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jeudi 1 juillet 2021

CAROL LEBEL CONTINUE SA FASCINANTE QUÊTE

CAROL LEBEL VIENT de publier le sixième volet de Carnet du vent, avec en sous-titre une question qui m’a intrigué : «Comment sauver la lumière qui se noie». Cette aventure s’est amorcée en 2016 et cette fois encore, il s’attarde à des dimensions qui ne cessent de se dérober et que le poète saisit lors de moments de fulgurance et de lucidité. Le rêveur, dans la pensée de Carol Lebel, doit éviter les trompe-l’œil, explorer ce qui se trouve derrière le réel, toucher ce que cache le langage. Les mots n’étant toujours que la surface visible de l’iceberg dans l’univers de ce poète-philosophe qui pousse la réflexion dans ses derniers retranchements, allant peut-être dans un effort ultime, jusqu’à s’avancer dans le silence le plus exigeant.


Tout le travail de ce chercheur de lumière consiste à retourner les images et les apparences comme on le fait des pierres pour surprendre les larves et les lombrics. Il faut percer la carapace du vocabulaire, se faufiler dans la partie cachée du monde pour saisir la vibration qui porte l’être et le savoir.

 

Quand deviendrons-nous

plus vivants que nos croyances (p.12)

 

 

Apercevoir une réalité qui ne se livre que dans une lueur ou le clignement des paupières, refuser les dissimulations et le factice, s’accrocher à l’êtreté comme il l’écrit, cet état qui permet de devenir un vibrant dans toutes ses dimensions et ses possibilités. Être là, les yeux ouverts, tout droit dans les continents de sa conscience où le corps vibre et devient immanent. 

 

Quand notre vraie naissance

nous trouvera-t-elle (p.18)

 

Jamais il n’est question de fuite, de tourner le dos au vécu pour s’égarer dans une dimension où seuls quelques élus ont accès. Lebel est conscient de l’état du monde même s’il a choisi avec le temps de se faire plutôt discret dans la cité des hommes et des femmes, ne s’éloignant guère de son refuge, cerné par de grandes vignes sauvages et des arbres.

 

Les opinions se transforment en dogmes

 

Chaque mot devient suspect

 

Les inepties nous piègent

de tous bords tous côtés

 

Dans quel néant nos dernières lucidités

nous abandonneront-elles (p.21)

 

On ne saurait mieux décrire une époque où la pensée se meurt dans les médias sociaux, où l’on jongle avec des faussetés qui se transforment en dogmes pour les nouveaux prophètes du selfie. Une lente érosion de la réflexion qui s’est longtemps vautrée dans la fange d’une certaine radio et maintenant qui fleurit dans les réseaux où tout le monde se vante d’avoir des opinions sans vraiment fréquenter les idées.

 

CHERCHEUR

 

Le poète demeure ce chercheur qui tente de s’ouvrir l’esprit, de décadenasser les portes rouillées et de trouver des moments phosphorescents dans les eaux troubles qu’il ne cesse de remuer. Il doit s’avancer au-delà des miroirs pour respirer dans le réel. C’est à l’horizon, tout près, très loin, ici et là-bas, que la lueur jaillit dans une nuit calme. L’être aspire à cette dimension, ce nouvel état qui dessille les yeux et déverrouille le cerveau qui se contente souvent des apparences et de formules plus ou moins rassurantes. 

 

Et si l’impossible

n’était qu’une fenêtre à ouvrir

 

Soulève tes silences

c’est dedans (p.47)

 

Le poème devient la clef qui permet de passer dans une autre réalité qui ne cesse de fuir, se dissimule dans ce qui constitue les jours. Le souffleur de mots cherche cette étincelle qui le fait bondir dans un monde différent.

 

Le poème

fait exister

ce que nous cherchons (p.41)

 

Quel périple que de se laisser aller dans Carnet du ventJ’ai toujours l’impression de partir sans savoir quelle direction emprunter, de risquer de m’égarer tout en étant ignorant si je vais revenir. Ses poèmes, comme des sentences ou des aphorismes, nous plongent dans le vivant, nous poussent dans une réalité invisible et impalpable. Nous devenons le souffle rôdeur, celui qui fait vibrer les cordes à linge, se faufile sous les robes et défait les cheveux, nous étourdis avec le parfum des lilas. À la fois l’aérien et le granite, la conscience et l’immuable, nous participons au langage des pins et des épinettes dans les matins lumineux, la charge des nuages qui se déversent dans des orages, le vent fou qui emporte la tornade de l’être.

Le poème, d’une simplicité exemplaire, retient l’essentiel, le souffle qui échappe aux mots et aux images. Dans l’immensité de la page, les strophes deviennent des lieux de repère, des crochets d’ancrage qui nous permettent d’escalader la muraille. J’ai toujours l’impression qu’il manque des lignes et que le poème repose autant sur ces vers invisibles, que sur ceux que l’on peut lire et méditer. Le texte est à la fois palpable et immatériel, présent et absent. Je rêve dans ces espaces mouvants, flotte sur des images qui se font se défont. Je ne peux résister aux méandres de la réflexion de Lebel qui ne retient que la «substantique moelle» comme écrit l’ami Victor-Lévy Beaulieu.

 

QUÊTE

 

Bien sûr, cette aventure demeure plus un questionnement qu’une réussite et ne s’appuie jamais sur des réponses qui rassurent. Ce qui se laisse voir dans un instant sans cesse convoité, arrive comme une ombre à la fenêtre. Il n’y a que ce mouvement vers un moment qui embrase l’être. C’est le propre de la vie et de la réflexion que de ne jamais parvenir à s’accrocher au concret et à des certitudes.

 

Nous marcherons

dans autant de hasards que de nécessités

pour rejoindre l’inespéré

avant de perdre pied tête et cœur (p.27)

 

Lire Lebel, c’est foncer dans un sentier aride et progresser sans savoir où nous aboutirons. C’est désirer la réflexion et les espaces qui font danser autour de l’être, le pourquoi et le comment de l’aventure de respirer dans son corps et sa tête. Le poème permet au chercheur de s’approcher de ces petites lueurs, de retenir des révélations dans la nuit sombre qui s’ouvre parfois. C’est jongler toujours et encore avec deux ou trois incertitudes sans jamais basculer dans la désespérance même si la lassitude et l’épuisement guettent. Il faut écrire en gardant les mots à distance et les enrober de silence, s’attarder aux joies comme aux déceptions. C’est prendre la direction de l’être pour aborder le pays de l’êtreté, dans la toute-puissance du vent au corps de la tempête.

 

COMPAGNONS

 

Lebel fait une place aussi à certains poètes, des compagnons. François Charron surtout, ce formidable poète méconnu et oublié à qui il demeure fidèle. Parce que la quête de cet explorateur demande la présence des autres et n’est jamais une ode au je immanent.

 

Cette voix qui persiste chaque nuit

 

Va à ce qui te convoque

Va à ce qui t’ébranle

 

Il n’y a que nos fragilités

qui peuvent comprendre

ce que veut notre cœur (p.44)

 

Je reçois ces carnets avec une belle émotion, comme s’il me conviait à faire un petit bout de chemin avec lui, ou à passer des heures dans la balançoire de son jardin par une nuit chaude et barbouillée d’étoiles en évoquant les toiles de notre ami Jean-Guy Barbeau. Tous deux recroquevillés, sur des morceaux de phrases, que nous dégustons à petites gorgées avec une coupe de vin blanc. 

Même si Lebel est particulièrement discret dans ses publications et dans ses apparitions publiques, préférant l’ombre à la lumière, le silence aux bruits des trottoirs, il reste un poète essentiel. Las de l’industrie de la littérature, il tire une cinquantaine d’exemplaires de ses recueils qu’il numérote et signe avant de les envoyer à des amis comme des pigeons aux ailes grises qui viennent nous rassurer et nous bousculer. 

 

Chaque fois que le vent passe il nous redit

Quitte les chemins familiers

Risque les grandes métamorphoses

Ne cherche que les tremblements d’être

Désormais tout se gagnera là (p.85)

 

C’est un privilège de pouvoir l’accompagner, le temps du vol du colibri sur un massif d’hémérocalles et de se faufiler dans des chemins parallèles qu’il ne cesse d’arpenter avec ses mots et ses couleurs qu’il répand sur de petits tableaux. Des carnets rares qui me font toujours progresser dans l’aventure du vivant.

 

LEBEL CAROLCarnet du vent 6, Comment sauver la lumière qui se noie, Éditions de L’A, Z., Québec, 2021.


mardi 7 août 2018

CAROL LEBEL POURSUIT SA QUÊTE

CAROL LEBEL publie encore et toujours même si les médias ne parlent jamais de lui. Il vit pour son art et par sa poésie dans sa maison de Québec, entre un tableau et un bout de poème, méditant dans sa verrière dissimulée sous la vigne. Il respire au milieu des livres de poésie que l’on retrouve partout dans la maison. Il est le seul que je connaisse à acheter tous les livres de poésie qui se publient au Québec. Tout comme les journaux d’écrivains et les carnets dont il raffole. Il vient de m’offrir Carnet du vent 3, une belle série que j’ai lu en prenant mon temps, m’accordant des petits espaces pour jongler avec ses mots et ses images. Cette fois, il donne toute la place aux mots, délaissant ses tableaux colorés et un peu mystérieux qui s’imposent dans les premiers carnets.

Je connais Carol Lebel depuis 1980, autant dire toute une vie. Il publiait alors pour la première fois. Nous avions décidé plus tard de faire un lancement conjoint. C’était pour Les Oiseaux de glace dans mon cas et peut-être pour À la sortie du corps, je ne sais plus pour lui. En page couverture de mon roman, il y avait la magnifique reproduction Femme et froidure du peintre Jean-Guy Barbeau que nous avons accompagné dans sa recherche, ses rires, nous attardant devant ses grandes peintures lumineuses jusqu’à la toute fin. Des tableaux que je regarde souvent dans ce livre où l’on retrouve toutes les toiles importantes de Jean-Guy. Un cadeau inestimable de cet homme généreux et sensible. Carol, avec sa passion pour la peinture, était devenu très proche du peintre. J’aime particulièrement ses femmes au visage lunaire, hallucinées et comme en transe qui semblent s’échapper pour courir à leur perte. Ou bien encore ces grands tableaux où les personnages semblent retenir le temps.
Carol a été de l’aventure de Sagamie-Québec, une coopérative d’édition que nous avions fondée avec un groupe d’amis et l’aide de souscripteurs dans les années 80. Nous avons publié son recueil Difficile de respirer dans les yeux des autres et À la sortie du corps. Des livres magnifiques. Carol est allé par la suite au Loup de Gouttière, à l’Hexagone et aux Éditions David. Une œuvre existentielle, forte, dense, marquée par les questions qui taraudent les penseurs depuis la naissance de la réflexion et de l’écriture. Il a été professeur de philosophie, il ne faut pas l’oublier. Un éternel poseur de questions qui ne trouve presque jamais de réponses, un explorateur avec ses tableaux minuscules qui rendent visible ce qui ne l’est pas, permettent d’imaginer des univers qui se faufilent dans les méandres de la pensée et que nous refusons souvent de fréquenter. J’ai toujours l’impression d’échapper au temps devant ses tableaux, de m’enfoncer dans une dimension où les référents géographiques se défont. Un monde en gestation qui ne cesse de muter.

ŒUVRE

Carnet du vent 3 est son dix-huitième recueil de poésie. Il faut tenir compte aussi de ses livres d’artistes et de plusieurs collaborations à des collectifs de haïkus.
Son dernier ouvrage s’attarde encore une fois au grand questionnement qu’est l’existence ou l’aventure de respirer. Une équipée qui ne s’explique pas, qui reste peut-être une illusion que les philosophes n’ont jamais cessé de secouer pour en examiner toutes les aspérités. Une quête qui depuis Platon n’a jamais pu s’appuyer sur des certitudes qui permettraient de toucher cette conscience qui n’arrête jamais de se retourner sur soi et de fuir tous les enfermements.

Un autre carnet. Je continue ma route.
Suivre la vie, fragment par fragment,
passage par passage, une éternité à la fois.
Je note… j’apprends.
J’apprends en notant. (p.7)

Je sais que Carol Lebel passe des nuits dans son jardin en juillet, dans sa balançoire qui bouge comme une barque fragile. Il scrute le ciel, se laisse charmer par la lune et le jeu des nuages dans la lumière qui s’échiffe et transforme tout de son coin de pays.
Le poète retient sa respiration pour saisir l’êtreté, l’état d’être vivant. C’est certainement pourquoi il aime tant les carnets de Robert Lalonde et qu’il y revient souvent pour se rassurer peut-être.
Être là, dans l’instant où tout se joue, où tout arrive. Là, dans le silence qui se leste du poids de tous les mots. Un regard qui se replie quand on ferme les paupières pour s’avancer vers les vraies choses et peut-être pour effleurer la vérité.

Le plus souvent vivre ne nous attend pas.
Tant de choses qu’on n’a pas su voir
parce qu’on n’a pas fermé les yeux
assez longtemps.

Perdre pied et cœur quand on oublie
les silences avant les mots.

Si angoissants des yeux qui ne peuvent pas
pleurer. (p.25)

Un instant comme un battement de coeur, un souffle dans les ivresses de l’été. Ce moment où les mots se vident quand on les retourne comme des noix pour les lester de silence et effleurer peut-être sa vie.

POÈME

Le poète s’attarde à la bascule du jour et de la nuit, témoigne avec les étoiles qui ne sont plus qu’une lueur qui traverse les galaxies, ces mondes si différents et si semblables qu’il ne cesse d’inventer dans ses tableaux. Il s’aventure dans une dimension quantique où l’envers et l’endroit coïncident, où le possible et l’irréel ne peuvent être l’un sans l’autre.

Comment remercier le vent qui vient
me chuchoter chaque fois qu’il passe :
c’est ici   aujourd’hui   chaque jour
que tu dois t’enivrer de la brièveté de la vie. (p.40)

Un regard qui se glisse entre les phrases et permet de trouver une autre réalité. Écrire avec si peu de temps, s’étourdir au milieu des jours comme un renard qui n’arrive jamais à satisfaire sa faim. Et le poète note, tente d’écrire, se penche sur les mots comme on le fait sur des cailloux singuliers qui racontent toutes les histoires du monde et la fin de tous les univers.
Une citation d’un poète, un extrait de poème extirpé d’un recueil « sans cesse médité » lui permet de s’aventurer dans une dimension où respirer est de plus en plus difficile.
Comment définir la poésie, ce langage qui se dépouille avec les arbres à l’automne ? Comment saisir ces instants qui se glissent au bord de la grande fenêtre de l’univers ? Comment retenir ces étincelles d’êtreté où tout peut arriver quand nous nous déshabillons de nos agitations et de nos étourdissements ?
Terrible aventure que de lire mon ami Carol Lebel. Il me fait tout risquer chaque fois, m’offre généreusement des « chemins dans les yeux », me leste du poids de l’univers qui s’allège pour se mouler à mon souffle, me permet de me glisser dans une grande feuille de la vigne qui recouvre tout le toit de sa verrière. Un poème pour s’aventurer en soi, voir en fermant les yeux, entendre en se bouchant les oreilles.

Sans les secrets de la solitude,
comment aurais-je fait pour savoir
que j’existais vraiment ?

Nous ne sommes peut-être qu’un
grand silence qui cherche ses mots
pour ne pas mourir trop de vies. (p.73)

Lire Carol Lebel, c’est vivre la crainte et la joie, respirer et chanter dans ses larmes, avancer en se méfiant de tous les mots. C’est chercher l’instant, le souffle qui colle aux ailes du papillon qui va d’une fleur à l’autre en faisant frémir les continents.
J’en sors toujours barbouillé de nuit et de jour, lavé de l’eau des étoiles, avec la certitude d’avoir emprunté les chemins des galaxies. Et je le vois peindre encore, saisir la couleur qui se répand sur les flancs d’un volcan qui crache un autre commencement du monde. Je remercie la sittelle sur le tronc du grand pin ou encore saisis la vie quand la mésange vient me dire que le jour est là et qu’il est temps de me trouver un regard, un sourire peut-être. Et pour la rassurer et me calmer, je lui souffle un bout de poème de mon ami Carol.

aucun commencement
aucune fin
ne nous expliquera
tout le fragile d’être vivant. (p.85)




CARNET DU VENT 3, CAROL LEBEL, Éditions de L’A,Z., 2018.