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lundi 24 mars 2025

MARIE-SISSI LABRÈCHE NOUS ENVOÛTE

LA PUBLICATION d’un ouvrage de Marie-Sissi Labrèche est un événement. En tous les cas, ce n’est pas passé inaperçu. Une présence remarquée à Tout le monde en parle et à Tout peut arriver, sans compter ses escales à la radio. Toujours intense, fragile, particulière, imprévisible, cette écrivaine est fascinante et parvient souvent à nous déstabiliser. Une franchise qui étourdit et vous laisse sans mots. Disons qu’elle ne pouvait faire mieux pour lancer cet ouvrage en ces temps où les médias ne s’occupent plus tellement de la littérature. Je pourrais en rajouter, m’attardant sur le pourquoi et le comment de la question, mais j’aurais l’impression de radoter. Ça fait des années que je ressasse les mêmes propos. La plupart des écrivaines et des écrivains doivent se replier sur eux pour rendre leur travail visible sur les réseaux sociaux parce que personne n’apprendrait qu’ils viennent de publier. Disons que l’accueil réservé à l’auteure de «Borderline» était très chaleureux et enthousiaste. Assez pour que je me méfie. Devant tant d’éloges, je suis souvent déçu. Un titre étrange : Un roman au four avec en page couverture une illustration qui évoque l’époque où les femmes étaient confinées à la maison et aux tâches ménagères. Elles étaient alors la reine du foyer, souveraine de rien et servante d’un peu tout le monde. 

 

Je connais Marie-Sissi Labrèche pour avoir lu tout ce qu’elle a publié. Des récits toujours étonnants qui viennent vous chercher et vous emporter dans un univers où nous perdons nos balises et nos références. J’ai également visionné le film que l’on a fait de son premier ouvrage où l’on suivait les agissements désespérés d’une jeune femme pour attirer l’attention de son professeur et surtout avoir de l’affection et de l’amour. 

Une frénésie tragique et bouleversante. 

Le monde de cette écrivaine qui pratique l’autofiction est tout à fait singulier. Une prose où le «je» est au centre de tout. Un vrai «je» et le lecteur que je suis et tous les autres qui la lisent n’en doutent jamais. Il n’est pas question d’une fable, mais de sa vie, de ses problèmes, de ses ruminations et de ses dérapages. Elle se livre dans toute sa fragilité et raconte un lourd héritage de maladie mentale et de dysfonctionnement. Une très grande nervosité (il suffit de la voir à la télévision ou de l’entendre à la radio) qui peut lui faire prendre bien des chemins de travers. 

L’auteure a une façon de dire qui demande une audace et une franchise que peu d’écrivains maîtrisent. Plus, je crois que Marie-Sissi Labrèche n’arrive pas à faire autrement. Elle ne peut que se tourner vers soi, du moins dans ses romans et ses ouvrages personnels. Elle a travaillé sur des scénarios et dans les médias et peut s’adapter à une phrase plus formatée. Parce qu’en littérature, il est difficile de tricher ou de se montrer autre que celui ou celle qu’on est dans la vie. Le concret ou son état mental et physique finissent toujours par remonter à la surface. Une façon d’écrire qui demande beaucoup d’audace, une sincérité à toute épreuve et une franchise qui ne fait jamais de compromis. Je ne serais pas capable d’en faire autant dans mes histoires, même si je peux aller assez loin dans cette direction. Je m’appuie d’abord sur de vrais lieux et les «aventures» de certains de mes proches dans mes romans. Ce que je nomme le «réel inventé». Tout vient de certains moments de ma vie, d’amis, de connaissances et je ne quitte à peu près jamais mon milieu d’enfance, mon village de La Doré qui me suit partout, dans mes fables les plus hardies, comme Le voyage d’Ulysse et dans mes chroniques. Je m’appuie sur ce vécu et de vrais personnages pour plonger dans ce qu’ils auraient pu devenir s’ils étaient allés au bout de leurs obsessions et de leur folie. C’est peut-être un genre d’autofiction maquillée, je ne sais trop. 

 

TOURNANT

 

Marie-Sissi Labrèche effectue un virage important dans Un roman au four en affranchissant sa prose pour laisser toute la place aux tourbillons de sa pensée. Elle court sans se plier aux codes, aux arrêts et à la ponctuation qui nous gardent sur le chemin, dans les limites de vitesse, enfin, tout ce qui permet de circuler sans mettre la vie des autres en danger. L’auteure s’en tient à l’expression, aux phrases qui rejettent à peu près tous les carcans pour suivre les poussées de l’esprit qui ne va jamais en ligne droite. Une écriture ou une parole qui perd de sa linéarité pour bondir dans toutes les directions. Ça m’a fait penser à une bête qu’on relâche et qui ne peut résister au bonheur de sauter et de gambader en redécouvrant les joies du mouvement et l’espace au printemps. 

Marie-Sissi Labrèche n’est pas la seule à avoir tenté cette aventure. Marie-Claire Blais a osé aussi se priver de la ponctuation dans sa fabuleuse saga qu’est Soifs. Si madame Blais réussissait à élever des murs autour de nous par sa manière d’aller d’un personnage à un autre, en suivant la dérive des continents, Marie-Sissi Labrèche nous libère et nous plonge au cœur d’un réacteur de particules où tout est tout. Et étonnamment, je me suis senti à l’aise dans cette prose et dans cette manière de secouer la réalité. Une écriture qui colle au mouvement de la pensée et qui s’aventure autant dans le passé que dans le présent, qui ne renonce pas non plus à se risquer dans un certain futur pour imaginer ce que pourrait devenir sa vie. 

 

«j’entends par là des phrases qui se tiennent par la main sans rupture, du moins c’est comme ça que je l’interprète mais peut-être que ce n’est pas du tout ce qu’elle voulait dire, Duras, elle était tellement à fond dans son art qu’il lui arrivait d’avoir peur de ne plus être capable de faire la différence entre la réalité et la fiction et que l’écriture finisse par la dévorer, un monstre d’intensité que je dis, paraît que lorsqu’on l’invitait à souper, elle n’apportait ni vin ni fleurs pour l’hôte, sa présence était déjà un cadeau en soi disait-elle, putain qu’elle avait confiance en elle, qu’est-ce que j’aimerais avoir une petite parcelle de ça» (p.17)

 

Bien certain qu’il y a des virgules, il faut bien respirer de temps en temps. Et c’est comme ça d’un bout à l’autre des 150 pages. 

J’ai eu l’impression souvent de me retrouver dans un parc d’amusement ou d’une fête foraine avec une grande roue qui tourne en entraînant des feux d’artifice. Une folie lumineuse qui éclate en centaines de tourbillons qui étourdissent et éblouissent.

 

SPIRALES

 

Marie-Sissi Labrèche tente de suivre les spirales des mots qui se bousculent dans sa tête. Tout se heurte et se mélange. Le fameux poulet qu’il faudrait badigeonner et mettre au four, la litière du chat, les vêtements à laver, l’école et sa fille, qui subit le harcèlement de certaines collègues, un projet de roman, des lectures, les voisins, la monotonie de la banlieue qu’elle déteste et son rêve de retourner en ville, au cœur de Montréal, où elle a passé son enfance. Son mari obsédé par son travail et encore une tâche à faire et ce poulet qui va finir par se gâter sur le comptoir. 

C’est fascinant, vif, collé à la vie, au présent. Je me suis laissé emporter par le tourbillon de la pensée de Marie-Sissi Labrèche n’arrivant plus à lâcher ce roman qui vous happe. Ça vient vous chercher dans ce qu’il y a de plus vrai et de plus important. Être entièrement dans l’instant qui vous attire et vous éloigne de ce que vous êtes et de ce que vous voulez être. 

 

«j’ai la littérature qui fait mal, je ne cours pas après les sujets c’est eux qui me sautent dessus m’attrapent à la gorge et m’obligent à écrire sur eux, à la première émission de télé où je suis passée il y a longtemps, l’animateur m’avait demandé si je provoquais les choses pour les écrire à cause de l’autofiction, Hey là, je me suis pas provoqué mon enfance de coquerelle pour l’écrire, avais-je répondu mais avec plus de tact, plus de douceur, de toute façon, je ne sais pas être bête, puis Wajdi Mouawad avait pris mon parti, toujours prêt à défendre la veuve et l’assassin, il l’avait fait avec intelligence et brio, je l’aurais frenché» (p.74)

 

C’est tout ça, et bien plus encore. Voilà une plongée au cœur du quotidien avec tout ce que cela comporte, avec toutes les étendues et les fenêtres qui s’ouvrent et se referment, tous les rêves, les frustrations, les obligations et le désir de mettre des mots sur sa vie et son existence. C’est captivant et affolant. Une écriture qui vous prend dans toutes ses dimensions, ses sauts et ses tourbillons. C’est comme s’il y avait cent sujets qui se bousculent sur la même page et qui vous refoulent dans un trou noir. Impossible d’y échapper. 

Marie-Sissi Labrèche prend possession de votre esprit et inutile de résister. C’est fort, émouvant, terrible, difficile à résumer. La vie dans tous ses élans et ses soubresauts. Une sorte d’exploit et de marathon où on laisse toutes ses énergies et ses frustrations sur le carreau, où on se roule dans le vivant, la poussière et la lumière. Un roman intense et une expérience de lecture assez fabuleuse.

 

LABRÈCHE MARIE-SISSI : Un roman au four, Éditions Leméac, Montréal, 162 pages.

https://lemeac.com/livres/un-roman-au-four/ 

jeudi 29 mars 2007

L’écriture comme méthode d’autodéfense

Depuis le temps, tout le monde le sait. L’écrivain puise dans sa vie et éventre souvent des secrets de famille. Pour se disculper, il confie le tout à des personnages et maquille son histoire en se drapant d’une fausse neutralité. «Il faut tout dire en littérature», répète Victor-Lévy Beaulieu après avoir chipé la sentence à James Joyce.
Certains romanciers refusent cette mascarade en pratiquant l’autofiction. Cette appellation donne un vernis de modernité à une entreprise plutôt ancienne. Le lecteur croit alors plonger dans l’intimité de l’écrivain qui devient le personnage. Un genre risqué puisque le public confond auteur et héros de fiction dans la vie de tous les jours.
Christine Angot, en France, est allée loin dans cette démarche en se complaisant dans ses romans à multiplier les prouesses sexuelles réelles ou inventées. Elle prenait la succession d’Henry Miller et, jusqu’à un certain point, de Marcel Proust. Que dire aussi de Jack Kerouac!

Une quête

Au Québec, plusieurs écrivains ont emprunté cette route avec plus ou moins de bonheur. Marie-Sissi Labrèche s’avère une exception. Ses premiers romans, «Borderline» et «La Brèche», montrent un désarroi, une quête d’attention qui passe par une sexualité débridée. Il s’en dégage une fragilité émotionnelle où l’écrivaine se propulse à la frontière d’une frénésie qui risque de l’avaler. Elle a senti ce danger et dans ce troisième ouvrage, elle tente de prendre un certain recul pour affronter l’univers qui la tourmente depuis ses premières phrases.
Elle reste fidèle à l’autofiction tout en inventant une trame romanesque qui lui permet de confronter les deux facettes du récit, d’explorer ce monde qui la hante. L’écriture devient une arme qui permet de repousser la folie, de rompre avec la malédiction des femmes de sa famille, cette démence qui se transmet de génération en génération
«En fait, ce livre, je l’écris non pas contre toi, mais pour moi, pour laisser toute la place à mon avenir. Même si je raconterai des choses qui te sont familières, j’y injecterai beaucoup de fiction, car comme disait Oscar Wilde: «Prêtez-moi un masque et je vous dirai la vérité.» Il paraît que c’est lorsqu’on est dans la fiction que la vérité se pointe le bout du nez, c’est dans la fiction qu’on peut évacuer le plus de méchanceté et le plus de bonté aussi.» (p.14)

La malédiction

«La lune dans le HLM» permet à l’écrivaine de confronter le monde de sa mère, son héritage familial de folie. La narratrice a migré en Europe et fait sa vie d’écrivaine. Elle revient au Québec, le temps d’écrire un scénario à partir de son roman «Borderline», retrouve sa mère qui vit dans un appartement insalubre avec une poule, au milieu des bataillons de coquerelles. Une misère terrible, physique et psychique.
Comment arracher cette mère à sa folie, comment éviter le trou noir qui l’aspire depuis sa naissance. Tout le roman illustre cette lutte, la hantise qui marque les œuvres de la jeune romancière. Le lecteur connaît ainsi les deux faces d’une approche qui se veut une appropriation de soi et une libération. L’écriture devient entreprise de salut. Comme si en plongeant dans les mots, Marie-Sissi Labrèche subjuguait cet héritage et parvenait à trouver une forme d’équilibre. Une écriture thérapeutique à la limite qui permet d’installer la paix en soi et d’accepter ce legs.
«Tu as trop besoin de moi et je te dois tout, car si je suis devenue ce que je suis aujourd’hui, c’est grâce à toi. Tu m’as transmis tout ce qu’il y avait de meilleur en toi, l’honnêteté, la sincérité, la gentillesse envers autrui, et surtout la capacité de créer. Par ta folie, tu m’as permis d’avoir accès à mon inconscient facilement, et cet inconscient ne me sert qu’à te faire du mal.» (p.245)
Marie-Sissi Labrèche, dans la fiction comme dans l’autofiction, décrit un phénomène que nous refusons souvent de voir même s’il est de plus en plus présent. Une personne sur dix souffrirait de problèmes psychologiques selon certaines statistiques.
Cette forme d’écriture est terriblement exigeante mais combien touchante et attachante. Elle écrit avec la pointe d’un diamant! Un roman généreux et d’une franchise qui laisse le lecteur sans mots.

«La lune dans le HLM» de Marie-Sissi Labrèche est publié chez Boréal Éditeur.