jeudi 29 novembre 2007

Daniel Castillo Durante suit les traces du père

Daniel Castillo Durante étonnait les lecteurs, l’an dernier, avec «La passion des nomades», un roman qui a remporté le prix Trillium. Dans cet ouvrage, un consul argentin, Juan Carlos Olmos, est assassiné dans les Laurentides, au nord de Montréal, dans des circonstances nébuleuses. Gabriel, le fils débarque au Québec pour faire la lumière sur cette mort inexpliquée. Rapidement subjugué par Ana Stein, une maîtresse de son père, il entreprend un véritable chemin de Croix. Une femme d’une froideur et d’un manichéisme qui donnent des frissons dans le dos.
Dans «Un café dans le Sud», Castillo Durante retourne le canevas. Paul, le fils d’un commerçant argentin et d’une Québécoise qui s’est suicidée, apprend que son père se meurt d’un cancer et souhaite le revoir une dernière fois. Ce dernier est peu empressé de quitter Montréal et les petits bonheurs du Plateau Mont-Royal. Encore là, le père a multiplié les conquêtes et le fils a été particulièrement troublé par Leda, celle qui a remplacé sa mère et nourrit ses fantasmes d’adolescent.
Il finit par se rendre à Buenos Aires pour toucher son héritage, se retrouve dans une maison de montagne acquise par son père lors d’une transaction plus ou moins nébuleuse. Une fille étrange vit là et s’occupe de tout. Il devient vite obsédé par Poma, une très belle femme, qui ne manifeste aucune émotion et se plie à tous ses désirs. Il y laissera tout ce qu’il possède.

Les fils

Dans ses romans, Castillo Durante suit des fils en quête d’un père, des éclopés qui s’éprennent des conquêtes de leurs géniteurs et tentent de juguler le passé.
«Je me sentais coincé comme dans un cercueil, bloqué de toutes parts, harcelé par cette voix venant du Sud qui sonnait le glas d’un passé que j’avais mis des années à essayer de comprendre. Peut-on d’ailleurs comprendre le lieu où, un jour, un père est né? Père-pays, qui es-tu pour m’apostropher ce soir alors que j’ai un rendez-vous tacite avec la fille de mon épicier dont les fesses ne valent peut-être pas celles de Leda mais ont au moins le mérite de sentir le basilic et l’estragon lorsque mon regard les caresse?» (p.17)
Paul, tout comme Gabriel, suit un long chemin avant d’assumer son destin, obsédé par un père qui se glisse entre les femmes qu’il désire et lui.
Plus que tout, Castillo Durante décrit la misère des pays du Sud et l’exploitation dans ce qu’elle a de plus sordide.
«De multiples files d’attente caracolant devant différents guichets témoignaient de la foi hésitante de tous ces petits épargnants qui, à vrai dire, ne savaient pas trop à quel saint vouer leur pécule amassé à la sueur de leurs fronts. Dans un pays où l’on connaît la date du dépôt de la somme investie mais jamais celle de son retrait, la foi est immanquablement un article qui s’écrit au passé. Le seul miracle réside dans le fait qu’elle se renouvelle en dépit de l’acharnement des institutions financières à dévaliser leurs clients. Escroquer son semblable et être escroqué par lui faisait partie de la culture locale.» (p.151)
La jungle

Les romans de Castillo Durante sont luxuriants, étourdissants, pleins d’odeurs et de couleurs, posent un regard impitoyable sur l’Argentine et l’exploitation des femmes et des enfants.
«En début de carrière ou au bout du rouleau, les putes de ce quartier offraient aux clients les deux extrêmes d’une même perversion : celle d’une femme qui, fraîche ou décatie, se transforme en chose le temps d’une passe à l’hôtel. Elles étaient nombreuses et fardées jusqu’à l’os. Un bordel à ciel ouvert qui exhibait son décor autant que ses pensionnaires. Mais ce qui frappait le plus, c’était le regard résigné, absent, de ce troupeau de femmes sous le joug de la misère qui les obligeait à se vendre pour ne pas crever.» (p.234)
La loi de la jungle est implacable pour les êtres sensibles qui défendent une certaine moralité. Un style incisif, mordant, un envoûtement à chaque page, une fresque qu’il est difficile d’abandonner. Et quel retournement à la fin ! Daniel Castillo Durante vous laisse pantois.

«Un café dans le Sud» de Daniel Castillo Durante est paru chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/catalogue/470.html