DONALD ALARIE nous offre un chapelet
de nouvelles, je ne sais si l’expression convient, qui épouse le parcours de sa
vie. Dans Puis nous nous sommes perdus de
vue, il raconte son enfance et son adolescence, évoque ses déménagements,
des amis qu’il a perdus et retrouvés, des études et la découverte des livres et
de la littérature. Une passion jamais assouvie que celle de la lecture et que nous partageons.
Quand j’ai pu emprunter quelques romans à la bibliothèque de l’école (nous n’avions
pas de livres à la maison), je passais des journées entières à lire. Cette activité
faisait rager ma mère. Elle répétait que j’étais « ennuyant comme la pluie »,
que « j’étais muet comme le caveau à patates ». Peut-être que je lisais avec
acharnement pour oublier qu’elle parlait tout le temps.
Il y a quelque
chose d’émouvant dans les textes de Donald Alarie, un aspect intime qui me touche. L’impression qu’il me fait des confidences et qu’il ne s’adresse
qu’à moi et à aucun autre lecteur. Je m’avance dans les premières pages et je me
mets à hocher la tête, comme s’il était devant moi et qu’il me parlait avec son
sourire particulier. Cette écriture me touche même si on dirait que l’écrivain
s’excusait d'attirer mon attention et de me déranger.
Pourtant Donald
Alarie est loin de fuir ses émotions, sa vie, ses amours et ses déceptions. Il
aborde tout ce qu’un homme affronte de regrets, d’échecs, de découvertes avec un
petit quelque chose de singulier. La mort de sa compagne par exemple. C’est
certainement pourquoi je suis un lecteur sur qui il peut compter. Il était mon
ami avant même que je ne le rencontre dans un salon du livre. Et il a fallu quelques
secondes à peine pour que l’on discute comme de vieilles connaissances. C’était
peut-être ce que nous étions sans que jamais nos chemins ne se soient croisés.
J’ai toujours
l’impression que je dois prendre tout mon temps, m’attarder à une phrase, la
caresser comme je le fais avec ma chatte multicolore qui est une insatiable.
Voilà ma manière de me laisser emporter par son souffle, sa façon d’effleurer
les heurts de la vie sans pousser de cris pour ameuter le voisinage. Alarie
possède un art particulier que je n’aurai jamais.
HISTOIRES
J’aime quand il me
guide dans son enfance et me fait suivre le petit garçon curieux, vivre ses
premiers moments à l’école et l’apprentissage des autres et de soi. Ces moments
qui ont fait de nous des humains rebelles ou
des hommes paisibles. L’enfance dit tout. Qu’aurait été l’écriture de Gabrielle
Roy sans sa vie familiale au Manitoba ou encore l’œuvre de Victor-Lévy Beaulieu
sans ce départ forcé pour la grande ville alors qu’il était adolescent. Il a
eu la certitude alors que l’univers se fracturait.
Que deviendrait
ma vie ? Je ne voyais pas comment modifier le cours des choses. On pouvait
faire des stages dans des cliniques pour se libérer de la drogue ou de
l’alcool. Consulter des psychologues spécialisés dans ces traitements.
Participer aux réunions des AA et se trouver un guide. Mais pour quelqu’un
d’accro à la lecture comme moi, on ne pouvait rien faire. Et c’était tant mieux
! (p.115)
Ces livres qui
m’ont tellement fasciné quand je me suis assis pour la première fois dans une
salle de classe. Et puis un jour, après des efforts, la surprise de se rendre
compte que les mots nous livrent des secrets. Comme si on
s’était acharné pendant des jours à faire glisser une clef dans une serrure. Et
puis là, ça y est. La clef tourne et la porte s’ouvre sur un monde. Parce que
savoir lire, c’est se permettre tous les voyages, toutes les aventures, devenir
tous les personnages et de franchir les époques en un claquement de doigts. C’est
comme ça que je me suis retrouvé en Russie à dix-sept ans, lisant Léon Tolstoï
et son incroyable roman Guerre et paix,
me prenant tour à tour pour un cosaque sur les champs de bataille ou encore un
jeune soupirant qui n’osait pas bouger dans les somptueux salons de Saint-Pétersbourg, étourdi par le froissement des robes de soie. La lecture, la plus grande machine à
voyager dans le temps.
Je suis certain
que Donald Alarie aurait partagé ma joie quand le plus beau moment de la
journée arrivait enfin à l’école Numéro Neuf de La Doré. Cette dernière heure
de l’après-midi où Mademoiselle sortait le grand volume cartonné. C’était notre livre
sacré. Parfois, c’était elle qui lisait, souvent un élève qui savait patiner
sur les phrases et donner sa voix aux personnages. J’étais souvent l’un de
ceux-là. Un gros roman qui nous faisait rêver et inventer des jeux dans la
cour de récréation. Une de perdue, deux
de trouvées de Georges Boucher de Boucherville paru en 1874. Ce livre m’a
ouvert les gouffres de la lecture et a fait de moi un lecteur insatiable.
AVENTURE
Donald Alarie
lisait des Bob Morane. Je n’ai lu que
Le retour de l’ombre jaune. Tous les
garçons de la classe se disputaient les exemplaires disponibles à la
bibliothèque. J’étais un lecteur original. Il y avait une petite pochette à l’intérieur de la quatrième de couverture. Là se trouvait une fiche
que l’on devait remplir pour repartir avec le livre. Écrire son nom et la date. Je
regardais la fiche et quand personne n’avait emprunté le livre, c’était pour
moi. C’est ainsi que j’ai lu une étude de Séraphin Marion portant sur l’œuvre
d’Émile Nelligan. Je crois bien n’avoir pas trop compris de quoi il était
question. Je choisissais peut-être un peu mes titres pour épater la classe et
mes amis. Heureusement, cela a vite changé et j’ai appris beaucoup de la
lecture de ces écrits ignorés.
Je suis allé
saluer Michel. Il m’a promis de m’écrire. Il me donnerait sa nouvelle adresse
plus tard. Il m’a offert deux bandes dessinées en cadeau. Puis il m’a tendu un
autre livre en disant : « C’est de la part de ma mère. Elle en avait deux
exemplaires et elle tenait à t’en offrir un. Tu pourras le lire un jour… »
C’était Rue Deschambault, de
Gabrielle Roy. Quelques années plus tard, en le lisant, j’aurais l’impression
d’entendre une confidente me chuchoter à l’oreille des histoires pleines de
tendresse. (p.28)
C’est ainsi que
j’ai découvert La Minuit de
Félix-Antoine Savard, Félix Leclerc, son magnifique Pieds nus dans l’aube, Léo-Paul Desrosiers et Les Engagés du Grand Portage, dans la belle collection Nénuphar de
Fides. Ce roman m’a tellement fait rêver. J’ai dû le lire quatre ou cinq fois, copiant les passages où il était question des nations indiennes.
Je n’ai pas fait
mon cours classique comme Donald Alarie, allant d’un bord et de l’autre dans un
parcours scolaire plutôt sinueux. Heureusement, il y a toujours eu des livres.
La poésie de Rimbaud et de Baudelaire que nous découvrions par fragments au
collège parce que nous n’avions pas droit à l’intégralité des poèmes. La
censure des frères Maristes n’était pas une rumeur. J’ai même failli me faire
confisquer Les misérables de Victor
Hugo par le frère bibliothécaire, le premier roman que j’ai acheté. Ce fut plus
tard, à l’université que j’ai pu lire Les
fleurs du mal et Une saison en enfer.
LA VIE
Les études. Un
exil difficile pour moi que de passer du village à Montréal. Pour Donald
Alarie, les migrations ont toujours eu lieu à l’intérieur des frontières de sa ville même si cela peut être bouleversant.
Les grandes amitiés
que l’on était certain d’avoir pour toujours s’effritent alors. Et il y a le
travail plus tard, les amours et nous perdons de vue des garçons avec qui nous
étions du matin au soir. La mort, un accident et celui qui était comme votre
bras droit n’est plus.
Un jour, durant
la récréation, j’ai aperçu un garçon étendu par terre. Il y avait du sang près
de sa tête. Il avait fait une mauvaise chute et sa tête avait heurté
l’asphalte. Je me suis éloigné, effrayé. Le surveillant est intervenu. On a
transporté le blessé à l’intérieur. Puis une ambulance est venue le chercher.
Le lendemain, on nous a appris qu’il était mort à l’hôpital. Il n’avait que
neuf ans. Il se nommait Pierre. J’ignorais qu’on pouvait mourir à cet âge.
(p.16)
Les parents
vieillissent, luttent contre la maladie ou encore foncent dans leur vieillisse
avec une colère qui ne s’est jamais démentie chez ma mère.
C’est ce que
j’aime chez Donald Alarie. Cet écrivain me porte à la confidence, à parler de moi et de lui par ricochet. Son texte
est comme une main tendue. Vous la prenez et vous allez dans un parc, vous
asseoir sur un banc, pour mieux regarder le jour s’étirer et surveiller, le
sourire aux lèvres, les agitations des hommes et des femmes. C’est cette
intimité que je retrouve chaque fois dans un livre de Donald Alarie. Il
m’entraîne dans son monde et me fait mieux voir le mien. Il me permet toujours une
réflexion qui me pousse dans des sentiers que je ne cesse d’explorer. Peu d’auteurs
réussissent cet exploit et c’est ce qui me fait dire que Donald Alarie est un
écrivain important, essentiel, unique.
PUIS NOUS NOUS SOMMES PERDUS
DE VUE de DONALD ALARIE, une publication des
ÉDITIONS de LA PLEINE LUNE.
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