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mardi 28 décembre 2021

LA FOLLE AVENTURE DE VICTOR-LÉVY BEAULIEU

VICTOR-LÉVY BEAULIEU lançait en 2014, une campagne de financement afin d’amasser des fonds pour publier son 666 — Friedrich Nietzsche : Dythyrambe beublique et éponger ainsi certaines dettes de sa maison d’édition. Un ouvrage impressionnant de 1392 pages qui est considéré, à juste titre, comme son testament littéraire. Une aventure que l’auteur a menée rondement par le biais de Facebook, y donnant un texte personnel quasi tous les jours pour nous informer de la progression de ses démarches et des sommes qui s’additionnaient. Une forme de feuilleton qui a duré des semaines. Le défi : comment retenir l’attention des «amis» sur les réseaux sociaux, ces volages et ces gens distraits qui carburent au «j’aime» semble-t-il? L’écrivain aura la bonne idée de multiplier les groupes et de rejoindre plus de 12000 individus pendant cette période. L’auteur de Bouscotte y allait d’anecdotes, s’attardait à des souvenirs d’enfance, des rencontres, des lectures ou encore des événements qui nous expliquaient sa démarche dans la venue de ses romans et de ses belles aventures à la télévision. 

 

Victor-Lévy Beaulieu renouait ainsi consciemment avec une tradition du feuilleton qui a connu une énorme popularité en France à partir des années 1830 avec Alexandre Dumas, George Sand et même Honoré de Balzac. Le plus grand succès est attribué à Eugène Sue avec Les mystères de Paris, un triomphe prodigieux qui a fait rager Balzac et suscité l’envie de plusieurs autres plumitifs. Rappelons que Maria Chapdelaine de Louis Hémon a d’abord paru en feuilleton en 1913 dans le journal Le temps avant de devenir un vrai livre. Dostoïevsky a rédigé des feuilletons et Léon Tolstoï a publié, entre 1865 et 1869, dans Le Messager russe, son incroyable Guerre et paix. Ce qui explique peut-être l’ampleur de cet ouvrage de 1572 pages. 

Un peu méprisé par l’élite littéraire et boudé par le clergé du Québec qui s’inquiétait de la mauvaise influence que pouvaient avoir les auteurs français sur les bonnes mœurs des gens d’ici et de partout en Amérique française. Alors, des journaux étaient publiés en français dans plusieurs villes des États-Unis, même en Louisiane et qu’ils diffusaient ces feuilletons, dont le fameux roman d’Eugène Sue. Cela donnera une version québécoise avec Les mystères de Montréal d’Hector Bertholet.


AVENTURE

 

J’ai suivi quotidiennement cette aventure en lisant les écrits de Victor-Lévy Beaulieu où il s’amusait à se déguiser en patriarche qui évoquait Léon Tolstoï, l’un de ses mentors, pour partir dans les villages et cogner aux portes, demandant une participation à la grande entreprise qui permettrait de sauver les Éditions Trois-Pistoles. Tout ça, dans la plus pure des traditions du siècle dernier, où des individus un peu étranges sillonnaient les paroisses et les rangs en s’arrêtant partout. Bien sûr, l’intention de Beaulieu était tout autre.

 

Ça devint un jeu auquel je pris vite le goût. Les gens se mirent à croire que tous les matins, je sortais de ma maison pour faire campagne dans le Bas-du-Fleuve toute la journée et par n’importe quel temps. On me trouvait bien courageux! Mon complice, associé et ami Nicolas Falcimaigne, prit de moi des photos sur lesquelles on me voyait marcher dans la neige tandis qu’un vent à se frimasser les poumons courait de la mer Océane à l’arrière-pays dont on ne voyait plus que les toits des maisons tellement il avait neigé dans les rangs doubles! (p.9)

 

J’ai participé à cette campagne. D’abord en y trouvant un grand plaisir à des histoires que je connaissais souvent pour les avoir lues ou entendues de la bouche même de l’écrivain. Et comme des milliers de fidèles de l’écrivain de Trois-Pistoles, j’ai envoyé mon chèque pour soutenir une maison qui avait accepté quelques-uns de mes ouvrages. Je signale Le réflexe d’Adam et Souffleur de mots, deux livres dont je suis très fier. Je devais bien cela à cet ami qui a publié mon premier titre en 1971, aux Éditions du Jour. 

Ce fut un beau succès et 666 — Friedrich Nietzsche : Dithyrambe beublique a pu devenir un livre. Un gros, du rarement vu au Québec, que j’ai parcouru lentement pendant tout un mois en le dégustant comme un mets unique, vivant une aventure qui n’arrive pas souvent, même au plus téméraire des lecteurs. Beaulieu y fait le tour de son monde, rend visite à ses personnages et livre le pourquoi et le comment de son écriture et de sa démarche, offrant une «bible» qui vous laisse étourdi dans «ce pays qui n’est toujours pas un pays».

 

RETOUR

 

Et voilà qu’en 2021, lors de la publication de Ma Chine à moi, après un long silence de cinq ans, ce qui n’est pas dans les habitudes de Victor-Lévy Beaulieu, il conçoit encore une fois un événement sur Facebook. Pas pour faire campagne comme en 2014, mais pour créer des tourbillons autour de sa dernière parution. Nous en sommes rendus là. Les écrivains doivent se débattre maintenant tel un poisson qui gigote au fond d’une chaloupe. Il faut faire des remous avec nos livres, secouer le bâton du pèlerin pour pousser notre plus récent texte dans la visibilité du monde, dans les vitrines de Facebook pour avoir droit à un peu d’attention. Je ne parlerai pas du rôle que ne jouent plus nos médias nationaux, particulièrement à l’écrit si mal en point, et qui semble sous la tutelle de quelques maisons d’édition et d’une poignée d’auteurs. 

Du 15 février au 9 août 2021, Victor-Lévy Beaulieu nous a entraînés encore une fois dans son milieu, en usant d’une langue bien à lui, souvent étrange et qui se débat comme un lièvre qui tente de se déprendre d’un collet. En tout, 51 textes qui vont un peu dans toutes les directions. J’en ai lu plusieurs lors de leur publication sans avoir la régularité de l’aventure de 2014, étant moi-même aux prises avec mon roman Les revenants, cherchant à percer le mur du silence qui entoure maintenant les ouvrages des écrivains qui ne sont plus de la relève. Tous ceux et celles qui sont relégués dans une sorte de CHSLD où l’on pousse les vieux et les vieilles peu présentables et malcommodes. Victor Hugo, avec Les misérables, passerait inaperçu de nos jours, au Québec, parce que déjà trop âgé à la parution de sa fabuleuse épopée. Il avait 60 ans, imaginez!

Oui, on oublie rapidement les écrivains qui persistent dans le temps et les médias aiment les nouveaux visages, les récentes proses qui ne sont pas si novatrices que ça quand on prend la peine de les lire. Même Victor-Lévy Beaulieu doit s’agiter comme un diable dans l’eau bénite pour faire savoir aux gens qu’il publie encore et toujours. 

Je peux l’avouer maintenant, l’idée de faire des remous autour des mon roman Les revenants m’est venue après avoir suivi Victor-Lévy Beaulieu. Je devais mettre mes pas dans ses traces et planter mon bâton dans le sable tout en restant fidèle à ma manière. Je ne me suis pas lancé, peut-être que j’aurais dû, dans des souvenirs d’enfance, des moments étranges que j’ai vécus, m’attarder à des rencontres avec des écrivains qui ont tellement enrichi ma vie. Ceux qui m’ont inspiré et ceux qui m’ont déçu. Il y en a quelques-uns. J’ai secoué mes personnages, tentant de les définir pour offrir aux lecteurs une sorte de faire-part qui les invitait à plonger dans mon univers de La Doré. Ce fut suffisant pour garder mon livre dans l’actualité pendant quelques mois. 

 

CONTEUR

 

Si vous ne le savez pas, Victor-Lévy Beaulieu est un sacré conteur et il est capable de vous entourlouper avec une anecdote ou encore un événement qu’il puise au fond de sa prodigieuse mémoire qui s’avère un puits sans fond. Il plonge dans son enfance, à gauche ou à droite, raconte le grand dérangement qui a marqué sa vie et qui l’a fait migrer à Montréal alors qu’il était à peine sorti de l’adolescence et que le virus de l’écriture l’avait déjà contaminé. Et il n’y a pas de vaccin contre ça. Les affres que vivaient tous ceux et celles qui quittaient la campagne, le village, un rang souvent avec des champs à perte de vue pour se poser entre deux édifices, au bord d’un trottoir plein de papier et de déchets. C’était changer de planète alors, que de partir comme ça pour s’installer dans un taudis de Montréal pour prolonger des études. Le ciel, les montagnes et la forêt qui avaient toujours fait partie de ma vie avaient disparu, je ne savais où, quand je me suis retrouvé à Montréal, rue Rivard. Heureusement, il restait les flancs du Mont-Royal qui devenaient une fourmilière par beau temps. Ce fut un choc culturel et sociologique que cette migration, que de devoir quasi apprendre une autre langue. Parce que dans les couloirs de l’université, on ne parlait pas comme dans les écores de la rivière aux Dorés ou dans les ronds de bleuets de notre territoire d’été, tout près de l’Ashuapmushuan. 

La vieille dame de Saint-Pétersbourg nous plonge dans l’enfance et l’entourage de Beaulieu. Sa famille, le pays perdu, la présence du père et de la mère, la maladie et le retour aux sources dans son Trois-Pistoles, l’oncle Phil et l’univers particulier des téléromans qui ont fait la joie de tant de spectateurs au Québec. 

 

«C’est sûr : ça me faisait faire des cauchemars la nuit et je me réveillais et je priais jusqu’au matin pour que tu ne viennes pas au monde comme si t’étais un massacre, trois nez, une oreille, pas de bouche ou pas de pieds, pas de cuisses ou de bras. Après ta naissance, je vas te dire que j’avais point hâte que la Pelle à feu te porte à mes bras. Ouf! T’étais un bebé dans toute sa complétude, avec grosses pattes et grosses mains… et tu chialais fort en pas-pour-rire!» (p.21)

 

Tout ça parce que Beaulieu est né en 1945 et que c’était, avec la fin de la guerre, la découverte de l’horreur des camps nazis. Bien des croyances sévissaient alors. Les femmes enceintes ne devaient jamais être en contact avec des événements traumatisants et encore moins se retrouver en présence d’un être difforme ou handicapé.

 

FAMILLE

 

Quand je lis Victor-Lévy Beaulieu, j’ai souvent l’impression de retrouver ma famille, d’entendre les monologues sans fin de ma mère et les revendications de mes deux grand-mères colériques et farouches. Ou encore les histoires de mes oncles qui étaient les hommes les plus drôles et les plus charmants lorsqu’ils débarquaient dans la cuisine en répandant des rires autour d’eux. Pourtant, ils s’avéraient des brutes d’une violence inouïe chez eux. Immanquablement, Beaulieu fait ressurgir des moments de mon enfance. Je ne résiste pas, je vous en raconte quelques-uns. 

L’un de mes oncles demeurait à Saint-Thomas-Dydime, au nord du Lac-Saint-Jean. Il débarquait à la maison sans jamais prévenir au moment où nous étions dans les gros travaux de la ferme. Soit la récolte du foin ou encore le battage à l’automne. Le frère de ma mère s’installait dans la chambre fermée avec sa femme Antoinette. Ses trois filles étaient là, échappées, on aurait cru d’une photographie du dix-huitième siècle. Robes, sacoches, souliers, bas, étaient d’une autre époque, celle que j’admirais sur les anciens clichés que ma mère gardait précieusement. Elles ne décollaient pas des chaises berçantes et écoutaient tout ce qui se disait sans jamais ouvrir la bouche. Je me suis longtemps demandé si elles étaient muettes. Mon oncle se faisait conduire par un chauffeur de taxi. L’homme s’installait chez nous pour la semaine et l’un de nous devait lui céder son lit. C’était souvent moi. Ça faisait six personnes de plus autour de la table et ma mère baissait la tête en préparant des repas avec l’aide de ma tante Antoinette. Les filles ne bougeaient pas, engoncées dans leurs robes qu’elles devaient sortir une fois par année, surveillant tout comme des tourterelles aux aguets. Ou encore ce voisin qui mettait des «n» partout en ouvrant la bouche. Pour dire «je m’en vais au village prendre un pepsi». il disait «m’en va m’en n’aller n’un village pour n’a prendre n’un pepsi». Il surveillait la serveuse, une jeune femme que monsieur Coulombe embauchait au restaurant Le Rossignolet. Immanquablement, il tombait amoureux de la fille et quand il avait le malheur de boire, il devenait enragé, frappait dans les murs et voulait battre tous les garçons qui approchaient la pauvre serveuse terrorisée. Il se nommait Joseph, mais tout le monde l’appelait Naseph. 

 

TERRITOIRES

 

Victor-Lévy Beaulieu nous promène ainsi dans son territoire familial et personnel, nous démontre encore une fois que son passé fabuleux est une source inépuisable d’histoires qui nous secouent et nous laissent souvent avec le motton dans la gorge. De la chatte Fugace qui s’avère particulièrement farouche à Chris Hadfield, l’astronaute, nous suivons Beaulieu avec un bonheur de tous les instants. On y retrouve l’amour des bêtes et des livres, des textes et des écrivains qu’il ne cesse de fréquenter. Une belle manière de nous plonger dans sa vie de maintenant et peut-être même dans son avenir. Le plaisir est toujours là, chaud et doux comme les oreilles de ma chatte noire qui ronronne tout son saoul, quand elle s’installe sur mes genoux pour une longue séance où le temps se dépose tout lentement dans les branches des pins. Faut dire que nous avons des racines communes du côté maternel, Beaulieu et moi. Nos mères sont des Bélanger et ça crée peut-être des liens avec une ascendance qui doit se recouper quelque part dans l’arbre de nos généalogies. 

 

Beaulieu Victor-LévyLa vieille dame de Saint-Pétersbourg, contes et racontars, Éditions Trois-Pistoles, 186 pages, 38,95 $.

 

https://caveau3pistoles.com/produits/la-vieille-dame-de-saint-petersbourg/?fbclid=IwAR3KoyRY1seyTeBMvNJAtnCyc9GpbVGWSVmQik10pV5yOMOu7NrXswacBGM