Les éditions Trois-Pistoles ont eu la fort bonne idée de se pencher sur des textes oubliés et peu connus. Les oeuvres de ceux que l’on peut appeler les précurseurs, ces écrivains qui ont noirci nombre de pages et qui ont basculé dans l’oubli. Ne reste plus qu’un nom bien souvent ou des extraits qu’il faut dénicher dans certaines anthologies.
La collection La Saberdache, qui se donne comme mission de publier des textes écrits avant 1900, était lancée avec des textes d’Arthur Buies, peut-être le plus connu des oubliés. Marilène Gill et Mario Brassard récidivaient avec Napoléon Aubin.
Ces méconnus ont pratiqué le journalisme, dirigeant des journaux où ils oeuvraient seuls. Napoléon Aubin ne fait pas exception. Il a animé pendant nombre d’années «Le Fantasque» en y écrivant toutes les rubriques.
Plume alerte, sarcastique, forte, grand pourfendeur des modes et défendeur des idées nouvelles, voilà l’homme que nous découvrons dans ces contes et récits. Suisse de naissance, émigrant aux États-Unis d’abord, résidant au Canada par la suite. Inventeur, homme de science comme le voulait la tradition ou la conception de l’honnête homme de l’époque, Napoléon Aubin ne cesse d’étonner. Il fallait être audacieux pour défendre la liberté de la presse en cette époque turbulente où les patriotes affrontaient militairement l’armée anglaise avec les conséquences que nous connaissons. Les journalistes étaient surveillés et les délits punis. Napoléon Aubin se retrouva en prison pour avoir publié un poème de Joseph-Guillaume Barthe.
«Il est si dangereux maintenant de parler des choses de ce monde que je me vois forcé de m’occuper presque exclusivement des habitants des astres.» (p.148)
Petinence
Les textes de Napoléon Aubin se démarquent par leur originalité et leur pertinence. Les sujets demeurent originaux et intéressants. Par le biais de la fiction ou de la science-fiction, Aubin montre les travers de la société et se moque de ses mœurs. Éducation, justice, modes littéraires, tout y passe. On ne peut que regretter que «ce voyage sur la lune» soit demeuré inachevé. Aubin en profite pour passer ses contemporains au rabot et on ne peut s’empêcher de faire un lien avec la révolte des patriotes de 1837-1838. Il y avait là une force et une verve qui se lit encore fort bien. On ne peut que sourire devant ce trait humoristique.
«Je vous dirai donc, en attendant mieux, qu’on s’y habille à peu près comme par ici, avec cette seule différence que quoique la mode générale y soit, pour les dames, de s’y couvrir de robes, il en est néanmoins beaucoup qui ne se gênent point de porter les culottes. Donc, espérez et patientez.» (p.139)
Certaines descriptions de la nature sont particulièrement juste comme celles du conte «Une chanson, un songe, un baiser». On y sent la marque du romantisme même si Aubin s’en moque avec un bonheur certain. Pas facile d’échapper à son époque même pour un esprit libre et rebelle.
Ce qui distingue Napoléon Aubin, c’est l’efficacité de sa plume, son humour, son imagination et sa pertinence. Pour tout cela et pour le plaisir aussi, il faut relire ses contes et ses récits. Il aurait encore bien à dire sur nos façons de faire et de nous comporter après un certain 11 septembre.
«On conçoit qu’avec une liberté de la presse aussi limitée, la seule ressource d’un littéraire est de déployer ses ailes, de s’envoler vers les astres et les régions éthérées plutôt que de gémir plus longtemps sur une terre préjugée où pour plaire et vivre il faut ramper, ramper bien bas, et lécher l’argot de ceux qui se croient grands parce qu’ils se le font dire souvent, qui ont le droit dans le fourreau du sabre et le cœur au fond de leur gousset.» (p.149)
Nous avons encore besoin de Napoléon Aubin pour nous montrer nos contradictions face aux événements qui nous bousculent et nous perturbent. Malheureusement, ils sont de moins en moins nombreux dans nos journaux. Les Éditions Trois-Pistoles font là œuvre nécessaire.
«Contes et récits» de Napoléon Aubin sous la direction de Marilène Gill et Mario Brassard a été édité aux Éditions Trois-Pistoles.