dimanche 18 octobre 2009

Victor-Lévy Beaulieu retourne aux sources

Victor-Lévy Beaulieu, avec «Bibi», nous ramène dans son adolescence. La famille a quitté les arrières de Trois-Pistoles pour s’installer à «Morial-Mort». La tribu vit dans un appartement trop petit où Abel, l’alter ego de VLB, veut échapper à la vie de ses parents.«Moi, je ne suis pas comme vous autres, je suis venu au monde pour créer, pour rêver, pour dénoncer, je suis venu au monde pour connaître vraiment ce que le mot passion veut dire.» (p.103)
Le lecteur va des premiers pas d’Abel en littérature à une course folle dans le monde pour retrouver Judith qui lui a fait découvrir la sexualité et a cru en lui. Elle l’a fait exister comme écrivain avec son regard de lectrice.
Cette partie nous mène à Paris. Abel a remporté un prix littéraire et doit faire un stage chez Larousse en édition. Le texte gagnant a été la source, on l’imagine, de «Pour saluer Victor Hugo».
Abel n’a pas revu Judith depuis quarante ans et un matin, une lettre arrive dans sa maison de Trois-Pistoles. Un appel, un ordre. Il quitte tout, va de pays en pays comme le Petit Poucet pour retrouver la seule femme qu’il a aimée. C’est ainsi qu’il débarque en Éthiopie, berceau de l’humanité et peut-être aussi son tombeau.
«… - cette peur qui me fait suer, qui s’immisce sous l’attelage me recouvrant le bras et l’épaule gauches, infiniment douloureux ça devient : ça monte jusqu’à mes yeux, ça y plante plein de petites aiguilles empoisonnées, je ne verrai bientôt plus rien ni du ciel ni de la terre, je ne serai plus sur la terre battue qu’un petit corps mal recroquevillé et assailli par les essaims de mouches belliqueuses et buveuses de sang… -» (p.439)
Ces courses en Afrique permettent à Beaulieu de discourir longuement sur la misère, les coups d’États, les régimes despotiques et les génocides. Un continent exploité par des dictateurs sanguinaires, tous jouets des puissances mondiales. Ce n’est pas la partie la plus intéressante de cette saga.

Les parents

Victor-Lévy Beaulieu revient sur cette haine viscérale et obsédante qu’il entretient envers sa mère et son père. Signalons seulement le portrait qu’il fait de sa mère dans «James Joyce». Particulièrement troublant et dérangeant. Ses parents devenant un obstacle à ce qu’il veut être dans la littérature. Il doit rompre, les éloigner, les chasser. Cela devient vite hallucinant comme tout ce que touche ce romancier.
«Je les aguis, que je dis. Vous voulez savoir pourquoi ? Parce qu’ils vous ressemblent : se confortent aux idées reçues, n’ont plus le pouvoir de penser parce que votre Église et toutes les autres les ont lobotomisés. Et tout ça pour jouir d’une vie éternelle, qui n’est rien de moins qu’une chimère. Quand on meurt, le corps pourrit, et c’est ça la vie éternelle : un petit tas d’ossements qui finit par disparaître complètement, rien d’autre.» (p.311)
Il s’attarde longuement à la poliomyélite qui l’a laissé sur une planche de bois pendant des jours. Ses lectures aussi, des réflexions sur le Québec et certains écrivains.
Roman du souvenir, du vieillissement, Abel fait le point sur le parti de soi qu’il a pris en choisissant d’écrire. Nous sommes loin du «James Joyce» et de «La Grande tribu» où l’écrivain atteignait des sommets inégalés.
«- ne te déjette pas de ton égoïsme, il n’y a que ça qui t’appartienne en propre, il n’y a que ça qui fait que tout ce qui t’appartienne en propre, cette étendue, cette profondeur, cette durée – toi, toi-même, uniquement toi, totalement toi-même -» (p.494)
La mort est évoquée dans une sorte de prière qui monte du fond de l’être. C’est particulièrement touchant. Abel souffre dans son corps frappé par la maladie, survit en vidant des bouteilles de whisky à petites gorgées, évoque la douleur de Kafka qui se sait perdu au sanatorium ou d’Antonin Artaud qui délire dans sa réclusion.
À la fin de cette errance, Abel est criblé de balles après avoir retrouvé Judith qui a mis en scène sa propre mort. Survivra-t-il ? Si Abel meurt, il ne faut pas attendre de suite à ces mémoires et j’en serais fort attristé.

« Bibi » de Victor-Lévy Beaulieu est paru aux Éditions Trois-Pistoles. 
http://www.editiontrois-pistoles.com/viewAuteur.php?id=6