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mardi 25 novembre 2025

LE TERRIBLE COMBAT DE MICHÈLE PLOMER

MICHÈLE PLOMER a vécu un terrible accident en 2023. Une collision où le jeune conducteur de l’autre automobile est mort sur le coup. «Du métal et d’amour», raconte le long rétablissement de l’écrivaine qui est revenue à une vie normale malgré des séquelles. Des images floues, une masse rouge qui fonce sur elle, le choc, les éclats de verre, son chien Bruno qui ne bouge plus et une douleur qui fait se disloquer le monde, des voix et le retour de la conscience à l’hôpital. Ce sera un parcours exigeant autant pour les soignants que pour la blessée qui garde le moral, griffonne quelques mots dans un carnet qui ne la quitte jamais. Et il y a les amis qui l’accompagnent et l’attendent du côté des vivants. Elle est immobilisée parce qu’elle a eu des vertèbres fracturées. Alors, elle n’est qu’un regard fixe et des oreilles dans son lit. Des mois dans une chambre d’hôpital avec le personnel médical qui devient le prolongement de son corps et de son être. 

 

Une auto fonce et entre dans une courbe trop rapidement. Le chauffeur perd le contrôle et son bolide rouge vient percuter la voiture de Michèle Plomer. L’autre conducteur ne survivra pas et l’écrivaine en charpie doit réapprendre à vivre et surtout patienter pour retrouver son corps.

 

«Mon corps nouveau est devenu un objet de travail, une zone d’expérimentation, une carrosserie à débosseler. Le docteur Pimenta, les chirurgiens orthopédistes, les résidents en médecine interne, l’équipe psychosociale… un cortège de soignants défilent pour m’ausculter et poser des questions à mon visage de boxeuse ayant perdu le match. Quitter un jour l’hôpital me semble irréel tant je suis brisée, branchée, fragile et nécessiteuse. À quoi bon m’en faire pour mes traits, ma peau, mes cheveux croûtés qui répandent des éclats de pare-brise sur l’oreiller.»  (p.89)

 

Multiples fractures à une jambe, pied bousillé et surtout cette vertèbre nommée l’atlas qui porte la tête. C’est grave. Cette vertèbre permet de tourner la tête à droite et à gauche et de faire tous les mouvements que nous exécutons sans y penser. Une seule solution : amarrer la tête dans un casque ou une armure pour demeurer parfaitement immobile, le temps que les os se réparent. 

 

«Une veste de Halo est une structure complexe et impressionnante qui immobilise le cou. L’anneau est maintenu en place par quatre vis qui pénètrent dans la peau à l’avant et à l’arrière de la tête jusqu’à atteindre la couche externe de la boîte crânienne. Cet anneau est relié par des tiges de métal à une veste en plastique rigide garnie de l’intérieur d’une peau de mouton. La veste répartit le poids de la structure sur l’ensemble de la cage thoracique.» (p.93)

 

L’impression pour l’écrivaine d’être prisonnière d’une sphère et de flotter. Peut-être qu’elle se retrouve dans un scaphandre et qu’elle vient de quitter le vaisseau qui tourne autour de la Terre pour dériver dans l’espace. Elle va demeurer dans cet anneau pendant seize semaines. J’ai peine à imaginer cela. Trois mois dans une cage sans pouvoir bouger.

 

COURAGE

 

Michèle Plomer a une jambe semblable à un casse-tête, des ecchymoses sur tout le corps, un visage que la reconnaissance faciale de son téléphone rejette, des éclats de verre entre les dents et dans les cheveux. Et, même si elle est prisonnière d’une cage à oiseaux, elle demeure une écrivaine qui prête attention à tout, en particulier aux bruits et aux gens qui l’entourent. Elle n’est jamais seule dans l’hôpital et il y a ces éclopés qui ont subi des chocs comme elle. L’un d’eux, dans une chambre voisine, parle un espagnol incompréhensible depuis son accident; une dame âgée a fait une chute et, depuis, elle oscille entre des périodes de lucidité et de flottement. Surtout, elle perd le goût à la vie en se sentant abandonnée et inutile. 

Michèle Plomer voit le personnel se démener, devient intime avec plusieurs avec le temps et les soins. Et il y a son carnet. Comment empêcher une écrivaine, une femme qui a fait de ses jours une quête d’expressions et d’images, de fréquenter les mots? Parce qu’après tout, écrire, c’est s’isoler du monde et s’aventurer dans un espace inconnu. D’autant plus qu’elle a toujours été attentive à ceux et celles qui ont croisé son chemin. Cela ne changera pas pendant ce séjour à l’hôpital. 

Et il y a ce projet où elle a fait se rencontrer des gens qui étaient à deux moments opposés de l’existence. Une personne âgée et un jeune qui se questionnent, s’apprivoisent et parviennent à créer des ponts entre eux. Un dialogue improbable, deux générations qui ne se croisent plus guère de nos jours. 

Un peu ce qu’elle vit avec les soignants qui tentent de réparer les patients. Surtout, elle doit accepter de se laisser manipuler comme un objet pour le moindre de ses besoins. Deux mondes qui existent l’un pour l’autre, pour que la vie puisse s’installer et redevenir possible. 

 

«Ses yeux cernés, sa voix lasse, ses quarts de travail qui démarrent sur les chapeaux de roue trahissent qu’elle dormirait volontiers une petite heure sur ce matelas, qu’elle y déposerait sa compétence, ce fardeau de tout voir et de voir à tout. Elle pourrait y imprimer les vies qu’elle a sauvées, perdues ou marquées, et aussi les douleurs qu’elle a apaisées. Moi, je me lèverais volontiers sur mes jambes pour prendre sa place, pour aider. Être couchée à ne rien faire use à la longue. Ce sentiment d’inutilité peine à rester caché sous mes blessures.» (p.184)

 

Elle est témoin de l’incroyable tâche du personnel, des intervenants qui sont là jour et nuit, qui doivent faire fi de leurs problèmes et de leur quotidien pour être à l’écoute du patient. Une surveillante effectue son quart de travail avec ses filles parce qu’il n’y a personne à la maison pour s’occuper d’elles. L’extraordinaire attention de ces hommes et de ces femmes, leur empathie, leurs compétences, leur écoute et leur sensibilité dans la terrible aventure vers l’autonomie. 

 

LES AUTRES

 

Michèle Plomer a été entourée de façon incroyable par des gens extraordinaires. Elle a vu les cas de ces éclopés qui requièrent tellement d’attention, de compréhension et d’empathie pour emprunter le chemin de la guérison. Sans cela, c’est la culbute. Elle le vit avec sa voisine de lit, madame Cécile.

 

«Hélène répond à la quatrième sonnerie. Elle est à son nouveau travail et n’a pas vraiment le temps, elle non plus.

— Aimes-tu ça? lui demande sa mère.

Sa fille lui explique que le fleuriste se trouve sur la rue Masson et que, à sa première paye, elle devrait être capable de se prendre une carte Opus, ce qui simplifiera les choses.

— Tant mieux.

— Pis toi, m’man, t’es encore à l’hôpital?

— Pas pour longtemps, répond sa mère d’un air mystérieux.

Puis ses paupières se ferment et sa tête tombe de côté sur l’oreiller, comme si elle s’était endormie. Josianne brasse doucement madame C par le bras. L’octogénaire est de la même mollesse qu’une poupée de chiffon qu’on aurait rembourrée de briques.» (p.245)

 

Michèle Plomer raconte ses journées de façon simple et émouvante. Bien sûr, il y a les soins médicaux, les dangers que les spécialistes prennent et les prouesses qui rappellent celles des athlètes. Mais il y a surtout l’écoute, cette parole qui circule de l’un à l’autre, ce contact qui fait que l’on reste humain, peu importe l’état de ses os. Quelle incroyable présence du personnel hospitalier, quelle attention de tous les instants qui entraîne vers la vie et la lutte. 

Un hymne à la vie que «De métal et d’amour» où Michèle Plomer, dans son terrible voyage, évoque Frida Khalo, qui s’est retrouvée brisée dans son corps après un accident. Elle a fait œuvre d’artiste et de femme en peignant son périple au pays de la souffrance physique.

Après une telle lecture, entendre dire par des élus dans les médias que les médecins n’en font pas assez, que les infirmières pourraient en faire plus, j’ai envie de hurler. Ils devraient lire le témoignage de Michèle Plomer pour connaître et comprendre le vécu des soignants. 

Un hommage à la vie, mais aussi un portrait magnifique et saisissant de ces héros et de ces héroïnes qui vont au front tous les jours dans les hôpitaux et qui mènent une guerre de tranchées contre la maladie et la douleur. 

C’est pourquoi il faut leur dire merci encore et encore, surtout ne pas chipoter sur des questions futiles et bassement électorales. Je l’ai constaté quand j’ai eu à accompagner ma mère en fin de vie, des frères et ma sœur. Ce sont des hommes et des femmes formidables qui ont toute mon admiration et ma reconnaissance. Michèle Plomer leur accorde certainement la médaille du courage et de l’espoir. 

 

PLOMER MICHÈLE : «De métal et d’amour», Éditions Druide, Montréal, 2025, 280 pages, 27,95 $.

https://www.editionsdruide.com/livres/de-metal-et-damour