vendredi 4 novembre 2016

Christian Guay-Poliquin donne vie à l’hiver

LE PERSONNAGE DE Christian Guay-Poliquin, celui du Fil des kilomètres, est de retour. L’homme parcourait le continent pour rentrer dans son village après une longue absence. Tout se déglinguait. Une panne d’électricité généralisée, la société qui s’arrête dans un hoquet. À l’arrivée, un accident d’auto le laisse plus mort que vivant. Dans Le poids de la neige, nous retrouvons le même homme, les jambes immobilisées dans des attelles de bois. Matthias s’occupe de la maison, un peu en retrait du village. La recherche de nourriture occupe tout le monde. Et cette neige qui tombe sans arrêt et menace d’avaler le pays.

J’ai relu la fin du premier roman, pour retrouver les questions des villageois qui ont secouru le voyageur. Son père, qu’il voulait retrouver, est mort, heurté par son auto peut-être. Il ne sait plus. Une femme conduisait, du moins il le croit. Personne n’a vu la passagère. Il a peut-être tout imaginé avec cette traversée hallucinante.

L’accident a été violent. J’étais confus. Je rêvais à ma voiture. Je cherchais mon père. Mes souvenirs se chevauchaient. Je revoyais sans cesse la scène. Des jours et des nuits de route. La panne d’électricité, les stations et des nuits de route. La panne d’électricité, les stations services dévalisées, les milices au bord des routes, la panique dans les villes. Et soudain, à quelques kilomètres du village, dans la lumière fatiguée des phares, deux bras levés vers le ciel. Les pneus qui crissent sur la chaussée. Un coup de volant. Un impact sourd. Le sang. Les fissures dans le pare-brise. Les tonneaux. Mon corps éjecté de l’habitacle. Puis le poids de la voiture renversée  sur mes jambes. (pp.28-29)

Matthias voulait voyager pour se changer les idées et son auto est tombée en panne à l’entrée du village. Il veut retourner en ville, retrouver sa femme, mais plus personne ne s’aventure sur les routes depuis que le pays s’est déglingué. Les chemins sont des coupe-gorges. La barbarie règne, le monde régresse. Les villageois effectuent des rondes pour protéger le peu qu’ils ont. Tout étranger peut être un ennemi. Surtout, il faut résister à cet hiver qui ne veut plus desserrer son étreinte.
Dans la maison silencieuse, le temps s’écoule lentement, s’accroche aux gestes de Matthias. Le blessé dort, guette le vent, le froid par la fenêtre avec une longue-vue. Il y a les visites de Maria et Joseph pour briser la routine, les médicaments et les pansements qu’il faut changer.

Je n’arrive pas à trouver le sommeil. Je pense à Maria, à sa façon de me parler, de rire devant mon silence, à la douceur de ses mains quand elle inspecte mes blessures, aux souvenirs qui surgissent quand je la vois. Il y a longtemps qu’elle est venue me voir. Le temps cicatrise ce qu’il peut, mais rien n’est joué. Je suis toujours étendu là et je regarde les journées se donner le relais en espérant que mes jambes pourront me porter de nouveau, un jour. En attendant, Matthias me soigne et me nourrit. Je sais qu’il n’a pas vraiment le choix. Nous sommes prisonniers l’un de l’autre. (p.73)

Matthias s’occupe du blessé en échange de bois de chauffage et de nourriture. Au printemps, on lui a promis qu’il pourrait retourner en ville, participer à une mission de reconnaissance.

HIVER

La neige impose sa loi et empêche les gens de s’évader, de respirer presque. La forêt, comme une muraille, rassure un peu. Le pays est toujours là. Un mot, une casserole oubliée sur le poêle, le bois de chauffage, le feu à entretenir, les pansements à changer, la nourriture et certains plaisirs comme une cigarette ou un verre de vin, voilà le quotidien. La vie est attente, hibernation. 
Maria fait rêver. Le blessé l’a connue dans son enfance, à la petite école. Et Joseph qui vit en marge du village et fait ses affaires. Le couple disparaît sur une motoneige et personne ne sait où ils sont passés.
Et pourquoi la famille du blessé n’est pas revenue du camp de chasse à l’automne ? Que de questions dans ce roman ! La neige écrase le monde et les individus. Au point de faire céder le toit. Rarement, j’ai senti l’hiver comme ça. Elle devient un personnage, une force impitoyable. Il ne reste qu’à tourner autour du poêle pour garder sa chaleur, survivre comme une bête dans sa tanière.

RETOUR

Le blessé finit par bouger dans la maison avant de se risquer à l’extérieur. Lente reptation, retour à la vie, espoir de retrouver une forme d’autonomie. Les villageois transforment un autobus sous la direction du mécanicien avant de prendre la fuite, abandonnant Matthias et Jonas, un idiot qui garde les vaches.
Les voilà des errants, des ombres qui cherchent comme des chiens redevenus sauvages. Il faut trouver de la nourriture, pêcher sur le lac derrière la colline. Que faire quand la société est morte, quand tous les objets et outils sont devenus inutiles ? Que faire devant la fin du monde ? Seuls les plus débrouillards et les plus rusés survivront.

Ils sont partis, répète-il sèchement. Ils ont menti à Jonas, ils ne reviendront pas. J’aurais dû m’en douter. L’obscurité gagne la véranda, mais aucun de nous deux ne semble prêt à fournir un effort pour allumer la lampe à l’huile. J’ai l’impression que Matthias fait la même chose que moi, il compte les gouttes d’eau qui tombent en essayant de trouver le sommeil. Pour l’instant on a encore de bonnes réserves, dit-il après un moment, mais il va falloir s’organiser autrement pour la nourriture. On n’a pas le choix. Je fais comme si je n’avais rien entendu et je pense à la valise qu’il cache de l’autre côté. Et au réveil dans la poche de ma veste. (p.195)

Véritable exploit de Christian Guay-Poliquin qui transforme le quotidien le plus terne, le plus répétitif en suspense. Nous redécouvrons des gestes essentiels. Un repas ou quelques pas dans la neige, le plaisir de goûter une sucrerie ou une cigarette. J’ai embarqué physiquement dans le combat des survivants. Je me suis affolé quand le toit de l’appendice où ils vivent s’est écroulé, quand ils défont les cloisons de la maison pour entretenir le feu. Tous meurent de faim et de froid dans ces maisons glacées comme des cercueils. Personne ne peut venir en aide à Matthias et l’éclopé qui réapprend à bouger.

PRÉSENCE

Quel roman sur la neige et l’hiver, la présence insoutenable du froid et de la poudrerie ! Tous les gestes, tous les mots vous enfoncent dans les jours qui semblent s’être figés. Guay-Poliquin s’impose avec un minimum d’effets. Ce qui aurait pu devenir répétitif et lassant m’a gardé en éveil comme si je devais lutter de toutes mes forces pour survivre.

Et pourquoi je ne suis pas arrivé à laisser le passé s’éteindre de lui-même, dans les arcanes de ma mémoire. Je voulais revoir mon père, je voulais changer le cours des choses et j’ai échoué sur toute la ligne. Mon père est mort avant que je puisse lui parler et, quoi que je fasse, quoi qu’il m’arrive, je resterai toujours, comme lui, un mécanicien. Les grands choix de ma vie ont été faits il y a longtemps, je dois composer avec eux. (p.228)

Et quand le pays se laisse un peu apprivoiser par le soleil, quand Matthias peut enfin retourner en ville, du moins tenter de le faire, le blessé part pour le camp de chasse de sa famille. Qu’est-il arrivé dans la forêt ? Pourquoi ils ne sont pas revenus avec les autres ? Au moins, il aura son territoire, un chez lui peut-être…
J’imagine une suite. Il reste encore bien des questions. Pourquoi cette panne d’électricité ? Quels chemins vont prendre les survivants ? Un suspense, mais surtout un recommencement du monde. Il suffit de si peu pour que tout se détraque et que nos gadgets deviennent obsolètes. On l’a vu lors de la crise du verglas en 1998. Le portable, le téléphone intelligent sont bien peu utiles quand il faut se battre pour un peu de nourriture, couper du bois ou entretenir un feu jour et nuit. 
Ce roman subjugue et vous fait vivre la plus grande des aventures, celle de la survie, de la lutte quotidienne contre le froid et la neige, ses semblables transformés en loups.
Un retour à l’animalité que nous croyons bien loin quand nous nous étourdissons dans nos occupations futiles, quand nous débattons sur l’habillement d’une chanteuse au gala de l’ADISQ. Christian Guay-Poliquin nous ramène à l’essentiel, à ce qui fait la vie. Une expérience de lecture particulièrement intense.

LE POIDS DE LA NEIGE de CHRISTIAN GUAY-POLIQUIN a été publié aux ÉDITIONS LA PEUPLADE.


PROCHAINE CHRONIQUE : LA BIEN-AIMÉE DE KANDAHAR de FÉLICIA MIHALI, publié chez LINDA LEITH ÉDITIONS.