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jeudi 28 août 2025

FRANCINE CHICOINE S’OUVRE LES YEUX

LE CARNET est certainement une forme littéraire que les écrivains et les écrivaines apprivoisent à mesure que le temps file. Monsieur Archambault pratique la courte nouvelle ou la confidence pour se rapprocher de la méditation, même s’il flirte encore et toujours avec la fiction. Alain Gagnon l’a fait bellement dans «Le chien de Dieu» et je l’ai imité avec «L’enfant qui ne voulait pas dormir». Je pense aussi à Reine-Aimée Côté, à son magnifique «Eux, ces instants d’arrière-cour», et à Rita Lapierre, qui, dans «Territoires habités, territoires imaginés» et «L’infini du regard», a trouvé dans le carnet sa voie d’expression. Francine Chicoine offre depuis quelques semaines un carnet au titre intriguant : «Même si on oublie tout le reste». Ce qui suggère que l’on peut escamoter bien des choses de son parcours, mais que respirer est fascinant et qu’il est toujours temps, dans les soubresauts du quotidien, de faire de grandes découvertes. 

 

Francine Chicoine se plie aux caprices de l’existence comme tout le monde et ce carnet témoigne d’une femme qui connaît des moments difficiles (début de surdité et douleurs aux mains), mais qui demeure aux aguets, s’arrête pour mieux voir son entourage, certains phénomènes qui embellissent la vie malgré les petits inconvénients qui viennent secouer son corps et son esprit. Elle persiste dans ses habitudes, écrit en se demandant pourquoi elle continue de s’acharner parce que ce n’est pas plus facile qu’il y a vingt ans. Et il y a cet espace entre le projet et sa réalisation, le texte qui ne semble jamais à la hauteur, le temps qu’il faut pour sculpter une phrase qui devient un fragment. 

«Je ne cherche pas à m’évader, j’essaie plutôt de m’envahir.» C’est là le propos de Francine Chicoine, qui, dans son coin de pays de la Côte-Nord, s’arrête pour écouter la voix du monde et s’enivrer des grands bouleversements des saisons. Elle oublie les gestes répétés machinalement et regarde pour de vrai, surprend, pendant quelques secondes, un miracle qui se produit dans sa cour et celle du voisin.

 

«Les feuilles tombent tantôt en vrille, tantôt à la verticale, mais toujours dans la clarté du soleil. Plus loin, dans l’érable du voisin, un phénomène semblable. Des feuilles en chute libre du côté éclairé, mais aucune du côté ombragé. J’ouvre la porte pour voir comment se comportent les érables, à l’est de la maison. La même danse paisible du jaune dans la lumière. Le givre est plus léger que l’eau. Réchauffées par le soleil, les feuilles s’alourdissent et tombent.» (p.31)

 

Un moment unique, une sorte de jubilation devant ce phénomène qui se présente comme une épiphanie, là, tout près, dans l’arbre du voisin et le sien. Pendant un court instant, l’écrivaine contemple une danse dans l’œil du jour. 

Ce sont ces moments que Francine Chicoine veut saisir en faisant taire la voix qui tourne dans sa tête. Comment être une conscience qui s’étonne de la beauté du monde, de la seconde qui se déboutonne comme une gloire du matin qui ne dure que quelques heures

S’arrêter, regarder et goûter le présent ou encore un éclat du passé qui s’impose. Un temps rare, celui que Yvon Rivard définit ainsi dans «La mort, la vie toujours recommencée». «… tous mes chats, morts et vivants, qui m’apprennent à communiquer même en étant silencieux, comme si notre rencontre avait lieu dans un autre temps, à être immobile même en me déplaçant, comme si l’espace s’ouvrait et se répandait à l’infini autour de moi.» 

 

MÈRE

 

Sa mère la précède dans l’aventure du vieillissement, elle qui a toujours été une volontaire qui se méfie des mirages du passé et de l’apitoiement qui fait oublier le présent. Une femme qui a des réparties étonnantes.

 

«Maman détestait le verbiage, le placotage et ces conversations où l’on ne parle que de malheurs, de maladie et du passé. Elle habitait la maison du silence. Elle aimait cependant qu’on lui parle, qu’on l’informe de ce qui nous arrivait. Elle ne jugeait jamais ses enfants, peu importe ce qu’ils avaient fait : elle prenait acte, mais n’émettait pas d’opinion. Elle était fière de ses enfants.» (p.27)

 

 «Elle habitait la maison du silence», écrit Francine Chicoine, qui semble suivre ses traces pour mieux goûter le moment présent, pour être tout entière dans son corps et sa tête. Peut-être aussi pour devenir une conscience, un regard et parvenir, pendant quelques minutes, à être un tout petit éclat d’éternité.

 

ARRÊT

 

Pas facile de se centrer quand tout autour de vous incite au divertissement et à l’oubli de soi avec les médias qui nous envahissent. Il faut des efforts pour s’aventurer dans le silence et la contemplation, un endroit calme d’abord, de grands espaces de temps. Et surtout ne pas se laisser emporter par des obligations et des tâches qui sont comme l’eau d’une rivière qui va toujours de l’avant, qui capte vos énergies et vous attire hors de soi. Voilà une forme d’ascèse qui permet à Francine Chicoine de devenir celle qui voit, qui respire et qui s’ouvre à la vie. Un arbre qui perd ses feuilles, les corneilles si bavardes, le chat Tango qui ne cesse de la surprendre et de lui montrer le chemin peut-être. C’est au cœur de ces instants que la véritable sensation d’être tout entière se produit. 

 

«Maintenant, j’ai l’impression d’avoir exprimé ce qui, en moi, réclamait un droit de parole. J’entre, dirait-on, dans la poétique des mille petits bonheurs. Rien de majuscule, rien de flamboyant, oh non! Le grandiose étourdit, désoriente, fait perdre la voie. Et quand on perd la voie, on risque aussi de perdre la voix.» (p.34)

 

C’est peut-être pourquoi nous avons décidé, Danielle et moi, de vendre notre havre au bord du grand lac, notre coin de paradis comme nous disons. Les édens, nous le savons, sont exigeants et demandent beaucoup de soins et d’attention. Se délester des tâches et des corvées, d’un lieu qui finit par vous posséder. Il est temps pour nous de nous mettre à l’apprentissage de l’être, d’occuper toutes les frontières de nos corps et de nos esprits. 

Francine Chicoine en est là dans son parcours. 

Le chat Tango lui donne des leçons et la surprend par ses désirs de félin. Il sera la source du seul haïku de ce carnet.

 

«le ronron du chat

   mes mains peuvent l’entendre

  mais mains seulement» (p.98)

 

C’est ce qui arrive quand on entend moins. Les mains prennent le relais et il y a toujours les yeux. 

 

ABOUTISSEMENT

 

La mort finit toujours par la rejoindre. Celle de ses proches, de son père et de sa mère, de sa sœur qui a recours à l’aide médicale à mourir qui choisit de partir de la plus belle des façons, dans son jardin, dans une sorte de fête où la vie éclate de partout. 

Sa mère lui avait demandé de répandre ses cendres et celles de son mari dans le fleuve. Francine n’est pas du genre à se défiler devant une obligation. Elle longe le «fleuve aux grandes eaux», comme disait Frédéric Back pour dénicher l’endroit idéal où accomplir cette dernière volonté. Après bien des arrêts, elle trouve le lieu où les cendres pourront s’éloigner vers le large dans des barquettes, sans être repoussées sur la berge ou se fracasser sur les rochers. Ce sera là où la petite rivière Godbout se jette dans le fleuve. Elle dépose les urnes dans ses barques et les voilà qui dansent vers la ligne de l’horizon, peut-être pour se faufiler dans l’au-delà.

 

«J’ai très bien vu : deux petites barques blanches qui, par je ne sais quel prodige, voguent l’une à côté de l’autre. Les cendres de ma mère et celles de mon père, ensemble, en direction du large.» (p.116)

 

Ce carnet, je l’ai parcouru tout doucement, pour suivre la démarche de l’écrivaine, m’arrêtant sur une phrase, une histoire, une réflexion ou encore un mot de sa mère. Et je me suis senti là, tout près de Francine Chicoine, comme un témoin ou un proche qui se laisse guider vers la grâce et des instants où la vie nous éclabousse. 

Francine Chicoine nous entraîne dans le vrai, l’authentique, la vie pleine et toute simple qui se présente dans un regard, un geste de la main, un sourire ou un souvenir qui devient autre avec la patine du temps. L’écrivaine sait donner tout leur poids et leur importance aux mots. Tout dans l’être et le présent. Pour saisir la vie à bras le corps et la savourer goulûment. 

Quels beaux moments et quelle leçon de vie! «Même si on oublie tout le reste» permet de s’attarder dans le jour, de faire marche arrière, de fermer les yeux et de faire le tour d’une phrase pour en surprendre toutes les rondeurs. Un ouvrage magnifique, un chemin que je vais emprunter certainement après toutes les turbulences qui ne cessent de me bousculer actuellement. Francine Chicoine pourra alors être l’un de mes guides. 

 

CHICOINE FRANCINE : «Même si on oublie tout le reste», Éditions David, Ottawa, 2025, 144 pages, 19,95 $. 

https://editionsdavid.com/livres/fiche-livre/?titre=meme-si-on-oublie-tout-le-reste&ISBN=9782898660467

samedi 15 avril 2006

Pour surprendre et voir son monde autrement

Francine Chicoine s’émerveille des oiseaux qui habitent le jardin, de la lumière qui retient le souffle au matin, des écureuils tapageurs, des mouches envahissantes et de cet univers qui vit près de soi. Un regard amoureux qui tient du haïku que fréquente cette écrivaine pour cerner de purs moments de contemplation et de méditation.
«Du rampant ou du grimpant, de la fleur ou de la feuille, du brin d’herbe ou du tronc d’arbre, du conifère ou du feuillu, on ne sait pas ce qui est le plus odoriférant. Ça vient de partout, de l’air et du sol, de l’eau et du sous-bois, ça vient d’en haut et ça descend, ça vient d’en bas et ça se répand, c’est tout mêlé, de cime en sol, d’humus en canopée, un parfum suave, capiteux qui flotte dans le pressoir d’odeurs de l’après-pluie. Un torrent d’odeurs dans un nez qui tantôt vaquait à l’air du mois d’août et qui maintenant l’évoque.» (p.72)
Printemps, été, automne, hiver se bousculent avec leurs enchantements. Tout naturellement, je me suis laissé glisser vers le printemps, ce monde qui se liquéfie et se régénère à une vitesse étourdissante en terre du Québec.

Le verdict

Et voilà que nous basculons dans le «Livre dernier». Un coup de massue! Le verdict résonne comme un glas. Aucune espérance de survie. La fidèle observatrice des jours devient la cible de ce tireur fou qu’est le cancer. Événement clinique, statistiques au ministère de la Santé et des Services sociaux, mais drame chez cette femme qui posait à peine la main sur la retraite et se promettait d’explorer les mots dans toutes leurs coutures. L’avenir s’avale et les horizons s’effacent.
«J’ai mal à mon territoire intérieur envahi par l’angoisse, là où j’essaie de me concentrer pour continuer d’exister, mais là où se retrouve la brèche. J’ai mal à mon absence d’avenir. J’ai mal à ma lucidité.» (p.119)

Les mots battent de l’aile devant la mort possible, les mots fuient. Comment oublier la douleur du corps qui emporte tout? La narratrice n’est plus le regard amoureux qui fait exister les choses. Elle s’efface, avalée par la maladie, ce printemps qui la saigne. La fin du monde se profile. Reste les gestes ultimes, la liquidation de tout ce qui faisait l’existence, la résignation. La vie est d’une fragilité qui fait mal.
«Il y a des mêlures dans ma tête, je ne sais plus où se trouve la réalité. Partout, sans doute. Je n’ai plus tellement envie de parler. N’en ai plus besoin, je pense. Est-il possible que j’en sois rendue plus loin que l’expression ? On dirait que j’habite le silence… et que le silence est plein». (p.140)
Les objets alors murmurent et témoignent. Ils ont tout vu. Ils savent depuis toujours. L’oreiller, un collier, des lunettes et les mésanges portent l’histoire de cette femme, comme la terre, dans ses strates, recèle la marche de l’humanité. Cet animisme permet de connaître cette femme secrète. L’observatrice, l’amoureuse du quotidien devient un sujet, un objet à la limite, des vibrations dans les à-coups du temps.
Surtout, cette amoureuse de la vie sait être juste, touchante et émouvante quand elle décrit ces moments anodins et essentiels, oublie son côté moralisateur. Des textes aussi qui auraient pu être poussés un peu plus loin.

«Carnets du minuscule» de Francine Chicoine est paru aux Éditions David.