dimanche 22 février 2009

Nadine Bismuth scrute la vie des filles

«Êtes-vous mariée à un psychopathe?» La question fait sourciller. Voilà pourtant le titre qui coiffe les dix nouvelles du plus récent recueil de Nadine Bismuth.
Elles ont dans la trentaine et n’arrivent pas à retenir un homme. Tout se dilue dans la banalité du quotidien. L’amour qui coupait le souffle aux débuts meurt d’inanition. Pourquoi continuer alors, même si le pire des malheurs, pour les héroïnes de Bismuth, semble la vie de célibataire.
Femmes et hommes cherchent à se réfugier dans le cocon du couple, même s’ils vivent dans des mondes irréconciliables. Les femmes misent sur le long terme quand les hommes ne jurent que par le présent. C’est souvent la source de conflits et de ruptures.
«… nous inspirons de la pitié : nous sommes douces et gentilles, ma foi souvent même jolies, nous sommes drôles et intelligentes, alors bon sang, qu’est-ce qui cloche? Pourquoi sommes-nous seules ? Est-ce à cause d’un conflit irrésolu avec notre père? D’un traumatisme vécu dans le ventre de notre mère? Si vous trouvez la réponse, de grâce, dites-le-nous, car notre psy commence à nous coûter cher.» (p.12)
 Les hommes fuient les engagements, regardent la porte quand leurs compagnes veulent imaginer un peu l’avenir.
«- Alors, tu vois ce que je veux dire? C’est une pression pour moi. La pression de savoir que tu crois qu’on sera ensemble dans un an.» (p.139)
Difficile d’avoir des enfants dans ces conditions. Avoir un enfant, c’est miser sur le long terme, l’avenir et les hommes refusent cette aventure. Même la vie à deux n’est guère rassurante.
«Elle affirme que je vis sur une autre planète depuis que je sors avec Juju. Elle dit que je suis devenue une fille qui passe ses journées à traîner au Rockland, à faire du yoga et à coordonner l’arrivée de sa femme de ménage, et que rien de constructif ne ressort de tout ça. «Tu vis aux crochets d’un mec. Tu vas faire quoi s’il te quitte demain matin? Un soufflé au fromage?» (p.53)
Le mal vient souvent du regard de la meilleure amie qui sait tout de la vie, même si elle est tout croche dans la sienne.

Solitude

Nadine Bismuth emboîte le pas de Séfani Meunier, Mélanie Vincelette, Anick Fortin et Sophie Bouchard qui s’attardent à la fragilité des couples qui résistent mal aux ressacs du quotidien.
Les filles cherchent frénétiquement l’âme sœur et s’accrochent. Mais plus le temps passe, plus cela devient difficile. La perle rare a une vie de couple ailleurs et il ne rompra jamais avec sa femme.
«Geneviève s’était tant attardée au récit de chacun des menus détails qui l’avaient amenée à se séparer de Mathieu qu’elles n’avaient pas osé l’interrompre. Il avait été question du comportement ambivalent de Mathieu, des espoirs déçus de Geneviève, du cahotement de leur relation, du constant besoin de Geneviève d’être rassurée et, enfin, le clou dans le cercueil : la sempiternelle hésitation de Mathieu à envisager la cohabitation avec elle.» (p.82)
Au moins, une forme de solidarité existe du côté des femmes. Elles partagent des confidences, se prodiguent des conseils qui tournent mal. C’est beaucoup moins fréquent chez les hommes.

Modernité

Avec ironie et humour, Nadine Bismuth plonge dans le drame des femmes qui n’arrivent pas à s’épanouir aux côtés d’hommes manquant de maturité. Une question, un regard et le monde s’écroule. Elles deviennent un peu hystériques, angoissées, peu sûres d’elles, ne demandant qu’à se faire rassurer par le premier venu. Des candidates idéales pour les thérapies sans fin.
Madame Bismuth a l’oeil perçant, le sens du détail. Elle échafaude des drames sur la banalité du quotidien et possède un sens du détail assez remarquable. L’écrivaine nous entraîne dans l’envers d’une société où tout doit être envoûtant, étonnant et exaltant. Même le quotidien doit devenir un numéro de haute voltige, une frénésie qui brûle chaque seconde. Ce qui importe, ce sont les pulsions et le désir qui coupent le souffle, les amours qui calcinent l’âme et le corps. Autant dire l’impossible.
Méfiez-vous des nouvelles de Nadine Bismuth. Elles troublent, remuent et laissent un goût étrange dans la bouche.

«Etes-vous mariée à un psychopathe?» de Nadine Bismuth est paru chez Boréal Éditeur.