JO ANN CHAMPAGNE a eu la bonne idée
de demander à vingt-cinq personnalités de parler de l’importance que le texte
imprimé occupe dans leur vie. Une
incorrigible passion nous entraîne dans cet amour incontrôlable que
des individus éprouvent pour la lecture et le livre. Voilà une belle
occasion de s’aventurer dans un univers qui reste un peu mystérieux même pour
ceux et celles qui fréquentent les livres régulièrement. Je suis un de ces incorrigibles.
Si je n’ai pas eu le temps de me pencher sur quelques pages d’un roman, d’un
essai ou d’un recueil de nouvelles, ma journée claudique. Je suis peut-être un
genre de drogué.
L’écrit a connu bien des mutations avant de prendre la forme de l’objet
que nous connaissons, ou de cette fameuse liseuse
électronique qui peut contenir toute une bibliothèque. Si vous faites une
recherche sur Google, le mot liseuse va vous référer systématiquement à
l’appareil électronique. On oublie le liseur, celui ou celle qui savourent les textes ou encore le lecteur, ce personnage qui lisait à haute voix, pour le
roi en particulier, ou quelqu’un de la noblesse. C’est vrai que cette définition s’est
perdue avec la modernité. Ce lecteur indispensable qui lisait il n'y a pas si longtemps les aventures du Conte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas
aux travailleurs dans les fabriques où l’on roulait les cigares.
ÉLITE
La capacité de lecture fut longtemps le propre d’une élite, souvent
des dirigeants, des rois, des nobles ou encore des administrateurs. Une caste
qui avait accès à des connaissances que les autres ne possédaient pas.
La lecture est devenue accessible à tout le monde avec l’invention
de l’imprimerie par Gutenberg. Il imprima la Bible entre 1452 et 1455. On dit
qu’il en fit 180 exemplaires. Cette invention, l’une des plus importantes de
l’histoire de l’humanité, a permis qu’un texte soit lu par plusieurs personnes
en même temps. L’imprimé permettait de toucher un public plus nombreux pour la
première fois et n’était plus l’affaire d’un maître ou d’un initié, d’une
classe sociale ou de privilégiés. Un court apprentissage permettait d’avoir
accès aux secrets des mots et de lire dans la solitude de sa maison. Elle a provoqué bien des bouleversements dans la
société d’alors. Certains voulaient diffuser les textes et encourager l’accès à
la connaissance. Le droit à la pensée et à la parole prenait une importance
capitale et certains s’opposèrent. Les protestants encourageaient la lecture
tandis que les catholiques s’en méfiaient. Ils voulaient surtout garder le
contrôle des ouvrages que les gens pouvaient avoir entre les mains.
HISTOIRE
Les participants à ce collectif nous font faire le tour de cet
objet étrange qu’est le livre. L’imprimeur, l’éditeur, le lecteur, bien sûr,
celui à qui s’adresse toujours une publication, le libraire et le
bibliothécaire, l’attachée de presse qui a la difficile tâche de diffuser une
nouvelle parution et de la faire lire par le plus grand nombre possible de gens.
Même que nous nous aventurons du côté d’un magicien qui restaure les livres
anciens, ces trésors si fragiles qui sont menacés de disparaître avec tout un
savoir.
Certains y vont d’un témoignage personnel très émouvant comme
France Matineau qui associe les livres aux agressions de son père.
Et ce vampire-là me mord le cou, ce père-là perd son nom de père
dans la bibliothèque, jours, mois et années confondus, lieu de ses désirs
d’homme, lieu de mes terreurs d’enfant. Attouchements se muant en violence au
fil du temps, ce que la société, dans un vacarme de nouvelles à pleines pages,
appelle pédophilie, viols et agressions, et que la victime ne peut souvent pas
nommer, sinon sentir comme perte et déconstruction de soi, dans la honte de son
corps. (p.138)
Elle sera longtemps une enfant muette qui deviendra une grande spécialiste de la langue française. Un témoignage
assez bouleversant.
Claude Vaillancourt s’intéresse pour sa part au livre de papier et
à la lectrice numérique qui fait
saliver bien des gens. Un texte qui fait la part des choses et rassure l’amant
des livres de papier que je suis.
Si le livre papier résiste, s’il ne disparaît pas en tant
qu’objet comme le disque et le film sous les coups de la numérisation, c’est
aussi qu’il a des avantages insurpassables : il offre un grand confort de
lecture, il fonctionne sans électricité, se transporte facilement, s’annote
sans difficulté. Il ne deviendra jamais obsolescent. (p.198)
Les deux supports, pour
emprunter un langage contemporain, ont leur place et leur rôle à jouer. Ils
sont en quelque sorte complémentaires.
L’interprétation et la confrontation des points de vue devaient
provoquer des conflits. Les gens n’arrivent que rarement à faire l’unanimité
sur un texte. Ces différents points de vue effarouchaient particulièrement les
catholiques. Il ne devait y avoir qu’une interprétation de la Bible et c’était
celle des dirigeants de l’Église et du pape. Ces regards sur le texte ont mené
aux grands schistes religieux que nous connaissons.
VOYAGE
Quel beau voyage les invités de Jo Ann Champagne nous proposent
dans ce monde qui ne cesse de se réinventer. Le livre est un outil
indispensable, l’objet peut-être le plus utilisé dans le monde, celui qui fait
la somme des connaissances des civilisations moderne et ancienne. Tout le passé
reste accessible grâce à l’imprimé et aux documents qui s’accumulent dans les
grandes bibliothèques qui préservent la mémoire du monde.
Ces témoignages permettent de faire le tour d’un univers qui ne cesse
d’étonner même quand on fréquente les livres tous les jours.
Un texte peut aussi prendre une importance capitale dans une
société et bousculer l’ordre des choses. Un manifeste comme le Refus global au Québec est devenu une
référence et un texte mythique. Un cri libérateur qui a mené à la Révolution
tranquille. C’est ce qui fait que l’humanité possède des textes cultes, sacré
presque comme Don Quichotte de la Manche
(imprimé en 1605) ou encore L’odyssée
d’Homère, dont la première traduction en français, remonte en 1574. Ces textes
ont marqué l’imaginaire et ont eu une importance décisive sur l’art de
raconter des histoires.
TÉMOIGNAGES
Un très beau livre qui nous présente des figures attachantes, le
dernier texte de Benoît Lacroix qui parle de sa passion pour la lecture alors
qu’il est centenaire.
La lecture ! Mon amour, mon passe-temps, ma vie encore
aujourd’hui à cent ans (déjà !). (p.27)
Hubert Reeves aussi, Louise Portal et plusieurs autres, dont
Laurent Laplante (que dieu ait son âme) qui questionne les médias, la parole de
plus en plus muselée dans la presse et la liberté qu’offre les livres, le
dernier refuge de la liberté de pensée et d’expression.
Une manière de s’attarder auprès d’un objet qui a toujours été au
centre de mes activités, ces volumes qui ont accompagné les étapes importantes
de ma vie. Je suis l’un de ceux qui ont été contaminés par l’écrit, même si les
livres étaient une denrée rare dans la maison de mon enfance. C’est peut-être
cette rareté qui m’a poussé vers eux et à lui vouer un véritable culte pendant toutes
ces années.
Il manque cependant le témoignage du chroniqueur, du critique qui
est souvent vu comme un juge qui sépare l’ivraie du bon grain, celui qui a la
difficile tâche de trancher entre ce qui est bon et mauvais. Un travail
contesté et souvent contestable qui permet bien des écarts dans les médias. Il
reste un intermédiaire important pour faire connaître une fiction ou un ouvrage
scientifique à un public élargi. J’aurais aimé qu’un chroniqueur explique ses
choix, sa façon de lire et ce qu’il cherche dans un roman, un essai ou un
recueil de nouvelles. Les approches des chroniqueurs restent souvent nébuleuses
et leur regard semble relever la plupart du temps de l’arbitraire et des
préjugés. Surtout en littérature québécoise.
Comment ne pas applaudir devant un tel projet et surtout devant la
facture d’Une incorrigible passion.
Pour une rare fois, j’ai remisé mon marqueur jaune et n’ai laissé aucune trace
de mon passage. Je n’ai pas osé, par respect pour l’objet. Un beau cadeau à
offrir en ce temps de réjouissances.
UNE INCORRIGIBLE PASSION de JO
ANN CHAMPAGNE, une publication des ÉDITIONS FIDES.
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