mercredi 25 avril 2007

Claude Jasmin sait aussi être émouvant

Claude Jasmin signe un cinquante-septième livre avec «Chinoiseries». Une forme d’exploit pour ce touche-à-tout qui a tâté de la télévision et été de toutes les aventures où la controverse et la provocation sont la norme. Il a aussi animé une émission littéraire au tout début de la télévision Quatre-Saisons. Cette station, tout comme la télévision en général, a largué les écrivains depuis pour céder la place aux amuseurs publics, aux justiciers et aux démagogues.
Récits, romans, journaux, correspondances, essais et téléroman marquent la carrière de cet écrivain. «La petite patrie» rassemblait bon nombre de fidèles lors de sa diffusion entre 1974 et 1976. Le pamphlétaire aime aussi envoyer des lettres aux journaux qui ne passent jamais inaperçues et a même voulu être député à une certaine époque.
Il était à «Tout le monde en parle» récemment, visiblement heureux comme un lézard au soleil devant les caméras. Jasmin n’a jamais refusé une occasion de se présenter dans un studio de télévision. Il aime la lumière des projecteurs, s’y sent dans un cocon et peut s’enflammer, s’indigner, pourfendre et plonger dans une controverse pour le plaisir de soulever des vagues. Pensons à ses dires sur les régions et la campagne lors de sa dernière apparition à la grand-messe du dimanche soir de Guy A. Lepage.
Dans un essai publié aux Éditions Trois-Pistoles, il affirme écrire «pour la gloire et l’argent». Espérons que ce ne sont plus ces illusions qui le poussent à signer ce roman. Si Jasmin est un personnage connu, il faut l’attribuer à «ses passages» à la télévision et à ses coups de gueule.

Le poids du temps

Ce roman, ce pourrait aussi être un récit, suit un homme de 77 ans qui voit l’avenir se recroqueviller. Beaucoup d’éléments sont puisés dans la vie de l’auteur. Le personnage vit dans les Laurentides, écrit dans un journal local où il ne donne pas dans la dentelle et a signé aussi plusieurs livres où il se permet des écarts avec la ponctuation et les majuscules.
«le vieil homme se souvient de tant de rencontres-séminaires ici-même, de journalistes ou d’écrivains, ces réunions étaient appréciées par de farouches solitaires, ce que sont souvent écrivailleurs et écrivaillons
réunions de «week-ends subventionnés», pas toujours pédantes, parfois avec des conférenciers savants, de vrais «illustres», parfois avec de «célèbres» inconnus, des happy few, des méconnus avec, bien entendu, du talent extrafort, des docteurs au sein de coteries de «bien branchés», mais aussi séminaires appréciés, animés par de vraies «vedettes» en belles-lettres, venues de Paris, Rome, New York» (p.97)
Le vieil homme nage à la piscine, regarde le monde s’agiter, voit son enfance revenir en grosses vagues. Il a été heureux près de sa grand-mère «fragile du cœur» et de ses sœurs, avec son père qui l’amenait sur les quais du port de Montréal pour s’adonner à la pêche à la ligne. Il y avait aussi les excursions dans le quartier chinois et les lettres attendues de cet oncle missionnaire à Szépingkai, en Chine.
Le roman oscille entre le présent du narrateur qui reprend goût à la vie grâce à Rolande et les lettres de l’oncle Ernest qui étaient une ouverture sur le rêve et l’aventure pour le petit garçon.
Nous retrouvons des personnages de «La Petite patrie», le restaurant de son père où les jeunes du quartier dilapidaient les heures et redessinaient le monde, un enfant qui découvre la prostitution, la violence, l’alcool et les tares du monde adulte. Un univers et une époque où Jasmin aime s’attarder.

Réinventer la vie

Jasmin devient émouvant quand il oublie les facéties et l’esbroufe, quand il montre le visage du vieillissement sans complaisance et sans apitoiement, la fragilité d’un homme qui se croyait immortel.
L’écrivain attentif et amoureux que nous retrouvons dans «Chinoiseries» est celui que je préfère. J’aime l’homme qui ne triche pas avec les mots. À souhaiter qu’il continue dans cette veine. Claude Jasmin sait être juste et percutant quand il cherche un sens à cette vie qu’il faut sans cesse réinventer.

«Chinoiseries» de Claude Jasmin est paru chez VLB Éditeur.
http://www.edvlb.com/claude-jasmin/auteur/jasm1000