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jeudi 26 octobre 2017

STÉPHANE LEDIEN HANTE DES LIEUX


STÉPHANE LEDIEN, dans Des trains y passent encore, mélange habilement le conte, les légendes et la nouvelle. Tout tourne autour du Tracel de Cap-Rouge, une construction qui fascine l’écrivain et lui permet de s’aventurer dans des histoires à faire frémir. De quoi empêcher de fermer l’œil pendant une nuit au lecteur impressionnable que je suis. Ce Tracel coupe le ciel et semble permettre de filer dans une autre dimension. Il n’en fallait pas plus pour secouer un monde familier et imaginaire.

C’est sombre. C’est souvent étrange. J’ai eu du mal à reconnaître l’écrivain qui racontait ses tribulations au Québec dans Un Parisien au pays des pingouins. Il semble s’être bien adapté à son nouveau pays et voici qu’il explore la désespérance des humains dans une douzaine de nouvelles, s’attarde dans un lieu qui permet de voyager dans le temps et l’espace. Les hommes, c’est connu, aiment confronter les lois de la nature pour s’évader de la vie ordinaire, échapper à l’indifférence et surtout, peut-être, à un anonymat qui peut devenir terriblement lourd à porter.
Voici un cocktail d’obsessions et de peurs, de pulsions et de bravades qui se manifestent dans certaines circonstances, surtout quand les humains font la fête et s’étourdissent dans l’alcool et les blagues. L’expression québécoise « se conter des peurs » définit bien ici le travail de Stéphane Ledien.

Depuis plus de cent ans, le Tracel de Cap-Rouge se dresse avec majesté. Tel que je l’imagine, il assiste, omniscient, à l’inexorable déroulement de nos vies. Chaque matin, je l’admire et le laisse me surprendre. Me suspendre à des fables imaginaires auxquelles se mêlent du vécu, du vrai, du faux et des faits divers. Lorsque des trains y passent, de jour, de nuit, des rêves s’y accrochent en passant, à l’instar des vagabonds d’autrefois. Sa voie est une percée vers l’Ouest d’antan. Vers les voyages et les mystères. Vers la grande et les petites histoires. (p.13)

Une tribu indienne se bute à une sorte de filet qui semble surgir de la brume pour les précipiter dans la mort. Peut-être que Ledien, dans cette allégorie, illustre le sort qui attendait les nations indiennes avec l’arrivée des Blancs. Une vision qui les plonge dans un temps où ils n’ont plus de place.

Soudain, une forme apparut. Gigantesque, ajourée comme un filet de pêche ou ces tissus usés que l’on regarde de trop près. Bordée de noir, la colossale disposition de motifs se découpait droit devant eux. Tous s’immobilisèrent, prudents. « Iouskeha ?  » Après s’être emparé de leur regard, le doute se répandait dans leur voix. Mais l’apparition n’avait rien du Grand Esprit. Sahale le ressentit au plus profond de lui-même : il n’y percevait la présence d’aucun animal. L’espace d’un instant, la chose lui fait vaguement penser à un myriapode, un corps long et plat pourvu d’innombrables pattes fines ou striées. (p.34)

Voilà qui devient inquiétant. La mort rôde dans cet endroit et peut bondir d’un moment à l’autre. Des fantômes n’arrivent pas à s’éloigner, comme ce vieil Indien ensanglanté, que Ledien semble seul à remarquer. C’est certainement le rôle de l’écrivain que de voir ce que les autres arrivent mal à distinguer.
Et j’aime croire que malgré toutes nos connaissances et nos certitudes, il reste des zones d’ombres, des phénomènes qui échappent à toutes les explications logiques. J’aime quand toutes les dimensions de la vie se mélangent.

HISTOIRE

Les conteurs aiment convoquer les diables et les êtres maléfiques, se plaisent à faire peur et à effaroucher les âmes sensibles. Alain Gagnon, cet écrivain trop tôt en allée, démontrait très bien dans ses ouvrages que certains endroits agissent comme des points d’acupuncture et permettent aux humains de passer d’une dimension à l’autre, de libérer des forces qui peuvent terroriser toute une population. Des peurs qu’il faut apprivoiser et comprendre, que l’humain finit toujours par terrasser. Le réel n’est pas ce que l’on voit ou ce que l’on peut imaginer. C’est peut-être tout cela ensemble ou quelque chose de plus encore.
L’écrivain américain Paul Auster a souvent misé sur ces possibilités. Beaucoup de ses personnages basculent dans une autre vie en poussant une porte ou en empruntant une route de campagne. Chez lui, certains lieux sont comme des couloirs qui permettent d’échapper à la linéarité du temps et vous poussent dans une autre dimension.
Ledien a l’art de créer des ambiances un peu troubles et d’installer une sorte de tension palpable. Ce Tracel agit comme catalyseur. Des jeunes s’y regroupent pour faire la fête ou encore pour se lancer des défis. Ils veulent prouver qu’ils sont capables de dompter les forces de la nature et surtout vaincre leur peur.

Étienne, le costaud de la bande, leur raconte comment un jeune de leur école secondaire s’est tué en grimpant sur le troisième pilier, plus loin dans la vallée.
— Il niaisait, pis il a gagé qu’il pourrait monter jusque sur les rails. Il avait pas mal bu, faque, en escaladant, il a glissé pis il s’est pitché en bas.
Les autre sacrent, rigolent, poussent des « hou ! » énergiques.
— Tu racontes n’importe quoi ! lance soudain Jean-Jacques. Je connais bien son frère, à ce gars-là. C’était pas un accident. Il l’a fait exprès. Paraît qu’il voulait mourir, à cause d’une fille qui venait de le crisser là. (p.55)

Un lieu idéal pour mettre fin à sa désespérance et au mal de vivre. Le pont Jacques-Cartier à Montréal exerce un attrait semblable pour les désespérés.

PEURS

J’avoue que je n’aime pas tellement la littérature à frissons. Je ne suis pas un admirateur de Stephen King ou de Patrick Sénécal même si j’adore les contes et les légendes. J’évite la plupart du temps les scènes d’horreurs, les massacres, la description des morts violentes. Ledien a le bon goût de ne pas basculer dans cette sorte de réalisme morbide où le sang coule à flots.
Et quant à l’horreur, la réalité politique dépasse à peu près tout ce qu’un écrivain peut inventer. Il n’y a qu’à penser aux attentats qui transforment des camions en bombes, à ces massacres où les tueurs font preuve d’une imagination morbide pour faire le plus grand nombre de victimes. J’aime quand Stéphane Ledien s’attarde à certaines scènes tendres comme dans Arrière, arrière-saison où il préfère les petites touches aux grands traits. C’est subtil et plein de finesse.

La sagesse l’avait gagné. La maladie aussi. En novembre, le vent fit ses offices. Le chêne garda ses ramages ; Pépé mourut de son grand âge. Et quand vint le printemps et que la maison fut vendue, on enterra au pied de l’arbre les cendres du vieil homme. Telles avaient été ses dernières volontés. On raconte, depuis lors, que le chêne endeuillé est le premier à s’effeuiller quand l’automne surgit dans ces contrées. (p.78)

Une belle façon de mélanger les époques, les légendes et de secouer les craintes qui ont peuplé l’enfance de tous les petits garçons et toutes les petites filles. Peut-être que, malgré tout, j’aime parfois avoir peur, effleurer certaines craintes qui ont toujours eu la part belle dans mon enfance. Il suffit de lire la série Contes et légendes publiées aux Éditions Trois-Pistoles pour prendre conscience que l’imaginaire et les histoires font partie du vécu de tous les humains et que c’est là le mortier de toute culture.
Stéphane Ledien fait hésiter souvent devant notre réalité et parvient imperceptiblement à changer notre regard. L’écrivain est là pour nous faire voir le monde autrement et peut-être pour nous répéter que les peurs, les légendes survivent, s’imposent malgré tous les étourdissements médiatiques et les certitudes qui habitent le monde de maintenant.
Des textes efficaces, une belle unité, un imaginaire riche et particulièrement fertile d’un écrivain qui sait surprendre et voir autrement.


DES TRAINS Y PASSENT ENCORE de STÉPHANE LEDIEN, nouvelles parues chez LÉVESQUE ÉDITEUR.


http://www.levesqueediteur.com/des_trains.php

lundi 18 juin 2012

Stéphane Ledien nous fait redécouvrir notre pays de neige

Le regard de celui qui découvre le Québec est toujours fascinant. Surtout s’il s’agit d’un écrivain qui n’hésite pas à cerner ses émotions et à partager ses découvertes. Il arrive alors à nous faire voir un monde familier que nous ne prenons plus la peine de scruter ou d’admirer. Pascal Millet réussissait cet exploit dans «Québec aller simple», un roman qui tournait autour de Tadoussac.

Le titre des récits de Stéphane Ledien m’a fait un peu sourciller. En fait, il lui vient d’un compatriote qui lui a lancé cette boutade en apprenant qu’il migrait au pays du Québec, au Canada comme disent les Français.
«Le type, d’une bonhommie réellement attachante, simule une crise de froid, se frottant vigoureusement les bras comme un hurluberlu perdu sans anorak sur des pistes de ski de fond. «Bonne chance au pays des pingouins!» me lance-t-il, mi-hilare, mi-compréhensif face à la vague de froid que j’affronterai très bientôt.» (p.14)
Pas de quoi rassurer le plus courageux des aventuriers.

Pays de neige

Notre migrant sans peur et sans reproche débarque à Québec à la fin de l’automne. Ce n’est pas encore l’hiver mais l’automne a fait provision de gris, de nuages, de rafales de vent qui charrie les feuilles en rappelant vaguement que l’été existe. Il s’installe à Québec avec Chérie, la femme qu’il aime. Une bonne raison pour changer de pays.
Les comparaisons sont inévitables entre la France, Paris, la ville de Québec et les Québécois qui, de toutes les manières possibles et imaginables, parlent du temps qu’il fait, qu’il fera, que l’on espère ou que l’on souhaite.
Il doit endosser aussi l’armure du parfait guerrier du froid. Tuque, mitaines, vestes, grosses bottes doublées pour affronter le froid sibérien qui fait son nid sur le cap Diamant.
«Me voilà donc en plein saute-moutons de consommation à la recherche d’une veste canadienne et de chaussures conçues pour ces contrées. Fin de la séquence lèche-vitrines. Au fait: ici, préférez le terme «magasinage», du verbe «magasiner», dérivé autrement plus sympathique et acceptable que le mot shopping.» (p.15)
Et tombent les premiers flocons, cette neige qui met du blanc partout, transforme les rues et le décor. Notre explorateur aime la neige, ne se lasse pas de la regarder tomber sur les toits, dans la rue ou les parcs. La lumière change alors et le pays n’est plus le pays. Il adore la poudreuse qui donne l’illusion que la ville fait peau neuve à chaque nouvelle tempête même si certains automobilistes y laissent leur salut éternel.
Une neige qui maraude dans les rues et calme les frénésies quotidiennes en dressant des barrages un peu partout. Il est surtout fasciné par les camions et les souffleuses qui livrent une guerre sans merci à l’hiver. Un combat qui dure des mois, nous le savons.
L’aventure

Équipé pour faire face à toutes les intempéries, les tempêtes ont beau se succéder. Il chausse ses raquettes et s’aventure sur les Plaines d’Abraham en imaginant qu’il traverse le continent comme nos ancêtres l’ont fait à une époque pas si lointaine. Une randonnée dans la Vallée de la Jacques-Cartier devient une expédition, une fête inoubliable. Découverte aussi du sirop d’érable et de quelques traditions culinaires des Québécois.
Ledien aime la neige je vous dis, même quand elle fait preuve de mauvaise foi, s’enracine et repousse le printemps après avoir concédé une ou deux journées chaudes où les survivants que nous sommes surgissent en plein midi comme des marmottes aveugles. Il aime, même quand le froid s’incruste comme un invité qui a trop bu et qui ne comprend pas que la fête est terminée.
Un texte fin, plein d’humour qui montre les beautés de l’hiver et nos comportements parfois étranges. Une façon aussi de se moquer de soi et des autres avec justesse.
Stéphane Ledien secoue nos habitudes et fait voir ce «nouveau pays» qui est le nôtre. Toujours juste et amusant, j’ai lu ces récits avec le sourire aux lèvres. Belle aventure pour ceux et celles qui trouvent que l’été n’arrive jamais assez tôt ou que l’hiver n’a pas d’allure en s’imposant pendant des mois qui s’étirent indument. Ces courts textes font du bien.

«Un Parisien au pays des pingouins» de Stéphane Ledien est paru chez Lévesque Éditeur.