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lundi 17 février 2020

LA BLESSURE QUI NE GUÉRIT PAS

COMMENT PEUT-ON SURVIVRE À L'INIMAGINABLE ? C’est la question que j’ai retournée à l’envers et à l’endroit en lisant Théo à jamais de Louise Dupré. Les massacres font de plus en plus souvent les manchettes dans nos médias. Un individu armé, un jeune garçon, se faufile dans une école ou un lieu très fréquenté, ouvre le feu et abat ceux et celles qui se trouvent devant lui comme s’il cherchait à exterminer l’humanité. Louise Dupré aborde ce sujet délicat, mais en s’attardant auprès des proches, des parents, des frères et des sœurs de ces désespérés qui semblent en vouloir à la vie. Théo a tiré sur son père lors d’une conférence en Floride. Il a été abattu par un gardien. Pourquoi ? Pensait-il se tourner vers la foule après pour décharger son arme ? Que s’est-il  passé dans la tête de ce petit garçon attachant qui est devenu hargneux et terriblement agressif ? Comment ne pas se sentir coupable, qu’auraient pu faire ses parents pour empêcher ce drame inqualifiable ?

Nous sommes malheureusement de plus en plus devant des massacres, des gestes sanglants difficiles à expliquer même quand on défend une cause. Attaquer des forces policières, l’armée ou des despotes peut toujours se comprendre, mais pourquoi s’en prendre à un proche ou à des gens qui vaquent à leurs activités et se trouvent par hasard devant ce kamikaze ? Écoles, marchés publics, promenades fréquentées deviennent le lieu privilégié où les victimes peuvent se multiplier. Quelle rage pousse ces désespérés vers ces gestes, comment en arrive-t-on à franchir ce mur et à basculer dans une dimension d’où il est impossible de faire marche arrière. On a pris l’habitude de maquiller ces manifestations de haine par les mots « terrorisme » et « radicalisme » qui donnent bonne conscience. Mais une fois que l’on a tiré le drap pour dissimuler les victimes, que vivent les proches de ces perdus qui ont ignoré les limites de l’entendement ?
Des attentats comme celui de L’École polytechnique de Montréal en décembre 1989 ont traumatisé le Québec. Marc Lépine tuait quatorze femmes et en blessait d’autres dans un véritable carnage. Denis Lortie, le 8 mai 1984, à l’Assemblée nationale, faisait trois victimes. L’hécatombe a été évitée de justesse. Le caporal de l’Armée canadienne voulait éliminer les membres du gouvernement de René Lévesque. Que dire de l’attentat au Métropolis, le soir de l’élection de Pauline Marois, en septembre 2012 ?
Des attaques spectaculaires, à caractère politique ou antiféministe dont on a du mal à parler. Souvent, il faut des années avant de pouvoir jeter un regard lucide sur de tels événements. Il y a aussi les drames plus intimes, je dirais. C’est ce à quoi s’attarde Louise Dupré. Théo a tiré sur son père et a été abattu. Karl s’en remettra, mais pas le fils qui semblait possédé par la haine et la rage depuis un moment et avait bien du mal à contrôler sa fureur.

Notre bonheur venait de s’effondrer à cause d’un fou. Mais, contrairement à la femme assise à côté de moi, je ne ressentais aucune colère contre l’assassin, plutôt de la surprise, une sorte d’hébétement. La colère surgirait plus tard sans doute, pour m’empêcher de sombrer. (p.17)

Béatrice, la narratrice, l’épouse de Karl, la belle-mère de Théo et d’Elsa, sa sœur (des jeunes qu’elle a élevés comme s’ils étaient ses enfants) essaie de survivre. Travaillant dans le domaine du cinéma, sur un documentaire où il est question de ces attentats, la spécialiste tente de cerner sa douleur, de comprendre ce qui s’est produit, de prendre conscience de sa réalité, de ce drame qui n’arrive qu’ailleurs et aux autres. Comment respirer après un tel désastre ?

LA MORT

Il y a l’attentat, la mort de Théo, un événement épouvantable. Mais il y a l’après, les jours qui suivent, la terrible solitude. Peut-on comprendre et accepter ce geste désespéré ? Béatrice est touchée au cœur et à l’âme. L’impression de se retrouver dans le film sur lequel elle travaillait et qui tente de cerner ces phénomènes devenus sociaux et trop fréquents. Bien sûr, certaines réactions sont prévisibles et connues. La culpabilité de ne pas avoir su lire les signes de la détresse de Théo, d’avoir fermé les yeux sur ses rages, ses colères, des propos et des comportements inacceptables.

Oui, nous en avions discuté avec Monika, nous avions consulté un psychologue nous aussi, une amie psychiatre, des spécialistes d’un centre de jeunes en difficulté. Non, nous n’avions pas averti la police, ce n’était pas parce que Théo insultait son père qu’il allait passer à l’acte, il ne fallait pas exagérer. Nous avions été bien naïfs. Je m’en suis tenue à la vision de Karl. Je n’ai pas dit à John Matthews que j’avais parfois eu peur. Comme souvent, j’étais celle qui voit des drames là où Karl ne voit que l’ordinaire. Je n’avais pas su me faire confiance. Si j’avais insisté, Théo serait encore parmi nous et Karl, dans son laboratoire. Ce n’est pas votre faute. (p.37)

Béatrice écrit, discute avec ses proches, rencontre une femme qui a vécu un drame similaire et qui après avoir connu l’anéantissement, s’accroche et refait surface. Toutes ces raisons qui font que l’on se sent coupable, responsable d’un geste que nul ne parviendra à expliquer ou à comprendre. Il reste toujours un doute, une hésitation, un silence, un bout de réponse qui ne tombe jamais à la bonne place, des propos qui hantent,  la honte de ne pas avoir dit le mot qui aurait pu tout éviter. C’est impossible de comprendre, d’expliquer avec sa tête et sa raison un acte semblable. Il faut apprendre à survivre parce que ce moment ne s’effacera pas. Tout comme les parents d’un enfant qui se suicide n’arrivent jamais à oublier ce cauchemar. Ils respirent, ils continuent, mais ça reste là, dans un coin de leur cerveau avec une douleur qui peut ressurgir au moment où ils s’y attendent le moins.

LONGUE QUÊTE

Karl reste longtemps dans une sorte de torpeur, devant le mur du salon. C’est sa manière de survivre. Il retourne au travail pour ne plus penser, se tourne vers sa fille Elsa qui est terriblement perturbée par la mort de son frère, tout comme sa tante Monika qui semble d’une solidité à toute épreuve. Une famille touchée par les horreurs de l’Holocauste, avec l’oncle Heinrich indestructible qui a survécu à Dachau. Il y a ces drames collectifs qui ont marqué les esprits, mais également les tragédies personnelles et intimes qui font autant de ravages. Les effets collatéraux sont toujours difficiles à cerner.
 
Monika m’a caressé le dos, je lui ai souri, un sourire qui ressemblait à une grimace, mais je souriais, elle m’a souri elle aussi, et j’ai vu dans son regard celui de l’oncle Heinrich. Elle adorait son parrain, allait le voir tous les ans, l’écoutais parler durant des heures. Je le savais, il avait eu une grande influence sur elle, comme sur Karl. Un oncle qui a survécu à Dachau, c’est tout un exemple pour des jeunes. Moi, mon enfance, je l’avais vécue à l’abri de l’horreur, dans l’enthousiasme de la Révolution tranquille, est-ce pour cette raison que je me sentais fragile ? (p.52)

La cinéaste tente de reconstituer le fil de ce drame comme elle le fait dans sa salle de montage. Béatrice rencontre un professeur de Théo, des amies, son amoureuse. Tous se sentent coupables, un peu lâches d’avoir fermé les yeux et de ne pas avoir su réagir devant un jeune homme qui s’enfonçait de plus en plus dans la rage, coupant tous les liens autour de lui.
Un roman tout en nuances, d’empathie qui nous entraîne dans des espaces que les médias n’abordent jamais ou si mal. La longue et terrible marche des survivants se fait dans le silence et loin du racolage des caméras. Certains parviennent à se refaire une vie, j’imagine, d’autres n’y arriveront jamais. Ils vivent la culpabilité, la honte, le poids de ce geste qu’ils auraient pu prévenir, ils en sont convaincus. Ils s’accusent d’avoir manqué de lucidité. Peut-être qu’ils pensent avoir été irresponsables. Le mot est fort, mais que dire d’autre ? Qui n’a pas tendance à tourner la tête lorsqu’il surprend la détresse d’un proche, à chercher des raisons pour ne pas intervenir, pour ne pas affronter un drame qui nous dépasse souvent. Tous, nous misons sur le temps qui arrange tout très mal quand la colère et la rage explosent.
Un roman qui nous convainc tout doucement que la vie est toujours possible après un cauchemar, la violence la plus terrible. Louise Dupré montre bien que les survivants sont marqués à jamais et n’oublieront pas même s’ils travaillent, aiment et semblent avoir refait surface. Les cicatrices restent profondes et souvent invisibles. Ces blessures sont les plus terribles et ne guérissent jamais.
L’écrivaine nous entraîne dans des couloirs que nous ne voulons pas fréquenter, dans les environs de ces drames qui prennent des proportions terrifiantes dans notre société et qui témoignent certainement de la désespérance de notre époque, de ce vide qui pousse des êtres fragiles, surtout des hommes, à semer la mort autour d’eux pour en finir une fois pour toutes. Une sorte de goût de fin du monde qui semble s’imposer dans nos villes où nous avons de plus en plus l’impression d’être des victimes et des impuissants. Louise Dupré secoue nos certitudes et nous laisse avec un doute terrible qu’il est impossible d’oublier, un malaise devant la folie qui peut se faufiler dans nos vies à la moindre distraction. C’est bien cela le plus inquiétant !


DUPRÉ LOUISE ; THÉO À JAMAIS, ÉDITIONS HÉLIOTROPE, 240 pages, 24,95 $.

mercredi 26 novembre 2014

L’art impossible de devenir orphelin


La mort laisse un vide qu’il faut combler en s’accrochant de tout son être. La disparition d’une mère est vécue comme une onde de choc, une perte d’être qui change son regard sur les humains et les choses. Il y a le temps d’avant et celui d’après. Des récits émouvants ont paru récemment sur ce sujet avec Francine Noël et Robert Lalonde, des témoignages qui mettent des mots où il n’y a que des hésitations. Louise Dupré a perdu sa mère le 30 décembre 2011. Une fin prévisible puisque celle-ci approchait l’âge vénérable des cent ans.

Louise Dupré savait que ce n’était qu’une question d’heures. Sa famille se succédait dans la chambre, pour accompagner, manifester sa présence. Mais comment suivre quelqu’un qui va vers la mort ? Être là, tenir une main, murmurer pour la retenir peut-être, l’empêcher de partir. Quelle terrible sensation que de vivre un chagrin incommensurable, d’être réduit à l’état de regard, de témoin !
Il y a des années, j’étais devant ma mère Aline, dans une chambre. Nous savions que la fin était là depuis des jours et pourtant en ce matin de juin, devant son corps tout chaud, ma vie basculait. Ma famille perdait son ancrage et j’ai eu l’impression de partir à la dérive sur le grand lac Saint-Jean que l’on pouvait voir par la fenêtre.

Rester seule près d’elle pour l’éternité. Je ne pleure plus, je suis dans la stupeur. Ce n’est pas l’absence, ma mère est là, bien présente dans cette mort que j’ai appelée toute la soirée. L’absence, elle s’installera peu à peu, sournoisement, quand le corps de ma mère me sera enlevé. Je m’y attends. (p.15)

Et après il y a les funérailles, les rencontres, un appartement à vider, des choses à se partager. Tous les gestes deviennent un arrêt sur sa vie, un silence qui étouffe, des souvenirs qui bousculent. Comme si la famille s’éparpillait et que vous restiez sur une île avec un corps trop grand.
Louise Dupré réalise en ce mois de décembre que ce qui a été ne sera plus jamais. « Je la regarde dans son lit, blanche, aussi blanche que le drap. » La mère repose, le corps libéré du poids de ce qui a fait ses jours. Je pense à ma mère, son visage lisse. Jamais elle n’avait été aussi présente, aussi calme. Nous avions l’impression qu’elle pouvait sourire comme elle seule savait le faire et se lancer dans une histoire interminable. Morte et terriblement là. Comme si le temps s’étirait et s’effilochait. Nous étions redevenus des enfants effarouchés.


Deuil

L’incinération, la mort comme une transaction, un code d’accès. Les rites de passage ne sont plus que des histoires ! Un moment et après, la spirale des jours nous rejette dans toutes les précipitations et les courses. Parfois aussi, comme chez Louise Dupré, vous avez l’impression de ne plus avoir le pas, de respirer dans une incertitude qui vous retient du matin au soir. Comme si vous étiez à côté de vous. Autrefois, on portail le deuil comme un fardeau pour accepter une disparition. Maintenant, tout va tellement vite.
Que peut faire une écrivaine sinon écrire ? « L’écriture me résiste, jamais elle ne m’a autant résisté. » Et tout revient. Une existence se termine, mais une vie reste comme les pages d’un roman avec le commencement et sa fin. Une histoire s’impose, la sienne, et celle de sa famille. Elle repense à ces grands-parents qu’elle adorait, des moments qu’elle pensait avoir oubliés. Comme si elle pouvait faire des bonds dans le temps et l’espace. Toutes ces images qu’elle a négligées avec ses affolements, ses obligations d’enseignante et d’écrivaine.
Qui était cette femme si curieuse du monde ? Des regrets, la culpabilité ? A-t-elle été une bonne fille pour celle qui a vécu la grande crise économique du siècle dernier, a tout fait pour ses enfants ? Louise Dupré arpente ce territoire qui lui a permis de devenir ce qu’elle est. Se pourrait-il que la fille ait mal vue, mal écoutée cette femme farouche de son indépendance et de son autonomie. La vie est si oublieuse quand on se laisse bousculer par toutes les invitations possibles. Se pourrait-il que la mère soit comme un double ou un reflet d’elle ?

Je vois surgir le mot fin devant mes yeux et j’ai soudain l’impression d’être une actrice en noir et blanc qui s’apprête à abandonner pour toujours la terre où elle est née. (p.102)

Album

Louise Dupré brosse de courts portraits, comme si elle s’attardait à décrire des photos pour mettre des noms sur des visages, des lieux, des espaces, des moments qu’elle pensait disparus à jamais. La mère est là dans sa joie de vivante, sa jeunesse et sa beauté de femme. La fille retrouve l’amoureuse, la volontaire qui ne se laissait jamais abattre, celle qui ne pensait qu’à ses enfants et ses petits-enfants, la femme fière, celle qui aurait pu marquer son époque si elle avait eu la chance d’étudier comme sa fille. Qui est cette femme si lointaine et si proche ? Qui suis-je devant ma mère ?
L’écrivaine défait des nœuds et je dois l’avouer, elle m’a souvent remué. Nous sommes si maladroits devant la mort, ces êtres qui s’éloignent, ces vies qui emportent quelque chose de nous. Des mots, encore des mots, mais est-ce utile quand le père et la mère ne sont plus là pour les entendre ?
Quel magnifique hommage à une femme unique comme toutes les mères le sont certainement. La mère retrouve toute sa force dans le récit de Louise Dupré, comme dans les confidences de Robert Lalonde, Francine Noël et Marcel Moussette qui s’est attardé devant l’album familial.
Un livre que j’ai lu et relu pour tout ce que cela remuait en moi, tout ce qui reste quand la mère s’éloigne sans se retourner. Une belle manière de retrouver qui nous sommes et d’où nous venons. La mort d’un parent vous laisse seul, dans l’état d’adulte. C’est peut-être cela la perte terrible. Vous ne serez plus jamais l’enfant de quelqu’un.

Dupré Louise, L’album multicolore, Montréal, Éditions Héliotrope, 2014, 276 pages, 24,95 $.

jeudi 29 mai 2008

Louise Dupré dit tout dans un frémissement

Ses romans et ses nouvelles s’apprivoisent dans le recueillement et la méditation, jamais dans la fureur et le bruit. Rarement dans la cohue. Chacune de ses phrases, le lecteur les découvre lentement. Parce qu’il faut être attentif pour saisir les «drames» de ces textes.
Les vingt-six nouvelles de «L’été funambule» vous entraînent vers ces tournants qui changent la vie. Il faut souvent une longue préparation, un grand pan d’existence pour parvenir à effleurer ces noeuds. Des amants se quittent sur la pointe des pieds, dans un «effleurement d’êtres». Leurs amours s’étiolent et la séparation s’avère nécessaire. Et quand la traversée est accomplie, rien ne peut plus être pareil.
«Elle m’avait confié, quelques semaines avant son dernier souffle, que pour guérir il lui aurait fallu changer trop de choses dans sa vie. Comme si mourir la soulageait! J’avais fait des cauchemars la nuit suivante et je m’étais réveillée avec un sentiment indéfinissable, effroi, compassion, désespoir. Se pouvait-il qu’une femme dans la force de l’âge se laisse aller ainsi? Et moi, si je découvrais un jour que je dois changer de vie, est-ce que je m’en montrerais capable, je veux dire, encore capable, après tant de fins et de recommencements?» (p.33)

Monde cruel

Des êtres s’éloignent. Ils se sont aimés. Les affres de l’amour et de la mort laissent des cicatrices. Et il y a toujours ces carrefours qui ramènent ce que l’on croyait effacé. Les souvenirs surgissent avant de prendre des directions étonnantes. Ils finissent toujours par remonter à la surface.
«On vient vous chercher, c’est le moment de fermer le cercueil. Vous vous recueillerez pour le dernier adieu obligé, puis vous glisserez votre bras sous celui de votre mère, vous vous acheminerez vers l’automobile qui vous conduira à l’église. Vous prendrez place dans le premier banc. Vous vous lèverez, vous vous assoirez, vous vous ferez semblant de prier. Peut-être prierez-vous, à votre façon. Vous tenterez de fermer votre enfance, là, devant les fleurs et les nuages d’encens. Mais elle se rouvrira, vous le savez. Et il faudra tout reprendre à zéro.» (p.95)
Louise Dupré, l’auteure de «La memoria», s’attarde à l’amour et la mort sans jamais lever la voix. Ses personnages, surtout des femmes, tournent dans une sorte de méditation, attendant que tout bascule. La vie est faite de vagues qui vont, roulent et gonflent. Elles recommencent, éloignent et ramènent tout. Il faut encore de l’espace pour que tout surgisse, de la patience et de l’attention. Comme si vivre était souvent une très longue attente, la plus exigeante des ascèses.

Présences

Tous les personnages de «L’été funambule» le savent. La vie ne redonne jamais ce qui est perdu. Ils surveillent leurs mots et leurs gestes avant d’échapper à ce qui a été esquissé dans l’enfance ou à l’âge adulte. Une douceur apparente mais aussi une force que rien ne peut juguler. Les personnages s’assument dans leurs hésitations et leurs faiblesses. La marche vers soi se fait à petits pas têtus. Parce que demeurer vivant et vibrant, c’est s’éloigner de ses parents et du monde du souvenir, de l’étouffement du quotidien et des habitudes. Il faut la perte d’un chat, une solitude retrouvée, un drame, un sourire pour que le souvenir s’éclaircisse tout à coup. Et cette terrible conscience de sentir le temps nous emporter dans une ronde qui ne peut s’arrêter, de ne jamais pouvoir chasser le mot fin.
«La gorge serrée, elle se retournera pour lui sourire, une fois encore. Elle ne remarquera pas le masque de la mort, imprimé sur son visage. Elle n’ira pas au musée ni au cinéma, elle passera l’après-midi à errer dans la ville. Devant elle se dessinera peu à peu le visage d’une femme qui, un jour, recevra pour la dernière fois une ancienne étudiante.» (p.147)
L’écriture de Louise Dupré s’impose telle une respiration, la lumière qui imbibe l’eau certains soirs de juillet. Un bonheur qui bouge à peine, comme certaines études de Debussy qui nous plongent dans la plus belle des méditations.

«L’été funambule» de Louise Dupré est publié chez XYZ Éditeur
http://www.editionsxyz.com/auteur/1.html