lundi 5 novembre 2012

Louise Desjardins est une vraie magicienne


Belle surprise que de retrouver Angèle dans «Rapide-Danseur» de Louise Desjardins. Cette femme, les lecteurs l'ont apprivoisée dans «Le fils du Che». Sa mère vient de mourir dans un accident d’auto. Un appel téléphonique nous permet de plonger dans les dernières années de cette survivante, de comprendre ce qu'elle fait en Abitibi, dans une maison héritée de sa tante.

Il y a un peu plus de deux ans, la jeune femme abandonnait son fils Alex à sa mère. Un geste désespéré, une question de survie. Les appels de son frère provoquent une plongée en soi, Angèle revit son arrivée dans ce pays, des rencontres, l’amitié avec Lucie, l’amour sans restriction de Magdelaine qui a vécu sa passion avec une autre femme, malgré le scandale qu’elle a provoqué à Val-Paradis. Un être libre, plein de ressources qui deviendra une autre mère pour elle.
«Puis en novembre 2002, j’ai pété les plombs et j’ai remis mon fils à ma mère, sa vraie mère, au fond, qui à son tour l’a remis à son père. Et j’ai pris l’autobus pour l’Abitibi. Mon fils ballotté doit se demander qui est sa mère. Il avait plus de douze ans quand j’ai repris son sort en mains, dans mes mains moites et molles pleines de pouces, qui ont laissé couler le peu d’amour qui aurait pu s’installer entre nous. Il avait quatorze ans quand je l’ai largué, il en a seize maintenant. De quoi a-t-il l’air?» (p.29)
La mort d’Anita foudroie Angèle. Elle n’arrive plus à bouger, happée par le drame de sa vie, son incapacité à décider quoi que ce soit.

Fuite

Est-ce un hasard? Angèle a pris la direction de Rouyn-Noranda, en Abitibi, le pays de son père. Elle avait fait un saut dans cette région que sa mère a toujours dénigrée alors qu’elle avait dix ans.
«J’aimerais que mon cerveau cesse de tourbillonner, de fouiller sans arrêt mon passé, pour comprendre enfin pourquoi je suis venue au bout du monde, au pays de mon père mort il y a presque trois ans maintenant, mon père que je n’ai pas vraiment connu même si j’ai habité sous son toit pendant plus de trente ans. J’étais une étrangère dans ma propre vie, ma propre famille, ma propre ville. J’étais une huître scellée, celle qu’on rejette parce qu’on n’arrive pas à l’ouvrir.» (p.30)
Peut-on renouer avec le passé, une famille inconnue? Tout commence mal chez l’oncle Normand, un irascible. Heureusement, Angèle croise des anges. Lucie la fait monter dans sa voiture et la jeune femme peut respirer. Elle retrouve Magdelaine, la sœur de son père, qui la prend sous son aile.
«Viens que je t’embrasse. C’était la première fois de ma vie que quelqu’un me faisait une telle étreinte, si enveloppante. Mais vous devez avoir froid, a fini par dire Magdelaine, se ressaisissant un peu. J’allais manger, justement, entrez dans la cuisine. Elle a enlevé son grand châle crocheté qui couvrait un tee-shirt immense et un jean serré.» (p.124)
Peu à peu, l’envie de vivre revient. L’amour surtout, ce dont elle a été privée depuis sa tendre enfance.

La mère

Peut-on abandonner son enfant, se déclarer inapte à la maternité?
«Les mères ne disent jamais à voix haute qu’elles n’aiment pas leurs enfants. Ça ne se fait pas. Je suis une mère inadéquate, je n’ai pas su materner mon enfant, l’allaiter, l’élever avec patience, lui lire des histoires avant de le border, comme dans «Tout se joue avant dix ans», non, je n’ai même pas lu cette bible que ma mère laissait traîner dans le salon. Inapte, a-mère, c’est exactement ce que je suis.» (p.31)
La culpabilité ronge Angèle. On se souvient du silence étouffant du roman «Le fils du Che». La fille méprisée et rejetée par sa mère, n’a pu donner ce qu’elle n’a pas reçu.
Que va faire Angèle? Partir à Montréal comme tout le monde le ferait ou attendre que le temps arrange tout, même mal. Elle est paralysée, comme toujours, quand il est question de sa mère.
Louise Desjardins crée un véritable suspense dans une sorte de huis clos où Angèle revit sa fuite et ce passé qu’elle a cru effacer. Toujours difficile de mettre le doigt sur des blessures d’enfance, mais combien fascinant. La jeune femme a pensé qu’il était possible de devenir une autre au bout du monde, dans ce village de Rapide-Danseur où la rivière ne se laisse jamais ligoter par les froids et la neige.
J’ai eu envie de relire «Le fils du Che» et de continuer avec «Rapide-Danseur». Tout se tient. Louise Desjardins est une magicienne qui nous possède d’un bout à l’autre de ce roman introspectif. Une formidable réussite.

«Rapide-Danseur» de Louise Desjardins est paru aux Éditions du Boréal.