dimanche 23 mars 2014

L’histoire de l’Amérique vue par Thomas King

Qu’on le veuille ou non, nous gardons des images précises de l’Indien. La télévision a fait cela, le cinéma surtout et les cours d’histoire. Je frissonnais en lisant les pages de mon Histoire du Canada où l’on décrivait les terribles Iroquois, les attaques contre les colons pour les scalper, violer les femmes et voler les enfants ou qui capturaient les missionnaires pour les torturer et les faire mourir à petit feu. De telles images restent dans la tête qu’on le veuille ou non. Thomas King, un métis, un intellectuel né aux États-Unis, un écrivain et enseignant au Canada, présente une image autre de l’Indien et de ses luttes.

L’Indien malcommode raconte l’histoire de la conquête de l’Amérique du Nord par les Européens. On connaît à peu près la venue des Français dans la vallée du Saint-Laurent, les coureurs des bois qui sillonneront l’Amérique et les Anglais plus au Sud, dans un territoire qui allait devenir les États-Unis d’Amérique. Nous connaissons l’histoire des Européens, les débuts difficiles, l’adaptation à un climat hostile, les façons de vivre, les contacts avec les autochtones, les guerres et la conquête de l’Ouest par les Américains, l’affaire Louis Riel dans l’Ouest canadien.
Nous n’aimons pas trop nous attarder à ce volet du passé parce que ce n’est pas l’aspect le plus glorieux du Canada.
L’installation des Européens en terre d’Amérique, il y a plus de 400 ans, a eu des conséquences terribles sur les peuples autochtones, les différentes nations qui peuplaient ce vaste territoire.
Tout a bien mal commencé avec les Espagnols. Maladies qui déciment la population, guerre et esclavage. On tiendra même un concile pour se questionner sur l’Indien, se demander s’il était vraiment humain et surtout s’il possédait une âme comme le Blanc supérieur. On finira, avec la sagesse des Saints-Pères, par lui concéder une âme, même s’il n’était pas tout à fait un humain. L’Indien s’était arrêté dans l’évolution des bipèdes et se retrouvait au dernier rang de l’espèce, derrière les Asiatiques et les Noirs juste bons à être des esclaves. C’est donc dire le respect que l’on avait pour lui.

Territoire

Deux modes de vie se sont affrontés lors de cette conquête. Les sédentaires, obsédés par la terre qu’il fallait cultiver, rendre productive et qui donnait richesse à son possesseur. La terre qui appartenait à la tribu et qui servait à la chasse, à la pêche, à la vie nomade. On parlait de territoire quand on avait affaire aux nations indiennes et de possession individuelle avec les Blancs. Nous avons là le nœud de tous les affrontements.
Les Blancs arrivent de plus en plus nombreux, refoulent les tribus indiennes vers l’Ouest, s’approprient de vastes territoires, provoquent des affrontements, des guerres où des tribus entières furent massacrées. Tout cela devait se calmer quand les nations indiennes furent incapables de continuer la lutte. On leur réserva des terres dans les lieux les plus rudes, les plus hostiles à l’agriculture. Des espaces que l’on grugea constamment selon les besoins. Une longue et triste histoire de dépossession, de massacres, de fourberies, d’exterminations et de racisme.

Indien mythique

Une fois les territoires conquis et les Indiens parqués dans les Réserves, on pouvait ressusciter un Indien mythique, le valoriser dans des productions cinématographiques. Le western, ce film typiquement américain, devait mettre en scène un Indien qui n’avait plus rien à voir avec la réalité. Il était le cruel, le sanguinaire, celui qui buvait le sang de ses ennemis, le barbare que l’on avait décrit dans mon Histoire du Canada, celui que le cow-boy finissait toujours par tuer. Il y avait le bon Indien aussi qui collaborait avec les Blancs, parlait parfaitement leur langue, avait même fait des études et devenait une sorte d’Européen amélioré, un mélange de sauvage et de civilisé. Le Chingachgook du Dernier des Mohicans de James Fenimore Cooper est le prototype de ce personnage impossible, le bon sauvage de Jean-Jacques Rousseau, celui que l’on a voulu civiliser en créant des pensionnats. On kidnappait littéralement les enfants dans les populations autochtones pour les enfermer dans ces prisons où ils devaient oublier leur langue, leur culture, leurs habitudes de sauvages.
Que dire des traités que l’on n’a jamais respectés, des trahisons, du racisme, de la haine envers ces peuples que l’on aurait voulu rayer de la terre. Des exemples qui nous font comprendre les revendications territoriales de l’Approche commune, la crise d’Oka et bien d’autres problématiques contemporaines comme la reconnaissance des métis.
Un livre important, fondamental pour comprendre l’autre histoire de l’Amérique, celle des vaincus, des méprisés, des victimes de ce Nouveau Monde qui s’est construit sur le mensonge, le viol, le meurtre et le mépris des principes de justice. Tout cela avec la complicité des religions et des croyances européennes qui faisaient des Blancs des porteurs de vérité. Un livre vrai, senti, pas du tout revanchard, plein d’humour qui dresse un portrait formidable d’une histoire que plus personne maintenant ne devrait ignorer. Un livre de chevet pour nous ouvrir la conscience et les yeux et l’esprit et l’âme peut-être.

L’indien malcommode de Thomas King est paru aux Éditions du Boréal, 25,95 $.

Ce qu’il a écrit :

 Nous sommes nombreux à penser que l’histoire, c’est le passé. Faux. L’histoire, ce sont les histoires que nous racontons sur le passé. Et c’est tout. Des histoires. La définition habituelle donne à croire que la narration de l’histoire est neutre. Anodine. Et bien sûr, c’est tout le contraire. L’histoire est peut-être la série d’histoires que nous racontons sur le passé, mais ces histoires ne sont pas que des histoires. Elles ne sont pas choisies au hasard. En gros, les histoires nous parlent des grands hommes et des hauts faits. De temps à autre, on mentionne quelques femmes célèbres, non pas parce qu’il s’agit de reconnaître la contribution capitale des femmes, mais par mauvaise conscience. (p.18)
L’Amérique du Nord a depuis longtemps des rapports avec les peuples autochtones, mais en dépit de l’histoire que les deux groupes partagent, l’Amérique du Nord ne voit plus les Indiens. Ce qu’elle voit, ce sont des objets : des bonnets de guerre, des chemises perlées, des robes en daim avec des franges, des pagnes, des serre-têtes, des lances emplumées, des tomahawks, des mocassins, du grimage et des colliers d’ossements. (p.71)
Les Cherokees appellent leur exode de la Géorgie « nunna daul isunyi » ou « la piste où ils ont pleuré ». Des quelque 17 000 Cherokees, plus de 4000 moururent sur le chemin de l’exil. Certains historiens estiment qu’il en mourut bien plus. D’autres disent qu’il en mourut moins. Peu importe le chiffre exact, la piste des Pleurs représenta peut-être le plus grand massacre d’Indiens de l’histoire de l’Amérique du Nord. (p.107)
Le Canada admet qu’ils furent environ 150 000, donc le nombre doit être beaucoup plus élevé aux États-Unis. Pour ces enfants, les pensionnats furent, à tous égards, un piège mortel. Ces enfants furent dépouillés de leur culture et de leur langue. Près de 50 pour cent des élèves perdirent la vie à cause de la maladie, de la malnutrition, de la négligence et des mauvais traitements. Cinquante pour cent. Un sur deux. (p.142)
À la fin des années 1980 et au début des années 1990, l’Amérique du Nord a décidé que les terres autochtones seraient des endroits parfaits pour y enfouir ses déchets. Les entreprises de gestion des déchets — qui traitent un peu de tout, des matières inoffensives aux rebus nucléaires — se sont mises à envahir le pays indien armées de colliers de verroterie et de promesses, résolues à convaincre les chefs des tribus que la conversion de leurs terres en décharges était rentable. (p.235)