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jeudi 4 juin 2015

L’enfance ne s'éloigne jamais des poètes

LES LIEUX, CEUX qui nous ont vu naître et grandir, marquent pour la vie. Pour les écrivains, ces pays deviennent souvent les décors de leurs fictions. Pensons aux Trois-Pistoles de Victor-Lévy Beaulieu ou le Lac-Saint-Jean de Michel Marc Bouchard. Il y a aussi le Plateau Mont-Royal de Michel Tremblay. La liste pourrait s’allonger. Des endroits comme des attaches qui permettent de créer un monde fictif et réel. Si on m’avait dit, à dix-huit ans, que j’écrirais presque toute ma vie sur mon village, ma famille, ces paysages que je parcourais depuis que je pouvais courir, j’aurais éclaté de rire. C’est pourtant cet univers que je n’ai cessé d’explorer.

Denise Desautels a grandi près du parc La Fontaine à Montréal, un espace qui m’avait terriblement impressionné lors de ma première visite dans la métropole à quinze ans. J’avais fait le voyage pour un congrès des clubs 4H. Les arbres gigantesques, les pelouses si vertes, les étangs contrastaient tellement avec les épinettes rabougries et les cyprès tordus auxquels j’étais habitué. La forêt commençait au bout de la terre familiale et débordait jusqu’au grand lac Mistassini et plus loin encore. La forêt boréale était notre terrain de jeux avec ses rivières larges comme des fleuves, ses lacs, ses savanes et ses montagnes. Le parc La Fontaine, c’était la nature tranquille et apprivoisée.
Les poètes et les écrivains tournent souvent autour d’eux pour voir ce que personne ne remarque. Pourtant, même en écrivant, en se penchant sur ses empreintes, certains aspects restent dans l’ombre et échappent au regard. Si le poème ou le roman révèlent, ils masquent aussi.
C’est un peu ce que vit Denise Desautels quand son fils, lors d’une discussion, lui avoue qu’il ne lit pas ses livres parce qu’il y est trop souvent question de la mort.

Nous ne parlons pas, ou si peu, de mes livres. « Trop de morts » pour que tu ailles jusqu’au bout. Ça a été ton unique commentaire à propos de Ce fauve, le Bonheur. Tu as refusé de faire partie de la communauté des victimes, tu as eu raison. Refusé d’être « rappelé à l’ordre… ramené dans le Bonheur pieds et poings liés » comme dans Tu ne t’aimes pas. La reconstitution, bien que fortement fictive, de l’hécatombe familiale qui a précédé ta naissance et que j’ai voulu inscrire dans une certaine histoire du Québec ne te concerne pas. (p.16)

Imaginez ! Tout ce qui fait la quête de l’écrivaine, ce qu’elle tente d’apprivoiser par les mots, la phrase et l’image, son fils refuse de s’y attarder. Comme s’il rejetait sa mère en disant non. Ce monde sans cesse retrouvé et exploré, ce vécu marqué par les pertes et les disparitions, le fils lui tourne le dos.
L’écrivain comprend que ses proches sont ses plus mauvais lecteurs. Je sais que mes frères ne lisent jamais mes livres, même s’ils sont touchés de toutes les manières possibles. Je ne peux y penser sans ressentir un pincement au cœur. J’explore une terre étrangère et ils n’entendent pas ma langue. Ce monde, ils le croient inaccessible.
Denise Desautels tente d’expliquer, mais comment parler quand le silence vous aspire et que l’on sent le refus. Y a-t-il des sujets qu’il est interdit d’aborder avec ses proches ? Peut-être parce qu’ils ne sont pas touchés par les mêmes lieux ou qu’ils sont hantés par d’autres paysages.

SON PARC

Le parc La Fontaine, Denise Desautels le considérait comme sa propriété personnelle avec ces espaces où elle pouvait se retrouver avec sa grande amie, échapper aux contraintes familiales et à ses étouffements. Et rêver aussi, l’ailleurs, une autre vie, d’autres villes et des voyages.

Le parc est un nid de ténèbres. J’y avance souvent avec l’impression de porter un sac de cent kilos sur mon dos. De décupler à chacune de mes foulées les douleurs prises en mottes dans les sous-sols, liées pêle-mêle à des morts proches autant qu’à celles qui font la une. Je m’acharne pour rien à les exhumer. Immanquablement elles se renouvellent et me rattrapent. Je suis espionnée, mon grand, jugée coupable par elles.  (p.22)

Elle n’avait qu’à traverser la rue et c’était un univers autre avec des rencontres, des jeux et certains dangers qu’elle s’efforçait de ne pas voir. Un espace impossible à oublier. On y revient physiquement ou par la pensée, tous les jours, pour se ressourcer, se souvenir, se rappeler qui on est. Ce parc au cœur de la ville, l’écrivaine ne l’a jamais quitté malgré les déplacements nombreux et les exils qu’elle a vécus pendant qu’elle imposait sa voix à l’étranger.
Il fallait un choc, une image. La photo d’une chouette prise par son fils, au sommet d’un arbre pour amorcer la réflexion. Que voit-elle que son fils ne voit pas et que voit-il qu’elle ne pense pas regarder ? Il y a un monde qu’elle connaît et un monde qu’elle ignore.

Parce qu’il ne pleut que du périssable, je compte les morts partout tout le temps. Dedans comme dehors. À ton insu tu m’as ramenée à l’ordre, tu as donné un nom aux bêtes et aux choses. Le matin de la buse, sans toi, je n’aurais pas regardé si haut. Je n’aurais pas été frappée par le réel en plein visage. Je serais restée coincée, à ressasser des ruines. Hurlante à l’intérieur. (p.13)

Le passé refait surface et il y a encore et toujours ces ruelles à découvrir et des visages peut-être qui vont ressurgir et permettre de dire autrement la réalité.
Le fils a raison. Il y a beaucoup de morts dans la vie de Denise Desautels. Des parents, des connaissances. Comme si elle portait le mauvais œil pour ceux qu’elle a aimés et côtoyés.
Est-il possible de trouver les mots dans les mondes de son enfance, la maison où la famille a vécu si longtemps ? Tout revient quand on emprunte les chemins du souvenir. L’exiguïté des lieux, l’emprise de la grand-mère, ses peurs et ses obsessions. Un écrivain finit toujours par emprunter les sentiers qui ont permis l’œuvre littéraire et les questions sans cesse méditées.

RETOUR

Denise Desautels secoue les racines de son œuvre foisonnante avec une sincérité émouvante, le désir de tout dire à ce fils qui scrute le monde par l’œil d’un appareil photographique. Le voir et le dire. Le dire en le voyant. La poète entreprend le chemin le plus long, celui où il est impossible de tricher. La franchise est exigeante. L’écrivaine se faufile entre l’enfance et la vie de maintenant, bouscule le temps et l’espace, s’attarde devant des visages familiers et méconnus, raconte ce parc qu’elle ne cesse d’arpenter pour s’y surprendre peut-être derrière l’arbre où Gilbert Langevin allait parfois dormir dans les derniers temps de sa poévie.

Troublant que nous n’ayons jamais parlé ensemble de ce lieu, logement et cour, peuplé de rongeurs. De quoi au fait au juste, mon grand, avons-nous déjà véritablement parlé ensemble ? Avons-nous même déjà joué, chanté, rêvé, ri à gorge déployée ensemble ? Pleuré, oui, je me souviens. Depuis toujours si incompétente avec la sphère des choses vitales. (p.47)

Une écriture magnifique, touchante où les mots effleurent les silences qui pèsent si lourd. Le fils restera un étranger même si elle l’a accompagné vers la vie d’adulte. Les mots ne peuvent réparer la vie, mais ils la rendent meilleure, plus consciente. Il y a des images, des photos qui la bousculent et la font se retourner. Il faut plus que du courage pour s’aventurer dans une telle démarche. On peut presque parler de témérité.
Denise Desautels ne se défile jamais. C’est ce qui fait la beauté de ce livre émouvant. On s’y attarde, on revient sur les phrases qui éclatent comme les feuilles des grands arbres au printemps. Ces grands arbres sous lesquels elle va dans le matin, jonglant certainement avec des images, des bouts de poèmes qui la suivent partout. Marcher dans sa vie comme dans l’espoir de surprendre un fils dans une allée pour le prendre dans ses bras et lui dire toute sa vie. C’est ce qu’elle fait dans ce magnifique livre, ce texte de courage et d’amour.

Sans toi, je n'aurais pas regardé si haut. Tableaux d'un parc, Montréal de Denise Desaultels est paru aux Éditions du Noroît, 88 pages, 22 $.

NOTE : une version de cette chronique se retrouve dans Lettres québécoises, été 2015, numéro 158.

mercredi 14 décembre 2005

Quels mots vous révèlent et vous hantent?


Il n’y a pas de hasard. Certains mots vous traquent et créent des brèches dans les fortifications que l’écriture dresse autour de soi.
L’abécédaire peut s’avérer un exercice périlleux. Vingt-six mots suffisent-ils à dresser un portrait juste de soi ? Denise Desautels, à partir de chaque lettre de l’alphabet, a isolé un mot pour plonger dans ses hantises et la source de son écriture. Elle s’y abandonne avec une franchise et une honnêteté désarmantes. Une puissance égale à «Ce fauve, le Bonheur» qu’elle livrait en 1998.
«Après, bibliothèque, chat, écrire, journal, père» s’imposent. Une liste d’apparence anodine qui entraîne le lecteur dans l’univers de cette poétesse et écrivaine. Des événements qui laissent sans volonté, une difficulté à écrire cet «après». L’auteure s’arrache à peine à la mort de sa mère. Le monde est dévasté et elle doit réapprendre à posséder le jour.
«Mai 2002. J’écris après. Après la disparition de ma mère et de Lou, deux femmes ayant servi de modèles à deux autres, fictives, qui se relaient auprès de l’enfant, ma semblable, ma sœur, la narratrice de Ce fauve, le Bonheur. Après la parution de l’étrange trilogies : Cimetières : la vague muette, Tombeau de Lou et Pendant la mort. Après septembre, le 11, et ce qu’il y a devant, ce qu’il y a derrière, de souffrant, d’irrésolu, d’aveugle.» (p.7)

La mort

Denise Desautels interpelle ses morts, ceux qui ont menacé sa vie. Le père décédé quand elle était enfant, sa mère, des proches, des disparitions qui sont venues la hanter pour ne plus la quitter. Une présence que l’écriture a su garder à distance mais en exigeant une attention de tous les instants.
«J’écris dans une solitude privée d’ajournement. Traquée par cette insignifiance de l’après qui repousse loin la moindre prétention. Quoi qu’en pense l’autre, qui ne grandira jamais, je refuse de prendre le chemin creux où le sable bouge et nous enfonce. Or, dans ce silence qui précède l’aurore, certains mots ont l’air de petits tyrans.» (p.11)

Un livre touchant où elle ramène des réflexions puisées dans ses nombreux livres et ses lectures. Des textes d’une densité remarquable. Comme si Denise Desautels s’éloignait de sa poésie dans «Ce désir toujours» pour mieux la palper. Comme elle scrute une sculpture, recule devant une toile pour mieux la «voir». Denise Desautels cisèle chaque phrase avec une rigueur d’orfèvre.

«Ce désir toujours» de Denise Désautels est paru aux Éditions Leméac.

dimanche 12 décembre 1999

Qui n'a pas rêvé de devenir maître du temps?

Denise Desautels est restée longtemps fidèle à la poésie avant de faire le «saut de l'ange» et aborder la prose. «Le bonheur, ce fauve» récit d'enfance et d'introspection, est un regard touchant, juste, très sobre sur les années qui marquent la vie et forgent l'adulte. Avec ce récit d'initiation, ces réflexions sur ces moments de l'enfance qui surgissent comme une bulle à la surface de l'étang, Denise Desautels sait se faire inquiétante avec la mort qui se faufile entre deux gestes, deux longues respirations. Cette mort qui devient obsédante avec un père arraché à l'auteure quand elle n'avait que cinq ans. Cette «présence» ponctue le récit, accompagne les rires, se profile le soir, au bout d'un jour exceptionnel de juillet, emprunte le souffle «des âmes voyageuses» et vient inquiéter l'enfant dans son émerveillement du monde.  
Tout s'est arrêté le six mai 1950 et après une éternité, une seconde peut-être, la vie est repartie.

Un monde

Dans de courts chapitres, comme si le lecteur feuilletait un album de photographies anciennes, Denise Desautels nous encercle avec son monde, ses rêves, ce «père absent» qui ne s'éloigne jamais malgré la vie ou la mort. Elle reste marquée, troublée, perturbée, surtout que la mère met sa vie en veilleuse et semble attendre d’impossibles retrouvailles. La vie ne peut plus être insouciante, ne saura jamais être insolente et pleine de certitudes. Toujours il y a cette gravité qui s'approche quand tout prend la couleur du bonheur. Parce que l'auteure sait. «J'apprends très tôt qu'il n'y a pas d'âge pour mourir» (p.158).
La mort se faufile dans ce qui est le plus intime, le plus chaud et le plus vorace. Elle donne un poids à la vie et la rend plus précieuse même. Mais comment s'empêcher de basculer du côté des vivants malgré la peur, la fragilité du corps qui peut oublier ses gestes au mitant du jour... Denise Desautels murmure à l'oreille. C'est la confidence, la respiration, le monde protégé de la chambre, le rire devant un lac qui s'embrase de l'été, le matin chaud dans les draps qui forment le corps. Et c'est un souffle encore, un sourire, un effleurement, comme si les anges du si beau film de Wim Wenders venaient partager des secrets, des espoirs, des rires et des larmes. Le monde devient un livre retrouvé qui s'ouvre et se referme, une phrase qui remonte à la surface. Le récit retient son souffle, fige la course du lecteur dans un moment de grâce et d'inquiétude. Qui n'a pas ressenti que tout pouvait basculer au milieu d'une journée parfaite de juillet, quand il n'y a que de l'eau et des excès de chaleur? La vie est si fragile et la mort si fidèle.

L’instant précieux

Un geste, un élan, un regard, un sourire, un amour fragile et la vie s'affole en perdant ses ailes, n'est plus qu'une palpitation, qu'une paupière qui efface la réalité du monde et la retrouve, un battement à la naissance du cou et un sourire qui frémit sur les lèvres. La vie devient si lente alors, si douce que le temps peut s'éloigner et oublier. Tout dans ce récit est de l'ordre du frisson et du tremblement.
Le monde fragile de l'enfance est défait et reconstitué dans la mémoire qui en redessine les contours. Les mots serrent la gorge et la parole devient râpeuse. Il faut rebrousser chemin alors mais comment s'empêcher de revenir... Denise Desautels traduit bien ces hésitations, ces moments purs d'émotion en passant du je au il, prenant ainsi le recul essentiel pour comprendre et toucher la blessure.
«L'enfant, absorbée par l'inconnu, éprouve la vie comme un frisson. Elle n'est plus qu'une peau souple et frémissante qui se laisse prendre par le goût de l'air. De la caresse. On l'a ensorcelée» (p.29).
L'auteure ne triche pas, ne laisse jamais croire qu'elle revit son enfance. Nous savons que c'est l'adulte qui regarde et se souvient. Toujours le moment évoqué garde ce flou, ce halo, cette patine du temps. Juste la trace de l'ongle qui marque un peu l'être et l'âme. Un récit tout en finesse, en délicatesse, une écriture faite de pudeur et d'audace.
«Ma mère. Ses doigts câlins, je le devine, flânent sur un cou, glissent sur une épaule, hésitent, ralentissent leur descente, s'arrêtent quelques instants sur un coude, surveillant là la prochaine maison, puis avec langueur redémarrent, «quarante-trois»... dévient vers l'intérieur, se resserrent à la saignée d'un bras et font des cercles lents, très lents sur une peau qui frissonne» (p.140).
Et à la fin, quand on a épuisé toutes les pages, il faut fermer les yeux pour se rappeler ce rideau qui tremble, ce matin à la lumière délavée avec des oiseaux qui attendent; le soleil fou qui traîne son ombre au milieu d'un lac, l'été des amours, les rires et le bonheur de l'adolescent Louis qui ne croyait plus à la mort malgré la maladie qui le rongeait.
Le souvenir fait frémir les lèvres, esquisser un mouvement de danse et c'est ce vêtement qui colle à la peau gorgée de soleil. L'oncle Bernard ferme les yeux et pense à voix haute. La musique ne devrait jamais s'arrêter. Peut-être que la vie n'aura plus la mauvaise idée de bousculer les êtres aimés, peut-être que le monde sait être prodigue de son temps...

«Ce fauve, le bonheur» de Denise Desautels est paru à L'Hexagone.