mardi 22 novembre 2016

Et si Charles Darwin avait été très mal compris

UN PROFESSEUR DE BIOLOGIE se rend au Chili pour un colloque et en profite pour prolonger son séjour en compagnie de sa femme. Les voilà sur les traces de Charles Darwin qui a visité le pays dans les années 1830 lors de son célèbre voyage. Un périple de presque cinq ans qui devait changer le regard du naturaliste sur le monde et les êtres vivants. Le narrateur se questionne sur les concepts, les hésitations de Darwin, l’évolution des espèces. Une pensée qui a bouleversé les idées convenues sur les origines du monde. Une véritable révolution que nous n’avons peut-être pas comprise et que nous interprétons souvent de façon erronée.

Charles Darwin, en publiant L’origine des espèces en 1859, presque trente ans après la fin du voyage qui allait changer son regard sur l’univers, bousculait la pensée de ses contemporains, remettait en question leur rôle sur la planète. Un tournant qui secoue les croyances, ébranle les concepts religieux qui avaient des réponses à toutes les questions. Certains regards ont bouleversé des dogmes au cours des siècles. Il en a été ainsi quand Nicolas Copernic a démontré que la Terre tournait autour du Soleil, abolissant la certitude que notre planète était le coeur de l’univers. Charles Darwin, en parlant de l’évolution et de l’origine des espèces, de la diversité des êtres qui ont tous une même origine, bouleversait les certitudes de son époque. Et surtout, il ébranlait l’affirmation que l’homme avait été créé par Dieu et qu’il était devenu par l’effet même le maître du vivant.

Il y a des centaines de millions d’années que cette histoire a commencé. Comme son fil conducteur n’est pas du tout explicite, plusieurs personnes, depuis des temps immémoriaux, ont tenté d’en deviner le scénario. Or, plus on en sait, plus on en vient à douter qu’un tel scénario existe. C’est comme si l’évolution de notre planète empruntait les mêmes chemins tortueux que la genèse d’un roman. (p.62)

L’humain, sa place, son rôle changeaient du tout au tout avec les idées de Charles Darwin. Il devenait une espèce vivante, parmi les autres, l’une de celles qui avaient réussi son adaptation de façon spectaculaire. Il en a été ainsi de la découverte de la relativité par Albert Einstein qui allait réviser les lois de la physique et permettre de penser autrement les forces qui régissent l’univers. Voilà des tournants de la pensée humaine qui modifient totalement notre regard sur la vie, la place de l’homme dans l'histoire et nos façons de faire.
Mais a-t-on lu Darwin, l’a-t-on bien compris ? On a souvent réduit son regard à des clichés voulant que « l’homme descende du singe » sans trop se demander ce que cela signifiait vraiment. 

Le manuscrit de L’origine des espèces était d’ailleurs à peine sous presse qu’il faisait déjà l’objet de commentaires. On s’en était fait une idée au préalable et son auteur lui-même n’y pouvait pas grand-chose. Il eut beau s’offusquer ensuite de quelques raccourcis, on objectait invariablement qu’il le faisait pour éviter de voir la planète se déchaîner contre lui. J’imagine qu’il a dû en ressentir une certaine amertume, même qu’il appréhendait depuis longtemps la réaction du public au pavé qu’il s’apprêtait à jeter dans la mare. (p.117)

VOYAGE

Alain Olivier, docteur en biologie végétale, réfléchit sur sa vie et celle des humains en voyageant au Chili, terre séduisante avec ses lacs d’une beauté saisissante, ses volcans, sa flore et sa faune. Un pays qui allait contribuer à changer la pensée du jeune Darwin lors de son périple autour du monde, étudiant, collectionnant les fossiles et les plantes, des ossements d’animaux et les pierres. Le couple met ses pas dans ses pas, fait des liens avec ce chercheur fascinant.
La vie sur Terre, à partir des bactéries, s’est diversifiée de façon étonnante et a donné naissance à un nombre incalculable d’espèces. Tous les êtres vivants ont une même origine et ont évolué grâce à une sélection qui variera selon les lieux. L’humain devenant une sorte d’anomalie avec sa capacité de penser, de discuter, d’analyser et d’inventer des objets de plus en plus sophistiqués. Surtout qu’il n’a cessé au cours de son histoire de se donner une place prépondérante dans la chaîne du vivant.

Il est cependant loin d’être acquis que nous ayons été conçus pour être heureux. Si l’on se fie à ce que nous enseigne la théorie de l’évolution, notre rôle consisterait d’abord et avant tout à nous efforcer de transmettre nos gènes aux générations qui nous succéderont, de façon à garantir leur adaptation, au milieu et, par conséquent, la perpétuation de notre espèce. Il se pourrait bien que la quête du bonheur, comme celle du plaisir, s’avère une cause illusoire. (p.157)

RENCONTRE

Pas étonnant que le narrateur croise le fameux Darwin à quelques reprises, discute de sa vie et de ses découvertes. Il revient aussi sur son passé, les épreuves qu’il a traversées avec son épouse Julie, les liens avec son père et les beaux moments de son enfance au Lac-Saint-Jean. L’humain se heurte un jour ou l’autre au désir d’avoir des héritiers, de perpétuer la vie qui prend racine dans la nuit des temps et qui permet aussi d’établir un lien avec l’avenir.

Darwin donnera le coup de grâce à notre anthropocentrisme : non seulement l’être humain est-il issu de l’animal et n’occupe donc qu’une modeste place parmi tous les êtres vivants, mais il doit ses principales caractéristiques à la mécanique de l’adaptation. Autrement dit, il aurait pu être totalement différent de ce qu’il est aujourd’hui. La réalité de l’évolution rend donc difficilement concevable toute vision déterministe de la création. Les formes de vie, dans toute leur diversité, ne sont pas le fruit d’une intention divine. Elles n’ont pas été prédéterminées. Penser que l’être humain représente la finalité de la création n’a plus guère de sens. (p.166)

Ce roman devient un trésor de réflexions, d’observations, de considérations sur ce qu’est l’évolution, les comportements des vivants, particulièrement ceux des singes, ces frères qui sont peut-être l’illustration de ce que nous avons été. Ils sont certainement proches de ce que furent les humains.
J’ai aimé les discussions avec Darwin, le rêve de tout biologiste, j’imagine, comme tout écrivain souhaiterait rencontrer Shakespeare ou Cervantès pour surprendre leur pensée et évaluer ce qu’ils peuvent dire de leurs écrits, ce que nous avons déformé avec nos lunettes contemporaines ou ce que nous avons occulté.
Le roman nous permet de voyager entre le personnel et la réflexion sur la vie des humains, leurs étranges comportements, l’amour, la fidélité, les valeurs aussi qui permettent aux plus démunis de survivre dans une société souvent inhumaine.

Les résultats des travaux de Darwin nous enseignaient ainsi que l’altruisme n’était pas incompatible avec notre bien-être individuel. Il en était même la condition préalable. La morale ne nous avait pas été imposée par notre Créateur. Elle était née de notre évolution. Si elle nous appelait constamment à apprendre à vivre ensemble, c’était parce qu’il en allait de notre propre intérêt. Les conduites désintéressées avaient été sélectionnées tout simplement parce qu’elles nous étaient avantageuses. Et je comprenais tout à coup qu’en exécrant l’esclavage, qu’en prêchant les vertus de l’éducation, qu’en jugeant important de venir en aide aux nécessiteux, Darwin ne s’était pas inscrit en faux contre sa théorie de l’évolution. Il avait fait preuve, au contraire, d’une grande cohérence. (p.328)

La pensée de Darwin a souvent été mal comprise, servant à justifier des dérives qui ont faussé complètement l’approche du naturaliste. J’ai aimé suivre le narrateur dans ce voyage où il tente de trouver un ancrage à sa vie, sa place dans cette longue marche qui est celle de la présence humaine au cours des millénaires. Nous sommes ce que nous avons été et serons ce que nous sommes.
Il est un peu difficile d’imaginer que notre évolution continue et que l’humain, dans 10 000 ans, s’il n’est pas disparu dans ses cruautés guerrières, sera autre dans ses regards, ses comportements et ses manières de vivre en collectivité.
L’héritier de Darwin devient un texte nécessaire, une lecture que l’on devrait faire lire à tous les étudiants pour qu’ils puissent mieux comprendre le métier d’être humain, pour comprendre une évolution qui donne un regard autre sur tout ce qui nous entoure. Surtout, Alain Olivier nous fait prendre conscience de notre appartenance à la planète, à cette vie qui n’a cessé de se diversifier et de se modifier. Après tout, nous sommes les survivants d’une expérience qui n’a cessé de prendre des directions étonnantes au cours des millénaires. Notre formidable capacité de s’adapter aussi, qui fait que la vie reste possible.
Périple assez unique que celui d’Alain Olivier. Son roman a le grand mérite de présenter la vie d’une autre manière. Longtemps, après avoir refermé ce livre, j’ai regardé autour de moi, ne pouvant plus voir mon environnement de la même façon. Olivier nous offre une conscience et c’est un devoir d’accepter ce regard généreux.

L’HÉRITIER DE DARWIN d’ALAIN OLIVIER est publié chez LÉVESQUE ÉDITEUR.


PROCHAINE CHRONIQUE : La Gouffre de CAROLE MASSÉ, paru chez XYZ ÉDITEUR.