VIRGINIE DECHAMPLAIN publie un deuxième roman qui risque d’en secouer plusieurs. Avant de brûler nous plonge dans un monde apocalyptique inquiétant où les bouleversements climatiques et les catastrophes se succèdent. Montées des eaux, déluges, tremblements de terre, sécheresse et chaleur intense avec des feux qui rasent tout. La planète est détraquée et les jours ne sont plus fiables. Reste une certaine cohésion sociale à l’intérieur du pays, sur les hauteurs, où un couple a trouvé refuge. La vie continue dans la maison isolée du bout d’un rang, près de la forêt où les bêtes semblent avoir disparu sauf une biche qui rôde pour questionner les humains on dirait, chercher à comprendre ce qui lui arrive. La dernière de son espèce. Et une meute de loups, jamais très loin, va et vient en quête de nourriture. Tout se bouscule pourtant avec l’apparition de Farah, une femme et ses trois enfants, dont un tout jeune bébé, un poupon.
Un roman d'une étrange beauté malgré la mort toujours là, en attente derrière un arbre. Le regard devient tellement important dans cette fiction. Question de survie pour glisser dans le lendemain avec un peu de confiance. Madame DeChamplain se tient bien droite dans l’oralité, pour montrer qu’il faut une parole pour s’ancrer dans le fil de son présent. Il suffit d’un carnet pour noter la course du temps, s’accrocher peut-être à de petites choses et s’inventer une histoire. La narratrice jongle, parle. C’est nécessaire pour habiter ses jours et son territoire.
J'ai été emporté par ce récit, happé par ces longues randonnées dans la forêt, ces deux femmes venues d'un monde si différent qui trouvent des mots pour se dire et aller dans une même direction. Marco solide comme un roc. C’est spectaculaire de réussir ça. Juste la survivance, un splendide flou, des rescapés surgis de nulle part, avec quelques informations sur leur passé. C’est peut-être ce qui se produit quand on doit assurer le manger et son lendemain en regardant l’horizon qui peut s’ouvrir et vous avaler. Un texte magnifique, une écriture pleine d’odeurs et de miroitements dans la lumière du matin. Un hymne à la vie au cœur du désastre.
FIN D’UN MONDE
La vie que l’on connaissait dans les villes auparavant ou au bord des cours d’eau n’est plus possible. Tout s’est détraqué et les gens ont fui à l’intérieur des terres, au creux des montagnes pour échapper aux inondations. La survie s’organise et c’est un retour dans le temps, avant la télévision et la radio, le téléphone intelligent omniprésent, les réseaux sociaux et les déplacements fous sur des autoroutes sans fin. Il faut trouver à manger. La nourriture est là cependant. Ce n’est pas la famine, tous se débrouillent. Les bouleversements climatiques que l’on ignorait, il n’y a pas si longtemps, frappent à gauche et à droite. Tout peut arriver. Les gens doivent continuer comme ils peuvent. Les femmes sillonnent la forêt, deviennent cueilleuses quand Marco a de quoi s’occuper au village.
« Tout ce que je possédais, tout ce que j’aimais venait de partir dans le déluge et les berges de mon enfance existaient plus, arrachées par la puissance effrayante des vagues.
Gaspésie fin des terres.
J’avais le ventre vide, la tête vide, le corps vide, les yeux brûlants d’eau salée, j’errais dans la tempête et je savais pas pourquoi j’étais encore là. Les secours pouvaient rien faire de plus et tout le monde devait regarder, impuissant, les maisons se détacher, s’enliser dans les flots. » (p.23)
Les zones côtières sont à risque et les gens se sont réfugiés dans les hautes terres. Les endroits désertés et abandonnés autrefois sont devenus des gîtes pour les survivants. L’eau a emporté tous les villages le long du fleuve.
La Gaspésie n’est plus qu’un souvenir.
Tous doivent trouver un lieu où s’installer, pour respirer dans un semblant de vie normale, en pensant à ceux et celles qui ont disparu. La paix règne même si rien n’est certain dans la beauté du pays qui ne cesse de surprendre. Après l’eau, il y a la chaleur, la sécheresse, le feu toujours possible. Tout est en attente dans cet univers fragilisé. On n’entend plus les oiseaux le matin, les cadavres s’entassent dans les éclaircies de la forêt. Il y a les outardes qui migrent étrangement, des champignons, quelques petits fruits que l’on cueille ici et là. Même les poissons de la rivière semblent avoir été emportés par les déluges et les grandes inondations qui ont tout lavé. Et il y a aussi, dans certaines villes, les bombes qui détruisent tout. Il reste la fuite pour Farah et ses enfants, la course devant soi, sans tourner la tête, pour survivre et s’installer dans un ailleurs. Je n’ai pu m’empêcher de penser à Gaza, à la mort qui vient du ciel chaque jour pour tant d’hommes et de femmes.
« Ma vie d’avant se rappelle à moi de temps en temps, par bribes, par vagues, en fragments courts et coupants comme des éclisses de bois. Peu importe où je regarde, peu importe où je me tiens, les années les millénaires arrivent pas à s’effacer. J’habite dans la vie d’aujourd’hui, peuplée de la vie d’autrefois. Les images et les sons des deux époques se superposent, leurs contours flous ondulant comme quand on lance une roche dans l’eau. » (p.109)
Les gens s’entraident, se tendent la main et font tout pour faciliter la vie à un voisin, à une survenante qui ne parle pas la même langue et qui débarque du bout du monde comme ça, n’ayant aucune place où aller.
Souvent, dans les romans catastrophiques, les individus se replient dans leur clan, n’hésitent pas à tuer pour garder le peu qu’ils ont. Qu’on pense à La route de Cormac McCarthy ou à la trilogie de Christian Guay-Poliquin où l’autre reste toujours dangereux et inquiétant. Il faut s’en méfier et surtout se protéger par la manière forte. Il n’y a jamais cette violence dans l’ouvrage de Virginie DeChamplain. Tous s’adaptent, s’entraident et partagent le peu qu’ils ont sans hésiter et sans craindre pour le matin qui va certainement arriver. Mais comment tourner le dos à une partie de son histoire ?
« C’est juste que je les vois tout le temps… ma mère… elle, surtout. Et tous les gens qu’il y avait avant, c’est comme s’ils voulaient pas partir… peu importe ce que je fais il y a toujours quelqu’un qui se pointe et ça me casse le cœur chaque fois, parce que j’oublie qu’ils existent plus, j’ai peur un jour que ça m’avale, qu’à un moment donné il reste plus rien de vrai, de présent. » (p.130)
Le passé ne disparaît pas en claquant des doigts ou encore dans un haussement des épaules. Tout est arrivé de façon soudaine et prévisible. Comme s’il fallait un cataclysme pour faire apparaître ce que l’on pressentait depuis si longtemps. Comment retrouver un équilibre, avancer dans cette nouvelle existence où tous les repères se sont effacés, vivre dans une certaine paix et surtout croire à un avenir à défendre et à imaginer ? Surtout que la planète se donne peut-être un répit avant la fin du monde, qu’elle cherche son souffle avant de tout dévaster dans un dernier soubresaut.
« Et je sais pas dans quelle mesure j’ai la réponse, mais d’une façon ou d’une autre tout sera à recommencer. Cette fois mieux, cette fois plus grand, cette fois ensemble. C’est la seule possibilité. Il faudra montrer à nos enfants comment prendre des chemins qui mènent ailleurs, quelque part où on pourra aspirer à autre chose qu’à se détruire encore. Farah et moi essuyons d’un même mouvement la couronne de cendres sur nos fronts et on se relève,
arpente les dégâts pour
retrouver le sentier,
chercher l’orée d’autrefois la forêt,
s’assurer qu’il y a un monde à refaire. » (p.202)
Continuer, désirer, penser mieux et se relever dans un terrible geste de courage et d’espoir. Se réinventer dans un futur improbable en se souvenant que l’on peut tout saccager. Ne pas oublier pour tracer de nouveaux sentiers et d’autres rêves… Est-ce seulement possible ? L’histoire de l’humanité n’est guère rassurante. J’aime l’optimisme de Virginie DeChamplain. C’est peut-être le propre de l’humain de s’accrocher et de marcher vers un demain différent en tentant de donner un futur à ses enfants.
DECHAMPLAIN VIRGINIE : Avant de brûler, La Peuplade, Saguenay, 216 pages.
https://lapeuplade.com/archives/livres/avant-de-bruler