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mercredi 25 juillet 2018

LE FRÈRE MARIE-VICTORIN ÉTONNE

Le frère Marie-Victorin est bien connu pour son travail scientifique et particulièrement pour La flore laurentienne qui fait encore autorité même si l’ouvrage a été publié pour une première fois en 1935. Je garde précieusement ses Récits laurentiens parus en 1919 dans une édition qui ne se fait plus et qui demeure un objet précieux. Une pièce d’anthologie, je crois. C’est à lui aussi que nous devons Le Jardin botanique de Montréal qui a été érigé à partir de 1931, surtout de l’avoir voulu dans l’est de la ville malgré un tollé de protestations de la part des biens nantis de l’Ouest. Ce lieu tient tellement de place dans l’œuvre romanesque de Nicole Houde qu’il faudrait songer peut-être à y signaler sa présence dans un petit espace, tout près des magnolias, qu’elle aimait tant. Ce que le public connaît moins du frère Marie-Victorin, c’est la grande amitié qui l’a uni à Marcelle Gauvreau pendant des années. Une collaboratrice, une curieuse, une histoire d’amour certainement malgré les croyances religieuses de l’homme et de la femme.

Le frère des Écoles chrétiennes, connu surtout sous le nom de Marie-Victorin, était reconnu comme biologiste. Il a eu une vie publique importante et était une figure marquante du monde scientifique de son époque. Il était une sorte de phénomène et de vedette avant même la dictature de l’image et des médias sociaux.
Nous savons qu’il s’intéressait aux plantes, à la flore, mais moins que les relations sexuelles le fascinaient. Au point d’y consacrer une partie importante de sa vie à la décrire et l’étudier. Il s’est penché sur cette question d’une façon plutôt originale, malgré son statut de religieux. Ce fut le sujet d’un échange épistolaire suivi avec Marcelle Gauvreau, une scientifique qui avait un esprit particulièrement libre et audacieux. Leurs lettres se suivront pendant une décennie.
Pas question d’allégories ou de métaphores pour parler de la sexualité entre l’homme et la femme. Le frère Marie-Victorin y va directement et tente de décrire le tout avec précision pour cerner des faits et comprendre ce qui se passe physiologiquement dans l’acte qui permet depuis toujours aux humains de se reproduire et de perpétuer l’espèce.

Mon père était un homme puissamment sexué. C’est un trait des Kirouac qui ont tous d’énormes familles. Chez nous, onze enfants, les cinq filles toutes vivantes. Des six garçons, je suis le seul survivant, et vous le savez, combien difficilement ! Gène létal sur le chromosome X probablement. Il est clair pour moi que mon père, très amoureux de sa femme, la plus belle fille de Saint-Norbert, ai-je toujours entendu dire là-bas, dut lui faire partager une vie génitale très chargée. (p.58)

Le frère n’hésite jamais à parler de ces choses en des termes précis et simples, ce qui n’était guère la norme de son époque.
Marcelle est devenue son alliée dans cette recherche et une précieuse collaboratrice parce qu’elle lui donnait le point de vue de la femme. Il pouvait ainsi étudier les deux côtés de la médaille.

CORRESPONDANCES

Des lettres étonnantes où les amis s’attardent à décrire la sexualité et ses manifestations (dommage que l’on n’ait pas les lettres de Marcelle Gauvreau) lors des ébats amoureux ou des manifestations du désir et de l’attirance sexuelle. Marie-Victorin étudie particulièrement les organes féminins et ses réactions physiques lors de l’excitation sexuelle. Il interroge son amie sur le sujet et ils s’attardent à décrire leurs sensations devant cette stimulation qui mobilise tout le corps.

C’est le smegma clitoridis qui est surtout la source de l’odeur génitale féminine, l’odor di femina avec toutes ses nuances personnelles et ses demi-tons, avec son attrait pour le sexe mâle, lorsque le smegma est sécrété en quantités limitées. Mais la sécrétion est exagérée (elle l’est si elle devient visible à l’oeil nu), l’odeur par fermentation devient désagréable et même… pire, surtout s’il y a d’autres sécrétions surajoutées : urines, menstrues, etc. Vous savez beaucoup mieux que moi, sans doute, quels sont les soins de propreté à apporter en cette matière. (p.69)

Les deux restent des observateurs méticuleux et cherchent à comprendre ce qui entre en interaction chez la femme et l’homme lors des approches sexuelles. Le frère force Marcelle à être plus précise et l’encourage à être attentive lors de certaines expérimentations. Les deux font fi des tabous qui faisaient que les religieux parlaient peu de ce sujet et utilisaient souvent un langage allégorique quand ils abordaient la question. La sexualité étant réduite souvent à l’acte qui permettait la reproduction et rien d’autre.
Je n’ai jamais vu ou assisté à des marques d’affection entre mon père et ma mère. Jamais mes parents n’ont manifesté leur attirance ou le plaisir devant nous les enfants. Pourtant, ils ont eu une famille nombreuse. Toute leur sexualité est demeurée secrète et discrète. Un sujet tabou. Cet aspect de la vie prenait parfois des allures démentes chez certains hommes de la paroisse, allant jusqu’à l’agression et le viol. La littérature nous raconte souvent des histoires horribles et j’ai affronté ce secret dans Les Oiseaux de glace où je raconte le calvaire d’une de mes tantes, battue et violée par son mari, avec la complicité du curé et de tout le monde qui fermait les yeux.

Je ne sais pas si vous avez besoin de ce que je vais vous dire. Peut-être ! C’est vous qui savez si cette nécessaire manipulation du clitoris causera érection et peut-être orgasme et décharge. Mais le bon sens, d’accord avec la théologie, indique que, le but de la manipulation étant légitime, les effets secondaires sont légitimes aussi. Il ne faut dont pas se troubler ni hésiter. Ni l’érection ni l’orgasme ne sont d’ailleurs des maux, ce sont des actes naturels dont on peut abuser, voilà tout. (p.92)

Le frère Marie-Victorin fait preuve d’une ouverture d’esprit remarquable et trouve ces plaisirs normaux et sains. Il se marginalise du milieu religieux et de ses confrères même si jamais il interroge sa foi. Cette correspondance lui permet d’aller très loin dans cette recherche et surtout dans la compréhension des contacts entre l’homme et la femme.

CUBA

Le religieux, lors de ses séjours à Cuba, rencontre des prostituées et observe leurs comportements lors de leurs sessions de travail. Il reste celui qui regarde et étudie l’orgasme de quelques filles. C’est un peu troublant, surtout quand on apprend que l’une des filles était sans doute d’âge mineur. Il raconte ces séances d’observations à Marcelle dans le moindre détail.

Et maintenant, une troisième femme. Lydia, courtisane. Je vous ai dit déjà que je pense que rien de ce qui est humain n’est interdit à la curiosité scientifique, et que j’assisterais en toute tranquillité de conscience à un coït si l’occasion m’en était donnée sans scandale. Cette occasion s’est présentée, et j’ai fait, en même temps que des observations biologiques de très grand intérêt pour moi, une grande expérience humaine qui m’a ouvert les yeux et m’a rendu encore plus bienveillant, s’il était possible. (p.147)

Il ne faut surtout pas se scandaliser même si notre époque veut que l’on brise toutes les statues en se penchant sur la vie et les agissements de ceux qui ont fait l’histoire. Le frère Marie-Victorin n’avait rien d’un prédateur et d’un pédéraste. Il reste le témoin et n’ira jamais jusqu’à expérimenter l’acte sexuel, même par esprit scientifique.
Une attitude originale dans une société pudibonde qui faisait tout pour dissimuler cet aspect de la vie même si elle était omniprésente dans les nombreuses familles.
Malgré tout, le frère prouve qu’il est bien un homme de son époque dans certains aspects de la vie. Il aura de la difficulté à comprendre et accepter l’homosexualité.

C’est une terrible histoire que vous me racontez là au sujet de ce prêtre homosexuel ! Mon Dieu, vous avec de la déveine, dans votre famille. Je n’oublie pas l’assaut que vous avez subi de la part du vieillard lubrique (que j’ai vu et entendu à l’hôtel Pennsylvania !), du vieux cochon de la Rivière-Beaudette, etc. L’homosexualité poussée à ce point est une véritable maladie, qui déshonore le monde des intellectuels. Il faut pardonner au prêtre qui, en un jour d’égarement, cède à son tempérament et goûte de la femme, fruit défendu pour lui. Il faut plaindre l’homosexuel emporté par une tendance biologique anormale dont il n’est pas entièrement responsable. Mais le ménage à trois, combinant toutes les turpitudes, est quelle chose d’innommable, quoique pas nouveau. Mais retenez bien que les pervertis ont l’horreur de la femme. (p.136)

Tout comme il écrit des généralités sur les Noirs qui peuvent faire sourciller. Certains commentaires aussi sur la sexualité féminine démontrent qu’il était très bien intégré à la société patriarcale et à la mentalité religieuse qui régnait sans partage alors sur le Québec.
Une correspondance étonnante, des propos qui ne disent pas tout et qui laissent des questions sans réponses. Chose certaine, le frère Marie-Victorin avait une moralité et une pensée qui se distinguaient de la norme de son temps. Une approche ouverte et permissive qui donne un portrait tout à fait différent de ce que nous entendons normalement de la Grande Noirceur où nous avons l’impression que tout était interdit, surtout en ce qui concerne la sexualité.
Un livre qui fait du bien et qui montre que la pensée avait sa place même dans un milieu social où tout était contrôlé par la confrérie religieuse qui avait tendance à voir le mal dans tous les agissements des femmes et des hommes.


LETTRES BIOLOGIQUES du Frère MARIE-VICTORIN est une publication des ÉDITIONS du BORÉAL.