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jeudi 17 janvier 2008

Nelly Arcan et la dictature de l’image

Depuis l’avènement de la télévision, plus que jamais, nul n’est épargné pas la tyrannie de l’image. En politique, l’arrivée d’un jeune souriant et décontracté ébranle toutes les idées. Tous se précipitent! Les programmes politiques deviennent embarrassants, les convictions et les concepts surannés. Ceux qui questionnent le courant sont étiquetés «purs et durs». Il y a eu André Boisclair, il y a Barak Oubama. Qui sera le prochain?
Cette dictature touche particulièrement les femmes qui oeuvrent dans les médias. Elles doivent demeurer séduisantes, aguichantes, adolescentes et se moquer du vieillissement. Le mythe de l’éternelle jeunesse s’est réfugié dans les studios de la télévision et du cinéma. Dieu manipule une trousse de maquillage et des éclairages savants. Que dire des comédiennes et des chanteuses interchangeables? La grande tragédie de ce siècle se trouve peut-être dans cette vénération de la représentation qui avale tout, qui masque les pires inepties.
Nelly Arcan est arrivée de nulle part dans le monde de la littérature. «Putain» et «Folle», ses deux premiers romans, ont fait saliver. Jolie, un tantinet «sophistiquée», elle a su jouer avec son image et soulever les fantasmes. Que dire de cette photo dans «L’actualité» lors de la parution de «À ciel ouvert». L’écrivaine apparaissait en petite tenue, dans un lit… Un cliché assez surréaliste si on se réfère à son ouvrage qui questionne cette manière de faire. Mais Nelly Arcand n’en est pas à une première contradiction.

Guerre de l’image

Rose Dubois. On pense à Blanche Dubois, le personnage de Tennessee William qui attire les hommes comme les papillons dans «Un tramway nommé désir». Il y a une certaine parenté en ce qui concerne la sexualité et la séduction.
La Rose Dubois d’Arcan est née à Chicoutimi où il y a «sept femmes pour un homme». Une fable qui a la peau coriace. Rose travaille comme styliste de mode, dans un milieu où l’on vit et périt par l’image. Elle doit rester jeune coûte que coûte, faire fantasmer le plus longtemps possible en recourant à la chirurgie. Le corps, maintenant, la médecine peut le modeler selon les humeurs de la saison.

Frontières

Mais jusqu’où aller dans cette métamorphose du corps, cet enfermement des femmes dans un moule où la «signature du chirurgien» est perceptible? Femme reconstruite, remodelée jusque dans leur sexe.
«L’acharnement esthétique, soutenait Julie, recouvrait le corps d’un voile de contraintes tissé par des dépenses extraordinaires d’argent et de temps, d’espoirs et de désillusions toujours surmontées par de nouveaux produits, de nouvelles techniques, retouches, interventions, qui se déposaient sur le corps en couches superposées, jusqu’à l’occulter. C’était un voile à la fois transparent et mensonger qui niait une vérité physique qu’il prétendait pourtant exposer à tout vent, qui mettait à la place de la vraie peau une peau sans failles, étanche, inaltérable, une cage.» (p.99)
Illustration dramatique de certaines femmes qui cherchent à capter l’attention du mâle par tous les moyens. Une guerre qui ne peut que mal finir.
«Elle voyait dans Julie l’être idéal qu’elle n’était pas et qu’il lui aurait fallu être, face à Charles bien sûr mais aussi face aux autres hommes qui tendaient tous selon elle vers la Femelle Fondamentale, vers une sorte de modèle inscrit depuis le début des Temps dans leur sexe et vers lequel ils marchaient, patron à même ADN qu’ils suivaient de leurs érections, comme un seul homme.» (p.117)

Écriture

Si le questionnement de Nelly Arcan est fort pertinent, l’écriture gâche un peu la sauce.
«Charles regardait Julie toujours à son goût parce qu’il ne savait pas, à cause des poids échangés et de conseils donnés, à cause de l’échange officiel des prénoms, s’il devait la saluer. Julie regardait les grands pots de glaces et Charles regardait Julie, parce qu’elle était toujours à son goût, oui, mais surtout pour expédier le salut, pour remplir la tâche d’être poli.» (p.34)
Magnifique charabia! J’ai recommencé deux fois «À ciel ouvert» tellement ce salmigondis me hérissait. Les chapitres qui s’amorcent tous par une même description du ciel de Montréal et des nuages finissent par faire hausser les épaules.

«À ciel ouvert» de Nelly Arcan est paru aux Éditions du Seuil.

jeudi 12 octobre 2006

Jacques Godbout continue de déranger

Jacques Godbout a soulevé la colère, récemment, en se demandant dans le magazine «L’actualité», si le Québec francophone et blanc ne disparaîtrait pas faute de combattants d’ici une cinquantaine d’années.
Il jonglait avec le comportement des arrivants et le taux de natalité des francophones de la Belle Province. Il ne faut pourtant pas être sorcier pour constater que beaucoup de nouveaux Québécois s’intègrent mal aux francophones et reconstituent ici les conditions qui prévalaient dans leur pays d’origine en s’installant à Montréal.
Jacques Godbout a été injurié dans les journaux montréalais. «Le Devoir», particulièrement, a publié des lettres hargneuses et myopes.
Moralité : les évidences ne sont pas bonnes à dire et autant enfiler des gants blancs pour parler de la nation québécoise et de son avenir. Demandez à Jacques Parizeau. Il est devenu un raciste pour une phrase malheureuse prononcée à la suite des résultats du dernier référendum.

Empoignade

Les questionnements au Québec tournent souvent à l’empoignade. On préfère les divagations de certains mentors, les vérités d’un Stéphane Gendron, maire de Huntingdon et gourou de service.
Plus inquiétant, l’âgisme règne de plus en plus dans les tribunes populaires. Les baby-boomers héritent de tous les travers et de toutes les tares. Pour plusieurs, le Québec est né en 1980. Ceux qui étaient là avant devraient se recroqueviller dans leur chaise berçante. Surtout, ils n’ont pas le droit de protester ou de réfléchir.
Ces stupidités servent à braquer les générations. Comme si un pays n’était pas constitué de nouveaux arrivants, d’enfants, d’adolescents, de travailleurs et de retraités.
J’ai même lu sur un blogue que Jacques Godbout avait tout orchestré pour promouvoir la vente de son dernier roman. C’est pousser le cynisme pas mal loin. Il ne faudrait quand même pas oublier qu’il est l’un de nos littérateurs importants au Québec. «L’aquarium», «Le couteau sur la table» et «Salut Galarneau» ont marqué une génération de lecteurs, y compris la mienne. Il m’a ouvert les portes de la littérature québécoise en quelque sorte. Et comment oublier son travail de cinéaste…

Réflexions

Jacques Godbout a toujours questionné notre «société marchande» et les médias qui jonglent avec des images usées. C’est peut-être pourquoi on aime tellement l’attaquer. Il ne faut pas oublier non plus qu’il demeure le fondateur de l’Union des écrivains et des écrivaines du Québec et qu’il n’est pas étranger au succès des Éditions du Boréal.
Nous avons la mémoire courte au Québec et les clichés nous plaisent en autant que tout le monde en parle.
Heureusement, Jacques Godbout n’abdique pas. L’écrivain s’amuse dans son dernier roman en suivant un Québécois à Paris, un jeune retraité qui croit changer la littérature. Godbout connaît bien le sujet. Les Québécois ont beau être édités en France, ils restent des écrivains connus au Québec avant tout. Tout le milieu le sait sauf les journalistes qui crient au miracle à chaque fois qu’un écrivain publie au Seuil ou chez Robert-Laffont. Il suffit de lancer un roman à Paris et il va faire la Une de tous les journaux d’ici. Ce cirque tient de la pensée colonialiste et sert à jeter de la poudre aux yeux.

Nouvelle jeunesse

«La concierge du Panthéon» est un roman vif, pétillant, plein de sourires et de bulles stimulantes. Jacques Godbout a gardé sa jeunesse et son humour propre. Il montre les tourments qui secouent certains littérateurs du Québec et questionne encore une fois notre identité si fragile.
«Je venais à Paris pour une métamorphose, une transmutation, j’avais laissé derrière moi ma vieille pelure, je croyais pouvoir m’adresser à mes confrères, un peu comme un Martien qui, tout frais descendu de son astronef, partirait à la recherche du chef des Terriens. Le chef me reconnaîtrait, me fournirait tout ce dont je pouvais avoir besoin pour mener à bien ma tâche et rentrer quelques mois plus tard au pays, avec la satisfaction du devoir accompli.» (p.16)
Oui, monsieur Godbout, continuez à nous montrer nos contradictions même si cela fait hurler les guichetiers de la nouvelle bienséance. C’est signe que vous demeurez pertinent et que vous êtes nécessaire au Québec. J’espère que vous serez, encore longtemps, le malcommode que vous avez toujours été. «La concierge du Panthéon» se lit le sourire aux lèvres. Vous m’avez procuré un vrai plaisir de lecture.

«La concierge du Panthéon» a été publié aux Éditions du Seuil.

lundi 14 août 2000

L'enfance reste un sujet inépuisable et fascinant

Robert Lalonde ne s'en est jamais caché. Depuis le tout début de son aventure d'écrivain, il voyage dans son enfance et le monde qui l'entoure. Il a besoin de racines, des arbres chargés de feuilles, des vents qui bousculent le ciel, de ces odeurs fortes et enivrantes qui imprègnent son écriture. Je n'hésite jamais à suivre ce fouineur qui plonge dans les livres comme un chien troublé par les effluves des mots. «Le Vacarmeur» qui a précédé de quelques semaines la parution de «Le vaste monde», est de cet ordre.
Ici, Robert Lalonde, dans une dizaine de courts textes, parcourt le territoire qui marque l'adulte à jamais. Il aime les frontières, ce pays où l'adolescent n'est plus un enfant mais pas encore un homme vraiment. Prisonnier d'un corps troublé par des pulsions d'adulte, le jeune Vallier découvre la sexualité, la dureté du monde et ses brutalités, la douceur et l'envoûtement qui viennent souvent quand un vent parfumé ébouriffe les arbres et ride l'eau du lac. Parce que ce «vaste monde», celui du Survenant peut-être, fascine tout être curieux et fureteur.

Errance

Vallier épie les gens à l'église, au village, au grand magasin, suit des pistes, se perd la nuit en naviguant sous les étoiles, dérive dans un champ bourré de trèfles; retient son souffle dans la maison familiale où la folie comme la sagesse entrent sans frapper. Parce que les chemins de la vie sont parsemés d'obstacles qui marquent à jamais.
Vallier voit ses parents se coltailler avec les jours et rêve de faire les choses autrement. Un père aux gestes patients qui transforme la réalité avec, à ses côtés, une mère qui retrouve toujours le sol en puisant dans la sagesse populaire, les expressions qui nous enseignent un art de vivre.
Temps d'arrêt sur un monde un peu inquiétant, rencontre d'humains qui perdent les phrases et qui se jettent dans la rivière ou la folie quand ils n'en peuvent plus des servitudes. Il faut suivre Angélique qui, consciente de son destin, devine que l'avenir la broiera.
«Comment penses-tu qu'une femme se sent, toi, devant eux, avec sa jupe jusqu'à terre, sa vertu qu'elle tient à deux mains, pareille au chaperon rouge épié par le loup ? Être étripée, n'avoir plus qu'une carcasse molle et sans âme à leur laisser, merci bien, merci beaucoup!» (p.114)
 Vallier écoute, rêve, effleure, sent, souffle sur cette destinée qui l'entraînera au-delà des horizons. Jamais il ne se laissera entamer par la banalité du quotidien qui casse les êtres et coupe les élans. «J'étais né pour tout connaître et tout savoir». (p.113)
Ce désir de voir, de «savoir» porte le livre. Rires, larmes, tout repose sur cette manière de dire. Et puis Robert Lalonde nous fait voir la vie qui se fait et se défait selon les rythmes des saisons et des rencontres. Le lecteur ne peut qu'être remué par la justesse et le ton de ces récits. Après tout, qui peut oublier son enfance! Alors autant en faire un monde magique et étonnant.

«Le vaste monde» de Robert Lalonde est paru aux Éditions du Seuil.