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jeudi 28 avril 2016

La magie de Pierre Gariépy nous emporte encore

LES GRANDES PASSIONS qui retournent l’être et font perdre contact avec la réalité n’ont jamais effarouché Pierre Gariépy. On se souvient de la dérive qui nous emporte au bout du rêve et de l’amour, de la vie et de la mort, dans Lomer Odyssée. L’écrivain continue dans cette voie en se tenant à la frontière du possible et de l’imaginaire dans Tam-Tam, un très court roman, qui nous pousse dans un univers où l’on se demande à chaque phrase si on est dans le songe ou la chimère. Peut-être que la réalité est tout cela et encore plus. Rêves, jeux, divagations et inventions permettent d’arpenter toutes les ampleurs de la vie et la littérature devient le véhicule parfait pour larguer toutes les amarres. Pierre Gariépy aime la musique des mots, leur saveur et ne se gêne jamais pour les faire résonner de toutes les manières possibles.

Valérie souffre de la fibrose kystique. Une maladie héréditaire qui touche le système respiratoire et provoque des sécrétions. La respiration est difficile, quasi impossible pour les enfants qui sont touchés. Elle doit cracher, éructer pour ne pas s’étouffer et son père doit « la taper » fermement pour la faire respirer. Elle devient une sorte de caisse de résonnance qui vibre sur tous les rythmes, un instrument qui peut jouer toutes les mélodies. Un lien très fort s’installe entre les deux, un amour fusionnel où la fillette et le père sont unis par une sorte de cordon ombilical. Une situation étrange, singulière et Valérie plane je dirais, entre deux mondes, sans jamais savoir lequel des deux va l’aspirer.

« Si tu savais… » Et ces trois mots inauguraient la vie, toute la vie, oui, l’Univers en fait, ces trois mots commençaient toujours notre prière du soir, à papa et moi, « si tu savais, mon ange… », et puis mon père m’expliquait la vie, m’en avouait la folie, pas tellement pour me faire peur que pour me dire : « Petite, dehors, c’est l’enfer, je l’ai vu », et puis, bien sûr, il voulait que je fasse attention, qu’à travers tout je survive, il voulait me garder, mon père, il avait peur de tout, des fois, papa, mais ce dont il avait le plus peur, c’était que je meure avant lui. (p.12)

Et le grand moment arrive. La jeune fille va recevoir un nouveau cœur, des poumons presque neufs, pouvoir vivre normalement, du moins on veut le croire. Il faut se méfier. Pierre Gariépy n’est pas du genre à nous raconter une histoire linéaire, sans rebondissements, sans fausses pistes ou de trappes qui s’ouvrent et vous font perdre pied.

Ma transplantation s’était faite comme un charme. Deux poumons pour le prix d’un, avec un cœur en  prime. Tout le kit, c’est plus facile à transplanter, paraît-il. En un bloc, opératoire ou pas. Et puis, c’est comme du troc. Mon cœur est allé chez une autre qui en avait follement besoin. D’un coeur seulement, ses poumons, ça allait. (p.17)

Je me suis mis à fantasmer. Une greffe, c’est comme se donner à un autre, accepter un autre en soi. Notre je n’est plus tout à fait un je, mais un il alors. Rimbaud avait peut-être reçu une transplantation poétique pour écrire son inoubliable : « Je est un autre ». Savoir que le cœur dans sa poitrine est celui d’un étranger, devoir la vie à un inconnu qui continue à être d’une certaine façon en nous doit procurer une sensation particulière. Qui sommes-nous alors ? Soi ou l’autre ?

HISTOIRE

Valérie reçoit ses poumons, son cœur et tout va bien. Retour à la maison et une autre vie s’amorce. Il faut récupérer, guérir et quoi de mieux que se bercer en écoutant des histoires. On dit que nous nous berçons selon le rythme cardiaque de notre mère. J’aime ce genre de subtilité. Le père raconte un moment terrible qu’il n’arrive pas à oublier. Enfant, il voulait devenir archéologue et avec son grand copain, passait son temps à creuser sous les galeries des voisins pour trouver des artéfacts. Un jeu comme un autre. J’ai joué aux Indiens, me prenant pour Aigle noir et je gagnais toutes les guerres, je vous le jure. Le grand ami, l’inséparable Pierre Gariépy a disparu. Toutes les recherches et les enquêtes n’ont rien donné. De quoi hésiter. L’écrivain Pierre Gariépy élimine un Pierre Gariépy dans son propre récit. Est-ce qu’il nous dit qu’il n’est plus là, qu’il s’est effacé ? L’écrivain ne serait pas celui que l’on croit. À moins d’avoir plusieurs vies, ce qui n’arrange pas les choses. L’écrivain est-il l’homme que l’on peut rencontrer ou s’il est un autre… Le romancier est-il un survivant ou un greffé ?

Tout près, papa semblait si absorbé qu’on aurait dit qu’il ne me voyait même pas l’aider. Pourtant, je lisais tout derrière lui, je ne prenais plus le temps de manger, comme lui, et de dormir, si peu que pas, et je n’étais même pas fatiguée, je l’aimais, Pierre, comme papa l’aimait, et je ferais tout pour que le mystère de sa disparition soit résolu enfin. C’était quand même moi qui avais relancé l’enquête, non ? (p.26)

Rencontres de témoins, déductions et la vérité éclate. Il n’y a pas de meurtre parfait. Le petit Pierre a été tué par un pédéraste qui l’a fait disparaître dans les trous qu’ils creusaient. Un jeu, une tombe… J’avoue avoir été troublé par cette histoire, la disparition du jeune, de l’auteur en quelque sorte. Pourquoi le roman prend-il cette direction ?
J’ai continué ma lecture, doutant de tout, sur la pointe des pieds, me méfiant des mots et des sourires de l’écrivain, de son goût pour les sonorités et les doubles sens.

FAUX OU VRAI

On finit par découvrir que Valérie n’a pas survécu à la transplantation. Le père, fou de douleur, incapable de vivre cette perte, tente de se suicider. Il doit vivre une thérapie pour reprendre pied. On se remet mal d’une telle douleur. C’est presque impossible de refaire surface.
La psychologue est particulièrement séduisante. Il ne peut que tomber amoureux de Sabine Candide qui respire l’amour et le bonheur. Toutes les femmes dans les romans de Gariépy sont irrésistibles et souvent l’incarnation de la beauté et de la sensualité.

Et quand il l’a vue, Candide, elle avait l’air d’une panthère noire, évidemment, vu l’accent. Papa est rentré dans l’antre de la mante, religieusement presque, comme hypnotisé. Il allait se faire manger, et en jouissait déjà. (p.59)

Les Sabines étaient des femmes que les Romains kidnappaient chez leurs voisins. Pas de femmes dans les commencements du grand empire. Une bien étrange histoire. Comment fonder un modèle de civilisation entre hommes ? Et quel rôle donner à ces femmes enlevées chez les voisins comme du bétail reproducteur ?
Sabine Candide est venue de la lointaine Haïti et possède des pouvoirs de guérisseuse. Une psychologue est une sorte de sorcière qui trouve le moyen de guérir le mal de l’âme, on le sait.

Mais comme elle m’a semblée grande, la Candide, à ras de terre. Une vraie de vraie liane, toute sombre et qui miroite. La blancheur de ses dents m’a fait détourner le regard, tant ça scintillait. En effet, elle était belle comme tout, Sabine, et je l’ai haïe tout de suite, la sorcière. J’aime la beauté, oui, mais pas la sienne. Déjà que j’avais commencé à la haïr bien avant que je la rencontre, si vous voyez ce que je veux dire… (p.71)

Le plus dérangeant, Valérie continue d’être la narratrice, celle qui raconte tout, au-delà de la mort.

ÉTRANGE

Il ne faut pas avoir peur des glissements, des bascules, de perdre pied, ne pas craindre d’être au ciel ou à ce qui lui ressemble en compagnie du marquis de Sade.
Gariépy construit son histoire et la défait pour la relancer dans une autre direction et nous étourdir. Plus simplement, je pense qu’il a voulu montrer l’immense vide que la mort d’un enfant peut provoquer et le long processus du deuil. Il y a plusieurs deuils dans cette histoire. Celle de Valérie bien sûr, mais aussi celle de Pierre, du petit Pierre qui est aussi Gariépy… Un écrivain peut-il faire le deuil de lui-même ou d’une grande douleur qui a marqué sa vie, l’a laissé plus mort que vivant… Je ne veux pas m’aventurer dans cette direction.
Il faut vivre des morts symboliques pour devenir adulte. Nous faisons tous le deuil de son enfance. J’ai dû quitter des vies, un milieu pour devenir un autre. Nous sommes tous des transplantés ou des greffés, surtout quand on choisit de fréquenter les phrases qui menacent d’aller dans toutes les directions.
Pierre Gariépy exige beaucoup de son lecteur. Une histoire invraisemblable comme il en a l’art. Nous sommes emportés par un rythme, un souffle, une écriture jubilatoire qui triomphe de tout avec une sorte d'innocence contagieuse. La phrase de Gariépy surmonte l’horreur grâce à cet amour des mots qu’il retourne et savoure comme des pépites de chocolat, une musique qui nous pousse dans toutes les dimensions de la douleur et de la perte. Le pouvoir de l’écrivain est terrible et il peut imaginer des morts et des résurrections pour que l’amour triomphe.  

Quand on peut plus aller plus loin dans la souffrance du quotidien, de la maladie - fibrose kystique ou putain de cancer : même combat -, il nous faut la magie, l’imaginaire, la littérature, quoi. (p.81)

Le grand art de Gariépy nous emporte dans ce qui est peut-être vrai ou faux, inventé, rêvé, et tout cela à la foi. Un monde se fait et se défait à chaque phrase. Parce que la vie est une fiction où il est possible de guérir de tout par les mots, les images et l’abolition des frontières. Un roman comme un concert de percussions qui nous fait vivre toutes les émotions.

Tam-Tam de PIERRE GARIÉPY est paru chez XYZ ÉDITEUR, 98 pages, 19,95 $.

PROCHAINE CHRONIQUE : La chambre verte de MARTINE DESJARDINS publié chez ALTO.



dimanche 4 septembre 2011

Pierre Gariépy a créé une fresque fascinante

Certains livres sont faits pour être lus et relus. C’est le cas de la trilogie de Pierre Gariépy. J’avoue! Autant j’avais été envouté par «Lomer Odyssée», autant j’ai hésité devant «Blanca en sainte» et «L’âge de Pierre». L’enchantement du premier volet s’était amenuisé et le dernier opus m’avait un peu rebuté. Je n’en avais pas fini avec Gariépy pour autant.
Autant profiter de l’été pour relire sa fresque.
Malgré des lieux sordides, le lecteur s’attache aux personnages dans «Lomer Odyssée». Le couple vit dans un port où grouillent des marins en quête d’amour et de tendresse. Ils ont de l’argent pour s’empiffrer et surtout pour se saouler. C’est grinçant, violent, étourdissant, mais Lomer et La Gueuse vivent un amour qui permet de triompher de tout. Une forme de romantisme où des fleurs d’une beauté fascinante poussent dans les ordures.
Dans «Blanca en sainte» le monde est ravagé par la peste, le sida peut-être. Les hommes et les femmes sont des bêtes. La seule façon de survivre est de trouver refuge dans une meute. Alors il est possible d’affronter tous les dangers.
Blanca, la Démone, a perdu Lomer dans un incendie. Elle fait marquer son nom sur son front. Elle s’affiche, elle est sa femme. Il n’y aura jamais d’autre homme. L'amour chez Gariépy est total et pour la vie.
Dans ce monde gangrené et sauvage, Blanca met au monde un garçon. Il porte l’avenir si avenir il y a. Tous perdent la mémoire ou sont éliminés par les bandes rivales. Les humains en sont réduits à se dévorer.

Jungle

Blanca est emportée par la peste au début de la vingtaine. Pierre est enfermé dans un orphelinat. Une jungle où les enfants sont utilisés comme marchandise sexuelle. Il s’occupe de l’Enfer, là où l’on garde les livres interdits. Il y découvre la littérature.
Il entreprend alors d’écrire sa vie rêvée, celle du Christ Jésus. Une parabole placée sous le signe de la sexualité et des miracles. Un Christ moderne que la télévision suit dans ses moindres gestes. Il y aura même une crucifixion en direct devant les caméras. L’écrivain en herbe doit quitter l’orphelinat pour aller faire des enfants. Une fiancée l’attend. Il demande un sursis pour terminer son roman où son alter égo séduit les foules.

L’ensemble

Les personnages de ces trois romans sont liés dans le temps et l’espace. Les histoires se construisent l’une par rapport à l’autre. Le monde s’est défait à la mort de La Gueuse. Lomer l’a vengée par le feu en brûlant le bar. Il mourra dans un incendie. Qui utilise le feu périt par le feu. Blanca vit dans un monde similaire à celui de «La route» de Cornac MacCarthty. Que peut-être la vie quand l’avenir est une menace? Il reste la parole pour se défendre, une langue que la jeune femme utilise comme un fouet. Une parle carencée où les mots vacillent et prennent plusieurs sens. Pierre héritera de ce pouvoir de tout transformer par l’écriture. Ses phrases résonnent telle une musique sauvage. C’est le propre d’une langue contaminée par une autre que dire une chose et son contraire. Il y a un aspect ducharmien chez Gariépy.

Barbarie

L’humanité est retournée à la barbarie au temps de Blanca. Pierre, qui a une certaine parenté avec Jean Le Maigre de Marie-Claire Blais, le héros inoubliable de «Une saison dans la vie d’Emmanuel» oublie sa misère par l’écriture.
Un monde de violence, exacerbé, dangereux. La sauvagerie est de retour. Pourtant, il subsiste une sorte de lumière chez Pierre Gariépy qui fait qu’il peut y avoir un demain.
Voilà des romans à nul autre semblable dans la littérature québécoise. L’amour et la souffrance aspirent, retournent et vous secouent. L’amour transforme et permet de s’élever au-dessus de la cruauté du monde.
C’est souvent déroutant et rebutant. Une véritable expérience où l’on perd ses repères. Une jungle où la langue bondit de tous les côtés et menace votre équilibre. Tout est décadent, équivoque, incertain dans un univers souillé et détruit.
Il faut relire Pierre Gariépy pour aller au-delà des apparences, là où la vie palpite et lutte pour être simplement. Bouleversant et étonnant. S’il y a une espérance chez cet écrivain, elle vient de l’écriture qui dit tout et se permet tout.

«Lomer Odyssée», «Blanca en sainte», «L’âge de Pierre» de Pierre Gariépy sont parus chez XYZ Éditeur.

dimanche 8 novembre 2009

Pierre Gariépy joue le tout pour le tout

Que j’ai aimé «Lomer Odyssée», le premier roman de Pierre Gariépy. Une histoire d’amour entre un jeune homme à peine réchappé de l’adolescence et une femme d’un âge certain. C’était quelque part dans une ville, un port de mer, un monde où la mort rôde quand s’installe la nuit. Une histoire d’amour qui finissait tragiquement, comme il se doit. Lomer, après la mort de sa Gueuse, continuait son errance qui allait le mener vers Blanca. Un dernier feu d’artifice.

Dans «Blanca en sainte», Lomer, ce survivant de son passé, brûlé par la vie est disparu. Pour ne jamais l’oublier, Blanca se fait marquer au fer rouge. Elle est sa femme, dans sa chair et son âme, marquée comme le bétail pour montrer son appartenance.
«Et si j’en avais eu la force, j’aurais ri de moi-même en pensant que pour ne jamais t’oublier justement, Lomer, j’avais fait marquer au fer rouge ton nom dans mon front.» (p.14)

Pas rassurant

L’univers de Gariépy n’avait rien de réjouissant dans «Lomer Odyssée». Les personnages évoluaient dans un monde de déjections et de rebuts. La ville s’est dégradée dans «Blanca en sainte». La peste règne, les rats crèvent massivement et les gens meurent dans les rues quand ils ne se tuent pas. Il n’y a plus de nourriture, plus de pétrole, plus d’alcool. Blanca, la Démone, est enceinte de Pierre. Elle a retrouvé son clan après la mort de Lomer, se bute à Ti-Rat qui rêve d’elle, la suit comme son ombre, lui offre son corps et son âme.
«J’avais deux fois son âge, à lui, et j’avais à peine 18 ans, même si j’en avais 100 dans mon ventre, ma tête – c’était qu’un ti-cul, ti-rat -, et déjà il conduisait, un bull, et il killait, un pig. J’en ai donc conclu qu’il était un intéressant jeune animal et je suis venue à lui, enjambant mailles de stainless, lambeaux en sang et miasmes de viscères.» (p.22)
Blanca donne naissance à un fils, mais elle se meurt. Les hommes retombent en enfance. Elle vieillit de plusieurs années à tous les jours. Tout est exacerbé, poussé à son extrême. Ti-Rat, désespérant d’amour, obsédé, halluciné, se pend au mât du navire où le clan s’est réfugié.

Apocalypse

L’amour chez Pierre Gariépy est perte de soi et hantise. Est-il possible de survivre à un amour qui rase tout? Peut-il y avoir un amour après l’amour? Iseult ou Juliette auraient-elles pu connaître une autre passion fulgurante après Tristan et Roméo? L’absolu de la jeunesse n’existe que dans la jeunesse, que quand le brasier illumine le ciel, quand les planètes gravitent autour de l’être aimé. Que la première fois!
Blanca ne peut être l’amour de Ti-Rat. Elle pourrait peut-être l’aimer sans connaître les grandes secousses telluriques, mais lui cherche l’absolu et ne peut se contenter d’un succédané. Il préfère la mort.
Allégorie bien sûr, mais comment se défaire de l’impression que tout grince, qu’il n’y a plus d’avenir possible. Reste l’enfant… Demain est-il imaginable dans un univers en décomposition…
«Pierre, lui, grandissait, il tétait et semblait ne jamais vouloir s’arrêter, c’était mieux ainsi, la nourriture était si rare, j’étais ses vivres et pensais que tant que je le resterais, je vivrais moi aussi. Ni la peste, ni Dieu, ni Satan n’auraient d’emprise sur moi, aussi longtemps qu’il ne serait pas de moi sevré, Pierre c’était toi, Lomer, et je ne serais jamais sevrée de toi ni de Pierre, mais lui, si.» (p.80)
Un roman exigeant et un peu déconcertant. On trébuche dans les interstices des phrases qui s’étiolent. La langue est atteinte, les mots perdent leur sens. L’écriture se défait, s’inverse et devient floue, comme grugée de l’intérieur. Inversions, répétitions, allitérations, tout sert à porter ce grand cri de désespoir.
Pierre Gariépy joue le tout pour le tout, saute sans parachute. Une entreprise fort risquée qui laisse un peu perplexe, même si à la toute fin s’ouvre «l’âge de Pierre». Est-ce celle de l’auteur... Oui, peut-être que l’avenir peut avoir un avenir. On veut y croire. Je le souhaite en croisant les doigts.

« Blanca en sainte » de Pierre Gariépy est publié chez XYZ Éditeur.

jeudi 28 février 2008

Pierre Gariépy est un véritable magicien

Il est risqué de s’aventurer de nos jours dans une histoire d’amour, de tenter de rivaliser avec les figures mythiques que sont Roméo et Juliette, Tristan et Isolde, Donalda et Alexis. Nous sommes plutôt à l’ère des passions fugitives, des élans qui durent moins que le temps des lilas.

Pourtant Sergio Kokis a réussi des pages magnifiques dans «Les amants de l’Alfama» et «Négao et Doralice». Daniel Castillo Durante a réalisé l’exploit dans «La passion des nomades» et «Un café dans le Sud». Les deux ont créé des figures inoubliables. Et maintenant Pierre Gariépy arrive avec «Lomer Odyssée»!
Un jeune homme, un enfant presque, quitte sa famille pour devenir marin. Il refuse de descendre dans les ports pendant les escales. Il a le don des mots et écrit des lettres pour les membres de l’équipage. Une manière de dire l’amour, la souffrance et d’entretenir l’espoir.
Un soir de garde, il surprend une prostituée sur le quai. Elle a été battue. Sa vie bascule. Il devine qu’il ne pourra plus la quitter.
«Je ne saurais jamais son âge, mais en découvrant de près son visage dans la lueur de mon allumette, j’ai bien constaté qu’elle était vieille, tellement plus vieille que moi. Mais j’ai bien vu aussi, à la lueur de ses yeux, que cela n’avait aucune importance et n’en aurait jamais aucune entre nous. Nous yeux avaient le même âge, et c’est tout ce qui comptait après tout. Elle n’a pas dit merci. Elle m’a juste dit Viens. Et je l’ai suivie, comme un apôtre, Dieu.» (p.19)

La Gueuse

La passion pousse La Gueuse et Lomer l’un vers l’autre, comme les vagues de fond qui viennent se casser sur la plage. Ils vivent le présent, buvant et mangeant jusqu’à rouler sous la table. C’est l’exultation de tous les sens. Ils finissent par s’épouser et connaître une nuit à secouer les colonnes du ciel, à retarder la montée du soleil.
«J’ai plongé en elle. Ma Gueuse, c’était la mer, tant ses chairs pendaient, flasques et fluides, et moi, j’adorais. Spongieuse, qu’elle était. Toute molle, c’était parfait, alors qu’en dedans elle allait être toute dure, j’en étais sûr. Comme une vierge, j’allais bientôt pouvoir le confirmer. Mais pas encore ; personne n’était pressé. Pas moi. Pas elle.» (p.63)
On voudrait que cette histoire continue jusqu’à épuisement de la vie, mais dans un port, quand sa Vierge est prostituée et qu’on côtoie tous les truands, le pire doit arriver.

Le drame

Une vengeance sur un proxénète engendre la violence, le viol et la mort. La Gueuse est assassinée et Lomer emporte sa bien aimée au large, naviguant sur le père de sa bien-aimée, un géant que l’on a empaillé et qui sert de radeau. Pour joindre sa douleur aux chants des sirènes peut-être.
«Un géant momifié, comme un Christ, dans des flots de diesel, et moi sur lui qui ramais, avec mon ange affalée dessus nous. C’était plus qu’un radeau, beau-papa, c’était un paquebot tant il était grand et confortable, presque luxueux tellement il était familial. On s’était rendu loin à bord de son père, ma Gueuse et moi. J’allais, entre les flots, déposer son corps adoré, pour qu’elle remonte, mon grand Amour, vers le soleil un jour, vers moi qui l’attendrais tout le reste de ma pauvre vie qui n’en valait plus la peine, pour qu’elle me revienne, mon âme. Je l’attendais.» (p.98)
Une manière de sublimer l’horreur, d’inventer une véritable scène biblique qui transcende la tragédie. Pierre Gariépy plonge dans un mythe qui subjugue et fascine. Tout est possible dans un tel récit, même l’espoir d’un recommencement.

Une fable

«Lomer Odyssée» est porté par une écriture qui transcende la crasse, la misère, la violence, le sang et toutes les bassesses humaines. La passion et l’amour transfigurent tout dans une forme d’extase mystique. La cadence ne se casse jamais et le romancier nous tient en apnée, à la limite du possible et de l’imaginaire.
Un délice pour le lecteur qui aime qu’un livre ne soit pas qu’une simple histoire et qui aime plonger dans les situations les plus folles. Une magie que la littérature peut offrir. Pierre Gariépy est ce genre de magicien.

«Lomer Odyssée» de Pierre Gariépy est publié chez XYZ Éditeur.