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mardi 11 avril 2023

MARIE-HÉLÈNE POITRAS SAIT ENVOÛTER

UN TITRE PLUTÔT intrigant pour cette nouvelle publication de Marie-Hélène Poitras. Galumpf. Je me demandais ce que cela voulait dire jusqu’à ce que je lise l’histoire du même nom, soit la dixième du recueil. Il s’agit de la transcription phonétique du cri ou de l’appel d’une bête. «Mais le morse avait encore quelque chose à ajouter. C’est à lui que revenait le mot de la fin. “Galumpf, galumpf, galumpf”. Les derniers mots du grand Livre des mots.» Madame Poitras fait allusion à la publication de Richard Scarry qui date de 1963 et qui donne la chance aux enfants de découvrir les beautés et les attraits des mots en compagnie d’animaux curieux. Le tout agrémenté de nombreuses illustrations. 

 

Nous avons ici un florilège de douze textes, d’histoires comme on dit au début, parus au fil du temps dans des revues. Nous voyageons ainsi de 2006 à 2022. Des nouvelles remaniées bien sûr (quand un écrit trouve-t-il sa forme parfaite et définitive) pour leur fournir peut-être une direction et créer un lien qui permet au lecteur d’aller d’une étape à une autre sans trop s’égarer. 

J’avoue avoir été pris de court avec Depuis que les églises ont des trous dans le ventre. Un couple de jeunes, des errants peut-être, des marginaux certainement, se glissent la nuit dans un temple devenu un chantier. Des travailleurs vont transformer l’édifice en condos comme on le fait souvent avec ces bâtiments magnifiques. Pire que tout, l’actualité nous démontre que l’on démolit ces monuments situés au cœur des paroisses une fois sur deux. Le plus horrible, garder la façade pour la plaquer sur une atrocité de tôle et de briques. Le sort réservé à nos églises fait les manchettes régulièrement. Le plus souvent, on laisse ces temples à l’abandon et arrive ce qui devient inévitable. Quand l’édifice est délabré et dangereux, en proie à la vermine, les grues et les bulldozers surgissent et tout est saccagé en une journée. J’ai encore dans la gorge la destruction de la magnifique église Fatima de Jonquière. Une œuvre d’art signée par l’architecte Léonce Desgagné, construite en 1963 et rasée en 2017. Un temple original qui reprenait plus ou moins la forme d’une tente et qui se dressait tout blanc dans un quartier résidentiel. Avec des vitraux de Jean-Guy Barbeau que mon ami Harold Bouchard a sauvé in extremis. 

Heureusement, il y a des réussites comme La maison de la littérature de Québec. Des gens ont donné une nouvelle vocation à cette splendeur que l’on a rénovée et préservée avec goût. Un miracle. La plupart des édifices religieux, nos seuls châteaux, sont abandonnés et détruits. Comment ne pas signaler le travail des dizaines de bénévoles à La Baie, à Saguenay, qui voulaient transformer l’église Saint-Édouard en bibliothèque? Ils ont même ramassé des milliers de dollars pour appuyer le projet et les élus n’ont rien trouvé de mieux que de dire non et de laisser encore une fois ce magnifique témoin de l’histoire de ce coin de pays se dégrader encore un peu plus jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible de le conserver parce que trop coûteux. Il faut lire L’habitude des ruines de Marie-Hélène Voyer pour comprendre l’indifférence et l’indigence que nous démontrons au Québec envers notre patrimoine bâti. C’est à brailler.

 

«Dans vingt minutes, les travailleurs de la construction vont se pointer et ils nous chasseront comme si on était des junkies dolents, nuisibles, contaminés par l’hépatite, l’herpès, le sida. Nous, les amoureux des églises éventrées, on prendra alors nos jambes à notre cou pour aller je ne sais où.» (p.15)

 

Amoureux des églises, de ces places de recueillements, de silence, de méditation où le temps se recroqueville dans une lumière tamisée. Je comprends, même si je ne suis pas pratiquant et croyant. J’aime les lieux qui échappent à toutes les turpitudes du monde et au bruit des moteurs qui hantent nos vies, peu importe l’heure du jour ou de la nuit. Et ce n’est certainement pas ces nouveaux espaces de culte qui ressemblent à des salles paroissiales «drabes» qui vont les remplacer. Cette nouvelle illustre bien un drame qui bouscule notre actualité régulièrement. Qui peut croire maintenant que la devise du Québec est : «Je me souviens.»

 

LE GROS CHIEN

 

Faut dire que Marie-Hélène Poitras m’a happé avec son deuxième texte. Si j’avais eu quelques hésitations au début, là je me suis laissé séduire par la belle gang qui habite un quartier tranquille de Montréal. Tous vivent comme en dehors de la ville et de ses agitations. Il y a la ruelle, de grands arbres, de petites cours où chacun cultive ses herbes et ses légumes. Tous se parlent, se visitent, se croisent, se rencontrent, s’entraident et sont amoureux des chats qui vont d’une maison à l’autre, agissent tels des ambassadeurs chargés de maintenir les liens entre tous. Oui, les félins finissent par se tolérer, malgré le mauvais caractère de certains. Je m’y sentirais à l’aise parce que j’adore ces bêtes et qu’ils ont toujours été présents dans ma vie. Tout est calme et volupté jusqu’à ce surgisse un gros chien au bout de la rue. Un mastodonte qui tient plus du poney que du canin. Miss Soleil, la petite fille, ne parvient pas à le maîtriser et, c’est dans sa nature, Steeve, c’est le nom du chien, fonce quand il surprend une moustache ou une oreille. 

 

«Le chien. Un animal spectaculaire, une splendeur — c’en est à couper le souffle. Je ne connais rien aux chiens et m’intéresse peu à eux, mais celui-là est différent, ça crève les yeux. D’emblée je pressens qu’il appartient à un autre territoire. Il n’arrivera peut-être jamais, contrairement à nos chats, à s’épanouir dans la domestication.» (p.21)

 

Une enfant abandonnée ou presque. Le père est parti dans le Nord, on ne sait où, et la mère œuvre dans un hôpital. Nous le savons maintenant. Une infirmière n’est pas maître de son temps. Elle travaille sans arrêt et la petite fille est laissée seule à la maison. Des horaires brisés pour cette mère monoparentale, des heures supplémentaires obligatoires, n’arrangent jamais les choses. Ce drame se vit partout dans notre grande province. Tous les gens du quartier décident d’avoir un œil sur Miss Soleil et son animal. Voilà un récit touchant, une belle histoire d’amour et d’abandon, d’empathie et d’entraide. J’étais crinqué pour faire face à toutes les autres nouvelles. 

 

MAGIE

 

Je pourrais m’attarder et épiloguer sur tous les textes de Marie-Hélène Poitras parce qu’elle a l’art de nous plonger dans un monde particulier et de nous entraîner dans une intrigue qui vous happe littéralement. Je signale le dernier moment : Écrire, monter où l’auteure accole l’écriture et l’équitation. Un petit bijou d’intelligence qui nous fait réfléchir au métier de dresseur de phrases. Tout ce qu’il faut savoir pour apprivoiser un cheval et surtout le maîtriser, l’un s’abandonnant à l’autre, devenir en somme une entité qui court et franchit les obstacles. Une communication unique avec la bête tout comme le contact avec le langage doit être fort et intense quand vous décidez de plonger dans une fiction, que vous devez trouver votre manière, la cadence et respecter votre souffle. 

 

«Écrire, monter… Dans les deux cas, l’excellence s’acquiert avec le temps. Un écrivain et un cavalier sont souvent en meilleure posture à quarante ans qu’à vingt. Ian Millar avait soixante-cinq ans lorsqu’il a participé aux Jeux de Londres en 2013. Monter à cheval relève d’une science du raffinement des commandes qui se bonifie avec l’expérience.» (p.170)

 

Belle manière de terminer ce recueil qui vous pousse dans plusieurs directions, mais où il est toujours question d’empathie, d’humanité, de liens avec les autres et ses semblables, de contacts vrais et sentis qui sont si difficiles à établir dans une société qui carbure à la vitesse, où la solitude est de plus en plus présente. Et ce n’est pas l’enfermement dans les réseaux sociaux, l’envers de la communication et de la compassion, qui va arranger les choses. 

Un bouquet de fraîcheur, que ce Galumpf qui joue juste ce qu’il faut avec nos émotions pour nous retenir. J’en aurais pris encore parce que Marie-Hélène Poitras fascine dans ces textes intimes où j’ai eu l’impression qu’elle me lisait une histoire tout doucement en me soufflant dans l’oreille. De quoi rêver et se sentir bien pendant des heures. Un petit bijou d’intelligence et de tendresse.

 

POITRAS MARIE-HÉLÈNEGalumpf, Éditions Alto, Québec, 192 pages. 

https://editionsalto.com/livres/galumpf/

jeudi 29 avril 2021

ÉCRIRE POUR CHANGER L’HISTOIRE

MARIE-HÉLÈNE POITRAS étonne avec ce septième ouvrage où j’ai eu l’impression de retrouver l’atmosphère des premiers romans de Sylvie Germain où la nature pousse les humains dans les plus folles passions. Pareils aux bêtes qui se plient aux saisons et répondent à l’appel des corps et de la vie. Des instincts, des réactions à la faim, au froid, à la chaleur, l’envoûtement qui aveugle et fait perdre la raison. Tous obéissent aux élans et aux pulsions que la sauvagerie des lieux exacerbe. Audrey Wilhelmy possède aussi cet art de nous coller à des personnages qui s’abandonnent à une forêt obsédante qui les porte et les transforme. Les humains, avec les bêtes, sont soumis à des forces qui peuvent les briser et les arracher à la vie policée des villes.

 

Marie Hélène Poitras nous entraîne dans la France profonde avec La désiderata, à Noirax, un village fictif, un monde qui s’ancre plus dans le passé que dans le maintenant. La famille Berthoumieux possède un vaste domaine en périphérie du chef-lieu depuis des générations. Tout y est un peu à l’abandon. La maison de la dernière épouse est fermée comme un musée que personne n’ose fréquenter par peur de soulever des questions et révéler un drame que nul ne veut revivre. Le père y règne, seul, en marge de la population en élevant des ânes. 

Les femmes, ses favorites, n’ont jamais eu d’importance dans cet univers où le mâle impose ses désirs et régente tout. Elles sont là un temps, pour assouvir le corps, pour les enfants, les soins, les remèdes et les parfums. Un monde qui étouffe des secrets et ses drames. 

Et si tout changeait et se mettait à respirer, si l’avenir y trouvait un nid. Le fils, parti au loin, revient et retrouve le père, des gestes et des réflexes, sa place pour ainsi dire dans le domaine. Et une jeune femme, Éliénor, que Bertrand fait venir pour redonner un élan à ses terres avec de nouvelles idées et d’autres cultures. L’espoir d’une passion, le temps de concevoir une statue pour une fontaine dans la cour. Un milieu hanté par les comptines qui dissimulent une cruauté terrible, un monde où les épouses et les enfants sont des proies que les grands prédateurs se partagent. Un univers de murmures, de souffles, de soupirs dans la nuit, avec le vent chasseur de fantasmes.

 

On entend une mélodie au loin, portée par une voix féminine. Un refrain allègre n’annonçant pas la brutalité du dernier couplet, qui tombera comme la lame d’une guillotine. La forêt tout autour est faite de mots, avec des secrets enterrés dans les espaces entre ceux-ci ou entortillés autour des racines. (p.9)

 

Des lieux marqués par le drame de ces femmes qui errent comme des fantômes sans jamais trouver la paix. Toutes disparues mystérieusement, éliminées parce que le maître les disait folles et dangereuses. Personne ne veut remuer ces histoires. Un silence complice recouvre tout, avec la poussière dans la maison des parfums. Bertrand, le dernier des seigneurs, a des ambitions politiques malgré son passé trouble et les rumeurs qui s’accrochent à ses vêtements. Mais on le croit riche et il a la renommée de sa famille qui traverse le temps et en impose aux villageois. 

 

TORNADE

 

Éliénor bouscule tout le monde, particulièrement Bertrand qui compte bien en faire sa nouvelle favorite à qui il peut tout consentir avant de s’en défaire comme un chiffon. Et la présence de Jeanty laisse imaginer un avenir à la dynastie des Berthoumieux. Un fils hanté par sa mère et qui refoule des penchants que le père ne peut accepter. Son goût pour les déguisements féminins, sa bisexualité trouvera à s’exprimer avec la complicité d’Éliénor. Il se sent plus femme qu’homme et assume ce choix. 

 

Il y a quelque chose d’insolite dans la forêt de Noirax. De la fonte des neiges à la chute des feuilles, toutes les espèces de champignons, d’herbes et de fleurs poussent en abondance sans tarir, indifférentes aux calendriers ou aux almanachs. Les animaux se reproduisent ici plus que n’importe où ailleurs. Les bosquets ruissellent des glaires animales et des semences mâles. L’air ondule subtilement, à la manière d’une nuque qui se dévoile, d’une chute de reins dont la cambrure s’accentue pour contenter un regard. Dans la forêt, le désir gonfle, boursoufle et se distend, de même que l’envie d’éclore et de procréer. (p.54)

 

Un paradis sauvage de pulsions qui font perdre la tête et plongent les humains dans les pires excès, surtout les soirs de fête. Un lieu où la nature respire comme un grand fauve qui tremble de concupiscence et de rage.

 

DRAME

 

Éliénor entraîne Jeanty et Bertrand dans la débauche, bouscule la bougresse, la servante qui a toujours tout accepté sans lever les yeux, ayant été la favorite du père à une époque. On mange, on fête, on boit, on se laisse aller à toutes les pulsions. Cette fille ne semble en avoir que pour le plaisir, les festins, les meilleurs vins, provoque tous les hommes avec sa robe cousue à l’envers. Elle envoûte Bertrand qui la suit comme un matou en chaleur. 

Le conte bascule et les chasseurs deviennent les proies. Le chaperon rouge mène la danse et le méchant se fait traquer. Bertrand est frappé pendant une nuit d’ivresse dans la forêt, un moment qui relève de la sorcellerie. Il est griffé par une sorte de loup-garou et l’histoire s’écrit désormais à même la plaie qui suppute dans son dos. Il doit revivre son passé dans sa chair, ressentir la douleur des amantes qui se sont succédé dans son lit et qui ont payé de leurs corps. Il subit le cri de toutes les descendantes des Berthoumieux qui réclament justice.

Victoire, la bougresse, s’enferme dans le cabanon pour remettre le monde à l’endroit. La soumise, la silencieuse, celle qui faisait que le domaine demeurait un espace habitable, celle qui acceptait tout sans jamais un mot, raconte le récit des femmes maudites, la danse des odeurs, des effluves, des parfums capiteux et des champignons qui font perdre la tête. La folie n’est jamais loin dans ce genre d’univers où les obsessions poussent au meurtre et au viol. Il reste l’écrit pour rétablir les vies sacrifiées, pour retourner les faits comme un champ en friche. 

«L’écriture est la clé qui ouvre toutes les portes de la mémoire.» «La phrase se construit comme une chasse au trésor, le trésor, c’est l’histoire qui s’érige comme une maison, un vieux manoir, un village inventé, un parfum puissant, un souvenir.»

 

EXPLOIT

 

Marie-Hélène Poitras a fait un travail gigantesque pour nous étourdir dans le monde de la forêt, des plantes, des champignons avec leurs propriétés singulières et des senteurs capiteuses. C’est tout un univers qui s’impose, un éblouissement qui souffle les personnages qui se profilent quand on ouvre les fenêtres et que l’on s’arrête devant les tableaux qui tapissent les murs du domaine comme les moments d’une vie que le peintre Poedras a su capter. Et il y a cette phrase, celle que l’on voulait étouffer qui bondit, agite des ombres en plein soleil, révèle le mensonge et la dépossession. Madame Poitras croit à la magie de l’écriture. Victoire rétablit les faits et donne une voix à ces femmes que l’on a écrasées. Les secrets sont éventés et le désir, la manipulation, la violence et l’exploitation ne sont plus possibles quand toutes s’arment de la parole. 

 

En marge de l’arbre généalogique principal, une deuxième histoire se déploie et cherche le jour; celle des desiderata et de leur descendance, les héritières aux yeux bleus, à la peau verte et aux cheveux mauves. Oui, il y a eu d’autres cabanons, boudoirs fermés à clé, clés perdues, d’anciens pavillons condamnés. Des morts reposent dans les mauvais caveaux et des petites filles dans la panse du loup. La forêt, entité silencieuse, n’est pas la complice que l’on croit, sauf peut-être celle des ragondins qui continuent d’y dévorer les pousses juvéniles de l’arbre à corne. Rien ne viendra jamais à bout de cette engeance. (p.152)

 

Si j’ai eu l’impression de m’aventurer dans une fable où la nature et les pulsions humaines semblaient se provoquer au début, j’ai vite basculé dans l’envers de la comptine pour effleurer les drames de celles qui ont été sacrifiées. Pampelune, la bougresse, Helena, la Pimparela et bien d’autres s’imposent et ne seront plus des statues qui ornent les fontaines. Elles revendiquent leur place, piétinent le mensonge et exigent d’avoir un nom. 

Un récit où les mots se renversent comme chez Nicole Houde pour montrer la face cachée de l’histoire des mâles et révéler leurs travers.

Un roman magnifique, étonnant et fascinant, une écriture précise comme la lame d’un stylet qui s’enfonce tout doucement dans la peau du poignet.

 

POITRAS MARIE HÉLÈNELa désiderata, Éditions ALTO, 184 pages, 24,95 $.

https://editionsalto.com/catalogue/la-desiderata/?v=3e8d115eb4b3

mardi 17 janvier 2017

Les femmes ont toujours du mal à s'imposer

Marie-Hélène Poitras
QUE VIVENT LES FEMMES en 2017 ? Est-ce plus facile pour elles de s’imposer dans un Québec où les élus affirment sur toutes les tribunes que l’égalité entre les hommes et les femmes est un principe sacré ? Marie-Hélène Poitras et Léa Clermont-Dion se sont penchées sur la question et ont rencontré plusieurs femmes qui ont bousculé les conventions et fait de leur vie une réussite. Constats : c’est plus difficile pour les femmes de faire leur chemin dans une société où les hommes imposent leur modèle. Une femme qui veut atteindre des postes de direction fait face à la discrimination et à des remarques sexistes et fort désobligeantes à un moment ou à un autre. Très difficile pour elles de prendre leur envol, même après cinquante ans de féminisme et de revendications.
Léa Clermont-Dion

L’événement a fait les manchettes à la parution de l’essai Les superbes de Marie-Hélène Poitras et Léa Clermont-Dion. Un individu, sur Facebook, a évoqué Polytechnique et Marc Lépine pour exprimer son désaccord avec les propos tenus par les participantes à cette enquête. Je n’en croyais pas mes oreilles. 
Nous en sommes là en 2017.
Les Superbes met le doigt sur une réalité que l’on refuse souvent de voir. Nous nous complaisons à répéter que l’égalité entre les hommes et les femmes est un acquis en ce Québec de toutes les lamentations ; que les femmes n’ont qu’à vouloir pour s’imposer dans les différentes sphères du travail. Les auteures ont rencontré des battantes qui ont fait leur chemin ou qui occupent des postes importants pour leur demander si elles avaient la certitude d’avoir eu les mêmes chances que les hommes dans leur vie active et leur carrière.
Elles ont écouté Pauline Marois, Cœur de pirate, Fabienne Larouche, Sonia Lebel, Mariloup Wolfe, Louise Arbour, Francine Pelletier, Marie-Mai et quelques autres. Des modèles pour beaucoup de jeunes filles et des exceptions dans notre monde de défis et de réussites.
Toutes ont dû jouer du coude pour faire leur place dans un monde conçu et pensé par les hommes ; toutes ont dû s’imposer et travailler plus que leurs collègues masculins pour arriver là où elles sont. Elles ont dû demeurer imperturbables devant des propos sexistes, des plaisanteries déplacées quand ce n’étaient pas des sarcasmes et le harcèlement.

CONSTAT

Mes lectures, depuis le début de l’année 2017, me font mieux connaître des femmes qui ont marqué leur époque et qui ont vécu en échappant aux normes et aux diktats de la société des hommes. Suzanne Meloche, du groupe des Automatistes qui a refusé de signer Le Refus global, Marcelle Ferron, peintre, qui a su faire son chemin dans le monde des arts.
Marie-Hélène Poitras, écrivaine, a fait sa marque dans la société. Elle aussi aura été la cible de mâles vindicatifs. Sa camarade Léa Clermont-Dion s’intéresse à la situation des femmes et termine un doctorat en sociologie. Elle a reçu des insultes. Des propos à peine imaginables sur les réseaux sociaux où les femmes qui s’affirment et ont du succès sur la scène littéraire ou artistique deviennent particulièrement vulnérables.

La peur qu’on me fasse taire, je l’ai déjà vécue. Comme toi, je venais de passer à Tout le monde en parle pour discuter de mon documentaire Beauté fatale. J’ai dû recevoir par la suite la visite d’un policier parce que je voulais porter plainte en réaction aux menaces de viol et de mort, et aux incitations au suicide que j’avais reçues sur le Web. Je me suis retrouvée seule devant le représentant de la violence légitime détenue par l’État. Ce fut une expérience pénible. Cet abruti s’amusait de ma situation. Il a rigolé devant « mes petites angoisses », si bien que j’ai refoulé mon inquiétude. Et je l’ai fermée, ma gueule. (Lettre de Léa à Marie-Hélène) (p.22)

Que c’est troublant de constater que la situation n’évolue guère dans notre Québec qui se gargarise d’égalité, de liberté et d’ouverture d’esprit. Il existe toujours une forte résistance devant l’affirmation des femmes au travail, des manières de leur compliquer la vie et de retarder leur ascension vers des postes d’autorité. Il suffit de voir les métiers où les femmes travaillent en majorité pour se rendre compte de l’inégalité salariale par exemple. Quand on apprend qu’une femme qui occupe le poste de chef de cabinet pour un ministre du gouvernement du Québec gagne moins qu’un homme pour le même travail, on peut se questionner. Et il semble que le gouvernement Couillard n’a pas l’intention de changer les choses. Les partis d’opposition se sont faits bien discrets sur la question.

EXPÉRIENCE

En 1996, je publiais Le Réflexe d’Adam où je me questionnais sur les relations entre les hommes et les femmes, sur l’éducation que l’on imposait aux hommes dans leur apprentissage. C’était ma manière de réagir à Polytechnique, au geste de Marc Lépine. J’avais été choqué par la publication du Manifeste d’un salaud de Rock Côté. On a ignoré le livre ou on l’a ridiculisé. Chantal Joli à La bande des six a même affirmé que les femmes au Québec en avaient assez des hommes roses. J’osais écrire que le féminisme avait été bon pour moi et m’avait aidé à devenir un homme meilleur. Il ne restait plus qu’à pilonner mon livre. Ce fut fait.
Toutes les femmes savent qu’elles n’auront jamais les mêmes droits et les mêmes chances dans notre société. On préfère toujours « un gars » même s’il est moins compétent. Une femme qui réussit à se faufiler dans les boys clubs, doit en faire plus et souvent elles doivent devenir la pire ennemie de celles qui veulent s’affirmer.

Les savoirs ont été construits par des hommes. Les femmes ont été définies comme incapables d’activité intellectuelle, d’efforts soutenus, et comme des personnes menées par leurs organes de reproduction. C’est l’univers symbolique qui définit le féminin et le masculin, même si on a l’impression d’avoir fait beaucoup de chemin depuis quelques années. Ces représentations rendent illégitime l’activité intellectuelle des femmes. (Hélène Charron) (p.48)

Et que dire des propos d’un Donald Trump sur le physique d’Hilary Clinton dans une campagne électorale qui passera pour la plus honteuse de l’histoire des États-Unis ? Que penser du traitement de l’attentat qui visait Pauline Marois le soir de son élection en 2012 ? Les médias n’ont jamais parlé d’attentat, d’acte délibéré pour éliminer une femme qui prenait le pouvoir et qui n’était pas à sa place. Tout comme on a refusé de dire que Marc Lépine était un terroriste raciste et sexiste. On a parlé de maladie mentale, de fou pour atténuer la gravité des gestes.

MUR

Tout est plus difficile pour les femmes et les prédateurs possèdent une arme terrible maintenant avec les réseaux sociaux. Que penser d’un Gab Roy qui s’en est pris à Mariloup Wolfe d’une manière abjecte ? Toutes les filles ont subi ce genre d’attaques. Dire qu’il était au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean l’automne dernier et qu’on faisait la file pour aller le voir. Il a même eu droit à une page dans le journal régional.

« Ça m’a affectée, mais j’étais dans un tourbillon et j’avais autre chose en tête. C’est quand j’ai vu l’impact de cette lettre dans les réseaux sociaux et constaté les contrecoups médiatiques qui ont suivi sa publication que j’ai réalisé ce qui se passait. » En vingt-quatre heures, la page Facebook de Mariloup était passée de 500 à 50 000 fans. « Il a fallu que j’engage quelqu’un pour filtrer les messages haineux. Mes fans ne pouvaient pas les lire, mais moi, je voyais, en texte gris pâle, tous les messages envoyés par ceux de Gab Roy. » (p.171)

Toutes témoignent de propos et de messages qui gâchent leur quotidien et finissent par les déstabiliser.
Une femme est un objet sexuel avant tout dans notre monde. On a passé des années à parler des vêtements de Pauline Marois ou de l’allure d’Hilary Clinton. Je n’en reviens pas de la photo d’elle à la Une de L’actualité. On la présentait ridée et vieillissante. Qui se questionne sur les complets de Philippe Couillard ou de Denis Coderre ? De la beauté d'un Donald Trump ?

REGARD

Il est réjouissant de voir Marie-Hélène Poitras et Léa Clermont-Dion reprendre le flambeau et dénoncer cette inégalité qui existe encore et toujours entre les hommes et les femmes. Je n’avais pas imaginé que des individus pouvaient écrire des messages haineux parce qu’une écrivaine vient de remporter un prix littéraire ou encore qu’une comédienne connaît du succès.
C’est aberrant en 2017.
Et il y a des manières plus pernicieuses de les ignorer. L’article de Lori Saint-Martin sur la présence des œuvres écrites par des femmes dans la section livre du Devoir est pertinent. La réponse de Fabien Deglise est incroyable. Une belle manière de signifier à madame Saint-Martin que rien ne changera et qu’elle peut continuer à tenir sa comptabilité.
Une ségrégation insidieuse qui s’infiltre partout et qui fait en sorte que les femmes ne sont toujours pas des égales et n’ont pas les mêmes chances dans notre belle province.
Je ne peux que saluer le courage de Léa Clermont-Dion et Marie-Hélène Poitras. Pas facile de se lever pour témoigner d’une situation qui n’évolue guère. Vous êtes superbes. Malheureusement, on va vous ignorer comme on le fait toujours en continuant de répéter des clichés sans jamais regarder ce qui se vit dans la vraie vie pour reprendre le dernier titre de l’écrivaine Nicole Houde. Je vous salue bien bas et vous avez toute mon admiration.

LES SUPERBES de LÉA CLERMONT-DION et MARIE-HÉLÈNE POITRAS est publié CHEZ VLB ÉDITEUR.


PROCHAINE CHRONIQUE : LE PALAIS DE LA FATIGUE de MICHAEL DELISLE, paru chez BORÉAL ÉDITEUR.




lundi 28 mai 2012

Montréal possède aussi son Far Ouest

Je me suis demandé où Marie Hélène Poitras voulait en venir en lisant les premières pages de «Griffintown». Comme si l’écrivaine survolait son sujet à la manière d’un oiseau de proie qui multiplie les cercles avant de fondre sur sa cible.


Et puis je me suis senti happé par le monde des chevaux et des calèches. Un milieu où des traditions d’une autre époque survivent, au cœur d’une ville qui arrive mal à contenir les charges des automobiles et les manifestations étudiantes. Deux façons d’être qui se côtoient à tous les jours pour le meilleur et le pire. Autant de pièges que les cochers et les bêtes doivent éviter.


Renaissance

La saison s’amorce. Les cochers surgissent comme des marmottes qui sortent de leur trou. Tous sont des éclopés, des marginaux, avec un passé qu’ils cherchent à oublier. Ils vivent au jour le jour, se perdent souvent dans l’alcool et les drogues, disparaissent un certain temps et reviennent plus amochés que jamais. D’autres manquent à l’appel sans que l’on sache ce qu’ils sont devenus.
«Comme les cochers, les chevaux qui échouent à Griffintown traînent plusieurs vies derrière eux. On les prend tels qu’ils sont. C’est pour eux aussi, bien souvent, le cabaret de la dernière chance.» (p.17)
Les plus anciens se souviennent de Mignonne, une jument qui a marqué l’imaginaire de tous...
Il faut compter aussi sur les commissionnaires qui servent le café, apportent des sandwichs et surveillent les attelages quand c’est nécessaire. Même chose pour les chevaux. Certains sont là depuis des années et entreprennent une dernière saison.

Passion

Marie vit une véritable passion pour les chevaux depuis son enfance. Elle suit son cours de cochère et aspire à diriger son attelage dans les rues du Vieux-Montréal. Elle fait face à un monde macho où l’on ne fait de quartier à personne. Elle doit apprivoiser de véritables phénomènes. Billy, le bras droit du patron, l’Indien, Alice, la Grande Folle, le Rôdeur, La mouche, Joe, Evan et Lloyd.
John prend Marie sous son aile et lui enseigne les rudiments du métier. Il y a bien des choses à savoir et surtout il y a le cheval qu’il faut sentir, comprendre et prévoir.
«John, qui au départ ne voulait pas entraîner de nouveau cocher, se surprend à chercher à protéger Marie, à craindre pour elle. Elle est jolie, ça crève les yeux. Désirable même, mais trop jeune, trop belle, trop bien pour lui. Il est un cow-boy, un homme qui déloge les copeaux de bois d’entre ses orteils chaque soir après avoir retiré ses chaussures.» (p.84)
Une foule de détails qu’il faut maîtriser avant de s’aventurer dans des rues encombrées où le cheval peut s’affoler à tout moment.

Affrontements

Les terrains des écuries sont convoités par des spéculateurs et des mafiosos. Paul, le propriétaire est abattu sauvagement dans un stationnement. On retrouve son corps dans le ruisseau nauséabond qui longe les étables. Pas question de faire appel à la police. Dans le Far Ouest, on règle ses problèmes soi-même. La fin sera apocalyptique. Comme si la modernité voulait biffer ce relent du passé de toutes les mémoires.
Un roman fascinant.
Marie Hélène Poitras a le sens du détail et démontre un savoir étonnant des chevaux, des soins qu’il faut leur prodiguer et des attelages. Une connaissance d’un monde qui n’existe plus que dans le folklore et certains festivals peut-être.
Elle écrit une page d’histoire, décrit avec précision un monde marginal où hommes et bêtes apprennent à s’apprivoiser.
On pourrait tirer des images magnifiques de «Griffintown», un film qui tiendrait autant de l’ethnologie que du monde contemporain. Une confrontation de la modernité et d’un monde plus ancien aussi.
Un véritable western où les bons et les mauvais s’affrontent comme au temps de Jessy James et d’Hopalong Cassidy.
Un ouvrage fascinant. Des originaux aux grands cœurs qui croient à une certaine forme de solidarité malgré tout et partagent un amour inconditionnel pour les chevaux. Les bêtes deviennent aussi des personnages avec leurs manies, leurs travers et leurs caractères bien sentis. Ils subissent aussi les affres du temps et peuvent s’épuiser. Un formidable voyage dans un monde peu connu.

«Griffintown» de Marie Hélène Poitras est paru aux Éditions Alto.