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mercredi 7 septembre 2016

Hugo Léger mélange habilement la fiction et la réalité


XAVIER LAMBERT, jeune père de famille, tombe amoureux d’Évelyne, une avocate magnifique qui ne laisse personne indifférent dans Télésérie de Hugo Léger. La jeune femme connaît des aventures tumultueuses avec un collègue et n’hésite jamais devant une ligne de cocaïne. Elle vit dangereusement, intensément. Xavier ne peut s’empêcher de penser à cette femme qui devient une véritable obsession et qui va gâcher sa vie. Il le sait. Le problème, Évelyne est l’héroïne d’une nouvelle série à la télévision, le succès dont tout le monde parle.

La télévision est importante dans la vie de la plupart des gens. On dit que le Québécois passe environ cinq heures par jour devant cet appareil, sans compter le cellulaire où il envoie des « j’aime » à une liste d’amis qui ne cesse de s’allonger. Une grande partie de son temps est happé par ces médias. Comment lire un roman ou un recueil de nouvelles après ça ? Voilà peut-être l’explication. Les gens lisent de moins en moins parce qu’ils n’ont plus le temps et quand ils le font, ce doit être rapide, court, facile, digéré et mastiqué. Ils ont perdu l’habitude de s’installer avec un roman, un essai ou un recueil de poésie.
Avec la télévision, un écran de plus en plus impressionnant, les personnages deviennent des amis, des frères et des sœurs. Je me souviens de ma mère qui vitupérait contre un certain J. R. Je ne connaissais personne dans la famille qui répondait à ce nom. J’ai compris un jour qu’il s’agissait d’un personnage d’une série télévisée qu’elle détestait particulièrement.
La télévision est là, omniprésente, obsédante avec ses vedettes, ses animateurs qui courent partout ; des téléséries qui attirent tout le monde comme un aimant. Je ne regarde guère la télévision. Presque jamais. Je me suis laissé tenter l’an dernier par la reprise de la série Les belles histoires des pays d’en haut. Ce ne m’était pas arrivé depuis L’Héritage de Victor-Lévy Beaulieu. Peut-être parce que le téléroman de Claude-Henri Grignon a marqué mon enfance et que nous suivions les malheurs de Donalda en famille. D’abord à la radio et ensuite à la télévision. Ma mère vilipendait Séraphin comme s’il s’était agi d’un voisin et lui promettait des « poignées de bêtises » quand elle le rencontrerait. Bien sûr, la nouvelle mouture n’a rien à voir avec l’original. Le curé Labelle, incarné par Antoine Bertrand, aurait scandalisé ma mère.

RÉALITÉ OU FICTION

Est-il possible de confondre la réalité et la fiction, de se laisser envoûter par un personnage de fiction ?

Elle, maintenant, s’appelle Évelyne. Je dirais qu’elle a vingt-huit ans, peut-être vingt-neuf. Je n’ai jamais su son âge exact. Elle aussi vit à Montréal. Elle est procureure. Elle est brillante. Belle aussi. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi beau. Mais ce qui la rend unique et la différencie de toutes les femmes que j’ai connues, c’est qu’Évelyne n’existe pas. En fait, ce n’est pas aussi simple que ça. Je vais vous expliquer, ce qui ne veut pas dire que vous allez comprendre. (p.13)

Xavier Lambert soigne les chiens qui ont des problèmes de comportements. En fait, il s’attarde surtout aux maîtres qui traumatisent leur animal. Ces bêtes de compagnie bouffent sans arrêt, jappent pour un rien, deviennent agressives ou encore craignent le moindre bruit. Le spécialiste peut changer tout ça, « déprogrammer » l’animal en étudiant les comportements du maître.
Il suit religieusement la série qui met en vedette une avocate douée. Le personnage s’occupe de son frère autiste et entretient des relations malsaines avec un collègue. Une femme libre, sensuelle, un personnage joué par une jeune comédienne qui trouve là le rôle de sa vie. Margot de Brabant devient la vedette, fait le tour des émissions où l’on ne reçoit que des stars et fait la une de tous les magazines où l’on raconte la vie des comédiens, révèlent ce qu’ils mangent, s’ils portent un pyjama pour dormir ou s’ils avalent un café avant leur rôtie de pain brun. Leur moindre geste devient public et les admirateurs en redemandent. Ces personnages sont souvent plus présents dans la vie des téléspectateurs que ceux qui partagent leur quotidien.
 
AMOUR

Xavier Lambert ne pense plus qu’à Évelyne. Elle le hante, l’obsède, devient ami avec elle sur Facebook, lit les journaux à potins. Tout cela sans rien dire à sa femme Nadine qui est aussi une fidèle de l’émission.

Je savais bien qu’Évelyne n’existait pas. Qu’elle n’était qu’un personnage de fiction, une créature imaginée pour nourrir les fantasmes d’un troupeau de téléspectateurs. Cela dit, je ne pouvais m’empêcher de penser à elle ; ce n’était pas interdit par la loi, c’était plus fort que moi, elle correspondait à mon idéal féminin. Je ne la connaissais que depuis deux heures, mais je la savais libre, indépendante, éprise de justice, menant sa vie comme on conduit une Ferrari, vite. Et ses yeux, doux et perçants à la fois… J’avais l’impression qu’elle me regardait. Pas une autre blonde lambda au regard d’azur ; non, une brune intense, volcanique. Atypique. Aux formes spectaculaires. Aux cheveux subtilement ondulés. Elle était tellement différente de la femme qui partageait ma vie, tellement particulière. Spéciale. (p.46)

Un appel et Xavier se retrouve dans l’appartement de la comédienne. Son chien a des problèmes de solitude ou quelque chose du genre. Qui va-t-il soigner ? La pauvre bête ou sa dépendance envers le personnage d’Évelyne ? Xavier ne peut résister à la belle Margot qui se révèle instable et imprévisible.
Ce sera la catastrophe bien sûr. Nadine, son épouse, se rend compte que « celui qui sait parler aux chiens » a une maîtresse. La vie avec Margot est tout aussi impossible. Tout bascule quand il apprend qu’il va devenir un personnage de la télésérie.

J’avais le tournis. La mise en abyme était vertigineuse. J’aimais un personnage de télésérie, joué par une comédienne, bien réelle qui avait fait de moi un personnage de fiction dans la télésérie où elle jouait la femme que j’aimais. Ce ne pouvait pas être une coïncidence. Margot avait parlé de moi aux auteurs. Elle leur avait raconté ma vie. Je me suis senti trahi. Manipulé. On avait usurpé mon identité. (p.238)

Xavier se retrouve seul avec un chien drogué. Les deux doivent se désintoxiquer. Le spécialiste pourrait se recycler en s’occupant des spectateurs qui mélangent le réel et la fiction, ne savent plus démêler le vrai du faux.

DÉPENDANCE

Hugo Léger aborde un problème dont on ne parle jamais ou si peu. Toutes les astuces que l’on développe pour rendre les téléspectateurs dépendants à certaines émissions. Et que dire des adeptes des médias sociaux qui ne peuvent faire un pas sans regarder ce petit écran, placer des selfies au point d’en oublier la réalité. Je pense à la clôture des Jeux olympiques de Rio où les athlètes ont défilé, cellulaire à la main, multipliant les autoportraits et regardant l’événement à l’écran au lieu d’être présent, là, tout à la fête. Ils s’accrochaient à cette petite fenêtre qui les propulsait hors du moment, devenant des spectateurs de leur vie.
Un roman intéressant par les problèmes qu’il soulève, un texte surprenant et plein d’humour. Et que de rebondissements ! Je ne sais pas s’il existe des groupes, comme ceux qui s’occupent des alcooliques, pour sevrer les gens de la télévision et des médias sociaux. Il faudra y arriver un jour et le tsunami des Pokémons n’est pas là pour arranger les choses. Cellulaire au volant, dans les salles de spectacles, dans la chambre à coucher, il semble que cet appareil soit maintenant une excroissance du corps humain. Pas étonnant que la fiction se faufile dans nos vies. Bon ! J’arrête pour soigner ma terrible dépendance aux livres québécois et à la littérature.

TÉLÉSÉRIE de Hugo Léger est paru chez XYZ ÉDITEUR, 254 pages, 24,95 $.

PROCHAINE CHRONIQUE : 117 Nord de VIRGINIE BLANCHETTE DOUCET paru chez BORÉAL Éditeur.