CAROLINE VU, dans Palawan, revient sur la période
difficile de son enfance. Comme plusieurs de ses concitoyens, elle a fui le
Vietnam après le départ des Américains en 1973. Un voyage risqué sur des
bateaux en mauvais état. En plus, il y avait toujours la hantise des pirates
qui abordaient ces embarcations, violaient les femmes après avoir dépouillé
tout le monde. La mort rôde. Kim est poussée sur un bateau par sa mère et navigue
vers l’ailleurs. Elle veut se rendre en Californie où vit une tante, se
retrouve à Palawan, dans un camp de réfugiés, doit se débrouiller avec la
famille de tatie Hung, survivre dans des conditions terribles. La rencontre
avec un médecin français va changer sa vie.
Kim se retrouve
sur une de ces embarcations qui pourraient couler à la prochaine vague. Sa mère
l’a confiée aux soins d’une voisine qui migre avec sa famille. Elle se retrouve
dans un camp de réfugiés et doit trouver à manger, des brindilles pour le feu,
aller chercher de l’eau. La vie est difficile, mais il y a l’espoir de partir dans
le paradis des Américains. Tous rêvent de se rendre là-bas et de faire venir leurs
proches pour tout recommencer, toucher enfin au bonheur.
Kim devient traductrice
auprès des autorités médicales puisqu’elle parle français. Une solide amitié se
noue entre le docteur Jacques et la petite fille qui fait tout pour venir en
aide aux siens.
MENSONGE
Et arrive la
chance de partir. Kim ment, se fait passer pour une autre et migre
aux États-Unis. Elle répète le geste de son père, ce qu’elle a cru voir à la
télévision. Il a repoussé une vieille femme, a pris sa place dans l’hélicoptère.
Kim débarque à
Derby au Connecticut, dans une famille qui la dorlote et fait tout pour la rendre
heureuse. Une mutation, un changement de corps presque.
Une femme joyeuse
et volubile se détacha du groupe. Elle gesticulait, toute excitée, en venant à
ma rencontre. Elle portait des lunettes fumées orange, des boucles d’oreilles
roses, ballantes, et un chapeau rouge. Une écharpe violette s’ajoutait à son
manteau bleu vif. Cette femme haute en couleur se présenta elle-même ; Mary
Thompson. Elle serait ma mère d’accueil en Amérique. Sa gentillesse apaisa
quelque peu mes inquiétudes. Mais sa tenue vestimentaire excentrique me fit un
peu peur. Et si c’était une sorcière ? (p.136)
Son adaptation à
la vie américaine se fait bien, même si elle sait qu’elle a pris la place d’une autre qui est peut-être morte de faim. Cette
question la hante malgré des études, la vie facile et l’attention de sa
nouvelle famille. Qui est-elle ? Une Américaine ou une Vietnamienne ? Une
tricheuse. Cette question obsède bien des immigrants. Les
enfants de ces réfugiés ne se souviennent de rien et ne veulent souvent rien
savoir de leur pays d’origine. Ils font tout pour passer inaperçus.
Kim Thuy a bien
fait ressentir ce malaise dans son roman Vi
où elle retourne au Vietnam, ressentant un étrange malaise dans le pays de ses
origines. Elle sait qu’elle est une étrangère et tout le monde lui fait
ressentir qu’elle n’est plus des leurs malgré les apparences. Un choc, un refus
de ce qu’elle croyait être profondément.
QUÊTE
Kim cherche à
savoir ce qui est arrivé à ceux et celles qui attendent encore, gardent espoir,
tente de mettre des images sur sa traversée dont elle ne se souvient pas.
Une véritable hantise. Après avoir fait médecine à Montréal, elle tente de
retrouver cette tante mythique en Californie, se rend compte du subterfuge de
sa mère. La tante américaine n’existe pas. Elle retourne à Palawan comme
médecin pour démêler des fils.
Oui, je renonçais
à Claude pour un projet dans le Sud-Est asiatique. J’échangeais l’amour d’un
homme contre la poursuite de ma destinée. Ou peut-être pour suivre les traces
d’un autre homme ? Comme une criminelle qui revient sur la scène de son crime,
cela me démangeait de retourner sur les lieux qui m’avaient transformée en
menteuse. Derrière mon masque de médecin se cachait une jeune immigrante
illégale qui aurait pu être déportée. Je devais l’assumer. (p.265)
Et la voilà dans le rôle du docteur Jacques qu’elle n’oublie pas. Elle écoute
les histoires des réfugiés qui ne demandent qu’à raconter leurs pérégrinations.
Certains disent la vérité, d’autres inventent une histoire pour se rendre
intéressants, pour réussir peut-être à partir. Elle retrouve un garçon, son
premier amour qui est devenu proxénète. Un choc. Dans la misère, il y a
toujours quelqu’un pour exploiter les plus misérables. Elle se rend au Vietnam
pour boucler la boucle, retrouve sa mère dans sa ville d’origine.
L’infatigable, la travaillante souffre de la maladie d’Alzheimer et ne
reconnaît pas sa fille.
Dans la chambre
qu’elle partageait avec cinq autres patients, ma mère me regarda, déroutée. Ses
cheveux en broussaille, sa bouche qui bavait et l’odeur de sa couche qui
n’avait pas été changée me prirent complètement au dépourvu. Ce n’était pas de
la dépression. C’était de la démence précoce. (p.327)
Une rencontre
pénible. Kim ne retrouve pas la mère volontaire, celle qui décidait de tout
dans cette vieille femme qui la regarde étrangement. C’est le choc. Et
peut-être aussi que pour survivre, pour oublier son malheur, il vaut mieux oublier.
Kim se rend compte
de la futilité de sa démarche. Les histoires qu’elle écoute ne changeront
jamais son passé. Elle a beau compatir avec cette petite fille forcée de se
prostituer, rien ne peut la rassurer, rien ne peut changer dans sa vie, dans ce
qu’elle a fait et est devenue. Le passé est tout autant une fiction que la
réalité et l’avenir. Elle apprend que son père n'a jamais quitté le Vietnam. Son imagination a tout fait. Peut-être qu’il vaut mieux ne pas se souvenir, tout
effacer comme sa mère afin de mieux respirer. Il y a des vies si
lourdes, si terribles, qu’il vaut mieux fermer les yeux et s’éloigner tout
doucement.
SOUVENIR
Kim finira par se
rappeler du voyage qui l’a fait passer du Vietnam à Palawan. Elle a connu
l’horreur. Le capitaine a violé tatie Hung à répétition devant tout le monde pendant
cette traversée. Des gestes d’une barbarie incroyable. Devant tous les réfugiés
pour les humilier. Son mari faisait semblant de dormir pendant ces agressions
sauvages. Des souvenirs douloureux. Comment tatie Hung a-t-elle pu survivre à cette
horreur ?
Pendant toutes
ces années, j’ai ressassé ma perte de mémoire. Je me rends compte aujourd’hui
que cela n’a plus d’importance. Me rappeler mon trajet en bateau n’aurait rien
ajouté à ma vie. Vous, vous avez oublié une vie entière ; que sont mes deux
semaines d’oubli en comparaison de vos cinquante années d’amnésie ? (p.337)
Cette question d’identité
m’a touché particulièrement. Qui on est quand on vit au Canada tout en croyant
appartenir au peuple du Québec ? Bien sûr, nous n’avons pas connu l’horreur de
ces Vietnamiens qui ont fui en risquant leur vie et en subissant toutes les
humiliations. Kim comprend que l’on survit en acceptant sa
vie, en la racontant pour le meilleur et le pire. L’écriture sert à ça peut-être,
se donner une mémoire, une autre mémoire. Ce qui est important, ce n’est pas tant
la vérité que ce fil qui permet d’avancer et de trouver sa place.
« Vivez l’instant
présent. Ne regardez ni en arrière ni en avant. Ne regrettez pas le passé et ne
craignez pas l’avenir. Ce sont les paroles du Bouddha. » (p.355)
La quête de
Caroline Vu m’a beaucoup touché même si on hésite tellement à parler d’identité
au Québec. Le passé est ce qui constitue un individu et tous nous devons avoir
une histoire pour respirer dans le moment présent. Nous devenons celui que nous
voulons être, celui que nous cherchons en se faisant médecin ou encore
écrivain. C’est peut-être la meilleure façon de se réinventer que de s'attarder à
une phrase, raconter son histoire pour se dissimuler et changer de peau.
Un roman qui en
dit beaucoup sur ces gens qui doivent fuir pour ne pas mourir, qui s’installent
dans un pays tellement différent de celui qu’ils ont quitté. Ils restent
souvent coincés entre deux mondes, ne sachant trop qui ils sont. Ils changent
leur histoire, oublient leur passé ou tentent de le secouer pour avancer sans
trop claudiquer. La vie exige ça. La vie d’un humain demande une histoire, un
récit. Celui qui ne sait pas d’où il vient ne sait pas où il va. Et c’est
peut-être la plus étrange des fictions qu’une vie, particulièrement pour ceux
et celles qui partent par une nuit particulièrement
sombre, sur une embarcation où les pires atrocités peuvent arriver. Caroline Vu
n’oublie pas, écrit pour respirer, être, se tenir bien droite. Elle y réussit parfaitement.
PALAWAN
de CAROLINE VU est paru aux ÉDITIONS de LA PLEINE LUNE.
http://www.pleinelune.qc.ca/titre/459/palawan