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mercredi 22 septembre 2021

LES BELLES LEÇONS DE MUSTAPHA FAHMI

 

QUELLE PROMESSE Juliette fait-elle? Où Mustapha Fahmi nous entraîne cette fois? Bien sûr, il s’agit de la Juliette bien connue, l’amoureuse de Roméo, celle qui secoue les tabous et les interdits. La femme qui est devenue au fil des siècles la figure de la passion qui retourne l’âme, celle qui est prête à tout pour s’avancer vers l’homme qui la bouleverse. Voilà !

Roméo se retrouve dans un bal. Et, au milieu des invités, il surprend Juliette. Une apparition qui lui coupe les jambes et le souffle. C’est plus qu’une jeune fille qu’il voit, c’est l’incarnation d’un rêve, de l’amour qui s’offre à lui. On peut parler d’une expérience quasi mystique. Son être se retourne et rien ne peut plus être pareil. Comment ne pas évoquer Paul qui tombe de son cheval sur le chemin de Damas. Une illumination qui transforme sa vie. 

 

Après avoir enchanté les lecteurs avec La leçon de Rosalinde, Mustapha Fahmi récidive avec La promesse de Juliette. Encore une fois, l’enseignant et écrivain nous entraîne dans le monde de Shakespeare et de certains auteurs qui le fascinent. Une manière tout à fait originale de s’approcher des œuvres phares du dramaturge qu’il connaît sur le bout de ses doigts. Le roi Lear bien sûr, Roméo et Juliette et quelques autres. Ce que j’aime chez ce pédagogue, c’est sa façon de secouer des questions que l’humanité se pose depuis toujours sans jamais se lasser des réponses. Tout cela pour tenter de mettre la main sur le bonheur peut-être, malgré les jours avec leurs épreuves et leurs joies. Comment trouver un sens à l’existence après la mort de Dieu et la disparition de la religion dans notre effervescence contemporaine? Monsieur Fahmi se faufile dans des œuvres essentielles et vivantes qui touchent l'humain qui vit avec une conscience et le pouvoir de la réflexion. Comme quoi la littérature est indissociable de la vie. Oui, il faut lire et méditer certains ouvrages pour se donner une juste interprétation de soi et des autres.

 

 

Lorsque Roméo arrive au bal des Capulet, il laisse errer ses yeux parmi les invités à la recherche d’un visage familier, celui de Rosaline. Il sait qu’elle est là, mais il ne la voit pas. Ce qu’il voit, en revanche, c’est une jeune femme qui se distingue des autres telle «une neigeuse colombe dans un vol de corbeaux» une jeune femme qui «apprend aux flambeaux comment resplendir». Il voit Juliette. (p.65)

 

Quelles images! Le blanc de la colombe au milieu des corbeaux qui incarnent les interdits de la société de l'époque, les balises qui étouffent et cassent l’être. Elle est la lumière vive au milieu des flammes, l’être qui brûle de l’intérieur, celle qui ne pourra jamais s’intégrer à la cohue et plier son âme aux habitudes de ses contemporains. Nous surprenons Juliette par les yeux de Roméo. J’imagine qu’elle est tout aussi bouleversée que lui. 

 

La rencontre au bal des Capulet évoque un pas-de-deux complet dans lequel les deux jeunes amoureux bougent avec leurs corps, leurs esprits et leurs mots. Shakespeare nous offre deux autres scènes mémorables où nous les voyons poursuivre leur danse poétique : la scène du balcon et celle des adieux, qui précède le bannissement de Roméo. Les trois scènes se caractérisent par un mouvement constant, un va-et-vient entre étreinte et éloignement, entre le désir d’être ensemble et la nécessité de se séparer. Les scènes finissent toutes les trois de la même façon : l’arrivée de la nourrice qui ramène les amoureux à la réalité de leur monde. Un monde où leurs deux familles se haïssent à mort. (p.68)

 

La promesse de Juliette est la chance de pouvoir vivre totalement sa passion, d’atteindre la fusion des corps et des âmes dans l'immédiat. Voilà le fil que nous tend Mustapha Fahmi dans un imaginaire qui devient souvent plus concret et plus vrai que l’univers perceptible. Une aventure fascinante parce que nous effleurons l’absolu et peut-être ce que nous appelons la perfection. L’écrivain nous permet de faire des sauts dans le temps et de nous approcher de Shakespeare, de regarder avec ses yeux, de toucher l’amour, la rencontre de deux êtres qui s’attirent comme des aimants. L'auteur de La tempête indique la direction à Sartre, Camus, Flaubert et Heidegger. Il leur offre ses mots pour étayer leur réflexion sans jamais leur lier les mains.  

 

Heidegger voit les choses autrement. Du point de vue de l’auteur de L’être et le temps, le sens de la vie n’est ni entièrement en nous ni entièrement en dehors. Il est dans notre manière d’être dans le monde. Ce qui nous permet d’affirmer notre existence, ce n’est pas tant notre faculté de penser que notre capacité à nous impliquer dans des tâches, à développer des habiletés, à ouvrir des possibilités aux autres et à nous montrer réceptifs à ce qui se passe autour de nous. (p.48)

 

Comment trouver le bonheur? C’est la hantise des hommes et des femmes qui veulent vivre intensément depuis toujours. Ce fondement de l’être malgré les inventions technologiques et les hoquets qui frappent notre planète. Parce que le bonheur, peu importe les manières de le dire, est de se savoir à la bonne place pour s’épanouir dans un travail que l’on tente d’accomplir dans la joie. C’est ce qui caractérise l’être humain et le différencie de tous les vivants qui hantent la planète.

 

L’une des choses qui nous distinguent en tant qu’humains, selon la philosophe allemande Hannah Arendt, c’est notre capacité de nous mettre en récit, de nous raconter, comme si nous étions les héros ordinaires d’un roman ou d’une nouvelle. (p.127)

 

Nacy Huston trouvera une formule heureuse en parlant de L’espèce fabulatrice où elle défend l’idée que l’homo sapiens peut réinventer le monde en multipliant les histoires, en créant des figures qui nous rassurent et nous servent de modèle. Les religions, les contes, les légendes, les mythologies tentent d’apaiser l’angoisse qui nous secoue devant l’immensité de l’univers.

 

PÉRIPLE

 

Quel voyage nous fait faire Mustahpa Fahmi en devenant une Shahrazade qui ne cesse de nous enchanter et de nous surprendre. Parce que s’attarder à des textes essentiels, c’est prendre le pari de vivre intensément, faire confiance à la pensée devant la grande angoisse de l’humain qui a tant de mal à admettre qu’il est marqué par la mort dès son premier souffle. 

 

Roméo et Juliette n’est pas une symphonie, ni une chanson d’amour, comme le prétendent certains critiques, mais bien un ballet où l’on voit, dans une série de tableaux inoubliables, deux jeunes qui brûlent de passion l’un pour l’autre, mais qui brûlent en dansant, telles des bougies sur l’eau. (p.69)

 

Mustapha Fahmi aide à mieux respirer en faisant des liens, en expliquant les enjeux de la vie, en respectant son être profond. 

 

Les humains sont comme les étoiles, ils vivent en brillant; et parfois, comme les étoiles, ils continuent de briller longtemps après qu’ils se sont éteints. (p.99)

 

Une démarche qui permet de cerner les faux pas qui marquent notre histoire. Toujours parce que nous ne prenons pas le temps de lire les œuvres essentielles et de nous rapprocher de soi, de réfléchir aux leçons de la littérature, de la poésie et de la philosophie. Tout est là pourtant, mais nous refusons souvent d’ouvrir notre esprit et de faire l’effort de s’y attarder.

Juliette, par sa présence, son rayonnement permet de vivre totalement l’amour en oubliant les embûches et les œillères que étouffent les hommes et les femmes autour d’elle.

Mustapha Fahmi devient rapidement contagieux et me voilà prêt à le suivre dans tous les labyrinthes de Shakespeare et des penseurs qui nous effarouchent toujours un peu. Un essai qui fait du bien, respire large et nous pousse tout doucement vers le bonheur.

 

FAHMI MUSTAPHALa promesse de Juliette, Éditions LA PEUPLADE, Saguenay, 2021, 21,95 $.

https://lapeuplade.com/archives/livres/5436

mardi 3 avril 2018

MUSTAPHA FAHMI NOUS QUESTIONNE


MUSTAPHA FAHMI nous offre un véritable cocktail de réflexions dans La leçon de Rosalinde, un essai paru récemment à La Peuplade. Un titre qui vient de la comédie de William Shakespeare : Comme il vous plaira. Rosalinde entend bien éduquer Orlando, son amoureux, avant de l’épouser. « L’amour est un jeu, mais un jeu que l’on doit jouer avec sincérité, et l’imagination est le seul lieu où il peut se développer. » C’est ce que nous propose cet enseignant spécialiste de Shakespeare : faire réfléchir et nous questionner sur la grande aventure de vivre en société et surtout, comment amorcer un dialogue avec les autres pour se transformer peut-être.

Mustapha Fahmi, dans cet éventail de textes qui tourne autour de la littérature, cette mal-aimée de notre époque, nous convie à « un jeu de la vérité ». Une belle manière de soupeser certaines vérités et de débusquer bien des mensonges, d’observer les dérives de notre époque, de se demander pourquoi il est encore si important de fréquenter les grands textes, de s’approcher de certains personnages de Shakespeare qui demeurent des contemporains par leur façon de questionner leur milieu et leur vie.
J’aime quand on secoue des certitudes que nous répétons souvent sans y penser, des propos qui masquent une réalité que nous n’aimons pas trop voir. C’est peut-être le rôle du maître que de secouer les bonnes questions, que de s’attarder à une époque qui n’a jamais été autant corsetée malgré toutes les outrances et les fausses vérités que les médias et les réseaux sociaux ne cessent de ressasser. On peut toujours se rassurer en réitérant que c’est là l’espace de la plus grande liberté, mais est-ce que cela nous donne la permission de dire tout ce qui nous passe par la tête sans jamais prendre la peine d’écouter l’autre ? Parce que pour le professeur de l’Université du Québec à Chicoutimi, dialoguer demande une écoute qui permet de forger sa pensée et d’aller à la rencontre de l’autre. Mustapha Fahmi le répète avec justesse et travaille à la verticale afin de parler-vrai. Ses textes permettent des arrêts, des silences qui secouent nos convictions et peut-être nous donnent un autre regard. J’aime ces propos qui font du bien à l’intelligence. C’est ce à quoi s’attarde la belle Rosalinde en secouant son Orlando pour lui donner un autre regard par le jeu et l’imagination, pour vivre un amour qui ne cesse de se renouveler et éviter ainsi de sombrer dans les habitudes.

AVENTURE

Mustapha Fahmi tourne autour de personnages de fictions qui sont connus, autant que certains hommes et femmes politiques. Surtout, il tient compte de l’autre, ce que nous oublions volontiers dans cette ère des communications. Nous pensons à tort, depuis l’invention des médias de masse, que la communication consiste à mitrailler l’autre avec nos propos, de l’empêcher de parler et de s’exprimer. Un genre de parole qui tient de la propagande et élimine toute réflexion. Une sorte d’intoxication qui nous plonge rapidement dans la plus terrible des cacophonies.
Le professeur amorce le dialogue avec son lecteur (un peu comme Socrate a pu le faire à son époque) où l’un et l’autre deviennent des égaux dans une véritable quête de vérité. Une manière de faire que nous ne pratiquons plus ou que nous avons oublié depuis que « certains spécialistes de la communication » veulent nous réduire à l’état de consommateur, de client, de bénéficiaire ou d’usager.

Plus personne ne pense à se taire de nos jours. Pourtant, la sagesse est dans le silence. Et, très souvent, l’impact d’un mot dépend de la qualité du silence qui l’entoure. On peut partager des mots avec n’importe qui, même avec un ennemi. Le silence en revanche, on ne le partage qu’avec les personnes qu’on aime. (p.13)

L’enseignant en profite pour renouveler sa foi envers les grandes œuvres et la littérature, pour s’attarder à son rôle dans une société qui se dit moderne et de l’autre côté même de la modernité.
La pensée écrite est essentielle, vitale et permet de soupeser les croyances de nos contemporains, de s’arracher à la course du temps pour explorer encore et encore des œuvres qui ne cessent de scruter la grande aventure humaine. Ce que nous oublions la plupart du temps dans un univers de consommation et de gaspillage, de guerres et de croyances meurtrières où nous détruisons la planète avec une férocité rarement vue dans l’histoire humaine.

Cependant, si les dons sont tous des dettes déguisées qu’il faut payer tôt ou tard, qu’en est-il des dons du passé ; notre héritage littéraire, artistique et architectural, par exemple ? Et que dire de notre patrimoine naturel : nos forêts, nos rivières et nos lacs ? Il n’y a qu’une seule façon, en fait, de retourner le don du passé : c’est en le transmettant aux générations futures en bon état. Ce n’est pas faire preuve de générosité envers l’avenir, c’est plutôt une obligation morale envers le passé. (p.31)

Une société qui tourne le dos à ses grands écrivains, aux textes qui portent la réflexion, se condamne à disparaître rapidement. Nous touchons l’âme et l’esprit et inutile de dire que Mustapha Fahmi m’a rassuré dans ma vie de lecteur et d’écrivain, sur ces rencontres avec ceux et celles qui secouent mes silences et permettent souvent de jongler avec deux ou trois questions qui ne trouveront jamais de réponses.
 
LES MAÎTRES

Bien sûr, le spécialiste shakespearien s’attarde à son écrivain favori, renouvelle sa foi en ces tirades qui restent percutantes. Particulièrement chez certains personnages du dramaturge élisabéthain qui choisissent la marge dans leur société pour comprendre leur rôle, leur vie et surtout devenir conscients des autres et de leur époque.

Mais le secret d’une vie bonne ne réside-t-il pas dans la capacité de traiter les choses et les personnes justement comme on traite la littérature, c’est-à-dire en tant que fins en elles-mêmes, au lieu de les réduire constamment à des moyens, à des outils ? On peut dire également que c’est l’inutilité de la littérature qui en fait sa force et sa gloire. Une chose utile est susceptible de perdre toute sa valeur au moment où elle perd son utilité aux yeux de ceux qui s’en servent ; une chose inutile, en revanche, une fois adoptée, elle l’est pour toujours. Si les romans de Jane Austen, par exemple, avaient été aussi utiles que la machine à vapeur, inventée à la même période, le progrès les aurait déjà remplacés par d’autres romans, plus « avancés » et plus « utiles ».  (p.88)

Monsieur Fahmi en profite pour réaffirmer le rôle traditionnel de l’université et questionne ce qu’elle est devenue dans une société où tout se calcule à l’aune des pertes et des profits. Adopter un point de vue mercantile en éducation et à l’université, c’est vouloir réduire l’institution d’enseignement à un supermarché où l’on offre des produits dilués. L’université doit élever, permettre la réflexion, secouer toutes les fausses vérités, amorcer un dialogue qui démêle le vrai du faux. Surtout arriver à surprendre l’autre dans son être, à l’écouter et à progresser dans une réflexion, une pensée nouvelle peut-être qui aide à mieux respirer.

Le passage résume aussi en quelque sorte l’histoire de l’université moderne en Occident. Qu’elle soit le lieu de la raison, comme le concevait Kant au XVIIIe siècle, ou le lieu de la culture, comme l’imaginaient les idéalistes du XIXe, ou encore le lieu de l’excellence et de la performance comme veulent nous le faire croire les bureaucrates de notre époque, l’idée de l’université a toujours été liée à celle de la liberté : la liberté de penser, de créer, de critiquer. Une critique affirmative, bien entendu, qui va au-delà de la plainte ou de l’indignation, qui va au-delà même de l’opposition. Car aussi légitime soit-elle, l’opposition demeure une composante essentielle du pouvoir. Et une opposition systématique ne fait en fin de compter que consolider le pouvoir qu’elle cherche à subvertir. (p.101)

J’ai eu la chance d’entendre Mustapha Fahmi parler de William Shakespeare et ce professeur peut devenir un conférencier redoutable. Il secoue les tourments qui hantent les personnages du grand dramaturge, nous entraîne dans le monde de Roméo et Juliette, nous bouscule gentiment pour élever et changer notre pensée. Mustapha Fahmi fait côtoyer des personnages qui traquent un idéal, une poésie qui échappe aux clichés et à la norme que tous les personnages de Nicole Houde tentent de repousser dans son œuvre souvent bouleversante.
La leçon de Rosalinde est une profession de foi en cette parole qui échappe aux carcans du « langage de propagande ». C’est bien d’entendre de tels propos quand on parle de « facts news », de ces fausses nouvelles, de ces mensonges qui encombrent nos médias et qui ne servent qu’à cultiver le cynisme et augmenter le pouvoir des manipulateurs.
Parler juste, c’est toujours avoir conscience de l’autre tout en bousculant des certitudes, se mettre en danger d’une certaine façon. C’est s’avancer vers la conscience de soi et des autres, tenter de penser l’état du monde et de ne jamais fuir ses responsabilités.

La littérature nous permet de révéler ce que nous n’osons pas exprimer dans la vie de chaque jour. C’est notre seul accès à la vérité. (p.130)

Mustapha Fahmi nous convoque au silence et à la méditation, exige d’aller vers l’autre pour se mettre en état d’écoute en fréquentant des textes qui ne cessent de nous bousculer.
Il faut parcourir La leçon de Rosalinde en prenant son temps, comme pendant une promenade dans un parc où les arrêts sont plus nécessaires que les distances à parcourir. Il ne faut surtout pas hésiter à flâner sur une page pour étudier la direction que l’auteur propose. Un livre qui demande de s’asseoir entre deux gestes pour prendre conscience de ce que nous sommes en train de faire et de dire. La réflexion aime les hésitations et les zigzags, les questions qui laissent avec une question. Tout change, tout bouge et la pensée qui stagne est une pensée qui se meurt. Mustapha Fahmi nous le rappelle bellement dans ce livre précieux qui va m’accompagner longtemps.


LA LEÇON DE ROSALINDE de MUSTAPHA FAHMI est une publication des Éditions LA PEUPLADE.


http://lapeuplade.com/livres/la-lecon-de-rosalinde/