mardi 13 décembre 2016

Hamelin dresse un portrait sombre de la société


ÉVA QUITTE TOUT et retourne dans son pays d’origine, à Maldoror en Abitibi, près du lac Kaganoma où son père possède un chalet. Un ressourcement, la paix loin de Montréal et de ses agitations, une année sabbatique pour se refaire une santé physique et mentale. Son paradis devient un lieu d’affrontements entre un homme d’affaires qui veut créer un site touristique pour de riches Américains et les résidents qui cherchent à protéger leur lieu de silence et de beauté. La lutte est sans merci entre Dan Dubois, un comédien et cinéaste engagé et Lionel Viger, le roi de l’Abitibi, qui carbure aux projets et mène tout le monde au doigt et à la baguette.

Fascinant roman que Autour d’Éva de Louis Hamelin. On sait l’écrivain sensible à l’environnement et la vie sauvage. Ce n’est pas la première fois qu’il met en scène des militants qui tentent de protéger un coin de pays contre les exploiteurs qui vendent du rêve et finissent par tout saccager. La confrontation avait lieu dans Le joueur de flûte où un groupe d’écologistes tentait de protéger des arbres millénaires sur une île de la Colombie-Britannique. Un sujet que Bill Gaston touche également dans son très beau roman Suintula.
Cette fois, l’affrontement se déplace en Abitibi, près du lac Kaganoma, une étendue d’eau à peu près intacte malgré les chalets qui s’égrènent discrètement sur les berges boisées. Les animaux y vivent en paix et il est possible de se laisser envoûter par les appels du huart tôt le matin ou encore de plonger nu dans l’eau claire sans craindre les regards d’un voisin.
Lionel Viger est un homme qui a su s’enrichir en intriguant à gauche et à droite, en sachant tirer les bonnes ficelles politiques. Un frénétique à qui personne ne résiste et qui est convaincu que tout s’achète et que tout se vend. Dan Dubois, cinéaste et comédien, lutte pour la protection de l’environnement et dénonce des scandales dans des documentaires attendus. Il n’est pas sans rappeler Richard Desjardins qui tout en composant des chansons et donnant des spectacles, a dénoncé le sort que les forestières ont réservé à la forêt boréale ou encore la situation insoutenable des Algonquins en Abitibi. Dubois est charismatique, attire les médias, possède du panache et du bagou. La lutte s’engage et Éva se retrouve au cœur de l’action, un peu parce qu’elle est là, parce qu’elle aime son coin de pays et qu'il y a Dan.

GRAND COMBAT

Les environnementalistes sont presque toujours les perdants dans ce genre d’affrontement. Il y a bien ce groupe exceptionnel qui a réussi à faire reculer Hydro-Québec qui pensait construire des barrages sur la rivière Ashuapmushuan dans les années 1970, mais les victoires se comptent sur les doigts de la main. Pour un triomphe, il faut recenser vingt défaites. Le pouvoir d’affaires et politique parvient presque toujours à ses fins. La dernière lutte du genre dans mon coin de pays aura été celle des militants pour empêcher la construction d’une centrale hydroélectrique à Val-Jalbert, près de Roberval. Un échec retentissant.

Les terres sont publiques, c’est vrai. Jusqu’à ce que les vassaux des grosses compagnies qui dirigent le ministère des Ressources naturelles en décident autrement. C’est ce qui vient d’arriver au Kaganoma : ils s’en sont découpé une tranche de 2500 hectares qu’ils ont cédée à un consortium américain allié à un promoteur local du genre roi nègre, pour un prix gardé secret au moment où on se parle. Et écoutez bien ça : savez-vous combien de temps le ministère de l’Environnement (qui, allez donc savoir pourquoi, se sentait concerné par la transaction) a eu pour évaluer le projet ? Un gros vingt-quatre heures. (p.69)

Monique Proulx s’est lancé dans une histoire similaire dans Champagne et nous a donné un roman puissant, parfaitement incarné dans des personnages tourmentés qui défendent la nature pour des raisons pas toujours très nettes.
Louis Hamelin ne donne pas dans la dentelle et utilise ses personnages pour montrer deux pensées qui se dressent l’une devant l’autre dans tous les projets de la société. L’écrivain s’amuse en les décrivant dans leur grandeur et surtout dans leur petitesse.
Lionel Viger est vulgaire, effronté, parvenu, baveux, prétentieux et carbure à l’argent, aime écraser ceux et celles qui s’opposent à lui. Il traite les gens, et surtout les femmes, comme de vieux chiffons que l’on jette après usage. Il sait être convaincant et vit frénétiquement.

Le GPS de Viger a des contrats avec le gouvernement. Le Plan pourpre, les crédits d’impôt pour la création d’emplois dans les nouvelles technologies, c’est lui. Les détails commencent à sortir. On a appris que Viger touchait un pourcentage sur ces fameux crédits d’impôt. Un membre du cabinet peut pas s’afficher avec un homme pareil, est-ce que j’ai vraiment besoin de t’expliquer ça ? Donc, au Kaganoma, le ministre des Ressources naturelles est en conflit d’intérêts, conclut Éva. (p.291)

Dan Dubois est un séducteur qui collectionne les aventures amoureuses. Il aime se voir à la télévision et être à l’avant de la scène, parvient à entraîner les gens dans son sillage comme il trouble la paix du lac Kaganoma avec ses allers et retours en hydravion.

CYNISME

Ce qui m’a un peu troublé dans ce roman, c’est le cynisme de Louis Hamelin. Pas un personnage ne trouve grâce, du moins ceux qui tiennent le haut du pavé. Tous sont des mégalomanes, ne reculent devant aucune manœuvre pour arriver à leurs fins. Même Dan, le champion écologiste, est plein de contradictions et on se demande sur quoi reposent ses convictions quand il abat un ours près de son chalet pour le plaisir de tuer.
Pourquoi sa lutte pour préserver un territoire sauvage ? Pour en jouir égoïstement ou pour avoir un statut dans la société, préserver une image de contestataire ? Intransigeant, il tasse les gens du revers de la main tout comme  son ennemi Viger. Les deux sont des mâles alpha qui s’imposent et qui ne tolèrent aucune opposition. Ce sont des dominants qui savent mordre quand il faut et les femmes viennent à eux comme des papillons vers les flammes.
Il est vrai que les humains ont tous des faiblesses et des côtés sombres, mais Hamelin caricature dans ce roman. Il utilise surtout un ton qui m’a souvent heurté, comme s’il rédigeait un pamphlet particulièrement virulent sur la nature humaine.
Tous les politiciens succombent au pouvoir et se laissent corrompre. Personne n’y échappe. Heureusement qu’il y a Éva. Une femme tourmentée, forte et solide, plus consistante et humaine. Elle parvient à se tenir à la surface, devine toutes les manœuvres de son amoureux Dan et de Viger. Elle est le regard, la témoin qui surveille des marionnettes qui s’affolent. Et elle comprend, voit le jeu de l’un et l’autre.

Cette personnalisation excessive du mouvement a donné lieu à des épisodes qui ne sont pas sans rappeler les tares des régimes totalitaires : délit de pensée (ce membre du CA victime d’une purge pour avoir professé un mode de vie hypernaturel), contrôle de l’information (un cinéaste indépendant chassé de la forêt du Kaganoma), procès et répression paranoïaques d’un « ennemi intérieur » (éviction d’un autre membre du CA pour contacts informels avec un officier de police). Autant de petites taches qui, il faut bien le dire, cadrent parfaitement avec la logique d’une certaine culture machiste, à l’œuvre dans Autour depuis le début. (p.375)

LOI DE LA NATURE

Hamelin aime croire que la société humaine n’est pas différente de celle des bêtes qui parcourent le territoire du lac Kaganoma. De courts textes, comme une réflexion sur le monde animal, montrent que la loi dans la forêt est impitoyable. Le plus gros avale le plus petit jusqu’à être tué par un plus fort, un plus rusé. Pas de pitié et de tendresse. Un univers cruel, sans âme et sans empathie.
Le monde politique est corrompu, peu importe les idées et les partis. Les hommes ne pensent qu’à dominer et à bander le plus souvent possible avec une nouvelle conquête. Il reste peut-être l’écrit, les mots pour dire certaines choses, ce qu’Éva fera dans les colonnes du journal de son père et peut-être plus tard dans les magazines.
Un roman qui laisse perplexe parce que les figures de proue déçoivent et qu’ils sont interchangeables dans le grand spectacle des affrontements. Un regard assez désespérant sur notre société et l’avenir. Mais comment demeurer optimiste dans une époque où l’on voit un Donald Trump devenir président des États-Unis et un Philippe Couillard se présenter en sauveur ?
Hamelin frappe fort et on ne peut qu’être dépité devant un tel portrait. J’aime bien, peut-être naïvement, croire qu’il y a encore des gens qui ont des principes, luttent pour des causes en respectant les autres. Ce genre de héros ne fréquente pas le monde d’Éva ou ils sont rapidement largués. Autour d’elle, les prédateurs s’agitent et c’est pourquoi, à la toute fin, elle se retrouve encore plus seule que quand elle a quitté Montréal. Viger est mort de ses excès et Dan a disparu pour s’illustrer dans un autre combat, surgir dans une cause qui lui permettra d’entretenir son aura médiatique. Le cynisme ne tue pas, mais il dérange et fait mal.

AUTOUR D’ÉVA de LOUIS HAMELIN est publié chez BORÉAL ÉDITEUR.


PROCHAINE CHRONIQUE : Nue et crue lettre au poète disparu de GISÈLE VILLENEUVE, paru chez LÉVESQUE ÉDITEUR.


http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/autour-eva-2521.html