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mercredi 13 décembre 2023

RITA LAPIERRE-OTIS GARDE L’ŒIL OUVERT

RITA LAPIERRE-OTIS, dans L’infini du regardun carnet, garde les yeux bien ouverts pour décrire le monde qui l’entoure. L’écrivaine récidive après m’avoir charmé en 2021 avec Territoires habités, territoires imaginés. Encore une fois, elle invite le lecteur à la suivre dans son petit et merveilleux univers. Celui des arts visuels qu’elle a exploré pendant des années, produisant des œuvres avec patience et ténacité, s’offrant même une apothéose au Centre national d’exposition de Jonquière. Mais, comment nous rendre vigilants à tout ce qui nous voisine, habite notre espace et en fait sa plénitude et sa formidable densité? Tout passe par l’œil qui nous permet de prendre conscience de soi et des autres, du monde qui nous entoure et nous permet la durée. Il faut ce regard pour se sentir vibrant, réceptif à la beauté que la nature sème autour de nous. Rita Lapierre-Otis se risque dans l’aventure de décrire la vie, nous donne l’occasion de rester attentif à son environnement et au nôtre. J’aime cette «femme à la fenêtre» qui observe les travaux des oiseaux, les chamboulements dans les arbres avec les saisons et aussi qui n’hésite jamais à faire un pas en arrière, quand une teinte dans le bouleau, une odeur ou encore un objet la ramène à son enfance et ses souvenirs. Il ne faut pas oublier non plus les grandes manigances du chat des voisins qui sait si bien se fondre dans le boisé derrière la maison.

 

Je répétais souvent, lors des ateliers que j’ai donnés au Camp littéraire Félix, qu’un écrivain est avant tout un lecteur du monde qui l’entoure. Un curieux insatiable aussi des auteurs, ses contemporains surtout, pour comprendre leurs regards sur son époque. Je n’inventais rien, m’inspirant des propos du frère Marie-Victorin qui affirmait ceci : «On ne possède pas un territoire qu’on n’a pas nommé. On ne connaît pas un territoire dont on ne connaît pas le nom.» Dire, décrire, peindre dans une certaine mesure ce pays dans ce qu’il est. Les plantes omniprésentes, les arbres pour l’ombre, les chants du vent, les bouchées de verdure du printemps et les tellement beaux coloris d’automne; les oiseaux aussi qui surveillent nos jours et nos nuits, nous accompagnent parfois dans nos folles randonnées. Mettre le monde en mots, cet univers qui nous entoure avec les êtres courants, rampants, volants qui occupent tout l’espace. Tout cela pour être conscient de son environnement, de tout ce qui palpite et nous cerne, nous secoue et nous empêche de demeurer des touristes pendant toute notre existence. Nous passons si souvent dans nos petits pas, sans voir tout ce qui rend heureux, sans prendre la peine d’admirer la mésange qui s’accroche à la mangeoire ou encore, dans l’effervescence de l’été retrouvé, tout ce qui fleurit, pousse, éclate dans le boisé ou la cour arrière. Rita Lapierre-Otis nous apprend à ouvrir les yeux, à observer ce qui nous constitue.

 

«Je reviens à mon carnet d’atelier, ce grand album couvrant des sujets récurrents : le temps, les racines, l’identité, la nature du territoire, les arts visuels et l’environnement. Rassemblés, des écrits, notes, citations, croquis, dessins, collages qui font constater qu’on demeure profondément ce que l’on a été. Mais toujours de façons différentes.» (p.20)

 

Rita Lapierre-Otis est semblable au chat à l’affût de ce qui remue près de lui lors de ses expéditions quotidiennes. Je me suis déjà attardé à observer l’une de mes chattes dans l’univers qui s’étend autour de la maison, la suivant discrètement, m’arrêtant quand elle figeait, tentant de deviner ce qu’elle apercevait, ce qu’elle sentait et tout ce qui faisait bouger ses oreilles. Elle m’a permis d’être plus attentif aux froissements des feuilles, aux effluves qui flottent dans l’air en empruntant des chemins imprévisibles, les frémissements dans les herbes et peut-être aussi au bruit que fait une fleur de lilas en s’ouvrant. Une expédition qui m’a fait voir autrement le bouleau, les pivoines et les rhododendrons. Et l’appel du merle et de la corneille au loin, du chardonneret et de la tourterelle triste. Depuis, je réponds aux salutations des mésanges et aux visites des durbecs des sapins.

 

QUÊTE

 

Le quotidien de Rita Lapierre-Otis se fait quête où elle tente le plus souvent possible de «voir réellement» ce qui l'entoure et ce qui lui est si familier tout en restant inconnu. Les objets qui s’accumulent dans l’atelier et qui rappellent des moments d’enfance, l’époque où elle ouvrait les yeux et ses oreilles au monde. Des réminiscences aussi qui la suivent depuis toujours et qui font ce qu’elle est. Parce que nous sommes faits autant du passé, celui des parents et des ancêtres, que de nos propres aventures.

 

«C’est bien là, le mystère du temps. Mais inutile de vouloir suivre pas à pas les méandres de la mémoire. Et sait-on, avec le temps, ce qui a été rehaussé, enjolivé, idéalisé ou interprété? Par ailleurs, ces histoires mnémoniques ne procurent-elles pas à “la dame qui écrit”, une matière souple et un large champ d’interprétations dans ce désir profond de réinventer son monde?» (p.55)

 

C’est ainsi que j’ai accompagné «la femme qui regarde» pendant à peu près toute une année dans ses métamorphoses et ses surprises. Peu importe que ce soit pendant l’éclatement du printemps ou pendant l’effervescence enluminée de l’automne, Rita Lapierre-Otis s’efforce de demeurer attentive à toutes les petites choses qui nous suivent dans une journée. Le café matinal, une fleur qui s’ouvre dans sa couleur, les geais dans l’arbre, le chat en chasse, un livre qui traîne tout près avec une phrase qui la ralentit. Même quand la neige barbouille les cèdres et les épinettes du cran si souvent étonnant, elle est là, pleinement dans son regard. Toujours, malgré les humeurs du temps et les grâces du moment, il y a quelque chose à surprendre et à étudier pour l’artiste. 

Bien sûr, il faut apprendre à respirer et à être dans toutes les frontières de son corps, dans le présent, sans se laisser distraire pour lire tout ce qui se transforme dans son jardin, allant à petits pas dans la galaxie qui jouxte sa maison, reconnaissant et saluant les fleurs qui s’épanouissent dans des petits cris d’émerveillement certainement, que seule la poète parvient à enfermer dans un haïku. 

 

«douce odeur de forêt

   pin sylvestre sapin beaumier

   le goût d’un thé des bois» (p.60)

 

Il y a tant à découvrir. Les geais bleus si bavards et expressifs, les sittelles qui voient le monde à l’envers, les quiscales toujours un peu bruyants, les papillons, encore les perce-neige, et peut-être aussi un éclat de soleil dans les épinettes qui capte l’attention de l’artiste. Des moments de recueillement et d’apprentissage pour être tout droit dans son regard et son corps, dans l’instant même et pas ailleurs. 

 

APPRENDRE

 

Voir, respirer, écrire en retenant son souffle pour ne pas effaroucher le monde vivant, se sentir toute là, les pieds sur le sol chaud, devant une pivoine qui se courbe, épuisée par sa beauté. Et pour laisser monter en elle les marées du souvenir, les grandes vagues qui éclaboussent les rives des Îles-de-la-Madeleine d’où viennent ses ancêtres. Le son du violon de sa mère quand elle s’abandonnait à la tristesse, à la mélancolie et les mélodies qu’elle jouait, celles apprises avec patience dans une enfance qui se recroqueville dans un album de photos.

 

«échos d’hier

   dans l’aventure du carnet

   l’enfance en partage» (p.112)

 

Un carnet formidable que L’infini du regard, un hymne à la création, un chant qui porte la splendeur de tous les matins du monde. Rita Lapierre-Otis voit, sait puiser dans les mots des autres une expression, une image qu’elle scrute comme une pierre précieuse. Parce qu’elle écrit en prenant son temps, tout lentement, debout à la fenêtre, devant un univers qui n’arrête jamais de la captiver. Attentive, là, concentrée dans son regard, dans son sourire certainement au plus chaud du jour et parfois de la nuit. Et aussi pendant une escapade avec des amis pour se frotter à la beauté du fjord du Saguenay, un paragraphe d’un livre qui ne cesse de l’émerveiller et de la combler. La carnetière a l’art de nous présenter ces moments qui rendent plus conscients de notre aventure d’être. Un calepin où elle médite et nous transmet son bonheur du monde. Même quand tout semble aller un peu de travers, elle sait se relever devant le miracle d’un autre matin qui s’impose en enjambant la tête des arbres. Avec ici et là, un haïku, comme une tranche de temps, une toute petite aquarelle. Mille fois merci à cette écrivaine qui permet de nous évader dans les merveilles quotidiennes, de se perdre dans l’abîme du regard. 

 

LAPIERRE-OTIS RITA : L’infini du regard, Éditions L’instant même, Longueuil, 136 pages.


 https://instantmeme.com/livres/l-infini-du-regard/

 

 

jeudi 21 octobre 2021

LES MOMENTS PRÉCIEUX DE RITA LAPIERRE-OTIS

RITA LAPIERRE-OTIS a fait preuve de patience avant d’avoir son livre entre ses mains. Il me semble qu’elle y travaille depuis des années en le promenant d’un atelier d’écriture à un autre pour y trouver une direction et surtout pour toucher l’essentiel. Parce que l’art du carnet est une ascèse qui exige de la retenue et une formidable simplicité pour parvenir à un texte qui s’est dépouillé de tout le superflu et qui vous porte comme une petite musique qui enchante. Et voilà que je l’ai sur ma table ce carnet au titre un peu étrange. Territoires habités, territoires imaginés. Je l’effleure du bout du doigt et l’examine en me répétant que cette écrivaine me réserve certainement des surprises. J’aime m’attarder à la page couverture, aux directions qu’elle indique, devant les portes qui se ferment ou qui ouvrent. Rita Lapierre-Otis me permet de penser à un dialogue entre le réel et l’imaginaire, un va-et-vient qui explore toutes les dimensions de l’esprit. Ma curiosité étant grande pour les carnets, je ne peux résister bien longtemps et me voilà avec l’écrivaine, dans ses lieux familiers, dans un matin tout neuf, ou quand le jour dérape dans les gouffres du couchant. Et des ailleurs aussi m’interpellent, des endroits qu’elle parcourt en rêvant, ou devant la feuille d’un arbre, un tableau qui l’accompagne depuis toujours et qui l’arrête, comme si c’était la première fois qu’elle le voyait. Et les voyages dans des pays d’enchantement et de recueillement. Rapidement, je me suis senti chez moi dans ce carnet.

 

Rita Lapierre-Otis est une artiste en arts visuels et une enseignante qui a fait sa marque, ne se contentant jamais de théories, mais demeurant avant tout une praticienne qui a participé à plusieurs manifestations qui exigent l’attention de l’œil, de l’oreille ou encore sollicitant l’imaginaire comme dans les expositions un peu étranges du regretté Pierre Dumont qui extirpait les objets du quotidien pour les faire muter en œuvre d’art. Ce touche-à-tout était certainement une sorte de shaman.

Lapierre-Otis s’intéresse à la matière, aux couleurs qui portent le paysage selon les heures, les jours et les saisons. À la mouvance, l’essence même de la vie et de la création.

L’art, tout comme l’écriture, se nourrit de temps et lui résiste d’une certaine façon. Il faut bien des gestes et des tentatives pour arriver à l’objet imaginé, pour s’arracher du quotidien et voir avec des yeux neufs un monde que nous parcourons si distraitement, toujours trop pressés, happés par des occupations bien futiles. Surtout en ces époques où la vitesse est une drogue que l’on avale avant le lever du jour, où la réalité se ratatine à l’écran d’un téléphone prétendument intelligent.

 

Je marche dans les pas du temps, mais plus souvent, juste à côté, dans les sentiers d’exploration, de réflexion, de partage et de silence. Comme chacun, j’avance à tâtons sur les traces d’un possible bonheur de vivre. (p.11)

 

Lapierre-Otis s’attarde comme j’aimerais le faire plus régulièrement devant les fenêtres, quand la nuit glisse sur le lac en chassant des petites vagues qui portent toute la gamme des couleurs. Fasciné par l’eau qui aspire le ciel, tournant à l’orange dans les éclaboussures du jour qui s’éteint. Là, je peux vraiment voyager jusqu’aux frontières des horizons.

L’écrivaine se sert magnifiquement de sa capacité à surprendre ce qui bouge autour d’elle en surveillant les oiseaux, les arbres qui frémissent dans la brise et transforment son jardin de tous les jours. Les textures du matin qu’elle examine comme un tissu. Tout est vivant sous sa plume. Ce talent rare donne une densité admirable à son texte. Et elle a la grande qualité de nous faire voir, avec une précision remarquable. 

Territoires habités, territoires imaginés devient l’aventure du réel. Le monde se recroqueville dans une haie de cèdres, au chaud du nid de la mésange ou se laisse envoûter par le chant d’un bruant à gorge blanche. Il ne faut surtout pas négliger les fleurs et les plantes qu’entretient l’écrivaine qui se fait souvent rêveuse à la fenêtre, souriante dans la beauté de son environnement qu’elle examine comme une œuvre d’art.

 

Devant la fenêtre du salon, il y a ce bouleau pentu. Tout près, l’hydrangée. Qui, lui, évolue en tonalités : du crème au beige rosé, puis au bois de rose. Il y a aussi ces chrysanthèmes. Plantés juste pour moi. Au pied d’une grosse roche, ils côtoient les berbéris japonais. Discrets, ils attendent octobre pour bourgeonner en magenta. Pour étirer un peu le charme des jardins d’été. (p.27)

 

Le frère Marie-Victorin aurait été jaloux d’une description du genre. 

 

REGARDS

 

Il y a l’immédiat, les lieux vus et fréquentés, domestiqués pour ainsi dire et capables d’un peu de sauvagerie, toujours là pour nous échapper par le biais des saisons. Et il y a les escapades, les voyages, les séjours dans certaines villes renommées, ces musées vivants qui résistent aux griffes du temps et à la menace des hordes de touristes. 

Rita Lapierre-Otis prise les déserts, le sable lisse, ses couleurs chaudes et changeantes, les cathédrales qui se dressent dans les montagnes et vous laissent sans voix. Elle aime beaucoup le parc de Zion. Cela m’a fait penser au Grand Cayon. J’en garde des images précises, des teintes de bleus qui me reviennent quand je tente de retrouver le calme et la quiétude. Le silence aussi, avec le vent comme le bourdonnement d’une corde de violoncelle.

 

Nouveau regard sur Zion. Comment ne pas rester humble devant une œuvre de la démesure? Des canyons désertiques et luxuriants tout à la fois. Paysage d’une beauté immense, indicible, qui se réinvente dans l’imaginaire. S’imprime dans le regard, dans l’âme et dans la mémoire individuelle et collective. (p.47)

 

Zion, un parc situé dans le sud de l’Utah, est une merveille de la nature et sa splendeur en fait un lieu de recueillement et de méditation. Comme un voyage au cœur de la matière où Rita Lapierre-Otis a vécu des moments de grâce. Comme si les pierres et les falaises portaient une forme de spiritualité.

Et elle s’attarde à sa table de travail, rêve dans son atelier, se concentre sur une grande feuille avec l’univers au bout du pinceau. Ou elle se lance dans une installation et manipule des objets, lorsque ses mains se laissent emporter par les textures, toute à la joie du toucher.

Voyages, rencontres, lectures, souvenirs des Îles de la Madeleine, le paradis que ses parents ont dû quitter pour migrer à Jonquière, tout sert à l’écrivaine qui nous invite à une fête de l’œil. Elle m’a souvent forcé à revenir sur ses phrases pour les savourer tels des chocolats fondants. Les mots, elle les fait vibrer comme des gongs.

 

BONHEUR

 

Rita Lapierre-Otis a tellement bien intégré l’esprit du carnet qui se veut une errance dans tous les matins du monde, une quête où l’on réapprend à respirer, à voir et à aimer. C’est l’écriture du vagabondage qui nous entraîne autant dans le passé que dans le présent pour apaiser nos peurs et nos angoisses. Parce que vivre est toujours inquiétant.

 

Cet étrange Bertula pendula, c’est un peu mon «arbre à chagrin»; il est souvent sur le bord des larmes et toujours confronté au temps. Et, depuis un moment, à cette pluie qui ne cesse de tomber. J’ai parfois le sentiment d’être en symbiose avec cet arbre. Il est la mémoire du paysage extérieur et celle de mon paysage intérieur. Il est le témoin de mes pensées, de mes étincelles de bonheur et de mes inquiétudes. Résistant et tout à la fois fragile, il rappelle la précarité de l’existence. (p.151)

 

L’écrivaine m’a émue en revenant sur les livres de Nicole Houde, évoquant mes ateliers, parlant avec tant de justesse de certains titres de cette romancière hors norme. Elle a vite deviné les formes et les grandes forces telluriques qui secouent les œuvres de cette écrivaine.

Quels magnifiques moments nous offre Rita Lapierre-Otis dans ce glissement imperceptible de l’été vers l’automne où tout est couleurs et textures. Peut-être à l’image des humains qui vont des exubérances de l’enfance au calme de l’adulte. Et tout au bout, l’engourdissement de l’hiver, la page blanche pour méditer et chercher la simplicité certainement, un univers dans un trait de crayon, une ligne aussi fragile que la vie. 

Rita Lapierre-Otis m’a fait découvrir encore une fois la beauté du monde, la grande pariade de l’imaginaire et du réel qui mutent à chaque seconde. Merci.

 

LAPIERRE-OTIS RITATerritoires habités, territoires imaginés, Éditions FIDES, Montréal, 2021, 24,95 $.

 

http://www.editionsfides.com/fr/product/editions-fides/litterature/territoires-habites-territoires-imagines_895.aspx?unite=001