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dimanche 1 août 2010

Un électrochoc servi par France Théorêt

France Théorêt, dans «La femme du stalinien», nous plonge dans un roman dérangeant.
Louise Aubert a été écrasée par Mathieu, pour ne pas dire détruite par le compagnon qui a partagé sa vie pendant une douzaine d’années. Un intellectuel à qui l’on promettait un brillant avenir. Un homme capable de toutes les cruautés dans la vie privée. Il se proclame de l’avant-garde, découpe certains ouvrages littéraires au scalpel, mais se garde bien d’écrire même si tous attendent de lui l’œuvre qui fera époque et changera le regard des écrivains.
Louise est son amante, sa maîtresse, son souffre-douleur et sa servante. Un canevas un peu usé qui a souvent été repris par les féministes pendant les années soixante-dix.
«Tu es intarissable. Les habituelles leçons sur l’avant-garde littéraire font surface. Tu hurles de ta voix haut perchée qui n’a pas mué, de ta voix éraillée. Des accents ressemblant à des sanglots percent. Tu es furieux comme jamais. Tu me dis que je ne sais pas penser. Je tremble. J’essaie de ne pas trembler et je n’y arrive pas. Mes dents claquent, je serre la mâchoire et les lèvres. Les larmes me viennent aux yeux. Tu tempêtes. Tu me punis. Tu arrêtes. La crise est terminée. Tu changes d’attitude et décide que mes lignes ne valent pas ton emportement. Tu m’invectives avec dérision.» (p.27)

Démolition

La pauvre Louise passe au blender. Tout ce qu’elle pense et dit, tout ce qu’elle ose écrire est transformé en purée. Pour se protéger, elle devient muette. Et comme si ce n’était pas assez, elle a subi un père qui méprisait les femmes, entretenait une haine viscérale envers les penseurs et les intellectuels. Une pensée que partageait nombre de Québécois à une certaine époque. On répétait ces inepties et le clergé souriait en donnant du goupillon. Les Mgr Ouellet de ce monde pullulaient et peu de gens osaient remettre en question les diktats de ces gardiens de la vérité.
France Théorêt ne lésine pas. Tout est noir ou blanc. Les hommes ont la science infuse et ils ont reçu le savoir avec un pénis en prime. Les « vraies femmes » obéissent et servent en souriant. On se croirait dans une société dirigée par des Talibans.

Staline

Mathieu entre au Parti stalinien qui prône la haine, la rage et le meurtre. On se souviendra que des groupuscules, au moment de la Révolution tranquille, découvraient le communisme et s’y plongeaient avec un aveuglement pathétique. Ils défendaient l’indéfendable et discutaient pendant des heures les idées les plus invraisemblables. France Théorêt pousse la caricature à la limite.
«Quand nous serons au pouvoir, nous les communistes, la chair de la chair, le sang du sang des prolétaires, nous aurons le devoir de la haine sacrée. La haine héroïque que le parti entretient approfondit notre vision de l’avenir. Nous vaincrons. Le prolétariat détient la vérité. À moins que je ne dise comme lui, il veut que je subisse l’effroi de son discours. Je suis aphone, sans capacité de réplique.» (p.135)
Louise s’en sort en écrivant, après une dépression. Une écriture en forme de thérapie, comment peut-il en être autrement. Elle rédige une longue lettre à cet illuminé, s’attarde à sa vie et à son enfance. C’est souvent pathétique et touchant. D’une précision chirurgicale.
Un roman qui témoigne de la folie des hommes et de leurs obsessions, de ces individus qui se croient investis d’une mission et qui broient les êtres autour d’eux pour atteindre leur but. Cela a donné des régimes politiques où l’on éliminait tous les dissidents et les intellectuels.
Un roman didactique qui rebutera certains lecteurs. Il est difficile maintenant de voir le monde en noir et blanc. Et comment juger entre le fou, l’illuminé, le dictateur et la victime. Du moins dans nos sociétés. Il reste que ce genre d’hallucinés existe encore. Ils agissent par conviction ou simplement par bêtise. Heureusement Louise se libère. Elle claudique, hésite mais retrouvera un air d’aller grâce à l’écriture, se refera une santé mentale en s’adressant au tyran. «La femme du stalinien» possède le tranchant d’une lame de couteau. L’impression d’avoir marché sur du verre tout au long de la lecture.

«La femme du stalinien» de France Théorêt est publié aux Éditions de la Pleine lune.