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jeudi 19 avril 2007

April explore le côté sordide des humains

En m’aventurant dans «Les Ensauvagés »de Jean-Pierre April, j’ai eu du mal à ne pas voir se profiler l’ombre de Moïse, cet hurluberlu, ce prophète autoproclamé qui s’est installé dans une commune, au cœur de la forêt gaspésienne, pour imposer ses volontés à son harem. Gabrielle Lavallée, dans «L’alliance de la Brebis», a raconté cette histoire particulièrement sordide.
Où se situe la frontière entre le civilisé et le barbare? Qu’est-ce qui nous empêche de sombrer dans l’horreur? L’histoire se répète. On l’a vu en Bosnie, au Rwanda, en Irak et au Darfour. Une nouvelle page sanglante s’écrit à chaque soir à la télévision. Le vandale frappe partout. Dans les villes modernes, la brute se manifeste dans des bandes de jeunes qui se livrent des guerres de trottoirs. Elle peut emprunter aussi les chemins de la politique et larguer des bombes sur les pays qui refusent une certaine façon de voir.

Utopie et barbarie

Dans le roman de Jean-Pierre April, Abraham dit Raham, le fils bâtard d’un Capucin et d’une servante, se proclame prophète de l’Ancien Testament. Il prétend régénérer la société en se réfugiant dans la forêt. Nous sommes au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Il pousse la folie jusqu’à inventer un jargon pour les enfants qu’il a eus avec sa sœur.
«… Abraham croit qu’Éva est la seule femme qui convient à son plan supérieur. S’il le faut, il l’emmènera de force bien au-delà de tous les lots renversés du monde pour fonder sa propre communauté, purement de son sang. La voix de Yahvé le lui a prédit. La voie de Yahvé s’exprime par lui. Yahvé est sa folie. Amen.» (p.251)
Bras d’un Dieu vengeur, il effectue des tournées, emprunte différentes identités, deviendra moine prédicateur au village de Longmal, dans l’arrière-pays. Là, il réussit à faire se repentir le clan des Pelletier, des hommes et des femmes plus ou moins incestueux. Comment ne pas penser à ces figures inquiétantes qui ont marqué leur époque, à Raspoutine qui a subjugué la famille du Tsar, en Russie.
Alexandre Paradis, jeune médecin, trouve «deux enfants sauvages» et les interroge. Avec sa nièce Vanessa, il découvre l’existence d’une société primitive, un secret de village dont personne ne veut parler. Sensualité, inceste, violence, mysticisme, pulsions animales s’affrontent et se confrontent. Nous culbutons dans des furies qui aspirent les humains quand ils rejettent les balises sociales, transgressent tous les tabous. Le docteur Paradis y découvrira sa propre histoire familiale et, peut-être, des aspects de sa personnalité qu’il ne souhaiterait pas secouer.

L’envers du monde

Jean-Pierre April perce des frontières, explore des obsessions qui font glisser dans des espaces que nous n’aimons guère fréquenter. Il suffit qu’une trappe s’ouvre pour se perdre dans l’enfer du monde. Raham donne une version du christianisme dans des prêches qui font sursauter.
«Parce qu’ils pensent connaître la Vérité. Mais les papes ont trompé tous leurs fidèles. Le Christ a failli à sa tâche, il a lâché, pis il est parti avant la fin. Il a pas pu laver tous les péchés du monde. Le monde est trop sale. Il est pas lavable. Faudrait un autre déluge pour nettoyer tout ça! Le seul vrai et unique Dieu, c’est celui du seul vrai et unique Testament. Le Nouveau Testament, c’est juste des menteries. Le pseudo-dieu des papes est venu faire trempette sur terre pis il est reparti avec le péché au cul. Moé, le péché, je l’abats! À grands coups de hache dans mon royaume des bois. Au nom de mon seul Seigneur et Maître, le Dieu d’Abraham, de Jacob et de Nabuconodor ! Chus pas rien qu’un missionnaire, chus prophète en mon pays!» (p.222)
April crée des personnages qui hantent et subjuguent. Il ne peut en être autrement quand on flirte avec la démence. L’horreur sommeille. Il suffit d’une occasion, d’une étincelle pour que le barbare en nous se redresse au milieu des quartiers résidentiels en semant les cris et la fureur. Et quand la passion se réveille, plus aucune littérature ne tient le coup. La sensuelle Vanessa et Alexandre finiront par le découvrir.

«Les Ensauvagés» de Jean-Pierre April a été publié chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/catalogue/426.html