Un écrivain inconnu, des nouvelles signées
Renaud Jean. Un premier livre. À quoi s’attendre ? Une voix originale, un monde
singulier, un regard sur la vie, une écriture qui accroche. Un quelque chose aussi
qui retient, permet de lui faire un peu de place dans votre bibliothèque. Il
faut cet étonnement même si vous connaissez l’écrivain et ses livres. Je
cherche l’éblouissement, une respiration jusqu’au bout de la dernière phrase. Les
écrivains qui vous renversent dès les premières lignes sont rares. Hervé
Bouchard est peut-être le dernier à avoir réussi l’exploit avec moi.
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Retraite. Neuf nouvelles pour un écrivain de 32 ans qui a fréquenté l’Université
de Montréal, fait une maîtrise en Études
françaises. Étrange titre pour un auteur qui amorce sa carrière. Peut-on
commencer par la fin ? Un mot qui a fait rêver bien des hommes et des femmes de
ma génération. Ce n’est pas la vie rêvée, les voyages, la découverte avec
Renaud Jean.
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Une station perdue dans un
lieu désert. Un film de Sergio Leone peut-être qui montre la désolation,
l’isolement, l’attente. Un endroit où le temps dort dans un tas de poussière.
Qui sait ? Un lieu où plus rien n’arrive. Est-ce seulement imaginable ? Si
c’était le cas, le rêve se transformerait vite en cauchemar.
On m’a affecté à la station de la Grande
Aventure il y a maintenant dix ans. (p.9)
Située en rase campagne, la station est
isolée de la ville la plus proche par plusieurs dizaines de kilomètres. (p.9)
Il faut dire que le trajet se fait
obligatoirement à pied, aucune route ne menant jusqu’ici. (p.10)
Des hommes et des femmes viennent,
montent dans un train et partent pour la Grande Aventure. Et tout recommence.
Allégorie de la vie, de la course vers la mort… On ne sait trop. Le gardien de
la station raconte son quotidien, le seul à avoir un peu de consistance. Un
exécutant qui évite les questions, se contente de sa vie toujours semblable, un
peu absurde. Une solitude existentielle, qui s’incruste dans l’être. L’ambiance
des romans catastrophiques comme dirait Samuel Archibald.
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Second texte, une thématique
qui se déploie en trois mouvements. Un petit-fils rencontre son grand-père dans
un foyer pour personnes âgées. Un jeune homme retourne chez ses parents partis
en voyage pour s’occuper du chien. Regard sur son passé, l’enfant détestable
qu’il était. Enfin un couple visite un loft pour s’y installer, imaginer
l’avenir peut-être. Pour Véronique oui, pas pour l’homme.
Belle description de la
vie d’un homme dans un foyer pour retraités qui égrène les jours comme un
chapelet dans le premier tableau. L’avenir s’est retourné devant. La mort peut
venir, il l’attend, la recevra en silence, résigné devant ce petit-fils qui ne
songe qu’à s’éloigner. Le temps s’étire. Quelques minutes deviennent une
éternité dans ces chambres qui ressemblent à des cages. Une vie recroquevillée
dans le présent, sans espoir, sans même le plaisir de réinventer le passé en jonglant
avec des histoires. Très bon texte.
J’ai observé la chambre. Elle était petite.
Des objets que j’avais toujours connus dans la maison de mon grand-père me
paraissaient incongrus dans cette pièce anonyme. Ses choses se réduisaient
désormais à bien peu, et ce peu néanmoins détonnait, ce peu était comme de
trop. Mon grand-père a croisé et décroisé les jambes. (p.23)
L’impression que même le
grand-père est de trop dans cette chambre.
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Avec Sous le pôle, Renaud Jean aborde une thématique qui le suivra dans
plusieurs de ses nouvelles. Ses personnages détestent leur travail et plus rien
n’arrive à les stimuler. Ils survivent, incapables de secouer leurs habitudes,
de se donner un élan. S’ils agissent, c’est pour faire du sabotage, mais sans idéologie
révolutionnaire. Ils sont des pions qui n’ont aucun espoir de véritable
changement. Peut-être aussi que cette dimension de la vie, le rêve n’existe plus.
Ils sont des perdants dans un monde dur, hostile. Des êtres qui ne cherchent
qu’à se recroqueviller et ne plus bouger, ne plus penser, ne plus avoir à prendre
de décisions. Un rêve absurde et cauchemardesque.
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Je sortais d’une période difficile — à vrai
dire, je n’en sortais pas —, et la perspective de quitter ma chambre, de
m’exposer au-dehors, ne serait-ce qu’un après-midi, ne me disait rien. (p.71)
Renaud Jean décrit un
jeune homme déçu, déprimé, sans volonté, sans idéal. Des mollusques qui souhaitent
s’enfermer dans une chambre, attendre sur un lit en examinant le plafond. Lire
un peu parfois. Un désir peut-être : celui de se changer en amibe et d’épingler
le temps au mur.
Pourquoi les choses doivent-elles changer ?
(p.113)
Pas même le désir d’en
finir. Un état d’inertie pathétique.
Je préférais me tenir à la lisière du monde,
en retrait de l’action. (p.117)
Quelques-uns rêvent de
tout faire sauter. Ce geste leur permettra de devenir une chose parmi les
choses.
…
Aucune relation ne peut
s’établir avec les femmes qui restent animées, volontaires, curieuses, vivantes
et belles de projets. Les couples ne peuvent durer avec ces hommes qui ne souhaitent
rien, surtout pas faire des enfants. J’ai songé à Jérôme Borromée de Guillaume Bourque. Sans être aussi passif, Jérôme
est incapable de décider quoi que ce soi. Il tente de s’en sortir, mais reste
un faible que la vie bouscule. Là aussi les femmes sont les meneuses et les
agissantes.
…
Chez Guillaume Bourque et Renaud
Jean, même chez Fred Dompierre, les adultes mâles sont des êtres éteints. Si
ces personnages reflètent les jeunes de maintenant, il n’est pas étonnant de
voir les filles mieux réussir à l’école. Ces garçons viennent me chercher. Des indifférents
ou des délinquants qui ne pensent qu’à détruire. Mort à tout idéal. Vraiment
dérangeant.
J’avais éprouvé un étonnement considérable à
cette annonce de notre rupture, me demandant ce qui justifiait un tel
bouleversement de notre existence. La question, toutefois, ne parvenant pas à s'exprimer, était restée en
suspens. Je n’avais su qu’acquiescer à Catherine, avant de me replier dans un
silence confus. Les semaines suivantes, après son départ, ayant comme perdu
toute aptitude au travail, j’avais glissé dans un désœuvrement complet. (p.181)
…
La lecture devient une forme
d’autodéfense contre le gouffre qui aspire les personnages masculins de Renaud
Jean. Un monde cruel, sans espoir où les hommes et les femmes ne peuvent penser
à l’avenir. J’avoue en être sorti perturbé. Un univers où le lecteur que je
suis a eu bien du mal à s’accrocher. Je ne suis pas du côté de la désespérance
du monde. Il faut du rêve, de l’utopie sinon la vie est absurde. Le pouvoir de
rêver est peut-être ce qui rend l’existence acceptable.
Retraite de Renaud Jean est paru aux Éditions du Boréal, 200 pages, 19,95 $.