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jeudi 11 juin 2015

Pour mieux comprendre le Québec d’aujourd’hui


TOUS LES LIEUX font naître des contes et des légendes, jalonnent l’histoire des populations. Des faits vécus, des craintes ou encore des superstitions marquent un territoire et permettent de se l’approprier. Ce peut être la géographie ou la particularité d’un site qui fait courir l’imaginaire. Une collection unique des Éditions Trois-Pistoles permet de visiter le Québec et ses régions, de nous attarder aux contes et aux légendes pour en surprendre les particularités. Pierre Landry nous entraîne cette fois sur la Côte-du-Sud du Saint-Laurent pour un voyage singulier. J’ai eu le bonheur de visiter le Saguenay-Lac-Saint-Jean, la Gaspésie, l’Abitibi, l’île de Montréal, Charlevoix et Québec avec cette collection prestigieuse.

La Côte-du-Sud s’étend de Notre-Dame-du-Portage aux paroisses s’étendant en périphérie de Rivière-du-Loup. Un véritable pays qui longe le fleuve et monte par paliers vers l’intérieur des terres. Pierre Landry survole l’ensemble de ce territoire par de courts textes et donne un bel aperçu de cet espace à l’arrivée des Blancs et des affrontements qui ont suivi jusqu’à la conquête du Canada par les Britanniques.
Une belle manière de visiter une vingtaine de paroisses, de se moquer du temps en allant des premiers arrivants jusqu’à une époque récente. Une façon aussi de nous informer sur l’histoire des lieux, le peuplement des paroisses, le travail et les croyances de ces hommes et ces femmes qui vivaient surtout de la terre, de la pêche et de la navigation. Le trafic de certains liquides illicites provenant de Saint-Pierre et Miquelon a aussi eu son importance et été à l’origine de bien des légendes.
Le plus intéressant reste l’imaginaire et les croyances qui emballent l’esprit des gens et ces héros qui retiennent l’attention au-delà de leur époque avec leurs exploits et leur audace.

LES DÉBUTS

Ce territoire a particulièrement souffert pendant les guerres entre les Français et les Britanniques, avant 1760 et la Conquête. Le texte du major George Scott nous relate avec une froideur stupéfiante les avancées de l’armée anglaise en 1759. Les militaires ne rencontrent que peu de résistance, les résidents ayant presque tous fui dans les bois. Les habits rouges brûlent résidences et bâtiments de ferme, rasent les villages sans raison aucune. On peut imaginer la désolation et la misère de ces populations pendant l’hiver qui suivra le pillage. À l’époque, on ne parlait pas de crime de guerre… On répétera ces façons barbares en 1837 pour mater la révolte. L’armée britannique, la meilleure au monde disait-on, ne faisait pas de quartiers et se montrait particulièrement cruelle et insensible.

En somme, nous avons marché sur une distance de cinquante-deux milles et, sur le parcours, nous avons brûlé 998 bons bâtiments, deux sloops, deux goélettes, dix chaloupes, plusieurs bateaux plats et petites embarcations, nous avons capturé quinze prisonniers, dont six femmes et cinq enfants, et fait cinq victimes chez l’ennemi ; il y a eu un blessé parmi nos réguliers et, chez les rangers, deux morts et quatre blessés. (p.44)


IRLANDAIS

Comment oublier les événements qui ont marqué Grosse-Île où les migrants, des Irlandais surtout, arrivaient en souffrant de la famine et de maladies contagieuses ? Ils devaient débarquer sur cette terre de la désolation et de la mort pour une période de quarante jours. C’était assez pour mourir dans la souffrance et la détresse. On pourrait parler de l’île de la mort. Il suffit de visiter les lieux pour en avoir des frissons dans le dos. Madeleine Ouellette-Michalska en a fait le sujet d’un roman fascinant : L’été de l’île de Grâce.

L’île de quarantaine est une île aux bruits troublants. En plus de la triste symphonie des cris de douleur et des divagations des malades, on entend sans cesse un sinistre rappel, celui de la récolte faite par le Moissonneur. C’est le grincement des petites charrettes transportant les morts à l’ouest de l’île où sont creusées les tranchées. Ceci se poursuit jour et nuit. On entasse jusqu’à dix corps à chaque voyage. (p-205)


Bien sûr les religieux tiennent une place importante dans l’histoire de ce coin de pays comme partout au Québec. Impossible d’éviter les agissements de certains curés qui ont réalisé de véritables exploits. Je pense au curé Francheville qui a dirigé un groupe de maquisards et fait en sorte de retarder la progression des troupes britanniques. Un prêtre qui maniait aussi bien le fusil que le goupillon. Ils furent malheureusement trop rares à se comporter ainsi, surtout pendant la période de 1837.
Des figures étonnantes surgissent au fil des années comme l’abbé Charles Chiniquy qui, après avoir été le champion de la lutte contre l’alcoolisme, ne se gêne pas pour dénoncer les agissements des religieux. Les scandales sexuels commis par des ecclésiastiques remontent à loin et l’Église a toujours tout fait pour les dissimuler. On connaît maintenant les agissements de certains dans les maisons d’enseignement et surtout le scandale des pensionnats indiens. Des pages peu glorieuses que personne ne pouvait dénoncer alors sans en subir les conséquences. L’abbé Chiniquy est exilé pour sa trop grande franchise et son désir de réformer les mœurs de l’église. Notre Martin Luther n’aura guère de succès dans son monde d’origine et vivra la plupart du temps aux États-Unis.

Je me rappelai alors ce que m’avait dit M. Perras, la première année de ma prêtrise, des larmes et du désespoir de l’évêque Plessis, lorsqu’il s’était aperçu que tous les prêtres du Canada, à l’exception de trois, étaient des athées. Je me sentis humilié et honteux d’appartenir à ce clergé de Rome dont une bonne partie, sinon la totalité, nageait dans des infamies qu’on aurait à peine tolérées à Sodome. (p-590)

PORTRAIT

Pierre Landry dresse un véritable panorama du Québec, de la vie des autochtones qui devaient bouger constamment en hiver pour trouver du gibier et survivre. De la navigation, des exploits incroyables de certains marins qui traversaient le fleuve dans des conditions inimaginables. Des textes particulièrement intenses et vivants.
Il fait plaisir de lire Jacques Ferron qui a exercé son métier de médecin dans ce territoire en début de carrière, Arthur Buies, Philippe Aubert de Gaspé qui vivait à Saint-Jean-Port-Joli et dont la présence est encore visible dans ce coin de pays. Des conteurs aussi et des écrits du frère Marie-Victorin qui restent étonnamment modernes. J’ai particulièrement aimé les textes de Gaétane de Montreuil qui prennent des couleurs avant-gardistes. Elle y démontre un courage peu commun.

Avant même que le mot féminisme eût été prononcé dans la province de Québec, avant même qu’il fut inventé, Jacques Latourelle, de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, avait ses idées arrêtées sur le rôle des femmes dans l’humanité. Pour lui c’était une bête de somme, à laquelle il reconnaissait un peu plus d’intelligence qu’à ses bestiaux, mais qui ne devait employer cette faculté que pour le bien-être et les intérêts de son mari. (p.460)

Une belle manière de se souvenir et de découvrir ce qu’a été la vie de nos ancêtres dans le pays de la Côte-du-Sud, ses activités, ses déplacements, ses fêtes du côté de Kamouraska où l’on ne refusait jamais un verre, même au risque d’y perdre un nouveau-né dans la neige. C’est peut-être la raison qui a fait qu’Anne Hébert a choisi ce lieu pour y installer les personnages de son roman Kamouraska.
Esprits, feux follets, revenants, personnages un peu détraqués nous fascinent pendant toute la lecture de cette épopée. C’est un devoir de mémoire que de retourner sur ces périodes qui ont précédé le Québec de maintenant et font que les gens s’attachent à un coin de terre pour l’aimer et le magnifier. S’il y en a qui doutent de la Conquête du pays par les Anglophones, plusieurs textes rafraîchissent la mémoire.
Pierre Landry nous permet surtout de vivre l’aventure d’un peuplement francophone unique en Amérique du Nord et nous aide à comprendre notre époque. Un ouvrage nécessaire et passionnant.

Contes, légendes et récits de la Côte-du-Sud, Pierre Landry, Éditions Trois-Pistoles, 708 pages, 69,95 $.

NOTE : une version de cette chronique se retrouve dans Lettres québécoises, été 2015, numéro 158.