qu’ils disaient. Il s’accroche pourtant.
«Je ne sais pas à quoi il sourit, sa vue est si faible. Peut-être perçoit-il à l’instant la mesure de son infortune. Il sait bien qu’il n’est pas au bout de ses peines. Il voit sa vie qui s’en va là-bas. Qui marche au loin. Son visage s’assombrit. Il se retient de pleurer et décide de faire demi-tour, c’est trop loin.» (p.77)
La fille écrit pendant les heures de veille, ces moments où elle a l’impression de s’égarer dans un repli du temps. L’écriture comme une bouée de sauvetage. Cela n’empêche pas l’écrivaine d’exprimer des doutes.
«Que vaut un livre qui s’écrit quand un père se meurt ? La vie ne précède-t-elle pas les mots?» (p.193)

Famille

Les autres patients deviennent des familiers. Monsieur Veilleux qui s’accroche à son passé, Alice qui ne sait plus que hurler et Madame Granger si touchante et effarouchée. Tous sont vieux d’une vie et si près de l’enfance. 
«Une ressemblance étrange entre le vieil homme qu’il est devenu et un nouveau-né. Comme si être prêt à naître ou à mourir faisait ressortir les mêmes traits, les mêmes postures, les mêmes regards.» (p.40)
Un récit qui remuera bien des souvenirs pour celui ou celle qui a connu semblable situation. J’ai revu ma mère dans son lit ou encore ma sœur qui combattait le cancer…
Le récit est rendu avec une belle simplicité. Une description clinique qui bouleverse souvent.
Conscient, confus, supportant à peu près tout avec stoïcisme, attentif à son épouse et sa fille qui ne fabule jamais pour entretenir l’espoir, Jean-Paul Harbec devient un héros admirable devant l’inéluctable. Sa fille lui rend un bel hommage dans «La chambre 503».

«Chambre 503» d’Hélène Harbec est paru aux  Éditions David.

dimanche 14 mars 2010

Lucie Lachapelle et l'histoire amérindienne

«Rivière Mékiskan» est le premier roman de Lucie Lachapelle qui a œuvré d’abord dans le monde du cinéma. En passant à la littérature, elle ne s’éloigne guère de ses préoccupations puisque ce roman met en scène Alice, une métisse qui ignore tout de sa famille cri. Dans l’un de ses documentaires, «La rencontre», elle aborde les relations entre les Québécois et les Amérindiens.
Isaac, le père d’Alice, est retrouvé mort dans un parc  de Montréal. Il avait le nom de sa fille et son numéro de téléphone sur lui. Rien d’autre. Rongé par l’alcool, il était devenu itinérant. Sa mère Louise a tout fait pour que sa fille oublie sa nature amérindienne.
Alice identifie le corps à la morgue, décide de ramener ses cendres à Mékiskan. Après un voyage en train d’une douzaine d’heures, elle se retrouve en Abitibi, dans un village où tout se désagrège. La compagnie forestière a plié bagage après avoir tout rasé. Ne reste que l’hôtel, quelques maisons qui s’effritent.

La famille

Alice se retrouve chez Lucy, une cousine de sa grand-mère, qui vit à l’écart du village. Elle s’occupe de ses petits-enfants quand sa fille Jeannette dérape dans une soûlerie sans fin. Il y a le bébé, la petite Minnie, une fillette charmante et Samuel, un garçon au seuil de l’adolescence, qui vit la rage au cœur. Il déteste voir sa mère se noyer dans l’alcool, rêve de tuer ce Blanc qui l’entraîne dans la débauche, de s’enfuir dans la forêt pour ne plus avoir de contact avec personne.
La jeune femme apprivoise cette famille dont elle ne sait rien. La forêt, les traditions, la chasse, la vie dans la nature sans les gadgets de la modernité. Tout est nouveau. Lucy lui révèlera aussi des secrets de famille, des conditions de vie difficiles à imaginer.
«Pour Alice, avoir des racines amérindiennes signifie avoir honte et avoir peur. Et elle porte un fardeau : son propre père a incarné tout ce que les autres pensent des Amérindiens. Isaac était un fainéant, un alcoolique fini.» (p.22)
En s’attardant à Mékiskan, Alice retrouve des souvenirs, des visages, une réalité qu’elle a toujours refusé de voir. Elle prend conscience de l’exploitation irresponsable de la forêt, de son peuple que l’on a dépossédé. Elle apprend aussi que sa grand-mère a été violée devant son père par les Blancs de la compagnie. Il y a aussi ces enfants enlevés et gardés dans les pensionnats. Son père a été du nombre.
«Ils ont pris mes enfants, les uns après les autres. Quand ils revenaient, ils étaient plus les mêmes. Ils avaient de la difficulté à parler notre langue. On aurait même dit qu’ils avaient dédain de nous.» (p.102)
Tout ce que sa mère voulait effacer refait surface. Le passé ne demande qu’à s’exprimer. Tout comme cet enfant qui s’accroche en elle et qu’Alice refuse de mettre au monde.

Réalité

Lucie Lachapelle plonge le lecteur dans la réalité de certaines communautés d’Abitibi, du Lac-Saint-Jean ou du Grand Nord. Alcoolisme, violence, suicides, drogues font les machettes de temps à autre.
Louis Hamelin effleurait la question dans «Cowboy» et Gérard Bouchard l’a fait récemment dans «Uashat» en nous entraînant sur la Côte-Nord. Un roman qui a eu peu d’écho dans les médias.
Alice découvre une réalité sordide, mais elle entrevoit aussi une façon de vivre unique. Surtout, il y a des gens d’une générosité incroyable. Elle est ébranlée.
«Dans la tête d’Alice, c’est clair : l’ennemi, le monstre à abattre, ce n’est pas Isaac ou le Blanc de Jeannette, mais tout comportement qui ressemble à l’indifférence et au mépris.» (p.136)
Ce roman décrit simplement une réalité choquante. Les peuples amérindiens ont été dépossédés de tout. Cette prise de conscience est loin d’être faite quand nous entendons certains ténors à propos de l’Approche commune. Parce que l’histoire de ces peuples, c’est aussi notre histoire. Reconnaître ces nations qui ont été volées de leur âme, de leur passé, de leurs traditions et de leur avenir, c’est se situer dans le monde.
En nous plongeant dans un univers qu’elle connaît, Lucie Lachapelle nous bouscule et force Alice à reconnaître les deux faces de sa vie. C’est peut-être le début d’une libération et la dure conquête de soi. Une histoire touchante et qui fait que l’on regarde derrière son épaule pour mieux comprendre le Québec de maintenant.

«Rivière Mékiskan» de Lucie Lachapelle est publié chez XYZ Éditeur.